Archive dans décembre 2019

Le Portugal, terre de délocalisation des banques françaises

AUREL

L’imposante galerie commerciale de Colombo, où le tout Lisbonne se presse pour les courses de Noël, est surplombée par deux tours aux couleurs de BNP Paribas. Au cours de ces dernières années, la banque française a grignoté progressivement la plupart des étages : une enfilade d’espaces de travail ouverts, où plusieurs centaines de jeunes Portugais exécutent toute une palette d’opérations pour les activités du groupe à travers le monde.

En dix ans, le Portugal est devenu, à bas bruit, une solide base arrière de l’établissement. Elle y comptera 6 000 salariés à la fin de 2019, dont plus de 80 % ne travaillent pas pour le marché local portugais. Ces emplois, qui n’existaient pas avant 2008, sont venus essentiellement de France, mais aussi de Belgique, d’Italie ou de Suisse, pour être confiés à une main-d’œuvre locale diplômée, polyglotte et bon marché. « Il s’agit là d’un des principaux centres de compétences internationaux présents au Portugal », précise Luis Castro Henriques, le président de l’Agence pour l’investissement du Portugal.

Si les délocalisations sont, depuis longtemps, le lot de l’industrie, le secteur bancaire, bousculé par la crise financière, la révolution numérique et les taux d’intérêt négatifs, cherche, lui aussi, à transférer des emplois vers des pays à moindres coûts salariaux. Au Portugal, le salaire minimum, qui sera réévalué de 6 % en 2020, atteindra 740 euros brut mensuels, contre 1 521 euros brut en France, soit plus du double.

Tout commence au début des années 2000

Pour BNP Paribas, tout commence au début des années 2000. Après les attentats du 11-Septembre 2001, le groupe veut dédoubler son activité de « conservation de titres », un métier qui consiste à gérer les comptes titres des investisseurs institutionnels (assureurs, fonds de pension, entreprises…), après la négociation de leurs transactions sur les marchés. Il s’agissait de disposer de deux sites, pour que, en cas d’attaque sur celui de Paris, un centre de secours puisse prendre le relais. Pour cette structure secondaire, la banque a choisi Lisbonne, en 2008.

« Pour mon poste de chargé de compte, la direction demandait simplement le bac, alors qu’il fallait une licence ou une maîtrise pour le même travail à Paris »

Alexandre Huchet, professeur de français qui venait juste de s’installer au Portugal, fait partie des premiers embauchés. « Au début, nous étions 247 employés, se souvient-il, attablé à la terrasse d’un petit café du quartier populaire de Benfica, où se dresse le centre commercial de Colombo. Pour mon poste de chargé de compte, la direction demandait simplement le bac, alors qu’il fallait une licence ou une maîtrise pour le même travail à Paris. Après quatre ou cinq ans, BNP a constaté tous les avantages à être ici, et ils ont décidé de se développer. »

EDF dévoile son plan industriel pour sauver la filière nucléaire

Sur le chantier de l’EPR (réacteur nucléaire de troisième génération) de Flamanville, dans la Manche, en novembre 2016.
Sur le chantier de l’EPR (réacteur nucléaire de troisième génération) de Flamanville, dans la Manche, en novembre 2016. Benoit Tessier / REUTERS

Le PDG d’EDF a peu ou prou respecté le calendrier que lui avait imposé le gouvernement. Un mois et demi après la remise d’un rapport sévère de Jean-Martin Folz sur les dérives de la filière nucléaire française, Jean-Bernard Lévy a présenté à son conseil d’administration, jeudi 12 décembre, puis aux industriels et à la presse vendredi, le plan destiné à redresser une situation critique, illustrée par la dérive du chantier du réacteur EPR de Flamanville (Manche) : le retard de dix ans a entraîné une multiplication par quatre (12,4 milliards d’euros) de son budget initial.

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Lors de la publication des conclusions de l’ex-patron de PSA, qui qualifiait la conduite du chantier de l’EPR d’« échec pour EDF », le ministre de l’économie et des finances avait jugé que « ces difficultés à répétition [n’étaient] pas acceptables » et demandé à la filière de « se ressaisir très vite », notamment EDF et sa filiale réacteurs Framatome, qui en sont les chefs de file. « Il en va de notre souveraineté énergétique », avait souligné Bruno Le Maire.

