Pour les ouvriers de Lip, il y a cinquante ans, c’était l’heure de gloire
Quand Pierre Messmer assure à l’automne 1973 que « Lip, c’est fini… », le premier ministre de Georges Pompidou ajoute « en ce qui me concerne ». Des propos avisés, car le conflit social qui a débuté le 12 juin de cette même année dans l’usine du quartier de Palente, à Besançon, va s’inscrire dans l’histoire du mouvement ouvrier et des syndicats, notamment de la CFDT. Refusant le dépôt de bilan, les employés s’emparent de l’usine horlogère et fabriquent eux-mêmes les montres, mettant ainsi en pratique une autogestion inédite en France.
Cinquante ans plus tard, le chef-lieu du Doubs n’a pas oublié cet événement en dépit des efforts du patronat et de certains édiles pour gommer du paysage cette grève à l’écho international qui, disaient-ils, « dégrade l’image de la ville et décourage les investisseurs ». A l’inverse, comme ses compagnons de lutte, Charles Piaget, alors militant du Parti socialiste unifié (PSU), délégué CFDT et porte-parole du mouvement, qui aura 94 ans le 23 juillet, en a toujours entretenu la flamme. « Au sein d’un collectif », insiste-t-il, érigé malgré lui en symbole.
Besançon va ainsi célébrer ce souvenir d’un fabricant né en 1867 et qui employa jusqu’à 1 300 personnes quand la « montre de communion » était un incontournable français. Certes, des rancœurs subsistent parmi ceux qui croient encore que « sans le jusqu’au-boutisme syndical, des opportunités de sauvetage auraient pu aboutir » (en 1977, Lip est liquidée, mais la marque ne disparaît pas) ou ceux qui n’ont pas digéré qu’à l’époque du slogan ouvrier « C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie ! » les fournisseurs, eux, n’ont pas été payés. Mais la page a pourtant été tournée. Le bâtiment de Palente a été converti en espace d’accueil industriel et artisanal.
Cadran avec le slogan de 1973
Et, surprise, voilà huit ans, grâce à la ténacité de Philippe Bérard, président de SMB Horlogerie (Société de montres Besançon), à Châtillon-le-Duc, et de son fils Pierre-Alain, directeur général, Lip a fait son retour dans le berceau franc-comtois de l’horlogerie made in France. Ils ont acquis, en 2015, auprès du groupe gersois Sensemat, détenteur de la marque depuis 1990, l’utilisation de la licence, prélude à un transfert de propriété (en octobre 2024).
A une dizaine de kilomètres du chef-lieu du Doubs, quantité de montres Lip ont depuis été assemblées avec celles des dix autres marques produites par cette manufacture de 130 salariés où dix ouvriers supplémentaires furent embauchés pour l’occasion.
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