Le plus grand obstacle à la réussite est l’autocensure

Thomas Pesquet, à bord de la Station spatiale internationale, quelque part au-dessus de la Terre, le 30 mai 2017. EUROPEAN SPACE AGENCY / AFP

 

Lycéens, étudiants, professeurs, parents, jeunes diplômés… Marseille, Nancy, Paris et Nantes pour de nouvelles éditions des événements O21 /S’orienter au21siècle. Des conférences et des rencontres inspirantes pour tracer son avenir et trouver sa voie. 

Thomas Pesquet ne rêvait pas, enfant, de décrocher la lune. Mais il ne s’est rien exclu, en accrochant les occasions lorsqu’elles se présentaient, multipliant les expériences. Un parcours hors norme qui, au final, a fait la différence, tout comme ses « soft skills », ses compétences en savoir-être.

Etes-vous surpris d’être devenu astronaute ?

Avec un peu de  recul, oui, je suis en effet surpris d’en être arrivé là. S’il avait fallu faire des paris, je crois que je n’aurais pas pointé sur moi. Ce n’était pas écrit sur mon berceau que j’allais devenir astronaute. Mes grands-parents étaient agriculteurs tous les deux, des deux côtés. Mes parents, institutrice et professeur. J’ai pris l’avion pour la première fois à 20 ans, après mes deux années de classes préparatoires, et aucun membre de ma famille n’avait le moindre lien avec le monde de l’aéronautique et du spatial.

De même, jusqu’à l’instant du décollage [du vaisseau spatial] et même juste avant d’arriver dans la Station spatiale internationale, j’étais déterminé qu’il allait se passer quelque chose. Peut-être était-ce un mécanisme de protection pour amortir un peu la pression, mais je me suis dit : « Ça va rater. C’est trop énorme ce qui est en train de m’arriver. » En fait non, ça n’a pas raté !

A quel métier rêviez-vous?

Comme nombreux de petits garçons et petites filles, être un grand sportif me faisait rêver. Pour moi, c’était le basket, je voulais être Michael Jordan ! Malheureusement, j’ai vite compris que ça allait être compliqué. Plus tard, vers 16 ans, j’ai rêvé de devenir pilote, j’avais des posters d’avions dans ma chambre. Astronaute, je trouvais cela sympathique mais tellement lointain, un peu comme champion du monde de foot. Je n’avais aucune connexion avec ce monde-là.

Pourquoi attester aujourd’hui pour aider les 16-25 ans à trouver leur chemain ?

Je me rappelle à mes 16 ans face à une personne qui me demande ce que je veux faire dans la vie, et moi, je ne sais pas. Cela dépend de tant de choses. A cet époque, on n’a pas les armes pour savoir ce qui nous plaît à 100 %. C’est un instant très difficile, qui génère énormément de stress. On a l’impression qu’on doit déterminer toute sa vie.

Or ce n’est pas le cas. Je veux donc leur dire : « Déstressez un peu ! » Ce n’est pas une décision que vous allez prendre aujourd’hui qui va être pour toute la vie. Avec le temps, vous allez vous rendre compte que la vie n’est pas une ligne droite et qu’une multitude de bifurcations est possible. Vous pouvez être heureux dans différents métiers. Il s’agit d’essayer les choses et, si cela ne marche pas, il sera toujours temps de changer.

Vous avez multiplié les expériences pour vous trouver : ingénieur aéronautique chez Thales, après au Centre national d’études spatiales, pilote de ligne, puis instructeur chez Air France. C’est ce que vous conseillez ?

Mon conseil pour les jeunes d’essayer beaucoup de choses différentes, en effet. Il faut tout tenter et, surtout, oser. Le plus grand mécanisme d’obstacle à la réussite est l’autocensure.

Je l’ai vu lors d’un concours chez Air France pour devenir pilote. Ce concours gratuit donne accès à une formation entièrement payée par la compagnie. Les candidats le réussissant sont logés et nourris, une occasion formidable ! Le jour du concours, alors que je pensais que nous serions 50 000, nous sommes à peine 1 000. Evidemment, tout le monde n’a pas envie de devenir pilote, mais je me suis tout de même demandé : n’y a-t-il pas plus de 1 000 personnes en France qui désirent suivre une formation gratuite pour devenir pilote ? Evidemment que si.

