« La vision hobbésienne de l’unité du peuple est de plus en plus déplacée par rapport à la réalité »

« La vision hobbésienne de l’unité du peuple est de plus en plus déplacée par rapport à la réalité »

Chronique « Transformations ». Nos institutions démocratiques sont nées dans l’empreinte d’un débat qui remonte au XVIIe siècle. Dans Grammaire de la multitude (Editions de l’éclat, 2002), le philosophe italien Paolo Virno rappelle la confrontation, à l’époque, entre deux visions des individus dans la cité. D’un côté, Thomas Hobbes (1588-1679) voyait les individus comme un peuple, « une sorte d’unité qui a une volonté unique ». De l’autre côté, pour Baruch Spinoza (1632-1677), les individus formaient une multitude, « une pluralité qui persiste comme telle sur la scène publique ».

Notre pratique de la démocratie a abondamment donné raison à Hobbes. On a d’abord réservé le droit de vote à une minorité de privilégiés, fixant l’idée que l’uniformité du corps électoral conditionnait le bon fonctionnement de la démocratie. Ce n’est que sur le tard, et non sans appréhension, qu’on a rendu le suffrage formellement universel, plutôt que réservé aux plus fortunés. Et les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1920 aux Etats-Unis, en 1928 au Royaume-Uni et en 1944 en France.

Lorsque le suffrage universel est enfin entré dans la pratique, la vie démocratique a été encadrée par des établissements en phase avec le paradigme techno-économique de l’époque. A l’image des grandes entreprises fordistes, notre démocratie s’est structurée en pyramide. L’exercice de la citoyenneté a, en quelque sorte, été taylorisé. On invitait les individus à se mettre en rang pour exercer leur droit de vote de façon standardisée et cadencée : en glissant un bulletin dans une urne une fois tous les cinq ans.

Les médias ont aidé à confirmer cette vision hobbésienne de l’unité du peuple. Les barrières à l’entrée étaient telles dans des secteurs comme la presse, la radio et la télévision que seules quelques grandes organisations se répartissaient le marché de l’information. S’adressant à la majorité à la fois par principe et par intérêt économique, les grands médias inspiraient une vision consensuelle de la société, qui renforçait l’unité du peuple.

Changement de paradigme

Mais, actuellement, comme l’écrivait Paolo Virno dès 2002, le changement numérique a tout changé. Le numérique permet aux individus d’exprimer leur différence tout en se connectant les uns aux autres en réseau. Du coup, la vision hobbésienne est de plus en plus décalée par rapport à la réalité de la vie en société. C’est la multitude de Spinoza qui, désormais, impose son rythme – et sa pluralité – aux organisations.

Avatar
LJD

1 commentaire pour l’instant

Avatar
clara7b1 Publié le10:20 - Déc 11, 2018

Finalement la technologie a une influence même dans la politique

Laisser un commentaire