Le fossé générationnel entre les jeunes et les seniors se creuse dans les entreprises japonaises
« Les dirigeants âgés ne nous laissent pas tenter et nous tromper. C’est pourtant essentiel pour l’expérience. » Ce constat amer de Tatsushi Mihori, dynamique quadragénaire spécialiste de la vente à l’international, traduit une frustration réelle chez les salariés japonais vis-à-vis de leurs aînés, accrochés à leurs fonctions dans un pays qui privilégie l’emploi des seniors pour compenser une pénurie de main-d’œuvre de plus en plus criante.
Pour les jeunes travailleurs, ces empêcheurs d’évoluer sont des facteurs de rougai, littéralement les « problèmes posés par les personnes âgées », un phénomène – non limité à la sphère professionnelle – de plus en plus visible dans une société où un tiers de la population a plus de 60 ans. En avril, les réseaux sociaux s’étaient déchaînés contre un vieux monsieur apparu dans une vidéo le montrant en train de bloquer sans raison apparente la fermeture des portes d’un métro bondé de Nagoya.
Les personnes âgées qui provoquent des accidents de la route, un sujet d’inquiétude majeure au Japon, en sont une autre manifestation. Tout comme la classe politique vieillissante et jugée incompétente. L’ancien ministre de la lutte contre la cybercriminalité Yoshitaka Sakurada, 69 ans, par exemple, avait été nommé par le premier ministre, Shinzo Abe, alors que, de son propre aveu, il n’avait jamais touché un ordinateur de sa vie.
« Raison sur tout »
Dans les entreprises, l’affaire tourne au conflit de générations. En septembre, selon les statistiques du ministère du travail, 9 millions de personnes de plus de 65 ans travaillaient, contre 5,5 millions en 2009. Dans le même temps, le nombre d’actifs a quasi stagné, à 63,1 millions, en septembre. Le travail des personnes âgées est d’autant plus encouragé qu’une majorité d’entre elles veulent poursuivre leur activité, même avec des horaires réduits.
En octobre 2018, le magazine économique BizSPA ! a réalisé une enquête auprès de jeunes salariés pour établir le classement des dix choses les plus insupportables causées par leurs aînés. La première était la « manière qu’ont les personnes âgées de toujours dire qu’elles ont raison sur tout ». Venaient ensuite les manies de répéter « quand j’étais jeune… », d’imposer leurs méthodes ou de refuser de « reconnaître leurs erreurs et de s’excuser ». Les aînés veulent aussi toujours aller boire le soir après le travail et ne comprennent pas pourquoi les jeunes s’y refusent.