Le télétravail, mal aimé du travailleur japonais
Chronique. Le Japon ne fait pas exception à la montée du recours au télétravail observée depuis le début de la pandémie. Au printemps 2020, le télétravail a ainsi concerné jusqu’à 25 % des salariés japonais contre 6 % avant la crise. Cependant, dans le même temps, leur productivité a baissé d’environ 20 % en moyenne. Ce sont les deux résultats principaux d’une étude réalisée par l’économiste Toshihiro Okubo et ses collègues (« Teleworker Performance in the COVID-19 Era in Japan », Asian Economic Papers n°20/2, 2020).
Ces résultats sont doublement surprenants. Tout d’abord, le télétravail était très peu répandu au Japon avant la pandémie (notamment par comparaison avec l’Europe, où il concernait environ 20 % des salariés). Le gouvernement avait bien engagé depuis 2016 une politique de promotion du télétravail, sans obtenir de résultat ; ce qu’il n’a pas réussi à faire en quatre ans, la pandémie l’a réalisé en quelques semaines !
Ensuite, on aurait pu penser que le télétravail permettrait d’augmenter la productivité de façon uniforme, notamment grâce à la réduction des temps de transport entre le domicile et le travail, qui sont au Japon parmi les plus élevés au monde ! Or, il n’en est rien : les mécanismes à l’œuvre sont plus complexes et se révèlent source d’inégalités entre les travailleurs japonais.
Le télétravail pas adapté aux entreprises
Pourquoi le télétravail n’était-il qu’une option si peu prisée au Japon ? D’une part, la politique de mobilisation des salariés implique, dans la conception managériale des entreprises, de longues heures de travail au bureau ou à l’atelier (même si elles sont en diminution depuis les années 1990).
D’autre part, la productivité repose principalement sur le travail en équipe et les échanges informels, qui rendent moins pertinent le travail à distance. C’est pourquoi la réforme initiée en 2016 par le gouvernement Abe, qui visait principalement à augmenter la productivité du travail par une réduction du temps de travail et le recours au télétravail, a échoué.
La baisse apparemment paradoxale de la productivité associée au recours accru au télétravail vient a posteriori confirmer que le télétravail n’est pas forcément adapté au mode d’organisation dominant des entreprises japonaises. Le mettre en œuvre de façon efficiente implique donc des changements organisationnels.
La taille de l’habitation et du foyer déterminante
Les chercheurs japonais ont analysé l’évolution de la productivité sur la base d’un indicateur dit « d’efficience productive », qui est mesurée de façon subjective par les travailleurs eux-mêmes. Cela permet ainsi d’avoir une indication sur la satisfaction des travailleurs, qui connaît également une forte baisse en moyenne. Derrière cette baisse moyenne de la productivité perçue se cache en fait une grande disparité : près de 30 % des travailleurs disent avoir maintenu leur efficience ou même l’avoir légèrement augmenté, tandis que plus de 50 % ont observé une baisse de cette efficience.
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