Deliveroo, un ogre à l’équilibre économique fragile
Appelons-la Chen. Elle possède trois restaurants asiatiques à Londres, qu’elle a construits en dix années de travail acharné. Comme l’immense majorité des restaurateurs, elle ne souhaite pas s’en prendre ouvertement à Deliveroo en donnant son nom. « Je suis comme tout le monde, je dépends énormément d’eux », se lamente-t-elle. En Angleterre, les restaurants sont fermés depuis novembre 2020, et seules la vente à emporter et les aides d’Etat lui permettent de tenir.
Cependant, Chen demande à tous ses clients fidèles de venir chercher eux-mêmes les repas, pour contourner Deliveroo et Uber Eats, l’autre plate-forme qui livre ses plats. La première lui prend 30 % de commission, la seconde, 22,5 %. « A ce prix-là, j’ai vraiment du mal à dégager un bénéfice. En plus, je vais être franche, avec eux, je ne peux pas être payée en liquide et je dois tout déclarer. »
Le cas de Chen résume la relation d’amour-haine qui lie les restaurants à Deliveroo (mais aussi à Uber Eats, Just Eat et les autres). La plate-forme britannique, qui entrait en Bourse, mercredi 31 mars, valorisée à 7,6 milliards de livres (8,9 milliards d’euros), est devenue absolument incontournable. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, en mars 2020, les commandes passées sur Deliveroo dans les douze pays où le groupe britannique est présent ont fait un bond de 64 %, à 4,1 milliards de livres.
La malbouffe domine
Pour toute une génération, cet usage est en train de s’enraciner profondément. Selon UBS, qui a étudié le marché de quatorze pays, les moins de 35 ans commandent désormais plus d’une fois par semaine en moyenne sur ces plates-formes de livraison, c’est-à-dire trois fois plus que les plus de 55 ans. L’étude mise sur un doublement du marché d’ici à 2024.
Plusieurs grands fonds d’investissement, dont Aviva et Aberdeen Standard, s’inquiètent des conditions de travail des livreurs, mais aussi des pertes abyssales de la société
La junk food (malbouffe) domine : au Royaume-Uni, Nando’s, une chaîne qui vend du poulet frit, est le numéro un pour Deliveroo, tandis que McDonald’s l’est pour Uber Eats. Le résultat est parfois spectaculaire. Pour deux des restaurants de Chen, situés sur des lieux très passants, les plates-formes de livraison n’ont pas compensé la fermeture aux clients. Le troisième, implanté un peu plus en banlieue, réussit aujourd’hui à enregistrer le même chiffre d’affaires qu’avant la pandémie – mais pas le même profit, en raison des commissions.
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