La démission n’effraie plus les cadres… et encore moins les jeunes diplômés

La démission n’effraie plus les cadres… et encore moins les jeunes diplômés

L’un des visuels de la nouvelle campagne de Cadremploi.

Oser. Oser claquer la porte de son employeur, oser tenter une nouvelle aventure professionnelle. La démission des collaborateurs fait partie des sujets sur lesquels on jette souvent un voile pudique – elle est d’ailleurs très peu traitée par la littérature managériale. Une question taboue, donc. Cadremploi, spécialiste des offres d’emploi et du recrutement de cadres, vient de s’y atteler, avec une étude réalisée par l’Ifop (à retrouver en intégralité sur Cadremploi:Ifop.2018), portant sur un échantillon de 1001 cadres et dirigeants. Et les résultats montrent une forte évolution des comportements sur ce sujet.

Thibaut Gemignani, directeur général de Cadremploi (DR).

Un chiffre choc, tout d’abord : 6 cadres sur 10 envisagent de démissionner. Ils y songent « souvent » (16 %) ou seulement « de temps en temps » (46 %). Et le taux est encore bien plus élevé chez les jeunes cadres et diplômés (18-34 ans) puisqu’il s’élève à 74 %. « Pour les plus jeunes, donner sa démission a cessé d’être un tabou », relève Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. Ils ne cherchent pas à faire carrière. » Une mauvaise nouvelle pour les entreprises ? « Pas forcément, nuance Thibaut Gemignani, directeur général de Cadremploi : il n’est pas de leur intérêt de conserver des cadres mécontents ou déçus, qui risquent de devenir aigris et de manquer de motivation. »

Ce taux élevé de démissionnaires potentiels est d’autant plus étonnant que, dans l’ensemble, les cadres sont plutôt satisfaits de leur sort. Ils attribuent ainsi une note moyenne de 6,9 (sur 10) à leur épanouissement dans leur vie quotidienne, celle-ci incluant bien sûr leur vie au travail. Cet épanouissement est toutefois plus marqué sur le plan personnel (7,6 sur 10, en moyenne) que pour la vie professionnelle, notée 6,3. 

Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop (DR).

Principaux motifs de satisfaction, à leurs yeux : l’ambiance au sein de l’équipe (pour 84 % des cadres), l’intérêt des missions (76 % d’opinions positives), les relations avec le management (76 %), l’ambiance dans l’entreprise (69 %)… Quant à la rémunération, elle n’arrive qu’au 5ème rang des points positifs. A noter tout de même que 7 % se déclarent franchement mécontents de leur travail. 

Logiquement, les facteurs de mécontentement sont autant de motifs potentiels de démission. Ces facteurs sont assez variés : manque de perspectives (cité par 38 % des cadres interrogés), rémunération jugée insuffisante (37 %), relations délicates avec le management (35 %), missions dépourvues d’intérêt (34 %)… Des raisons liées à la vie personnelle peuvent aussi jouer (34 % de citations). En cas de démission, les cadres visent avant tout une meilleure rémunération (55 % des réponses) et un épanouissement accru. 

« Retrouvez le sens de l’humour : changez de job, démissionnez »

En réalité, les avis sont encore très partagés à propos de la démission. Une courte minorité (48 %) a le sentiment que son épanouissement professionnel passera plutôt par une évolution au sein de l’entreprise – via une promotion ou un changement de poste. A l’inverse, ils sont 52 % à miser plutôt sur un changement d’employeur. 34 % des cadres envisagent même une reconversion – vers un projet personnel ou pour changer de voie. Là encore, les plus jeunes sont nettement plus nombreux : 49 % envisagent un virage radical, contre seulement 22 % pour les 50 ans et plus. 

Pour beaucoup, ce projet de changement doit être assez rapide : dans les prochains mois pour 23 % des cadres concernés, ou dans l’année qui vient pour 25 % d’entre eux. Mais 49 % se donnent deux à cinq ans, voire davantage…

La démission, il est vrai, reste un cap difficile à franchir. Les freins ne manquent pas : crainte de bouleverser son équilibre de vie (39 % des cas), contraintes logistiques et/ou financières, ou peur de ne pas trouver d’autre poste (32 %). Mais c’est la crainte de devoir bouleverser son quotidien qui suscite le plus d’inquiétude. 

