« On se dit que ça payera forcément plus tard » : les jeunes contraints à travailler gratuitement
Angèle, 22 ans, qui a obtenu son BTS tourisme en 2021, a dû se résoudre à effectuer en 2022 un service civique dans le secteur de la petite enfance, près de Limoges, faute d’avoir trouvé un emploi après ses études. « J’avais besoin d’argent pour ne pas dépendre de mes parents, et d’expériences pour enrichir mon CV. Aussi enrichissant que cela ait été, 580 euros d’indemnité, c’est quand même ridicule pour trente heures de travail, intense, par semaine ! », raconte la jeune femme.
De son côté, Julia, Parisienne de 24 ans, a suivi, durant près de deux ans, un stage pendant et après ses études de sciences politiques pour « faire briller [son] CV », avec « l’impression, parfois, de travailler comme un employé lambda dans des structures qui ne pourraient pas tourner sans stagiaires ». Quant à Caroline, graphiste de 26 ans à Amiens, elle se désole devant cette nouvelle offre d’emploi, où on lui demande encore, en guise d’exercice de recrutement, « une création qui [lui] prendrait des heures, et dont [elle est] certaine qu’elle sera réutilisée par cette entreprise ensuite ».
Outre le fait qu’elles utilisent toutes trois spontanément le terme de « Graal » pour parler, en souriant à peine, du CDI qu’elles rêvent de décrocher, Angèle, Julia et Caroline ont comme point commun d’avoir eu l’impression de travailler gratuitement, ou presque, dans l’attente d’un « vrai statut de travailleur, avec un vrai contrat et un vrai salaire », comme dit Angèle.
Concurrence
Service civique, stages, bénévolat en tout genre, projets non rémunérés effectués dans le cadre d’une candidature, service national universel, expérience de volontariat international au sein du Corps européen de solidarité, activités obligatoires dans le cadre du contrat d’engagement jeune… « Ces expériences professionnelles, qui apparaissent dans le parcours des jeunes depuis vingt ans, sont bien des formes de travail, mais pas d’emploi. Comme on parle de “travail bénévole” ou de “travail domestique” », commente la sociologue Florence Ihaddadène. Elle réalise des études, depuis plusieurs années, sur le service civique, et publiera prochainement un ouvrage sur la notion de « promesse » dans les politiques de jeunesse.
Selon Mme Ihaddadène, les activités décrites par les trois jeunes femmes répondent plus précisément « à une même logique de “travail de l’espoir” », particulièrement de mise dans la période qui sépare les études du premier emploi pérenne. La sociologue reprend ici le concept de hope labour développé par les chercheurs américains Kathleen Kuehn et Thomas F. Corrigan, désignant, selon leurs travaux sur le sujet, « un travail non ou sous-rémunéré effectué dans le présent, souvent pour l’expérience ou l’exposition, dans l’espoir que de futures opportunités d’emploi puissent suivre ». Une notion popularisée en 2018 par la sociologue Maud Simonet, dans son livre Travail gratuit : la nouvelle exploitation ? (Textuel).
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