Archive dans décembre 2019

Emilie Delorme, première femme nommée à la tête du Conservatoire de musique et de danse de Paris

Emilie Delorme, en décembre 2019, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP).
Emilie Delorme, en décembre 2019, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP). FERRANTE FERRANTI

C’est une première pour le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP). Le ministère de la culture a annoncé, samedi 14 décembre, la nomination d’Emilie Delorme, 44 ans, faisant de la Française, née le 23 novembre 1975 à Villeurbanne, la première femme de l’histoire à diriger la vénérable institution fondée en 1795. Un symbole fort après le brelan masculin qui vient de rafler la mise des places fortes musicales du pays – Alexander Neef à l’Opéra de Paris, Richard Brunel à l’Opéra de Lyon, Jean-Philippe Thiellay au Centre national de la musique. Un profil atypique au regard de la noria de compositeurs, de Luigi Cherubini à Gabriel Fauré, qui se sont succédé au sommet de l’institution.

Emilie Delorme, qui prendra ses fonctions le 1er janvier 2020, n’a certes pas l’aura médiatique de son prédécesseur Bruno Mantovani. Le compositeur et chef d’orchestre de 45 ans a quitté son poste fin juillet après neuf ans de directorat et prendra la tête de l’Ensemble Orchestral Contemporain (EOC). Mais la jeune femme a pour elle des états de service remarqués au Festival d’Aix-en-Provence dont elle dirige depuis 2009 l’Académie européenne de musique, une plate-forme d’apprentissage et de création qui accueille chaque année plus de 250 artistes venant d’une quarantaine de pays, dans le cadre d’ateliers et de concerts.

Femme de conviction

En dix ans, cette femme de conviction et boulimique de travail a joué un rôle important dans le domaine de la création lyrique contemporaine, développant des réseaux d’académies européennes tel l’European Network of Opera Academies (ENOA), bâtissant des coopérations avec des artistes du bassin méditerranéen dans le cadre du Mediterranean Incubator of Emerging Artists (Medinea) – deux instances fondées par le festival. Elle a également joué un rôle actif dans l’intégration aixoise en 2014 de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée.

Lire le reportage au Festival d’Aix (en juillet 2017) : La Méditerranée en bassin créatif

Emile Delorme a fait des études d’ingénieur à l’Ecole nationale supérieure des mines de Nancy avant d’intégrer en 1999 l’Institut supérieur de management culturel, tout en travaillant au sein de l’agence artistique IMG Artists. En 2000, elle est chargée de production au Festival d’Aix-en-Provence avant de rejoindre le Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles où elle devient directrice des plannings sous le patronat de Bernard Foccroulle. C’est lui qui oriente son retour au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, où il succède à Stéphane Lissner en janvier 2007. Emilie Delorme possède par ailleurs une double formation musicale : des cursus d’instrumentiste – alto et violon – et d’analyse musicale, suivis aux conservatoires de région de Lyon puis de Nancy.

Grève et blocages dans le transport routier pour demander de meilleurs salaires

Blocages, barrages filtrants, opérations escargot… les salariés du transport routier et logistique mènent, lundi 16 décembre au matin, diverses actions dans le cadre d’une grève à l’appel de quatre syndicats de leur branche pour réclamer de meilleures conditions de travail et de salaires, compliquant davantage la situation sur les routes en plein conflit social sur les retraites.

« Les blocages se sont mis en place à partir de 4 heures du matin, à Lille, Vannes, Toulouse, Lyon (le marché MIN), Nancy (zone industrielle de Ludres), etc. », a précisé à l’Agence France-Presse (AFP) Charles Morit, de la CFDT-Transports et environnement, premier syndicat de la branche, à l’origine du mouvement et rejointe par FO, la CFTC et la CFE-CGC. « Les voitures particulières ne sont pas concernées » par les barrages filtrants, a-t-il ajouté.

Augmentation des salaires, 13e mois conventionnel, permis professionnel, maintien du dispositif de congé de fin d’activité (CFA)… En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, les mots d’ordre sont spécifiques.

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Les salaires « peinent à être revalorisés »

« A l’heure où la profession est au plus mal avec une pénurie de 50 000 salariés, où le dialogue social peine à s’installer dans les entreprises », et face à « des conditions de travail qui mènent à la recrudescence des arrêts maladie » pour « des salaires qui peinent à être revalorisés », la CFDT-Transport et environnement appellerait à la mobilisation.

