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Varier les profils et “démocratiser” les embauches en renforçant les principes républicains

Plutôt que de « retirer l’ENA », l’accès des « formations d’élites » à des publics plus divers doit passer par l’exploration d’autres compétences dans les concours d’accès, défendent les participants à l’Institut de l’engagement.

Annuler l’ENA ? Changer nos élites ? La discussion actuelle a ouvert grand la porte aux envies de pousser la formation de la jeunesse. Concours pénibles d’accès, esprit de compétition et de classement, barrières sociologiques infranchissables, représentation sociale et entre-soi : un big bang est nécessaire. Pendant longtemps, on a cru que le concours était l’infranchissable garant de l’idéal républicain d’égalité. On a mis énormément de temps à se rendre compte que le concours pouvait lui-même entretenir la reproduction des élites ou éloigner insidieusement une partie des jeunes, en fonction de leur origine sociale, voire ethnique.

De ce constat certains retranchent qu’il faut glisser des ségrégations positives au sein des concours existants, voire supprimer les écoles dont les concours s’affirment si peu ouverts. Il existe pourtant une voie pour répondre vite à cette revendication de démocratisation, pour délier ce problème sans détruire, sans abandonner à nos principes républicains, sans tomber de Charybde en Scylla.

La mutation de paradigme passe par la mise en avant d’autres valeurs, celles de la gratitude. L’esprit d’entraide, de solidarité, de coopération doit pouvoir avoir tout autant qu’une bonne note en maths. Il faut faire évoluer l’accès aux formations les plus glorieuses et varier les profils de ceux qui dressent des responsabilités. Cette voie a été délacée discrètement mais solidement par l’Institut de l’engagement et les 150 établissements d’enseignement supérieur qui en sont collaborateurs. De quoi s’agit-il ?

Valoriser la reconnaissance

Pour améliorer la promesse, l’Institut a procréé un concours ouvert à tous les jeunes qui ont accompli leur service civique ou un bénévolat soutenu, mais c’est un concours sur les projets, sur les motivations, sur les parcours. Il a été avéré, avec l’appui de la Conférence des présidents d’université et celui de la Conférence des grandes écoles, comme l’adéquat de leur acceptabilité par des établissements aussi divers que huit instituts d’études politiques (dont Sciences Po Lille), des écoles de management (dont Skema, l’EM Lyon, Audencia, TBS, ESCP-Europe, GEM), des universités (dont Paris-Nanterre).

L’Etat lui-même a ouvert cette parité par des arrêtés ministériels, pour l’accès aux formations des instituts du travail social. Toutes ces universités ouvrent leurs portes à des jeunes qui ne sont pas passés par les voies traditionnelles : ils arrivent d’autres horizons culturels, d’autres origines sociales et ont souvent pris des chemins de traverse dans leur parcours scolaire. Et c’est tant mieux !

Bac 2019 : « L’examen de philo renferme l’élève dans un emplacement hypercritique »

La rédaction de philosophie est l’examen symbolique du baccalauréat. Cet exercice éprouve pourtant d’une grande facticité et ne permet pas aux élèves d’attraper les enjeux philosophiques, déclare le professeur Stéphane Bornhausen.

Lundi 17 juin, l’examen de philo ouvre le bal du bac. Stéphane Bornhausen, professeur de philosophie au lycée Balzac, à Mitry-Mory (Seine-et-Marne), et créateur d’un article sur l’enseignement de la philosophie au lycée dans la Revue du Mauss, déclare que les lycéens ne peuvent pas être bien préparés pour cet exercice. Il déplore que l’enseignement de la philosophie en terminale soit quasi exclusivement tourné vers la rédaction, exercice qui « enferme dans une position hypercritique, autant artificielle que nuisible à un enseignement disciplinaire ».

Dans la « Revue du Mauss », vous mentionnez qu’on « ne donne pas les moyens [aux lycéens] d’affronter l’épreuve de philosophie du baccalauréat ». Pourquoi ?

L’enseignement de la philosophie au lycée s’est bâti autour de l’épreuve de la rédaction, un exercice qui revêt une forme rigide. Elle est un corset dans lequel personne ne peut remuer et éteindre. Et la manière dont l’élève peut, avec ses consciences de fin de terminale, s’approprier cette forme est en fait assez artificiel : comme si on ne convoquait que trois philosophes – au hasard Platon, Kant et Nietzsche – et qu’on les faisait exprimer sur une question qu’ils n’ont jamais posée. Pourquoi faut-il réfléchir sur une question qui n’est là que pour éprouver la perplexité de l’élève ? Pour savoir comment il va arriver, en convoquant des auteurs, à trouver un semblant de réponse ?

