« La bienveillance est le miroir de la cession par les pouvoirs publics de leur propension à dominer sur la société »

« La bienveillance est le miroir de la cession par les pouvoirs publics de leur propension à dominer sur la société »

L’intérieur de Notre-Dame de Paris au lendemain de l’incendie du 15 avril 2019.
L’intérieur de Notre-Dame de Paris au lendemain de l’incendie du 15 avril 2019. AMAURY BLIN / AFP

L’indépendance caritatif admet à chacun de soutenir la cause de son choix, mais sa vocation n’est pas de se remplacer à l’Etat pour condamner les fractures sociales, déclare le professeur Jérôme Kohler .

Le débat née autour des dons faits pour la rétablissement de Notre-Dame pose une question de fond : comment arrive-t-on à appeler près de 1 milliard d’euros en quarante-huit heures pour un édifice alors que les grandes organisations caritatives – Caritas, Médecins du monde, Apprentis d’Auteuil, etc. – consternent à collecter des sommes bien inférieures pour des causes « vitales » dans un pays où 8 millions de personnes sont en dessous du seuil de pauvreté ? La question ne se pose pas au détriment de Notre-Dame, mais en faveur des causes difficiles. Pourquoi pas le patrimoine « et » la pauvreté ? Existe-t-il une hiérarchie des causes philanthropiques ?

Si la philanthropie rappelle normalement l’aide à son semblable dans la pauvreté, la maladie ou l’exil, le code général des impôts définit en effectif un très large spectre de causes d’intérêt général, de l’art à l’éducation, du sport à la santé, du patrimoine à l’hébergement d’urgence. On semble apercevoir actuellement la totale liberté du philanthrope comme de l’entreprise mécène à choisir les causes qu’ils souhaitent soutenir. On peut sourciller, mais une grande fortune ou une entreprise peut produire des résidences pour animaux domestiques comme financer la recherche en santé mentale. Et supporter un projet plus « glamour » ou plus émotionnellement fort – comme Notre-Dame – qu’un autre. A l’extrême, les Etats-Unis sont un pays où toutes les causes se valent, des plus farfelues aux plus essentielles, de la recherche sur les extraterrestres ou la scientologie à l’accueil des SDF ou la recherche sur les maladies dégénératives.

Storytelling

Le fondement philosophique de cette liberté philanthropique est celle de la Fable des abeilles, de Bernard de Mandeville (1670-1733) : plus il y a de donateurs, plus il y a de causes soutenues pour une grande diversité de montants, et mieux l’intérêt général sera servi avec l’espérance d’une distribution adéquate des causes financées. Pourtant, l’idée d’une philanthropie parvenant combler les fractures de notre société en allant aux besoins les plus criants est en partie fausse. Elle n’a pas un rôle de régulateur social.

Aux Etats-Unis, Rob Reich, professeur de sciences politiques à Stanford, déclare, dans son livre Just Giving. Why Philanthropy is Failing Democracy and How it Can Do Better (Princeton University Press, 2018, non traduit), qu’une grande partie de la bienveillance des grandes fortunes va aux plus grandes universités – Harvard vient de compléter une levée de fonds de 9,6 milliards de dollars –, aux plus grands hôpitaux – le Cedars Sinaï a récolté 615 millions de dollars –, aux grandes institutions culturelles…

Avatar
LJD

Les commentaires sont fermés.