Elle réclame notamment « la mise en place d’un 13e mois conventionnel, de vraies revalorisations des grilles salariales, une amélioration des conditions de travail ». « Il y a une tension énorme dans la profession, dénonce Thierry Douine, de la CFTC, et on ne veut pas améliorer les conditions sociales, [malgré une] pénibilité monstrueuse qui se développe dans la logistique. »

Ces syndicats s’inquiètent également pour le congé de fin d’activité (CFA), que l’Etat souhaite voir renégocié par les partenaires sociaux. Il s’agit d’un dispositif financé à la fois par l’Etat et les cotisations patronales et salariales, permettant aux conducteurs attestant d’une certaine ancienneté de partir en retraite cinq ans avant l’âge légal. « On ne veut pas que les organisations professionnelles le dénoncent en invoquant les tensions sur l’emploi », souligne M. Douine.

La ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne, qui a la tutelle sur les transports, a assuré lundi sur France 2 que « le gouvernement leur a confirmé que ce congé de fin d’activité sera maintenu, il faut maintenant qu’il y ait des discussions avec les organisations patronales ».

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Des blocages un peu partout en France

Ce lundi matin dans le Pas-de-Calais, quelque 200 personnes ont bloqué dès 5 heures l’accès à la zone industrielle de Douvrin, une importante base logistique au nord de Lens.

« Nous venons de quitter la zone escortés par la police. Nous roulons à 20 km/h sur la N41, il y a plusieurs kilomètres de bouchons derrière nous. On va rejoindre l’A25 puis l’A1, l’opération devrait durer jusqu’à la mi-journée », a précisé Henri Talleu (CFDT). Au sud de Nancy, environ 150 routiers organisent des barrages sur la zone industrielle de Ludres depuis 3 h 30 et a priori jusqu’à la mi-journée.

En Alsace, une opération escargot est également menée depuis tôt lundi matin sur l’A35-A4 par une vingtaine de camions avec une trentaine de militants, occasionnant un trafic très ralenti au sud et au nord de Strasbourg.

En banlieue parisienne, des blocages ont été installés en Seine-et-Marne et à Genevilliers (Hauts-de-Seine). Un rassemblement doit se tenir à Paris devant le siège de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) dans le 17e arrondissement, où les routiers doivent être reçus en fin de matinée.

Réforme de la haute fonction publique : les propositions-chocs de la mission Thiriez

Frédéric Thiriez, dans son bureau, à Paris, le 29 mai.
Frédéric Thiriez, dans son bureau, à Paris, le 29 mai. Lorenzo Meloni pour «Le Monde»

Six mois après le début de sa mission, la petite équipe conduite par Frédéric Thiriez a les idées claires sur ce qu’elle compte proposer au président de la République, fin janvier, pour réformer la haute fonction publique. Le rapport qui conclura la mission confiée en mai à l’avocat, énarque et ancien président de la Ligue de football professionnel devrait rester fidèle aux idées-forces d’Emmanuel Macron, révélées par Le Monde en avril.

Ni Matignon ni la mission Thiriez ne souhaitent s’exprimer à ce stade. Mais, selon les informations du Monde, c’est bien une réforme d’ampleur qui se prépare, et plusieurs piliers de la haute administration française devraient vaciller sur leurs bases. L’un des plus emblématiques est bien entendu l’Ecole nationale d’administration. L’ENA, dont Emmanuel Macron a annoncé la disparition, devrait, selon le projet Thiriez, connaître une évolution profonde. L’une des ambitions du chef de l’Etat est de créer un nouvel établissement qui formerait tous les plus hauts cadres de l’Etat pour leur donner une culture commune. La mission Thiriez a donc imaginé un système à deux étages assez novateur.

Le premier étage du système est un tronc commun qui sera cogéré par sept écoles

Le premier est un tronc commun qui sera cogéré par sept écoles : celles qui forment les administrateurs civils (ENA), les magistrats (Ecole nationale de la magistrature), les cadres de la territoriale (Institut national des études territoriales), les commissaires de police (Ecole nationale supérieure de la police) ou encore les cadres de la santé publique (Ecole des hautes études en santé publique). Après le concours, les élèves seront réunis pour « voir la réalité du terrain », selon une source qui suit de près le travail de la mission Thiriez. Ce sera par exemple l’occasion d’être sensibilisé aux enjeux de la défense nationale par une sorte de « préparation militaire supérieure » de trois semaines, ou de découvrir « une jeunesse qu’ils n’ont pas fréquentée » en encadrant des jeunes du service national universel. En plus des stages et des enseignements.

