« Le travail de nuit, le difficile arbitrage entre l’économique et le social »

« Le travail de nuit, le difficile arbitrage entre l’économique et le social »

Ce sujet colle aux doigts de tous les ministres du travail depuis des décennies sans qu’aucun n’ait trouvé la martingale qui concilie développement économique et sécurité des travailleurs, estime Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 11h26 Temps de Lecture 2 min.

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Un Monoprix à Nice, le 8 octobre 2018.
Un Monoprix à Nice, le 8 octobre 2018. Eric Gaillard / REUTERS

Pertes & profits. Ce sont des taches de lumière qui éclairent le chemin de l’habitant des grandes métropoles quand il rentre tard le soir, ces petits commerces, si pratiques pour les distraits qui ont oublié la plaque de beurre ou la boîte de petits pois. On apprend donc à la faveur d’une discussion parlementaire que la plupart d’entre eux sont dans l’illégalité. Les employés de Monoprix, Casino et autres Carrefour City ont bien signé des accords de branche, mais ceux-ci peuvent être attaqués devant les tribunaux. Le travail après 21 heures dans les commerces alimentaires n’est autorisé par la loi que dans les zones touristiques internationales, au prix de compensations importantes pour les salariés. Cette affaire du travail de nuit, comme celle du dimanche, colle aux doigts de tous les ministres du travail depuis des décennies sans qu’aucun n’ait trouvé la martingale qui concilie développement économique et sécurité des travailleurs. Celle-ci soulève au moins trois questions.

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La première nécessité serait de sortir de cette ambiguïté qui insécurise à la fois l’employeur et l’employé. Raison pour laquelle les distributeurs militent depuis longtemps pour que la loi légalise l’extension du travail de 21 heures à minuit, comme c’est le cas pour les métiers nocturnes du spectacle par exemple. L’amendement glissé au printemps dans la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) a été invalidé par le Conseil constitutionnel. Retour à la case départ, et cette fois les syndicats profitent de la tension sociale pour monter au créneau. Avec justesse, ils soulignent que le travail tard le soir est déstabilisant et mérite au minimum des compensations. Et même si les accords de branche ou d’entreprise sont plus généreux, ils s’inquiètent de voir la loi fixer une norme moins favorable. Le risque juridique pour les employeurs aura été remplacé par le risque social pour les salariés.

Horaires atypiques

La deuxième question est celle du volontariat des travailleurs. Beaucoup d’entre eux, notamment des jeunes, seraient prêts à décaler leur journée de travail le soir en échange d’une contrepartie salariale. Mais d’autres en situation de précarité n’ont parfois pas le choix et doivent se plier à ces nouvelles exigences pour préserver leur emploi, au prix d’une dégradation de leur vie familiale. Comme le souligne un syndicaliste, cela fait cher payée la boîte de petits pois du noctambule.

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Le dernier point plane en arrière-fond depuis bien longtemps. C’est celui de l’arbitrage entre l’économique et le social et, au-delà, d’une certaine philosophie de la vie en société. La croissance économique du commerce alimentaire est inexistante. L’espace urbain est saturé de magasins et la seule poche de croissance reste l’extension des horaires d’ouverture. A Paris, les professionnels estiment que 10 % du chiffre d’affaires est réalisé après 20 heures. Et au dessus plane l’ombre menaçante du e-commerce, qui s’attaque à l’alimentaire.

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LJD

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