Patrick Artus : « La poursuite du recul en matière de productivité du travail aurait des conséquences catastrophiques »
La productivité du travail, c’est-à-dire le rapport entre la quantité produite et la quantité de travail utilisée, a nettement reculé en France depuis le premier semestre 2019 : la baisse de la productivité atteint presque 3 %, dont un tiers est dû à la diminution de la durée du travail par salarié (productivité « par tête »), et deux tiers à celle de la productivité par heure travaillée (productivité horaire). Par comparaison, la productivité par tête a encore plus reculé en Espagne (4 %), alors qu’elle est restée à peu près stable en Allemagne et a progressé de 1,5 % en Italie.
Ce recul a, en France, à la fois des causes permanentes et des causes transitoires. Une de ces dernières est que les entreprises affrontent des difficultés d’embauche très élevées depuis 2021. Même lorsque la croissance a ralenti à partir du troisième trimestre 2022, elles ont continué à créer des emplois pour rattraper le retard de leur programme d’embauche antérieur. Une deuxième de ces causes transitoires est que l’industrie, et particulièrement l’automobile, a connu un important recul de la production ; mais les entreprises de ces secteurs ayant anticipé une reprise rapide de leur activité, elles n’ont pas ajusté en conséquence leur niveau d’emploi. L’inadéquation entre activité et effectifs réduit les gains de productivité.
A ces causes transitoires s’ajoutent cependant des causes permanentes du recul de la productivité : les entreprises françaises ont, depuis dix ans, un taux d’investissement net (hors amortissement du capital) de presque 40 % plus bas que les entreprises américaines ; depuis 2010, leur stock de capital a ainsi augmenté en volume de 1,5 % par an contre 3 % aux Etats-Unis. On peut aussi incriminer la part croissante du secteur des services dans l’économie au détriment de l’industrie (où la productivité moyenne est plus élevée que dans les services) ; ou encore la « grande démission » issue d’un désengagement croissant du monde du travail. Dès lors, trois scénarios sont possibles.
Soutenabilité de la dette
Un premier scénario, qui verrait la poursuite de la tendance actuelle, aurait des conséquences catastrophiques. La productivité serait en 2030 de plus de 10 % inférieure à ce qu’elle serait si elle était restée à son niveau d’avant 2019 ; avec pour effets un produit intérieur brut (PIB) inférieur de 10 points et des recettes fiscales inférieures de 5 points de PIB.
Dans ce scénario, la croissance potentielle reste très faible, puisque les gains de productivité à partir de 2023 sont supposés nuls et que la population active est stable : la croissance ne pourrait donc venir que de la hausse du taux d’emploi. Il est aussi probable que la France, comme les autres pays de la zone euro, va revenir à des taux d’intérêt réels à long terme positifs, la Banque centrale européenne étant poussée à une politique monétaire plus restrictive par l’inflation plus forte due au coût de la transition énergétique et aux tensions sur le marché du travail.
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