Loyauté de la preuve et impunité du salarié

Loyauté de la preuve et impunité du salarié

« L’arrêt Petit Bateau consacre donc la dangereuse porosité de la frontière entre vie privée et vie professionnelle sur les réseaux sociaux : gardez-vous de vos « amis »«  !Photo : Atelier La source Petit Bateau

Droit social. Alors qu’en principe les salariés doivent être préalablement avertis des méthodes de contrôle patronal, un supermarché espagnol peut-il mettre en place des caméras cachées filmant des caissières soupçonnées de vol organisé, puis les licencier sur la base des vidéos ?

La Cour européenne des droits de l’homme a accepté cette preuve le 17 octobre 2019, au titre d’une « mise en balance entre le droit des intéressées au respect de leur vie privée, et l’intérêt pour l’employeur d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise ». Relançant, en France, le vieux débat qui oppose la loyauté de la preuve fournie par l’employeur à l’impunité disciplinaire du salarié fautif, particulièrement mal ressentie chez les petits patrons peu au fait des subtilités juridiques : « J’ai pour moi la justice, et je perds mon procès », rageait déjà Alceste dans Le Misanthrope de Molière.

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Cette pragmatique conciliation de droits opposés a manifestement inspiré l’important arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 septembre 2020, qui affirme que : « Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit, et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »

En l’espèce, une cheffe de projet de l’entreprise Petit Bateau avait publié sur son compte privé Facebook, en avril 2014, des photos de la collection printemps-été 2015. Elle a été licenciée pour faute grave : manquement à son obligation contractuelle de confidentialité ; et parmi ses deux cents « amis » figuraient aussi des concurrents.

Triple tamis jurisprudentiel

En justice, la salariée a mis en cause la loyauté du procédé, et l’atteinte à sa vie privée. « En vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème », rappelle la Cour. Sauf que c’est l’une de ses « amies » qui avait « spontanément communiqué » une capture d’écran à l’employeur. Il en aurait été différemment si ce dernier avait invité une stagiaire, voire un huissier à se faire accepter comme « ami(e) » sur Facebook par l’intéressée.

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Et si la faute disciplinaire constitue également une infraction pénale, comme un vol par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation adopte une position nettement moins raide : « Aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter des moyens de preuve remis par un particulier aux services d’enquête au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement d’en apprécier la valeur probante, après les avoir soumis à la discussion contradictoire » (Cass. Crim., 27 janvier 2010). Ce qui incite parfois des employeurs à se porter sur le terrain pénal, avec des conséquences dont le salarié se serait volontiers passé.

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LJD

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