Baptisé « Excell », ce plan 2020-2021 répond point par point aux critiques du « rapport Folz ». Il vise un retour « au plus haut niveau de rigueur, de qualité et d’excellence » et bénéficiera d’un « budget spécifique » de 100 millions d’euros, a annoncé M. Lévy. Il sera piloté par un « délégué général à la qualité industrielle et aux compétences ». Issu du monde de l’industrie, mais pas du secteur nucléaire, il fera des rapports réguliers au PDG et devra notamment garantir les « meilleures pratiques » au sein de la filière.

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Car, contrairement à l’automobile, à l’aéronautique et au spatial, le nucléaire n’a pas su préserver la rigueur acquise lors du déploiement du parc nucléaire dans les années 1970-1990. Excell prévoit donc « le renforcement de la qualité industrielle » qui a fait défaut dans l’exécution du projet de Flamanville comme la fabrication de composants majeurs (cuves, générateurs de vapeur…) par Framatome (ex-Areva NP). Cela avait contraint l’exploitant à des arrêts coûteux de certains de ses 58 réacteurs.

« Outils de traçabilité renforcés »

« Le choix des fournisseurs valorisera davantage les critères de qualité » et ils seront « mieux associés à l’élaboration des spécifications et à l’analyse de la constructibilité ». Les déboires de Flamanville avaient commencé par des malfaçons dans le béton dès 2008, un an après le début du chantier. Puis, des problèmes de ségrégation carbone sont apparus dans la cuve où se produit la réaction nucléaire. Avant que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) exige d’EDF la révision de huit soudures du circuit secondaire, qui se traduira par un surcoût de 1,5 milliard d’euros. EDF va revoir la qualification de ses fournisseurs, les exigences accrues pouvant être étendues aux entreprises sous-traitantes de rangs 2 et 3, a prévenu M. Lévy, qui a annoncé « des outils de traçabilité renforcés » pour les pièces sensibles.

En Alsace, troisième plan social en six ans chez l’équipementier Mahle Behr

Chez l’équipementier Mahle Behr, à Rouffach (Haut-Rhin), filiale de l’allemand Mahle (79 000 salariés dans le monde, 12,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018), la restructuration, annoncée le 23 octobre, supprimant 240 emplois sur 640, sera la troisième depuis 2013. Et ce, malgré deux accords de compétitivité, en 2013 et 2016, qui avaient occasionné des sacrifices pour le personnel, en termes de salaire et de temps de travail.

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Si, jusqu’à présent, ces plans sociaux s’étaient faits dans une relative paix sociale, ce n’est plus le cas. Les syndicats ont appelé à l’aide le gouvernement et des parlementaires, qui ont alerté le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Redoutant à terme la disparition de l’usine, « les salariés se sentent abusés, bernés, désespérés », souligne l’intersyndicale CFDT-CGC-CFTC-CGT-UNSA dans une lettre ouverte au ministre. Cette action a débouché sur une réunion, mardi 3 décembre, avec le délégué interministériel aux restructurations d’entreprises, Marc Glita. Les syndicats réclament que le ministre joue de tout son poids pour que le groupe allemand dégage des « moyens financiers exceptionnels » d’accompagnement des salariés qui vont être licenciés, et dont la moyenne d’âge est de 50 ans. Ils demandent aussi que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), chargée de valider ou de rejeter les plans sociaux, « fasse un contrôle drastique des mesures proposées (…) et des moyens versés pour la revitalisation du site. »

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« On veut que le groupe, qui a les moyens, finance à 100 % la casse sociale et que personne ne se retrouve à Pôle emploi »

Vendredi 13 décembre, les organisations syndicales rencontreront la Direccte. « C’est une réunion très importante, explique Olivier Delacourt, secrétaire général CFDT de la métallurgie d’Alsace. On veut que le groupe, qui a les moyens, finance à 100 % la casse sociale et que personne ne se retrouve à Pôle emploi. » Les syndicats pointent aussi que le site « n’est pas en faillite : 40 millions d’euros sont mis à disposition du groupe sous forme de cash flow, et Rouffach dispose d’excédents réels de trésorerie d’environ 40 millions. »

Délocalisation dans les pays de l’Est

L’équipementier automobile fabriquait jusqu’à présent à Rouffach des systèmes de climatisation automobile, des chauffages additionnels et des pièces de rechange. Le 23 octobre, le groupe Mahle a annoncé une « réorientation stratégique ». « L’objectif est de pérenniser le site de production et de développement sur le long terme », assure l’équipementier. L’activité sera concentrée sur la fabrication de chauffages additionnels, pour les véhicules électriques, « un produit à fort potentiel », tandis que l’activité climatisation sera abandonnée. La fabrication des pièces de rechange est, quant à elle, délocalisée dans les pays de l’Est. Selon les syndicats, c’est aussi le cas pour la comptabilité et le service achats.

