Chargeur de trottinettes, ultime tendance des petits boulots
Avec le défilé des trottinettes électriques en libre-service dans les villes, un nouveau job est apparu : celui de « juicer », ou chargeur de trottinettes.
A bord de sa fourgonnette blanche, Yacine quitte Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, pour rattraper le centre de la capitale. Il est 14 heures, jeudi 21 février, et sa journée de travail commence : six heures de chasse aux trottinettes que les clients ont laissées à moitié déchargées, ici ou là, à l’ondulation d’une rue. Six heures à tourner dans les artères de la ville comme un poisson dans un bocal. Saint-Michel, Raspail, Saint-Germain, puis encore Saint-Michel, Châtelet, Rivoli…
Yacine, 39 ans, est chargeur de trottinettes, ou « juicer » – juice signifie électricité en argot anglais. Un nouveau petit boulot de l’ubérisation – la mise en relation, par des plates-formes numériques, de clients et d’indépendants – exposé en France à l’été 2018, quand des sociétés (sept aujourd’hui) ont débuté à enfoncer leurs trottinettes électriques en libre-service dans les villes. Depuis novembre, Yacine œuvre pour l’entreprise américaine Lime, la marque au citron. Il n’est pas salarié, mais auto entrepreneur. Il n’obtient pas de fiche de paie, mais une rémunération journalière qui dépend du nombre de trottinettes assemblées dans la journée, rechargées à son domicile la nuit et redéployées au petit matin.
Yacine n’a pas de directeur, si ce n’est l’algorithme de la concentration Lime sur son smartphone. C’est l’application qui donne la marche à suivre : où trouver les trottinettes, où les replacer, combien elles rapportent (entre 5 et 6 euros l’unité). C’est aussi l’application qui lui donne une note de satisfaction. De cette note dépend le nombre maximal de trottinettes qu’il est autorisé à recharger chaque jour. Un couac, un retard, et ce plafond baisse. La rétribution aussi.
Etudiants ou salariés en quête d’un supplément de revenu
A voir les cernes cachés dans l’ombre de sa casquette, le boulot est épuisant. « On finit tard le soir, on commence tôt le matin, exprime ce père de trois enfants. Et puis c’est physique. Les trottinettes pèsent 20 kg. Je me suis musclé depuis que je fais ça ! » Ses efforts, dit-il, sont « récompensés » chaque matin, lorsqu’il reçoit son dû. Quarante trottinettes – son plafond actuel – rapportent à Yacine autour de 200 euros par jour, auxquels il faut diminuer les charges : la rentabilisation du camion (acheté 3 500 euros), l’assurance, l’essence, l’électricité, les cotisations… A la fin du mois, il lui reste environ 1 800 euros.