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Après ce tronc commun, qui devrait durer de six à douze mois, les élèves rejoindront leur école spécifique. Grande nouveauté : l’ENA nouvelle manière accueillera les futurs administrateurs, comme aujourd’hui, mais aussi les ingénieurs des grands corps techniques de l’Etat. Ces élèves, souvent diplômés de l’école des Mines, des Ponts et Chaussées, de l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique ou des filières de l’armement, termineraient donc leurs études avec les énarques. Les élites de l’élite, « qui s’ignorent, voire ne s’aiment pas », souligne-t-on dans l’entourage de la mission, seraient fondues dans le même moule. Une révolution. La nouvelle ENA, toujours située à Strasbourg, accueillerait donc 240 élèves, contre 80 aujourd’hui.

Charles Gardou, spécialiste du handicap : « Il n’y a pas de société inclusive sans remise en cause de prés carrés »

Anthropologue, professeur des universités, spécialiste du handicap et organisateur de la troisième édition des Trophées Lumière de l’entreprise inclusive – qui se tiendra le 19 mai 2020 à l’université Lumière-Lyon-II –, Charles Gardou fait le point sur la place accordée aux jeunes en situation de handicap en France.

Peu de jeunes handicapés s’engagent au service de l’intérêt général à travers le service civique dans notre pays, ce constat vous étonne-t-il ?

Pas vraiment, car notre culture produit chez eux des formes d’autocensure. En effet, on reste enclin à les priver de parole, à s’exprimer en leur nom et, plus globalement, à minorer, si ce n’est à nier, leurs compétences d’expression, de décision, d’action. On a du mal à les reconnaître comme les premiers experts de ce qu’ils vivent, au sens premier d’expertus, « ceux qui font l’épreuve de ». Aussi en viennent-ils à s’autolimiter dans leurs projets d’engagement, d’études, de vie professionnelle.

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Que dit encore de notre société leur quasi-absence de la vie associative ?

On a situé la question du handicap du côté de la charité, de la tolérance. Si ces valeurs ne sont pas, bien sûr, à rejeter, elles induisent une asymétrie relationnelle. Chaque culture a sa manière de considérer et traiter ceux qu’elle juge inconformes à l’ordre régnant. Michel Foucault écrivait même que l’on peut caractériser les sociétés par la façon dont elles se débarrassent non pas de leurs morts mais de leurs vivants. On est bien loin de l’idée inclusive !

Quelle est votre définition d’une société inclusive ?

En réalité, cette expression est un pléonasme, le mot « société » (societas en latin) signifiant lui-même « communauté, alliance, union ». Une société est une communauté de compagnons, reposant sur la solidarité, la coopération. De fait, exclure un seul d’entre eux engendre un appauvrissement du tissu communautaire. Le défi majeur de notre temps est de (re)faire société.

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Dans « La société inclusive, parlons-en ! » (éditions Erès, 2012), vous présentez les cinq piliers sur lesquels une telle société mérite de s’appuyer. Quels sont-ils ?

Le premier invite à retrouver le sens du patrimoine commun : la ville, l’habitat, les transports, les lieux d’éducation, etc., encore difficilement accessibles aux personnes en situation de handicap. Or, nul n’a l’exclusivité de ce « patrimoine ». Etymologiquement, c’est l’héritage du père, transmis pour inscrire chacun dans une histoire et lui conférer une identité. Il n’y a donc pas de société inclusive sans remise en cause de prés carrés, de territoires protégés persistants. Une société n’est pas un cercle réservé à des affiliés préservés du handicap. Une société inclusive, c’est d’abord le contraire d’une société exclusive.

Suspicion, délation, opacité… La lettre explosive de l’ex-patron de Renault sur l’ambiance délétère chez Nissan

L’ex-directeur général de Renault, Thierry Bolloré, le 24 janvier à Boulogne-Billancourt.
L’ex-directeur général de Renault, Thierry Bolloré, le 24 janvier à Boulogne-Billancourt. ERIC PIERMONT / AFP

Lorsque, à la veille du 8 octobre, Thierry Bolloré signe la lettre de dix pages qu’il va adresser au conseil d’administration de Nissan, il ignore encore que ce sera l’un de ses derniers actes comme cadre dirigeant de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. Le directeur général de Renault, alors également membre du conseil d’administration du groupe japonais, sera congédié le 11 octobre. Mais la missive qu’il soumet à ses homologues administrateurs soulève une série de questions sur l’opacité du partenaire de Renault et sur l’ambiance délétère qui règne au sommet d’un des fleurons mondiaux de l’automobile.