Hausse des accidents du travail et des maladies professionnelles

« Tous secteurs confondus, ils résultent essentiellement de manipulations manuelles (50 %) et de chutes (28 %). »
« Tous secteurs confondus, ils résultent essentiellement de manipulations manuelles (50 %) et de chutes (28 %). » Jens Magnusson/Ikon Images / Photononstop

En plein débat sur la réforme des retraites et la prise en compte de la pénibilité, l’Assurance-maladie jette un pavé dans la mare. Dévoilé le 3 décembre, son rapport annuel révèle une hausse globale de la sinistralité au travail. Les accidents du travail ont augmenté de 2,9 % en 2018 : au total, 651 103 cas ont été reconnus comme tels, dont 551 accidents mortels.

Tous secteurs confondus, ils résultent essentiellement de manipulations manuelles (50 %) et de chutes (28 %). L’augmentation est particulièrement sensible dans le secteur des services, notamment l’aide à la personne et l’intérim (+ 5 %), suivis par les industries du bois, de l’ameublement et du papier carton (+ 4,5 %). Les secteurs les plus touchés sont le BTP, le transport et l’alimentation.

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« La reprise économique explique en grande partie cette tendance », avance l’Assurance-maladie en guise d’explication, tout en rappelant que par rapport à la population active, la sinistralité demeure à un niveau historiquement bas : autour de 34 accidents pour 1 000 salariés depuis cinq ans, contre 45 pour 1 000 il y a vingt ans. Ce sont donc les créations d’emploi qui expliqueraient en partie ce bilan, bien que les effectifs intérimaires soient en baisse depuis le début de 2018.

Conditions météorologiques difficiles

L’Assurance-maladie souligne aussi que la mise en œuvre progressive de la déclaration sociale nominative (DSN) a pu mécaniquement augmenter le nombre d’accidents recensés. Il s’agit toutefois d’un retournement inexpliqué par rapport à l’année précédente, marquée par un recul des accidents du travail.

Les accidents de trajet bondissent de 6,9 % en un an, poursuivant une hausse continue depuis 2015. L’Assurance-maladie met en cause les conditions météorologiques difficiles de l’hiver dernier.

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Après trois années de baisse, le nombre de maladies professionnelles reconnues est aussi à la hausse (+ 2,1 %) avec 49 538 cas supplémentaires en 2018, dont 88 % pour des troubles musculo-squelettiques (TMS). Le nombre d’affections psychiques liées au travail poursuit aussi sa progression (+ 23 %), avec 990 cas reconnus. Cette forte augmentation s’explique sans doute par la mise en lumière plus vive de ces pathologies (dépression, troubles anxieux…) ces dernières années. Le nombre de cancers professionnels reconnus, lui, reste stable depuis 2015.

« Naïveté », « cynisme »

L’Association des accidentés de la vie (Fnath) a vivement réagi à ces résultats. La principale association d’aide aux victimes d’accidents du travail a dénoncé dans un communiqué un système en état de « mort cérébrale », qualifiant l’argument de la reprise économique, utilisé par les auteurs pour expliquer l’augmentation des accidents du travail, de « naïveté », voire de « cynisme ».

Les services pédiatriques sous pression en Ile-de-France

Personnels infirmiers manquants, lits de réanimation ou d’hospitalisation fermés… Cette année, l’épidémie hivernale de bronchiolite met à rude épreuve les services pédiatriques des hôpitaux un peu partout en France. Si des difficultés sont signalées à Bordeaux ou à Marseille, c’est en Ile-de-France qu’elles sont le plus visibles. Entre le 17 octobre et le 2 décembre, vingt-deux enfants – pour la plupart des nourrissons âgés de moins d’un an – ont dû être transférés hors de la région, à Rouen, Amiens, Caen ou Reims, faute de lits de réanimation pédiatrique disponibles.

