Grèves : où se cachent les travailleurs précaires ?
Les manifestations qui auront mis la France à l’arrêt en ce début d’année, Lorraine (la personne ayant souhaité conserver l’anonymat, le prénom a été changé) les aura surtout vécues devant son poste de télévision.
En CDD de six mois dans une grande maison d’édition, cette jeune Parisienne n’a pas tout de suite envisagé de s’associer au mouvement contre la réforme des retraites : « De toute manière, c’est foutu pour notre génération. » L’utilisation de l’article 49.3 par le gouvernement – « un déni de démocratie » – l’a finalement fait sympathiser avec le mouvement. Mais la jeune femme, qui espère décrocher un contrat stable chez son employeur actuel, n’a jamais envisagé de poser une journée de grève pour aller manifester en semaine à l’appel des syndicats : « Avec mon CDD, ce n’est pas envisageable. »
Dans les rangs des cortèges qui ont défilé dans les rues ces dernières semaines, combien de CDD ou d’intérimaires ont fait valoir leur droit de grève ? « On ne pourrait même pas dire, même si j’ai l’impression qu’il y a plus de mobilisation depuis le 49.3, avoue Mathieu Maréchal, responsable de la branche FO-Intérim. Les intérimaires ne me parlent pas de la réforme des retraites, ils me parlent d’injustice. Ils sont jeunes : pour eux, la retraite, c’est abstrait. »
« Un intérimaire, ça ferme sa gueule »
Même s’ils sont sympathisants du mouvement, les travailleurs précaires préfèrent faire profil bas par peur des représailles, dénoncent à l’unisson les représentants syndicaux interrogés. « Un intérimaire, ça ferme sa gueule, déclare sans ambages Etienne Jacqueau, délégué syndical central CFTC-intérim Manpower. Dans l’intérim, la relation est tellement déséquilibrée que ceux qui lèvent la tête se la font couper. »
A Vesoul (Haute-Saône), sur le site de Stellantis, une dizaine d’intérimaires qui ont fait grève pour dénoncer la réforme des retraites puis obtenir une prime de participation n’ont pas vu leur contrat renouvelé, selon la section CGT PSA Vesoul. « Avant leur débrayage, les intérimaires avaient reçu un SMS comme quoi Stellantis voulait renouveler leur contrat, fait valoir Cédric Fisher, délégué syndical. Le jour du débrayage, ceux qui n’avaient pas signé électroniquement leur contrat ont reçu un autre SMS comme quoi Stellantis voulait arrêter leur mission ! » La direction de Stellantis a démenti ces allégations, faisant valoir qu’une partie des intérimaires grévistes travaillait encore sur le site, rapporte France Bleu.
« C’est assez régulier que les intérimaires aient des problèmes quand ils font grève, admet un membre de la CGT Intérim, qui souhaite rester anonyme. Il est aussi difficile de toucher cette population : souvent, les intérimaires ne sont pas conscients de leurs droits. »
Il vous reste 38.12% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.