En temps de crise, la stratégie de la poursuite d’études
Pour Laura, il était « hors de question » de chercher un emploi à la rentrée, alors que l’économie connaît sa pire récession depuis des années. Etudiante en dernière année de master dans une école de commerce et « acheteuse junior » en alternance dans une chaîne de meubles, cette Parisienne veut mettre toutes les chances de son côté pour ne pas accepter des « emplois aux salaires moins élevés que prévu ». En septembre, elle intégrera un master spécialisé en « achats internationaux » à Kedge Business School, pour se « spécialiser davantage et faire la différence » l’an prochain.
Comme Laura, « en attendant que la tempête passe », certains futurs diplômés préfèrent retarder le moment de l’insertion et continuer leurs études pendant un an, en préparant un deuxième master. Les écoles de commerce, qui proposent des cursus spécialisés dans des secteurs ou des types de fonctions (masters spécialisés, masters of sciences), très axés sur l’insertion professionnelle, en profitent. A l’ESCP, les candidatures à ces programmes d’un an, qui ciblent en particulier les bac 5, ont augmenté de 10 %, et de 8 % à la Kedge Business School. Parmi les candidats à ces programmes, beaucoup de jeunes qui terminent cette année une école d’ingénieurs, et qui se destinaient à des secteurs paralysés par la crise, « tels que l’aéronautique ou l’automobile », remarque Françoise Lassalle-Cottin, directrice des programmes spécialisés à la Kedge. « Ils veulent se spécialiser pour ajouter une corde à leur arc et s’armer pour l’année prochaine », ajoute-t-elle.
Course aux diplômes
Pour répondre à ces candidatures de dernières minute impulsées par la crise sanitaire, les dates d’inscriptions et de rentrées ont été prolongées de quelques semaines dans plusieurs grandes écoles. Myriam, étudiante en master de biologie à l’université de Montpellier, s’est décidée au dernier moment. Apprentie dans une start-up pharmaceutique en faillite depuis le confinement, elle a constaté que ses collègues plus expérimentés avaient des difficultés pour retrouver un emploi. Elle a donc préféré prolonger ses études : à la rentrée, elle s’est inscrite dans un master en marketing et communication, à la Toulouse Business School, en alternance.
Manuelle Malot, directrice carrières à l’EDHEC, estime que le double master est efficace si le deuxième cursus est différent du premier, et s’il « apporte une plus-value au CV ». Mais tous les futurs diplômés de la « génération Covid » ne peuvent se permettre une poursuite d’étude. Outre les frais de scolarités (un master spécialisé peut coûter jusqu’à 15 000 euros), une année d’études supplémentaire pèse lourd pour les familles. Réaliser ces cursus en alternance permet d’alléger significativement la facture – mais encore faut-il trouver un employeur.
Le risque de cette stratégie : la surenchère et la course aux diplômes. Alors que la part de titulaires de masters, au sein d’une génération, ne cesse de progresser (17 % de la génération sortie des études en 2013, selon le Centre d’études et de recherches sur les qualifications) le double diplôme est une « stratégie de différenciation », selon le chercheur et économiste au Céreq Philippe Lemistre. En particulier lorsque le marché de l’emploi se tend. « Faire un deuxième master n’est rentable que si peu d’étudiants le font, et si c’est un phénomène générationnel ponctuel », observe-t-il.
Coronavirus : la jeunesse, victime de la crise économique
Qu’ils habitent à Arras, Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes ou Paris, partout les jeunes qui arrivent sur le marché du travail subissent de plein fouet la grave récession et l’envolée du chômage provoquées par l’épidémie, faisant voler en éclats leurs projets. Si certains diplômés préfèrent prolonger leurs études, d’autres doivent se résoudre à entrer dans la vie professionnelle au pire moment. Le Monde a rencontré cette génération qui raconte sa galère et son sentiment du déclassement.
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