Ce nombre est exceptionnel : l’hiver dernier, il n’y avait eu que trois transferts. Les années précédentes, entre zéro et quatre. « On a frôlé la catastrophe sanitaire, si l’épidémie avait été plus intense, il y aurait certainement eu des morts », estime un chef de service sous le couvert de l’anonymat.

A l’origine de cette situation, une pénurie d’infirmiers qui empêche la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) de pourvoir une quarantaine de postes et la contraint à ne pas rouvrir au début de l’hiver une partie des lits dits « de soins critiques » destinés aux enfants et traditionnellement fermés l’été. Le 4 décembre, au plus fort de la crise, « il manquait 22 lits de ce type par rapport à ce qui devrait être ouvert en hiver », explique Noëlla Lodé, la représentante des cinq services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) pédiatriques en Ile-de-France.

Quinze lits ont été rouverts depuis, annonce jeudi 12 décembre, François Crémieux, le directeur général adjoint de l’AP-HP, qui assure que le groupe hospitalier « a mobilisé tous les moyens possibles en termes de ressources humaines » pour parvenir à pourvoir les postes infirmiers manquants, des postes « hyperspécialisés, nécessitant des temps de formation de deux à trois mois ».

« Des difficultés à trouver une place »

Au-delà de la gêne pour les familles des nourrissons concernés, cette crise a mis sous pression tous les services pédiatriques de la région. « Certains soirs, quand on prenait la garde, on savait qu’il n’y avait plus de lit de réa pour toute l’Ile-de-France, raconte Simon Escoda, le chef des services d’urgences pédiatriques de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis. Sachant cette grande pénurie, on a gardé sur site des enfants qui avaient des marqueurs de sévérité significatifs qu’on aurait largement transférés dans d’autres situations. C’est un glissement de tâche contraint et forcé. Quant aux dix-huit transferts pour insuffisance respiratoire que nous avons dû faire, nous avons quasiment à chaque fois eu des difficultés à trouver une place. »

La grève sauvera-t-elle la « prime Macron » 2020 ?

Chronique « Carnet de bureau ». « Indemnisation de 100 % des privés d’emploi », clamaient les manifestants, samedi 7 décembre. Les revendications de sécurité financière ont, dès le début du mouvement social, côtoyé les slogans contre la réforme des retraites. La « prime Macron » reconduite par le projet de loi de finances 2020 sera-t-elle portée par les entreprises ? Le groupe Mercer vient d’interroger quelques très grandes entreprises sur leurs intentions. « A priori, le succès sera moindre qu’en 2019 », affirme Bruno Rocquemont, directeur du département gestion des talents chez Mercer.

Les chiffres communiqués au Monde par le cabinet de conseil en ressources humaines indiquent qu’en un an la tendance s’est inversée : 70 % des entreprises interviewées n’envisagent pas de verser de « prime Macron » en 2020, seules 29 % le feraient contre 73 % en 2019, 1 % n’ont pas voulu s’exprimer. Rien n’est toutefois gravé dans le marbre. « Il faut rester prudent, ce n’est que le tout début du mouvement social et les négociations annuelles obligatoires ne sont pas terminées », précise M. Rocquemont.

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En 2019, les entreprises ont joué le jeu d’une prime exceptionnelle, répondant à l’appel de responsabilité sociale lancé par le gouvernement. Le pouvoir d’achat était au cœur du mouvement des « gilets jaunes ». La prime a atteint 401 euros en moyenne pour quelque 4,8 millions de salariés dans plus de 408 000 établissements, avec de grands écarts entre les secteurs, variant de 300 euros dans la distribution à 600 dans l’énergie.

Mais le contexte a changé. En décembre 2018, les chiffres du chômage s’amélioraient doucement. En décembre 2019, « la conjoncture économique n’est pas tout à fait la même. Si certains, comme la Société générale, ont déjà communiqué sur la reconduction de la prime, d’autres ne joueront pas le jeu. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont assez sceptiques. Leur priorité, c’est l’épargne salariale », affirme Franck Chéron, associé capital humain chez Deloitte.

« Une complexité supplémentaire »

Et les conditions d’exonération ont été modifiées. La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat mise en place par la loi du 24 décembre 2018 est défiscalisée et exonérée de charges sociales, dans la limite de 1 000 euros par salarié, dont la rémunération annuelle est inférieure à trois fois le smic. C’est toujours vrai.

