« Il faut un changement de paradigme de l’innovation technologique dans les politiques et les discours publics »
Tribune. Depuis une décennie, nous vivons des mutations technologiques majeures (intelligence artificielle, big data, blockchain…). Leur ampleur et leurs effets sur nos économies et nos sociétés promettent d’être comparables à l’émergence de l’informatique dans les années 1970, voire à celle de l’électricité au tournant du XXe siècle. Mais elles alimentent de nombreuses interrogations quant à leur impact sur nos vies.
Les discours et les politiques sur ces innovations les valorisent avant tout comme des phénomènes économiques dont il faut tirer parti en matière de croissance : elles améliorent la compétitivité des entreprises et créent de nouvelles possibilités d’activité. Ces innovations sont vues comme étant le résultat d’activités de recherche et de développement menées au sein de centres privés ou publics, suivant un processus faisant intervenir successivement la recherche fondamentale et la recherche appliquée, puis des activités de développement et de commercialisation, conduites de manière plus ou moins indépendante les unes des autres.
Mais cette conception de l’innovation, que l’on peut qualifier de « fermée », est anachronique : depuis au moins deux décennies se développent des pratiques d’innovation ouverte, impliquant des acteurs multiples (industriels, usagers et clients, collectifs de citoyens et d’associations, pouvoirs publics, etc.).
Motivations autres que marchandes
En outre, valoriser ainsi les innovations revient à privilégier la seule dimension économique de celles-ci et, pis, à nier leur réelle portée sur nos sociétés pour au moins deux raisons. Premièrement, cela élude les conséquences des innovations sur les plans sociaux et sociétaux, et sur le fonctionnement de nos institutions démocratiques. Conséquences qui n’apparaissent généralement que bien plus tard, à l’image des réseaux sociaux, qui sont devenus des canaux privilégiés de désinformation.
Cette représentation des innovations technologiques suppose également que leur acceptation par les consommateurs et les bénéficiaires aille de soi. Ces derniers sont alors réduits à une fonction économique de consommation des produits et des services innovants, sans être impliqués dans le processus de conception. Cela a pour effet de nimber de mystère les nouvelles technologies et d’obérer leur acceptabilité publique, comme l’illustre le fait que la campagne de vaccination menée pour surmonter la crise due au Covid-19 ait fait face à de nombreuses résistances parmi la population.
Ces constats appellent à un changement de paradigme de l’innovation technologique dans les politiques et les discours publics. Il devient, en particulier, nécessaire de penser l’innovation au regard, d’une part de son impact potentiel sur la vie des hommes et des femmes, d’autre part de sa capacité à favoriser davantage l’intégration de ceux-ci dans les processus de conception et de diffusion. C’est ainsi que des innovations socialement utiles peuvent émerger de partenariats entre de multiples acteurs, souvent mus par des besoins et des motivations autres que marchands, ce qui a été le cas, notamment, des respirateurs « bricolés » par des médecins et des ingénieurs à partir de masques de plongée, durant les premières semaines de la crise du Covid-19.
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