Le cours magistral est fréquemment désavantageux pour l’élève, qui veut s’exprimer

Toutefois, la rédaction est devenue un patrimoine non négociable de l’enseignement de la philosophie. Mais face à l’abondance de notions à appeler, le professeur est bien forcé de s’en reconnaître au cours magistral ; celui-ci est souvent nuisible pour l’élève, qui veut se dire. Il résulte aussi de synthèses, de raccourcis dans les thèses sur lesquelles les élèves sont invités à réaliser des fiches. Ils ont l’impression qu’ils ont tout à leur disposition mais ne savent pas les articuler car il leur manque les successions, les médiations.

Les requêtes de la formulation à la française ne permettraient donc qu’à un peloton de tête de s’en sortir, tout en abandonnant une grande partie des élèves sur le bas-côté ?

C’est en effet un exercice analysant et très difficile qui a été pensé, à son ouvrage au XIXe siècle, comme une discipline de l’élite. Elle est très peu adéquate pour les élèves qui, pour la plupart, peinent à en saisir les enjeux et se retrouvent donc avec des mauvaises notes, en dessous de celles qui sont données dans d’autres matières. L’épreuve de philosophie est comme une montagne qui se dresse devant eux. Pour beaucoup, c’est même quasiment une mission impossible.

Les choses sont peu claires sur les revendications. Par exemple : la problématisation – qui doit apparaître dans l’introduction. Il est bien pénible de comprendre en quoi elle consiste pratiquement – même les professeurs ont du mal à l’étaler. Cela me semble juste un artifice rhétorique destiné à servir d’introduction à un débat qui est purement fictif… en donnant l’illusion à l’élève qu’avec les références accumulées dans le cours il développe une raison propre.

Vous révoquez « l’hypercriticisme » qui, selon vous, définit actuellement l’enseignement de la philosophie au lycée. De quoi s’agit-il ?

L’épreuve du baccalauréat consiste le plus souvent à dresser de manière très artificielle les philosophes les uns contre les autres. Comme si, dans chacune des parties de la dissertation, chaque philosophe essayait de détruire – et de surpasser – les philosophies précédentes. C’est d’abord faux du point de vue de l’histoire de la raisonnement philosophique, mais aussi problématique dans la conception de la discipline.

« Pour moi, la philosophie n’a pas de privilège »

Je ne pense pas que le rôle de la philosophie soit de critiquer les autres philosophes, ou de se bloquer dans une posture hypercritique sur tout. Cela donne cette idée fausse de la philosophie comme tribunal ultime de la raison, qui formulerait un verdict sur tout ce qui se fait, sur l’opinion, le discours, la politique. La philosophie est un exercice qui a une valeur en soi, mais ainsi serait-elle en position de surplomb par rapport au reste ? Pour moi, elle n’a pas de privilège.

Mais le cours de philosophie n’est-il pas justement le lieu idéal de la formation de « citoyens éclairés » et du développement de l’esprit critique ?

Je n’ai rien contre l’esprit critique. Je suis juste contre l’hypercriticisme. Tout est affaire de proportion. Avec l’exercice de la dissertation, tel qu’il est pensé et enseigné aujourd’hui, les jeunes sont invités à se montrer hypercritiques envers tout : les médias, les scientifiques, les pouvoirs, le bon sens, etc. Cela part d’une intention louable, si on se situe dans l’héritage des Lumières. Mais poussé à l’extrême, cela mène à la situation qui se déroule sous nos yeux : tout est objet de critique pour les élèves. Mais si tout est critiquable, alors qui croire ? Le dernier mot revient souvent au portable et à Internet, où leur hyperscepticisme les pousse à suivre des sites obscurs et des théories complotistes.

Vous prônez au contraire l’exploration des « méthodes des philosophes » : qu’est-ce que cela signifie ?

L’histoire de la discipline est traversée par toute une série de tensions : les uns interdisent la créativité, la liberté, quand les autres prônent une démocratisation de l’étude de la philosophie avec la pédagogie de normes et de règles. Je pense, quant à moi, qu’il faut s’intéresser à ce qui fait la valeur de la philosophie à mes yeux : elle est, pour chaque philosophe, une « expérience », un projet qui est désigné d’un bout à un autre et qui est conduit à affronter un certain nombre de difficultés.

Pour répondre à des problèmes, chaque philosophe a sa méthode. Platon, au moment où la logique n’est pas encore composée, s’appuie sur la « techné » : avec lui ce sont les exemples empruntés aux arts qui admettent d’apercevoir une réponse aux questions qu’on se pose. C’est une découverte, une méthode ingénieuse qui est offerte au lecteur.

Qu’est-ce que cela engage dans l’enseignement ?