Le Monde a pu avoir accès à ce courrier explosif. La lettre dépeint un management au plus haut niveau où règnent la suspicion, la délation, la rétention d’informations entre la direction du groupe et les administrateurs, entre les administrateurs eux-mêmes. Une organisation sans chaîne de commandement lisible, où l’un des représentants de Renault – l’actionnaire principal de Nissan avec 43 % du capital – est davantage informé par la presse ou par des courriers anonymes que par la voie hiérarchique classique.

Manifestement, un an après l’arrestation choc de son président, Carlos Ghosn, pour malversations financières, Nissan en est toujours profondément ébranlé.

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Que contient cette lettre ? M. Bolloré y soulève plusieurs sujets « qui ont mis en évidence des problèmes critiques dans la gouvernance de [Nissan] ». « A ma grande surprise, aucun de ces problèmes n’a été signalé à mon attention par le management de Nissan ou par des organes de gouvernance, mais soit par des articles de presse, soit par des lanceurs d’alerte. »

Une situation pour le moins baroque

M. Bolloré évoque d’abord une information révélée par le Wall Street Journal, le 23 septembre. Le directeur juridique de Nissan, Ravinder Passi, qui venait d’alerter, le 9 septembre, des administrateurs sur un potentiel conflit d’intérêts concernant Hari Nada, vice-président de Nissan chargé des affaires juridiques, est aussitôt remplacé dans ses fonctions auprès du conseil d’administration.

La situation est, il est vrai, pour le moins baroque : Hari Nada, ex-proche de Carlos Ghosn, fait partie de ceux qui l’ont fait tomber, bénéficiant, du coup, de la protection juridique que les procureurs japonais accordent aux témoins. A ce moment-là, M. Nada continue, malgré son implication dans l’affaire Ghosn, de prendre des décisions au plus haut niveau de Nissan en matière de gouvernance, d’affaires juridiques et de contrôle de la conformité.

Les ostréiculteurs du bassin d’Arcachon risquent de déguster

La cabane de dégustation Le Routioutiou, à Gujan-Mestras (Gironde).
La cabane de dégustation Le Routioutiou, à Gujan-Mestras (Gironde). SABINE MENET / PHOTO PQR / SUD OUEST / MAXPPP

Comme chaque année depuis onze ans, près de 20 000 personnes ont visité, ce samedi 7 décembre, le port ostréicole d’Andernos-les-Bains (Gironde) à l’occasion de l’événement Cabanes en fête. Une grande dégustation géante (25 000 douzaines d’huîtres, 15 000 bouteilles) organisée par les professionnels. Pourtant, à 25 kilomètres de là, de l’autre côté du bassin d’Arcachon, l’heure n’était pas à la fête pour Géraldine et Fabrice Vigier, et leur cabane de dégustation Le Routioutiou, à Gujan-Mestras.

Le 25 novembre, le couple comparaissait devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour exercice illégal d’un commerce, travail dissimulé et pêche au filet sans permis. Une affaire qui provoque de sacrés remous dans le bassin. Il faut dire que l’ostréiculture, chez les Vigier, est une tradition familiale depuis 1846. Et surtout, le couple compte parmi les précurseurs qui ont décidé, il y a une vingtaine d’années, d’expérimenter la dégustation d’huîtres.

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Action assimilée à du braconnage

Depuis, le succès ne s’est jamais démenti : un tiers des entreprises du bassin pratiquent la dégustation, soit 86 producteurs sur 280 exploitations actives. Les huîtres sont accompagnées de crevettes, bulots, pâtés, le tout arrosé d’un vin blanc du coin.

