L’argot de bureau : la stratégie « océan bleu » ou la pêche à l’innovation
Il est fréquent que les mots du management étonnent ou fassent sourire, mais, à ce jeu, la stratégie « océan bleu » gagne la palme : merci de le préciser, mais ne sait-on pas déjà que l’océan est bleu ? Et quel rapport avec la gestion d’entreprise ?
Il s’agit bien évidemment d’une métaphore : pour la comprendre, il faut savoir qu’il existe des océans rouges. L’océan rouge (à ne pas confondre avec la mer Rouge), c’est ce champ de bataille surpeuplé par les requins les plus dangereux, maculé du sang de la concurrence entre les entreprises. La stratégie « océan bleu » consiste donc à s’éloigner de tout ce grabuge, et à mener sa barque intelligemment pour pêcher tranquillement de gros poissons.
Cette méthode de management stratégique a fait l’objet d’un livre à succès (4 millions d’exemplaires vendus) : Stratégie océan bleu (Pearson, 2005), de W. Chan Kim et Renée Mauborgne, deux professeurs de stratégie à l’Institut européen d’administration des affaires (Insead). Les auteurs parlent d’un « nouveau paradigme de stratégie d’entreprise », où les décideurs innovent en trouvant un espace vierge de concurrence, afin de réaliser des bénéfices très importants.
Tout part d’un diagnostic : le marché de telle entreprise est saturé, il n’y a plus de croissance naturelle. Les entreprises agissent alors toujours en fonction des concurrents, cherchant à préserver leurs parts de marché en réduisant les coûts, par exemple. Ces coups d’épée dans l’eau ne rapportent guère à long terme. A la suite de cette observation, il faut repartir de zéro pour se diriger vers des eaux plus calmes.
Réussir est périlleux
Les dirigeants visionnaires n’ont pas attendu la publication du livre pour changer d’océan : outre l’histoire d’Apple avec son iPhone pour téléphoner autrement, ou Blablacar et son covoiturage pour se déplacer moins cher, les parents de cette stratégie ont mobilisé des exemples moins connus. Prenez la friteuse électrique Actifry, du groupe SEB, née en 2006 : elle n’est pas plus puissante ou moins chère que les autres, mais elle a choisi de produire de meilleures frites, puisque kilo de frites ne coûte qu’une seule cuillère d’huile. Cette « friteuse bonne pour la santé » a permis d’atteindre de nouveaux clients.
Cet art de faire des vagues en révolutionnant le marché se veut légèrement différent de la « disruption », ou « innovation de rupture » : Renée Mauborgne juge que l’innovation n’est pas forcément source de destruction des concurrents. « La création non disruptive consiste à créer de nouveaux marchés là où il n’y en avait pas auparavant, de sorte qu’il n’y a pas de déplacement des marchés existants ni de compromis social douloureux », déclarait-elle au magazine Forbes, en 2020.
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