On ne peut pas se limiter à une représentation de la philosophie comme d’un édifice qui tient par miracle, comme une grandeur mystérieuse. Elle ne doit pas rester mystérieuse. Il s’agit donc de présenter aux élèves des activités, pour qu’ils refassent des étapes-clés du trajet du philosophe et qu’ils saisissent qu’il y a une amélioration dans la pensée.

Ces exercices admettront aussi de les impliquer dans le cours. Cette manière de revenir aux fondamentaux, de franchir le « comment » de la construction des thèses des philosophes, ne signifie pas pour autant réduire la créativité. Au contraire. Connaître les fondations d’une méthode, c’est pouvoir l’adapter, la transposer, la penser. Et cesser le combat stérile des thèses.

Cibles de leur réussite sur Parcoursup, les écoles d’infirmiers doivent administrer la forte demande d’adhésion.

Les établissements vivaient pour la première fois inclus dans la plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur. Plus de 100 000 postulants doivent se répartir 31 000 places.

C’est l’ébahissement de l’année, sur Parcoursup. Alors que nombreux établissements hospitaliers se déplorent, en ce moment, d’avoir des complications à embaucher des infirmiers, en raison des conditions de travail et des rétributions insuffisantes, les écoles qui forment ces professionnels sont prises d’assaut sur la plate-forme d’accès dans l’enseignement supérieur. Un enthousiasme qui contredit ceux qui s’inquiètent d’un désamour généralisé pour ce métier éprouvant.

Avec 1,5 million de vœux et de sous-vœux (soit 21,7 % du total), les institutions de formation en soins infirmiers (IFSI), pour la première fois conquis cette année au régime de Parcoursup, y font une entrée tonitruante. Ils constituent la filière la plus sollicitée, devant le droit et la première année commune des études de santé (Paces).

On compte ainsi plus de 100 000 postulants infirmiers parmi les quelque 900 000 candidats inscrits sur la plate-forme. Ils devront se distribuer, au terme du processus de sélection, 31 000 places réparties dans 326 instituts. Cet engouement n’est pas sans conséquence. Les listes d’attente sont longues, très longues. « Il y a eu beaucoup de panique et de stress », déclare Bilal Latrèche, le président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi).

Après un long délai, Lucille Dias a été définitivement admise dans les écoles de l’académie de Toulouse. Toutefois, elle n’y croyait pas. Le jour des résultats, le 15 mai, aucun de ses vœux n’avait été confirmé. Elle était partout sur liste d’attente. « J’étais effondrée. C’était une vraie claque », raconte la jeune femme de 19 ans, qui travaille depuis plusieurs mois en tant qu’aide-soignante.

Pétition

Sur les réseaux sociaux, plusieurs candidats aux IFSI se sont émus de ces listes d’attente à rallonge. En particulier ceux issus des prépas, pensant que ce serait un sésame suffisant. « Ma fille est sur liste d’attente partout, alors qu’elle a suivi une préparation à la formation d’infirmière », s’agace Céline Mattielli, détrompée. Près de 3 000 euros déboursés pour n’être finalement prise nulle part, la pilule ne passe pas.

Un groupe d’étudiants a même lancé une demande adressée au ministère de l’éducation nationale. Elle réunit plus de 11 000 signatures. Ces mécontents interpellent l’engagement pris par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, d’améliorer les prépas dans l’examen des dossiers. « Valorisées mais pas données prioritaires », retient Sylvie Thiais, conseillère pédagogique régionale de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France. Le ministère garantit de son côté que les élèves en prépa ont reçu plusieurs réponses favorables que les autres candidats.

 

« L’ENA doit admettre de bâtir une dominante fonction publique paritaire »

Les membres du bureau de l’association ENA 50-50 émettent une série d’offres qu’ils désireraient voir optées à l’occasion de la réforme en cours de l’ENA.

Alors que la haute fonction publique fait le concept de plusieurs critiques, la discussion autour de sa modification et de la suppression de l’ENA s’est focalisée ces derniers mois sur les demandes de différence sociale et géographique, laissant de côté celle de l’égalité femmes-hommes. Ainsi, si la lettre de mission de Frédéric Thiriez – l’ancien président de la Ligue de football professionnel, choisi par le Président de la République pour changer la haute fonction publique – met en avant la nécessité de « mettre fin aux biais de sélection qui entravent l’accès à la haute fonction publique de talents issus d’horizon divers », elle ne mentionne la parité que de manière incidente, en vue de dynamiser les parcours de carrière des agents. Pourtant, comment accéder l’égalité femmes-hommes dans l’accès aux emplois supérieurs de l’Etat sans faire la question de la formation des hauts fonctionnaires et de la parité au sein des viviers ?