« Ça a vraiment pris de l’ampleur depuis une dizaine d’années, confirme Romain, 30 ans, ostréiculteur, qui a repris l’activité familiale sur la presqu’île du Cap-Ferret et préfère rester anonyme. Ce que les gens aiment avec les cabanes, c’est que ce n’est pas prise de tête, ils viennent là pour être tranquilles, posés au bord de l’eau. »

« A 8 h 30 du matin, on sonne à notre porte. On nous signifie que c’est un contrôle du Codaf. C’est d’une rare violence, avec toutes les autorités compétentes possibles. » Géraldine Vigier, ostréicultrice

Victime de son succès, Le Routioutiou doit s’agrandir en 2016. Mais, à l’été 2017, tout bascule. Fabrice Vigier se rend dans son parc à huîtres et y pêche « vingt bars et trente mules », selon son épouse. Si elle précise qu’en « aucun cas il ne voulait les vendre », cette action peut être assimilée à du braconnage. Le lendemain, à 8 h 30, on vient sonner à leur porte. « On nous signifie que c’est un contrôle du Codaf [comité opérationnel départemental anti-fraude]. C’est d’une rare violence, avec toutes les autorités compétentes possibles. »

S’ensuivent deux années et demie d’enquête au terme desquelles l’Urssaf estime que l’activité du Routioutiou relève plus du commerce et de la restauration que de l’ostréiculture, et considère donc qu’elle doit être affiliée à son régime : 300 000 euros sont réclamés aux propriétaires. Géraldine Vigier assure n’avoir, comme tous ses collègues, jamais cotisé à l’Urssaf. La situation des cabanes est aussi floue que complexe.

Service civique et handicap : un projet-pilote dans les Pays de la Loire

Anaïs Guillen (à gauche), 25 ans, est sourde. Elle a effectué, cette année, neuf mois de service civique dans le cadre du projet-pilote Cap sur l’engagement. Sa tutrice, Jade Clerissy (à droite), est coordinatrice dudit projet dans le collectif T’Cap.
Anaïs Guillen (à gauche), 25 ans, est sourde. Elle a effectué, cette année, neuf mois de service civique dans le cadre du projet-pilote Cap sur l’engagement. Sa tutrice, Jade Clerissy (à droite), est coordinatrice dudit projet dans le collectif T’Cap. Théophile Trossat pour « Le Monde »

Lancé à Nantes il y a un an par l’Agence du service civique, avec le soutien de la préfecture des Pays de la Loire et de la Loire-Atlantique, le projet-pilote Cap sur l’engagement a suivi onze jeunes en situation de handicap, âgés de 16 à 30 ans. Ils ont été accueillis en mission de service civique pour huit mois en moyenne, au sein de neuf structures d’accueil.

Escape game et podcast

Anaïs, 25 ans, sourde, fait partie des sélectionnés. L’année dernière, elle a réalisé son service civique à T’Cap et au Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Ceméa). Le premier est un collectif rassemblant 183 structures publiques, privées et institutionnelles soucieuses de rendre la culture et la vie citoyenne plus accessibles, le second une association d’éducation populaire. L’une de ses missions était de rendre un escape game accessible aux personnes sourdes et malentendantes. Une expérience fructueuse qu’elle raconte avec entrain : « Avant mon service civique, je pensais à tort que les personnes entendantes ne se souciaient pas de nous. J’ai gagné confiance en moi et j’ai réalisé que les sourds et les entendants pouvaient travailler ensemble », exprime-t-elle en langue des signes.

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Veste en cuir et crâne rasé, Jean-Marc, 27 ans, fait aussi partie du projet. Tout sourire, ce Nantais bipolaire a travaillé neuf mois en service civique pour le Ceméa de Loire-Atlantique. Sa mission consistait à valoriser la citoyenneté des personnes handicapées. Pour cela, il a créé un podcast pour une radio locale et a participé à l’organisation d’un festival de sensibilisation à la différence à Saint-Nazaire. « Ce service civique m’a permis de faire mes armes et d’apprendre à mieux m’organiser », se réjouit-il. Jean-Marc a terminé son service civique plus assuré, et travaille désormais dans un centre d’accueil pour réfugiés, à Nantes. « Au départ, je ne savais pas que les handicapés pouvaient avoir accès à ce dispositif jusqu’à 30 ans et sans conditions de diplôme. Sur les campagnes publicitaires, cette information est encore trop peu visible », signale-t-il.

« Au service de l’intérêt général »

Dans le cadre du projet-pilote, jeunes et tuteurs ont bénéficié d’un accompagnement individualisé et collectif, et ont participé à plusieurs journées de rencontres qui ont permis d’optimiser et de fluidifier les échanges. Début 2020, le rapport d’évaluation du projet, réalisé par le cabinet Amnyos, sera publié. Il présentera ses conclusions et des recommandations méthodologiques et pratiques pour un essaimage dans toute la France.

