L’argot de bureau : le « cowalking » réinvente la réunion en extérieur

Il est 15 heures à Central Park (New York). Sans surprise, on y retrouve tous les clichés possibles : des parents avec leurs poussettes, des retraités sur des bancs, le gazouillis des oiseaux et… une meute de promeneurs en costard et tailleur. Ce ne sont pas des touristes, ils n’ont pas d’audioguide sur les oreilles. Ce ne sont pas non plus des joggeurs, malgré leur montre connectée bipant pour indiquer qu’ils ont dépassé le seuil des 10 000 pas aujourd’hui. Non, ce sont des salariés en réunion, en « cowalking » ou « walk and talk ».
Le cowalking, que l’on pourrait traduire par « réunion-promenade », se définit comme une alternative aux réunions traditionnelles, que seulement 52 % des salariés trouvent efficaces, selon une étude OpinionWay de 2017. Qu’elle s’éternise pour cause de monologue de Bernard, qui aime donner son avis sur tout, ou qu’elle devienne une sieste collective devant les 873 diapositives du dernier business plan, la réunion à l’ancienne est celle où l’on perd du temps. Le walk and talk est né aux Etats-Unis lors des conférences de Steve Jobs, le fondateur d’Apple.
L’objectif le plus clair est de rattraper le temps perdu : un cowalking digne de ce nom dure une demi-heure tout au plus, s’établit sur un circuit prédéfini et doit aboutir à une décision. La prise de notes étant périlleuse en mouvement, il faut garder l’essentiel, débattu en un ou deux kilomètres. Il ne s’agit pas de faire du « corandonning » , ni même du « comarathoning », au risque de perdre quelques salariés en route… selon leur condition physique. Le cowalking n’est pas non plus une pause-café qui s’éterniserait, avec une équipe qui accompagnerait à l’extérieur Stéphanie, cette manageuse qui fume toutes les deux heures.
Des vertus vantées par Aristote et Rousseau
Ce type de réunion se distingue souvent par la taille : son petit comité (entre deux et quatre personnes) est censé faciliter la discussion franche et effacer les liens hiérarchiques. Cela permet aussi de s’affranchir du manque de confidentialité de l’open space, où souvent les oreilles traînent. Pour des raisons logistiques, il est par ailleurs difficile d’envisager vingt personnes marchant au même niveau sur un trottoir, à moins de piétonniser le quartier.
Bien avant Steve Jobs, les philosophes de toutes les époques ont vanté les vertus de la déambulation. Aristote enseignait au lycée d’Athènes en marchant avec ses élèves, dans l’école « péripatéticienne », littéralement « qui aime se promener ». Plus tard, Jean-Jacques Rousseau découpait sa dernière œuvre, Les Rêveries du promeneur solitaire, en dix « promenades ». « La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place, développe-t-il à ce sujet dans Les Confessions. Il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit. »
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