Le fait est connu – et nous l’avions rappelé en décembre 2018. A l’entrée à l’ENA, les femmes demeurent minoritaires, avec seulement 36,25 % des admissions en 2018 et 38,75 % en 2017. A la sortie, elles sont moins abondantes à se mener vers la diplomatie (2 femmes sur les 12 postes ouverts ces trois dernières années) ou la préfectorale (7 femmes sur 24 élèves ayant élu le ministère de l’intérieur durant la même période), et cela sans parler des inégalités qui demeurent dans l’accès aux « grands corps » (depuis 2017, seules 3 femmes sur 15 élèves sont sorties à l’Inspection générale des finances). Après, elles n’occupent que 28 % des emplois de l’encadrement supérieur et conduisant de la fonction publique d’Etat.

Divers mesures mis en place ces dernières années ont essayé d’y corriger. Depuis 2016, l’ENA sensibilise les jurys des concours d’entrée aux biais sociaux et à la lutte contre les discriminations. Notre association, ENA 50-50, a mis en place depuis trois ans un mécanisme de coaching des candidates afin de lutter contre l’autocensure. Au sein de la fonction publique d’Etat, la loi Sauvadet de 2012 a exigé des règles de nomination équilibrée aux emplois supérieurs et de direction (40 % de primo-nominations de chaque sexe depuis 2017).

Malgré cela, force est d’enregistrer qu’à l’heure actuelle, ces mesures restent insuffisantes. La réforme de la haute fonction publique expliquée par Emmanuel Macron fournit un évènement unique de faire de l’égalité femmes-hommes un principe structurant. A l’inverse, il serait inconcevable et contraire aux engagements de la France à l’international, ainsi qu’à l’ambition du gouvernement, que, faute d’avoir assimilé à son analyse l’égalité femmes-hommes, déclarée grande cause du quinquennat, une telle réforme renforce les différences déjà existantes.

Crise de l’ENA en 1979

Le professeur de gestion Mario d’Angelo rappelle, que la suppression de l’ENA et des grands corps de l’Etat existait déjà dans les offres du sociologue Michel Crozier pour une réforme de l’action publique, il y a quarante ans.

La nouvelle annonce présidentielle de retirer l’Ecole nationale d’administration (ENA) et les « grands corps » de l’Etat rétablit sur le métier une réforme souvent rappelée par le passé, dont les sources datait en fait à 1979.

Il y a quarante ans en effet, le sociologue des organisations Michel Crozier (1922-2013) proclamait un essai désigné On ne change pas la société par décret (Grasset, coll. « Pluriel »). Il y trace les bordures d’un « vrai changement », apercevant surtout de changer les grandes écoles et leurs classes préalables (les « prépas »), de retirer l’ENA, les grands corps de l’Etat et les concours de la fonction publique.

Des conduites de déviation

L’auteur de ces offres était alors déjà internationalement connu pour ses analyses de la bureaucratie présentées dès 1964 aux Etats-Unis et en France, et pour son essai La société réunie (1970), qui avait fermement inspiré le courant réformiste en France.

Une relecture de Crozier reste donc d’actualité, non uniquement par rapport à la cession de l’ENA mais, plus amplement, par rapport à la capacité d’ajuster le mode d’action publique en France.

Les thèses de Crozier immobilisent sur le constat essentiel que la société française se définit par des comportements d’évitement. Aux rapports de face-à-face, à la communication directe, les Français favorisent l’administration par les prescriptions impersonnelles. Cette impersonnalité satisfait d’abord les aspirations d’égalité et la peur de l’arbitraire d’un décisionnaire trop proche. On exclut ainsi la possibilité de soutenir des solutions distinguées en fonction des problèmes.

Pour l’auteur du Phénomène bureaucratique (1963), ce mode de fonctionnement affermit dans la machine politico-administrative une concentration qu’il caractérise par les prises de décision espacées du niveau où se posent les problèmes, soit que ces niveaux sont dénués pour le faire, soit qu’ils n’osent prendre des décisions et en endosser l’implication de peur d’être rattrapés par des circuits parallèles qui s’adressent immédiatement au sommet du système.

Le besoin d’égalité en cause

Crozier contemple que c’est l’exigence d’égalité qui a nourri cette stratification poussée entre des niveaux entourés les uns aux autres. Une bonne illustration en est donnée par les concours de la fonction publique. Bases du recrutement public, ils veulent garantir l’égalité et le moins d’arbitraire possible en soutenant sur de la connaissance standardisée, et ne permettent par conséquent que peu de portée aux capacités et potentiels des candidats, principes de sélection résolus trop subjectifs.