Grèves des transports et continuité de l’activité de l’entreprise
Pour nombre de travailleurs intellectuels, faute de pouvoir se déplacer, le travail peut venir à eux grâce au télétravail au domicile ou dans des tiers lieux proches, explique le juriste Jean-Emmanuel Ray dans sa chronique. Mais il ne concerne pas tous les postes, ni toutes les situations
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« Avis d’expert. Droit social ». Les grèves dans les transports publics étant annoncées massives à compter du jeudi 5 décembre, nombre de salariés vont avoir de grandes difficultés à accéder à leur lieu de travail. Et tout le monde ne peut pas venir à vélo ou à trottinette… Face à une « grève externe », que peut faire une entreprise pour assurer la continuité de son activité ? L’enjeu est d’éviter une éventuelle mise en cause de sa responsabilité contractuelle par des clients ou des fournisseurs, faute de démontrer un cas de force majeure (il ne s’agit pas d’une grève EDF pouvant paralyser un site entier).
Si une vaste inondation ou pandémie constitue un cas de force majeure l’autorisant à fermer, puis à récupérer au tarif normal ces heures collectivement perdues dans les douze mois qui suivent, ce n’est pas le cas d’une classique grève des transports publics. Un employeur ne peut donc pas décider de fermer son entreprise ce jour-là en invoquant son incertitude sur le nombre de salariés à leur poste, ou de clients ayant déserté son magasin. Alors chacun cherche à s’adapter, en fonction de l’impact du mouvement social : horaires plus flexibles, prise de jours de congés ou de RTT, voire de jours sans solde.
Mais comment s’organiser si le conflit dure… Pour nombre de travailleurs intellectuels, faute de pouvoir se déplacer, le travail peut venir à eux grâce au télétravail au domicile ou dans des tiers lieux proches. Il est déjà pratiqué officiellement et surtout officieusement. La pandémie H5N1 de 2006 a été l’occasion de généraliser le recours au télétravail : « En cas de circonstances exceptionnelles (…), la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise », indique le code du travail. L’article L. 1222-11 peut aussi s’appliquer en cas de catastrophe naturelle bloquant une ville entière, de pollution particulièrement grave (voir aussi L. 1222-9), et de grève massive des transports.
Qu’apporte-t-il sur le plan juridique ? Alors qu’en principe, le télétravail nécessite légitimement l’accord exprès de chaque salarié concerné, il permet à l’entreprise de l’imposer, dans des conditions parfois précisées par accord collectif (groupe France Médias Monde, 4 septembre 2019 ; Carrefour, 27 septembre 2019).
Effets non attendus
Mais il ne concerne pas tous les postes, ni toutes les situations. Certains emplois ne sont pas « télétravaillables » (ouvrier, vendeuse) et certains risques sont complexes à couvrir (risque électrique, assurance habitation, bon accès Internet…), une telle exportation de données à l’extérieur de l’entreprise ne s’improvise pas. Bien en amont, elle doit donner lieu au montage d’un « plan de continuité », avec exercices de simulation réservant parfois quelques surprises.