Raison d’être et mission d’entreprise : des mots qui engagent

« Au-delà de l’activité ordinaire de l’entreprise, il s’agit donc de trouver les mots qui décrivent l’avenir que l’on veut construire en matière scientifique, sociale et environnementale »
« Au-delà de l’activité ordinaire de l’entreprise, il s’agit donc de trouver les mots qui décrivent l’avenir que l’on veut construire en matière scientifique, sociale et environnementale » Sam Brewster/Ikon Images / Photononstop

Chronique « Entreprises ». La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) permet aux entreprises de se doter d’une « raison d’être » et de l’inscrire dans leurs statuts. Elles peuvent aussi aller plus loin et adopter la qualité de « société à mission ». Ce qui exigera un comité de mission et un contrôle indépendant. Sur le terrain, plusieurs grandes entreprises (Veolia, SNCF, ATOS,…) ont déjà publié leur raison d’être.

Par ailleurs, la « Communauté des entreprises à mission », créée récemment, soutient ses membres dans ces deux démarches. Un constat s’impose déjà : pour exprimer des engagements crédibles avec des mots et des textes, les entreprises doivent adopter une démarche collective originale.

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Un projet d’entreprise s’appuie habituellement sur des indicateurs chiffrés. Mais la quantification favorise aussi des illusions trompeuses. Ainsi, les grandes faillites brutales (Thomas Cook) ou les mésaventures des reprises d’entreprises (Whirpool) rappellent la prudence indispensable vis-à-vis des données comptables.

Par ailleurs, les entreprises sont passées maîtres de l’usage publicitaire du discours : c’est-à-dire de la mobilisation du langage pour séduire, attirer, embellir. Il en résulte, par effet boomerang, que, venant d’une entreprise, les mots qui décrivent une « raison d’être » ou une « mission » risquent d’être reçus comme de la communication ou un « coup de pub ».

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L’élaboration d’une raison d’être impose donc un effort particulier de crédibilisation. Cela vaut aussi pour les sociétés à mission. La loi s’en est assurée en demandant un contrôle interne et externe. Mais comment démarquer clairement une raison d’être de la communication d’entreprise ?

Deux exigences ressortent des premières expériences. Il faut d’abord résister à la tentation d’en dire le moins possible ou de recourir à quelques objectifs chiffrés convenus. Car la loi stipule que la raison d’être est « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » (article 169).

Discussion et partage

Au-delà de l’activité ordinaire de l’entreprise, il s’agit donc de trouver les mots qui décrivent l’avenir que l’on veut construire en matière scientifique, sociale et environnementale. Et de tels mots n’exprimeront des engagements véritables que s’ils servent de guide pour l’action et s’ils peuvent être mis à l’épreuve dans les décisions habituelles de l’entreprise.

Enquêtes au cœur du capitalisme des plates-formes

« Les nouveaux travailleurs des applis », coordonné par Sarah Abdelnour et Dominique Méda. PUF, 128 pages, 9,50 euros.
« Les nouveaux travailleurs des applis », coordonné par Sarah Abdelnour et Dominique Méda. PUF, 128 pages, 9,50 euros.

Le livre. Le terme d’ubérisation a fait son entrée dans le dictionnaire. Il s’agit, d’après Le Robert, de « transformer [un secteur d’activité] avec un modèle économique innovant tirant parti du numérique ». D’après la définition, le numérique constitue donc une occasion, si ce n’est un prétexte, de transformer le fonctionnement d’un secteur d’activité et de modifier les règles du jeu en matière de travail et d’emploi. Mais s’agit-il de sortir du modèle ancien par le haut, en favorisant le progrès et l’émancipation, ou par le bas, par une dégradation du sort des travailleurs ?

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Entre une vision enchantée d’une économie innovante et collaborative et des inquiétudes sur la prolétarisation des travailleurs à la tâche, le débat est très polarisé et mérite d’être complété par des enquêtes empiriques approfondies, souligne Sarah Abdelnour. Maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris-Dauphine, elle coordonne avec Dominique Méda, professeure de sociologie dans la même université, l’ouvrage Les Nouveaux travailleurs des applis (PUF).

Fruit de la collaboration d’une équipe de chercheuses et chercheurs en sociologie, en sciences politique et en droit, le texte analyse les résistances et les régulations de ces nouvelles activités. L’équipe a interrogé des travailleurs des plates-formes par le biais d’enquêtes qualitatives et quantitatives. Certaines plates-formes externalisent du travail qui ressemble à de l’emploi, d’autres proposent des microtâches à réaliser en ligne, d’autres transforment des loisirs en source de revenu complémentaire, tandis que d’autres encore font venir en ligne des professionnels.

