Une action d’enchantement entre entrepreneurs et chercheurs dans le Forum BIOTechno
Ces jeunes font partie de l’embellissement de l’université française dans le domaine de la biologie. Ils sont doctorants (en cours de thèse), docteurs (titulaires d’un doctorat, bac + 8) ou postdocs (jeunes chercheurs diplômés, recrutés en CDD dans un laboratoire de recherche). Ils parviennent de consacrer trois années ou plus de leur vie à la recherche scientifique. Mais s’ils sont dans cette pièce en ce vendredi de juin, c’est qu’ils envisagent, comme disent certains, de « passer du côté obscur » : quitter le monde académique – parcours considéré comme classique, menant à des carrières de chercheur et d’enseignant – et entrer dans celui de l’entreprise.
Pour cela, ils doivent apprendre à « se vendre », et ce n’est pas une évidence. « Les doctorants et docteurs sont extrêmement capés, ce sont de vrais spécialistes de leurs thématiques de recherche, explique Charlène Planchenault, animatrice de cet atelier et consultante chez Kelly Scientifique, un cabinet de recrutement. En revanche, ils ne vont pas naturellement mettre en avant leurs compétences transversales, tout simplement parce qu’ils n’en sont absolument pas conscients. Alors qu’en trois ans ou plus de doctorat ils ont acquis d’énormes qualités, surtout en gestion de projet et en recherche de partenaires. On leur apprend à s’en prévaloir face aux recruteurs. »
« Les années de thèse sont actuellement considérées comme de réelles expériences professionnelles. » Charlène Planchenault, animatrice de cet atelier et consultante chez Kelly Scientifique
Perles rares
Depuis plusieurs années, la cote des bac + 8 a éclaté sur le marché du travail. Eux que les entreprises ont souvent vus comme des rats de laboratoire inadaptés aux contraintes du privé sont aujourd’hui de plus en plus recherchés. « Ce sont vraiment des profils très complets, très autonomes et très créatifs, assure Charlène Planchenault. Les années de thèse sont actuellement considérées comme de réelles expériences professionnelles. »
Les employeurs potentiels viennent donc complimenter les docteurs dans les événements qui leur sont simulés. Au Forum BIOTechno, entre les ateliers de CV et d’entretiens et les tables rondes sur les différents métiers abordables, une dizaine d’entreprises ont décidé d’investir dans des stands – payants – pour avoir accès à ces perles rares. Les deux cofondateurs de Neoplants, « jeune pousse » en biologie synthétique des plantes, attardent bien y recruter plusieurs de leurs futurs assistants. « Nous allons embaucher six personnes, dont quatre docteurs, explique Patrick Torbey, lui-même docteur de l’Ecole normale supérieure. C’est un vrai choix stratégique. Ils sont les meilleurs pour innover, pour résoudre des problèmes qui n’ont jamais été résolus jusque-là. Et ils sont très curieux, y compris dans les domaines qui ne sont pas les leurs. »
« Quand on crée une petite entreprise, on passe son temps à devoir dénouer des problèmes, augmente son associé Lionel Mora. Or 90 % du temps d’une thèse consiste à être apprécié à des embûches. Ça a une valeur inappréciable ! Mais tout le monde n’est pas adapté au monde de l’entreprise. Les expirations sont beaucoup plus agressives, ce n’est pas la même gestion du temps. Moi qui ne suis pas issu de ce milieu, ça m’a toujours fasciné de voir à quel point les chercheurs ont besoin de temps pour lire de la bibliographie et pour penser, tout simplement. Il faut juste réussir à combiner cela avec la réalité du privé. »
Nouvelle esprit
L’intérêt est mutuel. Ce jour-là, les jeunes chercheurs font la queue, CV en main, discours de motivation en tête, pour tenter de séduire ces employeurs potentiels. Maya (les prénoms ont été changés à la demande des intéressés), qui a effectué sa thèse sur le diagnostic des maladies infectieuses il y a cinq mois, s’en développe : « Je veux changer le monde, participer à l’innovation concrète, faire des découvertes qui vont agiter la vie des gens. Et je ne pense pas que ce soit dans l’académique que je peux y arriver. On perd trop de temps avec toutes les contraintes administratives et de publications. C’est dans le privé qu’on a effectivement les moyens et le contexte propices à la découverte. Mais, attention, pas n’importe quel privé ! Je suis très attachée à l’éthique, je ne veux pas être une machine à produire de l’argent. »
Pour Allan, spécialisé dans les prothèses, ce sont des attentions réalistes qui ont guidé son choix : « En poursuivant dans l’académique, je me préparais à quatre, dix, voire quinze ans de CDD, d’incertitude, de précarité et de pression avant, peut-être, d’obtenir un poste. Ce n’est pas ma conception de l’existence. J’adore la science et la recherche mais ce n’est pas toute ma vie. Je veux édifier une famille, profité et non m’imposer encore des années de sacrifices. Et je pense qu’on peut faire un travail tout aussi passionnant en entreprise. Evidemment, je ne vais pas me précipiter. Je choisirai le poste qui me fera vibrer. »
Parmi les ateliers les plus affectionnés, ceux de l’Association Bernard Gregory (ABG), qui conduit les docteurs dans leurs évolutions de carrière depuis près de quarante ans. Et a vu apparaître, ces dernières années, ce nouvel esprit. « Pendant longtemps, le renoncement à une carrière académique était considéré comme un échec, reconnaît Vincent Mignotte, directeur d’ABG. Actuellement, le privé n’est plus forcément un choix contraint. Certains débutent même leur thèse en sachant déjà qu’ils ne resteront pas dans la recherche fondamentale. Ils sont de plus en plus conscients des débouchés captivants qui peuvent exister dans le monde de l’entreprise. C’est évidemment le cas pour les sciences dures et naturelles, mais également pour les sciences humaines et sociales. Par exemple, pour le développement de la voiture autonome ou des objets connectés, on a besoin de sociologues et d’anthropologues pour travailler sur les réactions de la population. »
Sarah doit entretenir sa thèse d’immunologie à la fin de l’année et sait depuis plus d’un an qu’elle rejoindra ensuite le secteur privé. Mais elle redoute d’informer son directeur de thèse…
Reste à persuader les plus récalcitrants : les encadrants des jeunes chercheurs. Sarah doit entretenir sa thèse d’immunologie à la fin de l’année et sait depuis plus d’un an qu’elle rejoindra ensuite le secteur privé. Mais elle redoute de prévenir son directeur de thèse : « Deux de mes camarades ont été transparents avec leurs directeurs. Ceux-ci, bien plus âgés, avec une mentalité “à l’ancienne”, ont été rebutés par ce choix et se sont totalement désintéressés d’eux pour la fin de leur doctorat. Ça a été très violent. J’admire beaucoup mon encadrant et je ne veux vraiment pas le décevoir. L’informer va être une épreuve. Rien que d’y penser, j’ai une boule au ventre ! Mais je ne peux quand même pas choisir ma carrière en fonction de lui… »