Laurent Gounelle (Ph. A.-Emmanuelle Thion/Ed.Calmann-Lévy)

« Il est vrai qu’il n’est pas facile de changer d’employeur – surtout en France, où la peur du changement est plus forte qu’ailleurs, observe l’écrivain Laurent Gounelle (1), dont le dernier roman (« Je te promets la liberté« ) résonne étrangement avec le sujet de l’étude. « Dans certains cas, les jeunes cadres bénéficient de tels avantages en termes de rémunération, de mutuelle ou de statut que, même s’ils ne sont pas satisfaits de leur travail, ils hésitent à remettre en cause ce confort. Un système social très protecteur peut avoir un effet anxiogène. Pourtant, on ne peut pas faire l’économie des questions existentielles… Tôt ou tard, elles resurgissent. La démission peut être l’occasion de reprendre sa vie en main. »

De façon générale, la démission est perçue de façon ambivalente : comme un risque pour 42 % des cadres, mais aussi comme une opportunité pour 36 % d’entre eux. Les plus jeunes, eux, y voient plutôt (à 46 %) une opportunité. Plus mobiles, plus audacieux peut-être, et surtout moins soumis que leurs aînés à des contraintes familiales ou financières, les jeunes cadres hésitent beaucoup moins à aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Ils ne cherchent plus à faire carrière : au contraire, changer d’employeur assez fréquemment devient pour eux une pratique courante. A noter que ceux qui ont déjà fait l’expérience d’une démission partagent fréquemment ce point de vue (45 %).

La démission, et après ? Les cadres qui ont déjà démissionné (60 % de l’échantillon) ont éprouvé des sentiments mêlés – mais plutôt positifs – au moment du « passage à l’acte » : du soulagement (36 %), de l’excitation, de la joie… A l’inverse, 29 % ont ressenti des doutes, 27 % de l’anxiété, 12 % un « esprit de revanche »… 

Mais avec du recul, la perception est en général positive : 81 % des personnes qui ont démissionné jugent que cette décision a eu un impact favorable sur leur leur niveau de bien-être en général, leur vie personnelle, leur rémunération, le développement de leur carrière… Et au plan personnel, elle leur a permis de consacrer à nouveau du temps à leur famille et à leurs amis, de retrouver le sommeil et une vie de couple, et même… de renouer avec le sens de l’humour.  Tous ces bienfaits sont ressentis de façon particulièrement forte par les jeunes cadres. 

« Il faut replacer cette enquête dans le contexte actuel de pénurie de talents, souligne Thibaut Gemignani. Aujourd’hui, avec un taux de chômage de l’ordre de 3,4 %, les cadres sont en situation de quasi-plein emploi. Ils sont en situation de force, ils ont le pouvoir de choisir leur employeur. Lorsqu’ils quittent un emploi, ils sont quasi assurés d’en retrouver un dans un délai assez court – beaucoup ont même assuré les arrières avant de démissionner. De plus, les nouvelles aspirations personnelles des cadres les incitent à changer d’emploi, pour être plus heureux dans leur vie. » Rares sont en effet les cadres pour qui la démission s’apparente à un vrai « saut dans le vide ». Résultat, 8 % des cadres devraient changer d’employeur en 2018 – le plus haut taux de rotation de ces dernières années. 

Une image de la campagne de communication de Cadremploi.

Cette évolution des mentalités et des comportements a d’ailleurs conduit Cadremploi à modifier sa communication. L’entreprise a même lancé récemment une campagne un brin provocatrice, sur le thème « Ayez l’ambition d’être heureux », avec des messages comme « Retrouvez le sens de l’humour : changez de job, démissionnez », ou encore « Qu’attendez-vous pour être heureux ? N’attendez plus : changez de job, démissionnez ». « Il ne s’agit pas vraiment d’un appel à la démission, mais plutôt d’une sorte de clin d’oeil, prévient toutefois Thibaut Gemignani. Nous devenons une marque plus « relationnelle », qui s’intéresse aux aspirations profondes des cadres. » 

(1) « Je te promets la liberté », éditions Calmann-Lévy.

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LJD

1 commentaire pour l’instant

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nana87 Publié le5:38 - Nov 18, 2018

Démissionner et changer de job ce n’est pas une décision facile à prendre surtout pour ceux qui ont des enfants, ils cherchent à sécuriser le foyer. Mais c’est un risque que peut prendre un jeune diplômé célibataire sans enfants pour chercher des meilleures conditions de travail

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