« Le lien numérique, qui connectait au lointain mais déconnectait du prochain, semble désormais capable de les articuler »

« Le lien numérique, qui connectait au lointain mais déconnectait du prochain, semble désormais capable de les articuler »

Tribune. Tandis que la pandémie de Covid-19 fragilise jour après jour l’économie mondiale, les analyses se multiplient pour projeter le « monde d’après ». On évoque une économie plus écologique et plus indépendante, mais aussi plus numérique.

En effet, la numérisation forcée du travail pour des millions d’entreprises et pour leurs collaborateurs pourrait constituer une faille temporelle dans le rythme ordinaire de la diffusion de l’innovation.

Le sociologue Victor Scardigli a ainsi distingué trois temps dans l’insertion sociale des techniques. Le premier, rapide, est celui des discours prophétiques. Le deuxième, plus lent, celui de la diffusion de l’innovation, voit se développer les premiers usages… et les premières désillusions. Long et incertain, le dernier temps est celui de l’appropriation socioculturelle de l’innovation. L’« impératif numérique » généré par le Covid-19 pourrait l’accélérer.

Un « taylorisme 4.0 »

Une promesse fondatrice de la révolution numérique est l’établissement, par Internet, d’une intelligence sociale et collaborative. Elle privilégie le pouvoir latéral à l’autorité centrale et les interactions sociales à la division du travail. Mais, à l’usage, ces idéaux se heurtent encore à la permanence de représentations et de normes sociales solidement établies.

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Au lieu du pouvoir latéral s’est répandu un « taylorisme 4.0 », une emprise croissante des processus avec les algorithmes. Ceux-ci préconisent, ordonnent et font, en retour, remonter des indicateurs abstraits sur lesquels sont bâties les décisions. La numérisation des relations hiérarchiques souffre toujours d’un manque de confiance, forgé dans la croyance en la « propension naturelle du travailleur au farniente » autrefois théorisée par Taylor.

Sur le plan horizontal, les conséquences sociales de la numérisation sont plus diffuses. Quand certaines réunions utilisent habilement la visioconférence, d’autres sont peuplées de participants dont l’attention se divise entre l’animateur, l’ordinateur personnel et le smartphone.

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Les mails entre collègues se multiplient, bien souvent inutilement, au détriment de la productivité et de la créativité, qui se nourrit d’informel. L’ensemble explique le fameux paradoxe de Solow [Prix Nobel d’économie en 1987] – « on voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité » – qui démontre que la libération d’un potentiel technologique découle, en réalité, d’une cohérence entre un système technique et un système social.

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