« Il faut bâtir un système de contrôle des plates-formes et de leurs algorithmes »
Tribune. Aveuglée par le mirage du « capitalisme de plates-formes », mode de production dans lequel un travailleur mal noté par un client peut être déconnecté sans explication, notre société a laissé s’installer un cheval de Troie qui menace notre modèle social. Au cœur de sa matrice, l’opacité d’une « boîte noire » nommée l’algorithme.
Il incombe au législateur de remettre du droit et de définir des mécanismes de protection des travailleurs des plates-formes de travail face à ce contremaître 2.0.
Pour des raisons de sécurité, la puissance publique a su imposer le chronotachygraphe, qui mesure le temps de conduite dans les cabines des chauffeurs routiers. Dès lors, nous proposons que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), autorité indépendante expérimentée et incontestée, puisse pénétrer dans les algorithmes, en dépit du secret des affaires, en certifiant et en contrôlant ceux des plus importantes plates-formes et en produisant des référentiels normatifs par secteurs d’activité auxquels toutes les plates-formes devront se conformer.
Il s’agit peu ou prou d’inventer un « algorithme public » qui contrôle certaines données de l’algorithme privé afin de se conformer au droit : durée du travail, sécurité, santé, règlement général sur la protection des données (RGPD)…
Un pouvoir fort de sanction
Cet élargissement des compétences de la CNIL devra se traduire évidemment par une augmentation de son budget. La nouvelle taxe sur les plates-formes instaurée cette année le permettra.
Aux plates-formes de prouver qu’ils sont bien des indépendants et non à eux de démontrer leur subordination, trop souvent cachée par l’algorithme.
Si l’algorithme est au cœur de la problématique, il est indispensable, en parallèle, de bâtir un système de contrôle des plates-formes et des relations qu’elles entretiennent avec les travailleurs. La création d’une nouvelle autorité indépendante en sera la pierre angulaire. Le rapport Frouin (« Réguler les plateformes numériques de travail », 1er décembre 2020) en a esquissé les premiers contours. Cette autorité agréera les plates-formes de travail.
Elle devra être composée d’inspecteurs chargés de vérifier et de contrôler les mécanismes de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, les modalités de calcul et de versement de la rémunération, le dialogue social, la prévention des risques d’atteinte aux droits et des libertés des travailleurs, des atteintes à l’environnement et de mesurer le degré de vigilance.
Cette autorité devra, évidemment, disposer d’un pouvoir fort de sanction allant jusqu’au refus de l’octroi d’une licence d’activité, voire la suspension ou la cessation de l’activité d’une plate-forme en France.
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