Service civique : volontariat et handicap, des questions de confiance

Anaïs Guillen (à droite), 25 ans, est atteinte de surdité. Après un bac pro comptabilité, elle a effectué neuf mois de service civique, et recherche actuellement un emploi dans le domaine du développement personnel. Jade Clerissy (à droite), sa tutrice pendant son volontariat, est coordinatrice du projet-pilote Cap sur l’engagement pour le collectif T'Cap.
Anaïs Guillen (à droite), 25 ans, est atteinte de surdité. Après un bac pro comptabilité, elle a effectué neuf mois de service civique, et recherche actuellement un emploi dans le domaine du développement personnel. Jade Clerissy (à droite), sa tutrice pendant son volontariat, est coordinatrice du projet-pilote Cap sur l’engagement pour le collectif T’Cap. Théophile Trossat pour « Le Monde »

« Le pouvoir d’être utile » : le slogan, affiché sur un mur de l’Agence du service civique, à Paris, a laissé Guillaume Bourdiaux perplexe lorsqu’il l’a découvert. « Quand on est en situation de handicap, on se dit que c’est nous qui avons besoin des autres, pas l’inverse », résume cet homme de 22 ans atteint d’une infirmité motrice cérébrale (IMC). En 2018, pourtant, après avoir arrêté un DUT carrières sociales en raison de problèmes de santé, l’étudiant s’est engagé auprès de l’association Unis-Cité. Il rend visite, en binôme, à des personnes âgées et à des familles dont un enfant est en situation de handicap.

« Lorsque j’ai arrêté mes études, j’étais vraiment perdu. Le service civique, pour moi, c’était un vrai déclic psychologique, résume-t-il. J’ai arrêté de me focaliser sur mes problèmes, j’ai réalisé que j’étais capable d’aider les autres. » Guillaume est ensuite devenu ambassadeur Unis-Cité : « J’ai participé au Salon de l’éducation, afin de sensibiliser les profils comme le mien. » Le jeune homme a gagné en assurance, constate sa tutrice, Claire Brun-Mandon : au fil des mois, « Guillaume a changé. Les personnes en situation de handicap ont souvent des parcours semés d’embûches. Leur permettre de travailler sur une mission, tout en étant encadrés, c’est aussi les aider à retrouver confiance en eux. »

« Beaucoup d’autocensure »

Depuis 2010, 400 000 jeunes se sont engagés auprès des 11 000 organismes d’accueil dans l’Hexagone par l’intermédiaire de l’Agence du service civique, l’organisme public qui met en place et encadre le service civique. Mais, en 2018, seulement 1,5 % des volontaires étaient en situation de handicap. « C’est peu », reconnaît Béatrice Angrand, présidente de l’agence. D’autant que le problème n’est pas nouveau. En 2015, déjà, la structure, alors ouverte à tous entre 16 à 25 ans, élargit son accueil jusqu’à 30 ans pour les jeunes en situation de handicap. L’idée est de prendre en compte leurs parcours de formation, souvent plus longs. « Entre 2015 et 2018, leur part a presque doublé. Mais il faut aller encore plus loin », poursuit Mme Angrand. L’âge n’est pas le seul frein. L’accès à l’information est encore insuffisant, c’est pourquoi il figure parmi les principaux chantiers d’une démarche pilote lancée en 2018 dans les Pays de la Loire et en Loire-Atlantique.

« Le service civique, pour moi, a été un vrai déclic psychologique. J’ai réalisé que j’étais capable d’aider les autres », Guillaume Bourdiaux, volontaire

« Et puis il y a beaucoup d’autocensure », souligne la présidente. Pourtant, les structures d’accueil peuvent bénéficier de financements pour adapter les postes de travail et aménager la durée hebdomadaire des missions en fonction des situations, et l’indemnité de 580 euros net par mois est cumulable avec l’allocation adulte handicapé. Mais les organismes qui peuvent accompagner les jeunes, comme l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (Fiphfp), sont encore parfois méconnus.

