Comment réussir son récit de vacances au bureau ?

Comment réussir son récit de vacances au bureau ?

Le récit de vacances constitue incontestablement une des principales plaies de la vie de bureau. Répéter en boucle le même argumentaire épiphanique à la machine à café vous fait débronzer vitesse grand V (« On a nagé avec des otaries au soleil couchant. C’était in-cro-ya-ble ! »), l’écouter vous rend hâve encore plus vite. Pourvoyeuses d’informations intimes, vos vacances en disent très long sur qui vous êtes et, en conséquence, leur debrief est hautement stratégique : voilà pourquoi cet exercice est généralement aussi spontané qu’une réaction d’après-match de Didier Deschamps.

Néanmoins, à mon retour de vacances, j’ai pu remarquer que cet exercice obligé (et redouté) semblait être en pleine mutation. Plutôt que de me raconter un dépaysement quelconque aussi surprenant qu’un mobile en bois flotté, un collègue rencontré au hasard d’un couloir m’expliqua comment, durant son séjour estival dans un camping des Rocheuses, il eut à affronter « the pit ». Ce terme, que l’on peut traduire par « le puits » en français, sert à désigner une toilette collective sans évacuation, et « même pas sèche », me précisa-t-il, dans laquelle chacun était invité à venir déposer sa contribution à un gigantesque amoncellement d’étrons. En raison de sa radicalité, j’ai trouvé ce parti pris narratif très original et y ai vu le signe d’un changement d’époque.

Le récit de vacances reposait jusqu’alors sur une sorte de marketing de la petite différence sur fond d’exotisme glamourisé. Vos collègues partaient pour l’île de Ré, vous alliez à Houat. Ils faisaient du déval’kart, vous optiez pour la via ferrata. Vous vous insériez ainsi dans la carte postale commune, mais avec un petit pas de côté qui venait témoigner de votre singularité. Le problème, c’est qu’à l’heure où chacun effectue méthodiquement le même pas de côté, tout le monde finit par se retrouver au même endroit. Alors que Santorin déborde de candidats au selfie en mode collé-serré, on ne peut plus se satisfaire d’un récit de vacances lambda qui se contenterait de dire « j’y étais ».

La sobriété a le vent en poupe

Raconter votre semaine de snorkeling dans le golfe du Mexique ne fera plus rêver personne, mais peser sur vous le soupçon écocidaire. « On comprend que la réticence à voyager pour le plaisir, dans un contexte de crise climatique, puisse avoir d’autant plus de poids qu’augmentent parallèlement les voyages contraints – exils et migrations forcées, ô combien dramatiques », écrit la philosophe Juliette Morice dans Renoncer aux voyages. Une enquête philosophique (Presses universitaires de France, 248 pages, 20 euros).

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LJD

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