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La recherche collective s’est rassemblée derrière le concept de capitalisme de plate-forme. La notion met l’accent sur la création de valeur et son partage, inégalitaire, entre, d’une part, les détenteurs des algorithmes, sites et applications hébergées par les plates-formes et, d’autre part, les travailleurs présents sur celles-ci.

« Illusion romantique et trompeuse »

Parler de capitalisme de plate-forme permet de mobiliser d’autres concepts comme le « digital labor », une notion qui rassemble les « like » de Facebook, les commentaires laissés sur différents sites ou encore les codes dits « captcha » [tests d’identification] que l’on déchiffre régulièrement sur Internet.

Les enquêtes menées donnent lieu à plusieurs chapitres qui proposent chacun un prisme différent : « Quelle est la structuration sociale du capitalisme de plate-forme ? » « Quelles inégalités apparaissent derrière l’idéal collaboratif ? » « Quelles sont les fonctions exactes de la plate-forme ? » Ou encore « Quelles régulations sont mises en place face à ces nouveaux acteurs économiques » ?

Le turnover des salariés pénalise la sécurité informatique

« Laissés sans surveillance, les comptes fantômes ne validant plus de mise à jour constituent une porte d’entrée privilégiée pour les cyberattaques. »
« Laissés sans surveillance, les comptes fantômes ne validant plus de mise à jour constituent une porte d’entrée privilégiée pour les cyberattaques. » JOSH MCKIBLE / IKON IMAGES / PHOTONONSTOP

Dans le secteur de l’informatique, on les appelle les « comptes fantômes ». Ce sont des mails, des autorisations d’accès à telle ou telle application, attachés à des utilisateurs qui ne sont plus dans l’entreprise. Passés à travers les mailles du filet sécuritaire, certains sont toujours ouverts plusieurs années après le départ du collaborateur, sans que les spécialistes de la protection des données en aient connaissance.

« C’est un magnifique vecteur d’action pour les hackeurs », affirme Jean-Benoît Nonque, vice-président France, Europe du Sud, Moyen-Orient et Afrique de la société informatique Ivanti.

Laissés sans surveillance, ces comptes ne validant plus de mise à jour constituent une porte d’entrée privilégiée pour les cyberattaques. « Cela engendre une vulnérabilité pour l’entreprise, confirme Frans Imbert-Vier, PDG de la société Ubcom, spécialisée dans la cybersécurité. Utilisés pour usurper une identité, ils permettent d’avoir accès à des données et, le plus souvent, de les subtiliser à des fins d’intelligence économique. »

Dans d’autres cas, ces mêmes données seront « paralysées », donc rendues illisibles, et une rançon sera demandée pour obtenir la clé nécessaire à leur restauration. Autant d’attaques qui peuvent se révéler mortelles pour les entreprises.

Si le phénomène reste minoritaire, il n’est pas exceptionnel de l’observer. Selon une étude menée par Ivanti, « plus de la moitié des professionnels de l’IT [technologies de l’information] connaissent au moins une personne qui a toujours accès aux applications et données de son ancien employeur ».

Une inflation des droits d’accès accordés

Les enjeux sécuritaires entourant le départ de collaborateurs ont eu tendance à s’amplifier ces dernières années, à mesure que la galaxie d’acteurs interagissant avec l’entreprise s’est complexifiée. Les changements d’entreprise sont plus fréquents parmi les jeunes salariés, les collaborations ponctuelles avec des free-lances se multiplient. Ce qui implique une inflation des droits d’accès accordés… Mais aussi une multiplication des procédures de retrait de ces mêmes droits, une fois le travail pour l’entreprise terminé. De quoi inviter à la vigilance les professionnels des systèmes d’information.

« Le premier problème de ce turnover aujourd’hui, c’est la fuite d’information », explique Alain Bouillé, vice-président du Club des experts de la sécurité de l’information et du numérique (Cesin). Si les clauses de confidentialité présentes dans les contrats de travail peuvent freiner certaines pratiques, une évidence demeure : « Il est extrêmement facile pour un salarié sur le départ de faire des copies massives sur disque externe ou de réaliser des envois sur un site de partage. » Une pratique dont les conséquences peuvent, là encore, être considérables, en particulier si le collaborateur part à la concurrence.