Luc Behaghel, économiste : « L’immigration bénéficie au pays d’accueil »

Luc Behaghel, économiste : « L’immigration bénéficie au pays d’accueil »

Le camp présidentiel, nous dit-on, a hâte de sortir de la réforme des retraites pour un autre chantier, celui de l’immigration. A peine sorti d’une réforme, c’est un autre débat miné qui s’annonce, et qui inquiète le chercheur en économie que je suis. Les économistes de plateau de télé vont resurgir. Les calculs vont être mis sur la table, avec un mélange d’arguments valables, et beaucoup d’autres spécieux. Le patronat va plaider l’immigration sélective : celle qui permet de « booster la start-up nation », mais aussi de maintenir des salaires acceptables (entendons : bas) dans l’hôtellerie-restauration. Les travailleurs précaires vont s’inquiéter de la pression à la baisse que cela exercera sur leurs salaires. On va entendre parler doctement de « la loi de l’offre et de la demande », fondement de la « science économique ».

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Eh bien non, justement, la recherche en économie a appris à se méfier de cette loi d’offre et de demande qui stipule que davantage de travailleurs égale salaires plus faibles. Elle a en effet vérifié dans les données si les travailleurs locaux peu qualifiés souffraient de l’arrivée de migrants, et la réponse répétée par de nombreuses études est négative.

L’économiste canadien David Card, Prix Nobel 2021 de sa discipline, a étudié la question dans une étude célèbre, analysant l’arrivée à Miami de 45 000 réfugiés cubains en 1980, soit une hausse de 7 % de l’offre de travail. Comment ne marcheraient-ils pas sur les pieds de salariés natifs moins qualifiés ?

Reprenons un récent résumé de cette étude par les sociologues Dominique Goux et Eric Maurin : M. Card compare « l’évolution de l’emploi et des salaires observée à Miami entre 1979 et 1985 et celle observée sur la même période dans les villes d’Atlanta, Los Angeles, Houston et Tampa, villes qui n’ont pas subi de choc migratoire en 1980, mais qui ont suivi dans les années 1970 des trajectoires économiques et démographiques proches de celles de Miami. Le résultat central de ce travail est que la période 1979-1985 ne coïncide avec aucun décrochage particulier de la situation des populations non cubaines de Miami par rapport à ces mêmes populations non cubaines dans les villes choisies comme groupe de contrôle ».

Emplois vacants

« Moins qualifiés et expérimentés, les nouveaux arrivants reçoivent des salaires nettement plus faibles et connaissent un chômage plus élevé que leurs homologues des vagues migratoires précédentes, poursuivent les deux chercheurs, mais leur présence ne déprime ni les salaires ni les opportunités d’emploi des autres salariés. Comme le souligne David Card, le tissu productif de Miami compte beaucoup d’entreprises dans les secteurs des services aux particuliers, de l’hôtellerie-restauration, de la réparation ou du textile, traditionnellement spécialisés dans l’intégration de la main-d’œuvre immigrée peu qualifiée. C’est, selon lui, l’une des explications à la rapidité avec laquelle le marché du travail de Miami a réussi à absorber l’exode cubain du printemps 1980. » L’étude a été répliquée dans d’autres contextes, tendant toujours à montrer l’absence de réaction notable des salaires.

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