Veolia : Estelle Brachlianoff, la générale des eaux
Et soudain, l’émotion l’a submergé. Le 15 juin, en plein milieu de l’assemblée générale, cadre pourtant peu propice aux effusions, le PDG de Veolia, Antoine Frérot, a fondu en larmes au moment de laisser sa place au pupitre à sa numéro deux, Estelle Brachlianoff, très émue aussi. Des adieux comme un prélude au grand passage de témoin programmé le 1er juillet. Ce jour-là, Estelle Brachlianoff, 49 ans, a pris la direction générale, Antoine Frérot restant président non exécutif.
Le leader mondial du recyclage et de la gestion des eaux devient la troisième entreprise du CAC 40 à être dirigée par une femme, après Engie (Catherine MacGregor) et Orange (Christel Heydemann). Même si cela semble presque anecdotique pour l’ex-Générale des eaux : la nouvelle patronne est avant tout une polytechnicienne issue du corps des Ponts et Chaussées, la voie royale chez Veolia, élevée pendant dix-sept ans au bon grain des décharges et des usines de traitement des eaux.
Après douze ans de règne dont quatre consacrés à déminer les tentatives de putsch ourdies par son prédécesseur, Henri Proglio, Antoine Frérot – X-Ponts lui aussi – avait à cœur de soigner sa succession. En 2018, en nommant Estelle Brachlianoff directrice générale adjointe chargée des opérations, il avait prévenu son conseil d’administration qu’il entendait lui transmettre un jour les rênes. Un plan stratégique, une crise sanitaire et un raid sur Suez plus tard, c’est chose faite. « Antoine Frérot et le conseil d’administration ont pu la juger sur un éventail de situations et de difficultés que peu de dirigeants ont eu à affronter en aussi peu de temps », souligne Nathalie Rachou, administratrice de Veolia.
« Il faut vous froisser un peu »
Celle à qui ses collaborateurs avaient offert une montre en cadeau de départ car elle était perpétuellement en retard, n’a pas manqué son rendez-vous avec les 220 000 salariés de Veolia. « Je ne me suis jamais dit “tu seras directrice générale”, mais je me suis rendu compte que d’autres y pensaient pour moi », confesse la dirigeante. A commencer par Denis Gasquet, l’ancien patron de la branche déchet de Veolia qui l’avait recrutée comme chargée de mission en 2005.
Ce dernier assure qu’après près de deux heures d’entretien avec cette jeune fonctionnaire brillante et ouverte d’esprit, il avait eu l’intuition qu’elle irait très loin. Mais encore fallait-il que la pimpante trentenaire, fraîche émoulue de la préfecture d’Ile-de-France, apprenne « la vraie vie ». « Il faut vous froisser un peu » : c’est l’injonction que le mentor a lancée à sa sherpa. Elle se verrait bien prendre la tête de la région toulousaine ? Il l’envoie diriger une filiale de nettoyage, employant 15 000 collaborateurs, avec pour clients des abattoirs, des usines automobiles ou le métro. Un univers impitoyable où chaque centime compte. La rentabilité se redresse. Le métier rentre. « Il fallait continuer à la faire souffrir », dit en souriant Denis Gasquet et il la propulse à la tête des déchets de la région Ile-de-France.
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