Sarah Bouteldja, la décrocheuse devenue manageuse
Assise à la terrasse d’un restaurant parisien en cette fin d’après-midi de juillet, Sarah Bouteldja remonte le temps. A la recherche de souvenirs. La trentenaire prend conscience du chemin parcouru. Lorsqu’elle l’évoque, on a l’image d’une route sinueuse, semée d’embûches, mais qui ne l’a pas empêchée de devenir ce qu’elle est et de « suivre une voie qu’elle avait elle-même choisie », comme le résume sa tante.
Avant de trouver cette voie, Sarah a eu une période un peu « rebelle », selon ses mots. Après qu’elle a redoublé sa classe de 4e, sa mère décide de l’inscrire en 3e « insertion professionnelle » dans un collège privé de Nantes, où elle vit depuis sa naissance. Sarah obtient ensuite un BEP secrétariat « sans trop d’efforts », se souvient-elle, avant de poursuivre vers un bac professionnel dans le même domaine. « Mais je pensais plus à sortir avec mes copines… En cours, je me laissais porter, je n’avais pas de vocation particulière. » Flavie, une amie de longue date, confirme : « Pendant le bac pro, elle allait rarement en cours, elle n’avait pas encore pris conscience de l’importance des études pour la suite. »
Le décrochage
A ce moment-là, Sarah quitte le domicile familial pour vivre chez les parents de son compagnon de l’époque. De fil en aiguille, elle finit par décrocher complètement et cherche autre chose. Elle s’essaie d’abord à un autre bac professionnel, en alternance, dans la vente cette fois-ci. Mais elle déchante rapidement et abandonne avant de l’obtenir. Malgré une autre formation, proposée par le conseil régional, dans la vente également, un peu plus concluante cette fois, elle ne parvient pas à travailler dans une boutique du centre-ville de Nantes, comme elle aurait aimé.
La jeune femme de 20 ans trouve alors un emploi en tant que téléprospectrice. Elle y découvre la réalité d’un monde où prime la performance. « Nos chiffres étaient affichés devant tout le monde, celui qui faisait les meilleurs était récompensé, le moins bon partait passer un sale quart d’heure avec le chef », raconte-t-elle. Elle y travaille deux ans, s’investit pour obtenir un contrat à plein temps. Jusqu’au déclic.
Martine Bouteldja, sa tante, s’en souvient très bien : « Un jour elle m’a appelée, catastrophée, avec une seule phrase à la bouche : “Je vais finir comme elles”… » « Elles », ce sont les collègues de Sarah. Sans les dénigrer, la jeune Nantaise se rend compte que les perspectives d’évolution sont faibles. En plus de cela, au même moment, elle se sépare de son compagnon après une relation de plus de quatre ans. « Je me suis retrouvée au chômage, en sous-location après ma rupture. J’avais plus rien, j’étais face à moi-même. Je me suis dit que c’était le moment de me reconstruire. Il fallait bien que je me raccroche à quelque chose, que je vise plus haut. »
Le déclic salvateur
A 22 ans, Sarah opère un virage à 360° et retourne sur les bancs de l’école. Elle vise cette fois un bac professionnel en alternance. « Elle avait expérimenté le monde professionnel, et surtout l’indépendance financière, je pense qu’elle voulait continuer », raconte son amie Flavie. A plusieurs reprises, quand Sarah évoque cette période, elle dit s’être « réveillée ». La jeune femme envoie de nombreuses candidatures. La filiale d’Engie chargée de la distribution de gaz, GRDF, la rappelle. Elle passe l’entretien pour être conseillère clients, et est reçue.
Débute alors une vie partagée entre Nantes, où elle travaille, et Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), où se trouve l’établissement partenaire de GRDF et où Sarah s’inscrit en bac professionnel accueil-relations clients et usagers. Malgré le décalage avec ses camarades, plus jeunes, qui se fait parfois ressentir, et la vie dans une petite ville rurale éloignée de ses proches, elle s’investit beaucoup. « Quand elle révisait, elle était à fond, même si on lui proposait des sorties », se remémore Flavie.
Résultat, elle valide son bac mention très bien ! « J’ai conscience que j’ai eu beaucoup de chance, que j’ai été bien entourée, dit-elle. Il n’y a pas eu que des moments faciles, mais c’est une énorme fierté d’avoir décroché ce bac. » En prime, GRDF lui propose de l’embaucher. Cette fois-ci, au lieu d’une voie toute tracée qu’elle n’a pas choisie, Sarah a face à elle un carrefour : deux chemins s’offrent à elle. Elle choisit de renoncer au CDI et de poursuivre ses études.
Sur les rails d’un nouveau projet
La voici sur les rails d’un nouveau projet : obtenir une licence pour pouvoir prétendre à des postes plus épanouissants. Avec l’aide de sa tante, conseillère d’orientation, elle trouve l’école Vaucanson à Paris, qui propose à des titulaires de bac pro sélectionnés sur dossier et tests de réaliser une licence en alternance. « J’ai lu le descriptif de l’école sur Internet et j’ai su que c’était fait pour moi », tranche Sarah. Quand elle a appris qu’elle était prise, ce fut un grand moment d’émotion pour elle, ainsi que pour sa mère et sa tante qui l’avaient accompagnée. « Elle a réalisé à cet instant-là que ses efforts avaient payé », constate Martine.
Sarah intègre ainsi la licence management de l’école, où elle découvre une nouvelle pédagogie par projet dans un groupe de 13 étudiants. En parallèle, grâce à la bonne impression qu’elle a laissée après sa licence, GRDF lui propose un poste d’alternante à Paris. Marion Flament, sa tutrice dans l’entreprise, se souvient d’une jeune femme sans cesse en quête d’informations nouvelles pour parfaire ses compétences : « Au départ, elle avait du mal à assumer le rôle managérial qu’on lui avait confié, elle ne se sentait pas forcément légitime. Mais elle a fait un gros travail sur ça et l’évolution a été significative. »
Aujourd’hui, Sarah travaille toujours chez GRDF. A la suite de son alternance, elle a continué au poste de conseillère clientèle senior, puis a été promue animatrice de plateaux. Autrement dit, elle a sous sa responsabilité une vingtaine de conseillers. Elle a même été la tutrice d’une salariée. Sabrina Chatenet, sa responsable actuelle, a d’ailleurs été impressionnée par son investissement auprès de sa tutorée. Pour Sarah, c’est une preuve certaine d’accomplissement. « Il faut donner de la valeur au chemin parcouru, même si j’aurais parfois voulu me réveiller plus tôt, quand je vois où je suis aujourd’hui… »
Alors, même si aujourd’hui Sarah est une jeune femme accomplie, selon ses proches, sa route ne s’arrête pas là. Sabrina Chatenet la voit monter les échelons. Sa tante en est également persuadée : « Elle n’en est qu’au début. »
Lire aussi : Portrait de Victor François : du bac techno à Polytechnique