« Les infiltrés », enquête sur l’emprise des cabinets de conseil sur un Etat consentant

« Les infiltrés », enquête sur l’emprise des cabinets de conseil sur un Etat consentant

Livre. Depuis près de trois décennies, les cabinets de consultants et leur méthode de management ont pénétré tous les rouages de l’administration française. Dans l’enquête que Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, grands reporters à L’Obs, consacrent à cette révolution largement passée sous silence jusqu’à présent, un tour de force est manifeste : pas un ministère ni un secteur couvert par l’Etat n’ont échappé à la convoitise des consultants. De la santé à la défense, en passant par l’éducation nationale, la justice, l’intérieur, les affaires étrangères, mais aussi l’économie – dont les agents ont longtemps résisté –, et jusqu’aux services du premier ministre, tous sont passés sous les fourches Caudines de ces cabinets de conseil. Les plus connus étant Accenture, BCG (Boston Consulting Group), EY (ex-Ernst & Young), PwC (PricewaterhouseCoopers), etc.

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L’emprise de ces grands cabinets de conseil sur le fonctionnement de l’Etat est liée à une révolution parallèle qui a percuté toutes les administrations : la vaste numérisation, et dématérialisation, des actes de la vie quotidienne qui s’est amplifiée dans les années 2000, avec la montée en puissance d’Internet. Dans un pays de droit écrit, où la culture du papier est dominante, la vitesse d’exécution démultipliée des tâches administratives a provoqué un engorgement, l’absence de moyens financiers mis à la disposition des serviteurs de l’Etat a fait le reste.

Un Etat consentant

Le plus stupéfiant est peut-être que cette mutation s’est opérée avec un Etat consentant, voire soumis. Plusieurs clés d’explication sont données par les auteurs, d’abord ce qu’ils appellent l’« endogamie de la classe dirigeante » et « l’hybridation des élites ». A la tête de la haute administration et de ces cabinets de conseil, on retrouve les mêmes profils, issus des mêmes grandes écoles (ENA, HEC, Essec, etc.). Les allers-retours des uns aux autres sont fréquents.

Dans le même temps, les ministres appartenant aux gouvernements de droite ou de gauche ont perdu confiance dans leur administration jugée trop lourde et vieillotte. Les cabinets de conseil sont donc venus au chevet d’administrations qu’il fallait moderniser. Ils ont importé la culture du « lean management » (gestion de la production fondée sur la rentabilité), avec une réduction systématique du nombre de postes à rendement égal, ce que les hôpitaux ont pu expérimenter, avant et pendant la crise du Covid-19.

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Plus grave, à la culture de la défiance s’est ajoutée une volonté de se protéger. Quand l’Etat externalise des tâches qui lui incombent, il n’est plus responsable des défaillances, ce qui permet d’échapper à la pression des citoyens de plus en plus prompts à saisir la justice.

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LJD

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