Le congé s’échange comme une monnaie
Carnet de bureau. Depuis le confinement, le congé a changé de nature. De l’ancien français cumgiet, issu du latin commeatus, participe passé de commeare (« aller et venir »), de cum et meare « aller », c’est à l’origine une autorisation de circuler. L’instauration des congés payés en 1936 l’assimile au repos. Quelque 600 000 salariés partiront cette année-là pour la première fois deux semaines en « vacances ». Mais, depuis l’ordonnance du 25 mars, qui autorise un accord d’entreprise à imposer jusqu’à six jours de congé à une date choisie par l’employeur, le congé semble changer de rôle. Il s’échange comme une monnaie.
De multiples accords d’entreprise ont été signés depuis mars, chez Schneider Electric, Legrand, Covéa, PSA, Renault, etc., qui utilisent les jours de congé comme variable économique. Chez les uns, la prise de congé anticipée permet d’amortir le choc que subissent les entreprises, en s’assurant de la disponibilité maximale des salariés pour la reprise (Schneider Electric, Covéa). Chez les autres, elle retarde l’entrée dans le dispositif de chômage partiel (Legrand). Dans le secteur automobile, le don de jours de congé finance le maintien de 100 % de la rémunération des collègues en chômage partiel. Plus surprenant, enfin, la pose de jours permet de venir en aide au secteur de la santé en participant à la création d’un fonds ad hoc.
Ce sont ainsi 700 000 euros que le groupe mutualiste Covéa a réunis, le 10 avril, en proposant à ses salariés d’abonder de 10 euros chaque jour de congé posé durant la période de confinement : 70 000 jours de congé ont permis la création d’un fonds destiné à la Fondation des Hôpitaux de Paris, à la Fédération des hôpitaux de France, à la Fondation de France, à l’Institut Pasteur et à l’AP-HP. Dans le même temps, le groupe mutualiste s’assure d’avoir le maximum de salariés en poste après le confinement pour répondre au surcroît d’activité attendu.
Une dérive
Chez PSA, les partenaires sociaux ont signé le 7 avril la mise en place d’un « fonds de solidarité Covid-19 », constitué des dons de jours de congé de 47 000 salariés pour compenser la perte de rémunération de tous les collègues en chômage partiel en France. Les deux semaines des congés d’été restent garanties.
« C’est une remise en cause brutale de nos congés d’été », a critiqué la CGT, interrogée par l’AFP. C’est le seul syndicat à ne pas avoir ratifié l’accord. Renault, dans son contrat de solidarité et d’avenir, signé le 2 avril, a mis en place un système similaire. Chacun des 36 000 salariés du groupe donne un jour de congé pour chaque semaine de chômage partiel. Le constructeur automobile prend à sa charge les cotisations salariales et patronales correspondantes. Le fonds de solidarité ainsi constitué finance le maintien de 100 % des rémunérations, malgré le chômage partiel. La CGT, non signataire, déplore que les salariés soient « les seuls contributeurs au maintien de leur rémunération ».
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