Aucune mission n’est a priori inaccessible

« Pour que l’inclusion se poursuive après l’école, dans le milieu professionnel, il faut ouvrir toutes les portes aux jeunes en situation de handicap, et le service civique en fait partie », plaide Patrick Marcel, secrétaire général de la fédération des Pyrénées-orientales de la Ligue de l’enseignement. Pour ces volontaires, l’engagement est aussi une façon de gagner en autonomie par rapport à leur famille et d’améliorer leur employabilité grâce à l’encadrement d’un tuteur lors de leur première expérience professionnelle. « On n’ouvre pas de mission spécifiquement à l’adresse des jeunes en situation de handicap, ils postulent comme les autres volontaires. Puis nous adaptons les postes », détaille M. Marcel.

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Pour les handicaps visuels et auditifs, la structure prévoit des aménagements de l’espace ou de la durée de la mission ; pour les handicaps mentaux, le tuteur suit une formation spécifique : « Nous faisons des simulations, on lui demande par exemple d’adapter une mission pour un volontaire avec des troubles autistiques. Cela permet de déconstruire nos représentations du handicap. »

Aucune mission n’est, a priori, inaccessible à ces jeunes, affirme la tutrice Claire Brun-Mandon : « L’effort doit venir de nous en tant que structure d’accueil. Quand Guillaume rendait visite à une femme en fauteuil roulant, il avait du mal à pousser son fauteuil en raison de son propre handicap. Nous avons donc demandé à une autre volontaire de l’accompagner. C’est important de ne pas se mettre de barrières à l’avance, et il faut faire confiance aux jeunes : ils savent très bien verbaliser ce qu’ils se sentent capables de faire. »

« Sensibiliser les bénéficiaires »

Se passer de ces profils serait d’autant plus dommage que les jeunes handicapés, poursuit Claire Brun-Mandon, ont « une grande envie de transmettre. De par leur parcours, ils ont souvent eux-mêmes été aidés à un moment de leur vie ». Guillaume Bourdiaux a eu un très bon contact avec les retraités auxquels il rendait visite lors de son service civique. « Ils ont toujours été accueillants, je n’ai jamais eu de réflexions », raconte l’étudiant, qui se forme aujourd’hui pour devenir animateur en Ehpad. Le service civique lui a permis de trouver sa voie. Il regrette néanmoins que les bénéficiaires ne soient pas toujours préparés à la présence de volontaires en situation de handicap : « J’ai également rendu visite à des enfants autistes, il aurait peut-être fallu rassurer leurs parents en amont. »

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Béatrice Angrand préconise de « sensibiliser les bénéficiaires, sans pour autant tomber dans le misérabilisme ou la discrimination ». L’engagement des jeunes en situation de handicap sur les mêmes missions que les autres volontaires (avec parfois un cadre assoupli) permet de changer les regards, poursuit la présidente : « Ce public apporte une expérience de tolérance, de confrontation avec la différence. » Léa Pons-Vayer, qui vient de terminer un service civique auprès de la Fédération française d’équitation, peut en témoigner. Atteinte de polyarthrite, elle s’est notamment occupée de la mise à jour de l’annuaire, qu’elle a rédigée « pour qu’il soit accessible à tous. J’ai également initié mes interlocuteurs à l’écriture inclusive, j’ai vraiment eu l’impression d’apporter un regard neuf ».

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence du service civique.

Témoignage

Boris Moncheney, 28 ans : « Cette expérience m’a ouvert le champ des possibles »

Le premier jour de son service civique, Boris Moncheney est convié à une réunion avec les autres volontaires engagés auprès de l’association Unis-Cité en Occitanie. « Nous étions cent cinquante », raconte le jeune homme, qui souffre d’un trouble schizo-affectif. Il s’en souvient bien : « Mon intégration, c’était une grande source d’anxiété. » L’angoisse ne sera que passagère. Il constate vite qu’il n’est pas le seul volontaire en situation de handicap. « Je me suis très vite fait une amie, une fille dyslexique qui n’hésitait pas à demander l’orthographe des mots. Elle assumait son handicap, ça m’a inspiré. » Boris Moncheney est chargé de réconcilier les citoyens avec le bénévolat, notamment grâce à des défis lancés par le biais d’une plate-forme. Sept ans auparavant, à l’apparition des premiers symptômes de son trouble, il avait dû interrompre sa licence en administration économique et sociale. Le service civique lui a « ouvert le champ des possibles ». « J’envisage les choses avec plus de sérénité, dit-il. Je vais me tourner vers une profession qui me permettra de mettre à profit mon amour de l’écriture ».