« Un mois de fraises, c’est 1 500 euros pour 170 heures. Pas l’idéal, mais convenable »

« Un mois de fraises, c’est 1 500 euros pour 170 heures. Pas l’idéal, mais convenable »

Dans le Tarn-et-Garonne.
Dans le Tarn-et-Garonne. Patricia Huchot-Boissier / Hans Lucas via AFP

« Avant le confinement, mon activité principale était celle de régisseur plateau dans la production audiovisuelle en région parisienne. Le samedi 14 mars, vers 18 heures, mon patron m’a appelé pour me dire que tous les projets étaient suspendus sine die et qu’il fallait que je trouve autre chose. Je me suis souvenu d’une annonce d’emploi d’un exploitant agricole à Saint-Rémy-de-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, que j’avais repérée fin janvier sur les réseaux sociaux. Je l’ai appelé, mais cela n’a pas fonctionné. J’ai téléphoné à tous les maraîchers dans la même zone géographique. L’un d’entre eux m’a dit oui, ses salariés marocains ne pouvant quitter leur pays. Dès le dimanche, j’ai cherché un appartement sur Internet et lundi à 18 heures, juste avant l’interdiction des déplacements, je me suis mis en route. Le mardi matin, j’étais à Saint-Rémy-de-Provence. L’après-midi, l’employeur m’a proposé un contrat et j’ai attaqué le lendemain matin dans les serres de fraises.

Professionnellement, je suis “multicarte”. Régisseur dans le spectacle, moniteur de canoë-kayak, VTC… Mais, même si mes grands-parents étaient agriculteurs en Bretagne, je n’avais plus travaillé dans les champs depuis mes 17 ans. À l’époque, c’était pour la récolte de pommes. J’ai fait quelquefois les vendanges aussi. J’ai même rencontré ma compagne à cette occasion.

Pour les fraises, on est à genoux de 7 heures à 19 heures, avec une heure de pause. C’est dur, mais je suis résistant physiquement. Les fraises sont dans des serres de cent mètres de long, la température y monte jusqu’à 35 degrés. Il n’y a pas de formation : on vous dit juste de ne pas mettre les doigts sur la fraise pour éviter de la dégrader, de couper la queue à la base du fruit et de le déposer délicatement dans une barquette. Pour remplir un plateau de 20 barquettes, vous avez trente minutes environ. Il n’y a pas de pression, mais il faut que le produit soit bien présenté. Un mois de fraises, c’est 1 500 euros pour 170 heures. Pas l’idéal, mais convenable.  

« On monte les serres, on dispose les tuyaux d’eau, on plante. Ce n’est pas comme dans un entrepôt Amazon, mais il y a du monde ! »

Au début, mes collègues étaient tous marocains. Ensuite, l’équipe s’est agrandie. Des gens des villes environnantes, qui ont perdu leur emploi, sont arrivés. Comme on ne nous fournissait pas de masque, je m’en suis procuré un grâce à mon amie. J’ai obtenu du gel hydroalcoolique après trois semaines. Mais j’ai eu du mal à accepter que l’on ne nous propose pas de courtes pauses ou simplement de l’eau pour nous hydrater. Ce premier contrat n’a pas été renouvelé. Je me suis inscrit sur la plateforme mise en place par le gouvernement, mais je n’ai eu aucun retour. En ce moment, je suis pour un mois dans une grosse exploitation qui fait pousser des courgettes. On monte les serres, on dispose les tuyaux d’eau, on plante. Ce n’est pas comme dans un entrepôt Amazon, mais il y a du monde ! Les autres employés sont presque tous équatoriens. Sauf un, roumain, avec qui je travaille en duo. Ce n’est pas l’ambiance des vendanges, faut pas rêver, mais ça se passe bien. Je ne me considère pas altruiste. J’ai pensé à mon autonomie financière. Mais, en ayant trouvé un autre travail, en continuant à consommer, je contribue à aider les agriculteurs et je participe à l’économie du pays. »

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LJD

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