On peut imaginer que certains n’ont pas eu l’information, d’autres ont pu se dire : « Je n’y connais rien », « Ce n’est pas pour moi », etc. Cette autocensure est, selon moi, le pire qui puisse arriver dans la vie. Il ne faut pas hésiter à s’inscrire, même à des choses qui ont l’air compliquées. C’est trop dur ? Si on rate, ce n’est pas si grave. Qui sait ce qui peut arriver ? Cela va peut-être provoquer quelque chose d’autre.

Pour avoir accès à ces occasions, vous avez bien travaillé à l’école. « C’était le deal » avec vos parents, dites-vous. C’est un message important à transmettre…?

Bien bosser à l’école, c’est une clé. Ce n’est pas la seule, bien sûr, mais c’est un vrai tremplin, un accélérateur social, j’en suis l’exemple premier. Je ne suis pas là pour faire la publicité de l’éducation nationale, mais j’ai eu toutes ces ouvertures grâce au système éducatif.

On ne travaille pas pour faire plaisir à ses professeurs ou à ses parents. On travaille pour se donner plus de chances. Les études peuvent nous lancer sur des trajectoires qui permettent d’accéder à beaucoup mieux. Si j’ai pu passer mon brevet de pilote privé, c’est parce que j’étais dans une école d’ingénieurs en aéronautique. Si j’ai pu voyager, c’est parce qu’il y avait des échanges mis en place avec l’étranger. Ce ne sont pas des choses que j’aurais pu faire tout seul dans mon coin ou que mes parents auraient pu me payer.

Dans ce monde qui bouge vite, on conseille aux jeunes de développer leurs « soft skills », ces capacités dites « non scolaires », appelées « bas du CV ». Qu’en pensez-vous ?

Oui certainement, c’est ce « bas du CV » qui m’a permis de devenir astronaute. Sans ce que j’ai fait après l’école, je n’aurais eu aucune chance lors de la sélection. Presque tous les jours, c’était entraînement de judo, de basket, cours de saxophone, ensemble musical, etc. Natation le vendredi, match le samedi. J’ai appris beaucoup de choses importantes après 17 heures. Ce sont d’ailleurs mes parents qui m’ont permis cela, en parcourant des milliers de kilomètres en voiture pour m’emmener partout.

Le bas du CV, ce ne sont pas des cases à remplir pour avoir un travail. Ce sont des activités que l’on aime : du sport, de la musique, un engagement dans une association, des châteaux de cartes… En les pratiquant, on n’acquiert pas de connaissances strictement académiques mais tout un tas d’autres savoirs très importants.

En quoi est-ce utile pour la suite ?

Les sports collectifs, à titre exemple, apprennent tout à la fois la compétition et l’esprit d’équipe. Que fait-on si on est le plus nul de l’équipe ? Ou si, au contraire, on est le meilleur et on trouve que tous les autres ne sont pas assez bons ? Tous ces questionnements, un jeune va y être confronté dans sa vie active. Le sport individuel, lui, apprend le dépassement et la persévérance. Même à l’époque d’Internet, il ne suffit pas de passer trois heures sur YouTube pour maîtriser le saxophone. Il faut surtout  pratiquer quatre ans, à raison de trois quarts d’heure par jour.

Un jeune est une « éponge » qui absorbe, sans s’apercevoir, à une vitesse phénoménale. Cela ne dure pas toute la vie, il faut donc en profiter et s’exposer à toutes ces expériences pour en retenir le plus possible. Les classements à l’école se font sur les notes, et non sur les capacités humaines, le leadership ou l’esprit d’équipe. C’est compréhensible. Mais, dans la vie active, les critères changent. Les capacités humaines peuvent parfois même prendre le pas sur les capacités purement intellectuelles ou académiques.

Sur 8 413 candidats, seuls 6 astronautes ont été choisis en 2008 par l’Agence spatiale européenne. Savez-vous pourquoi vous avez été pris ?

Je n’ai pas eu de débriefing précis, mais j’ai ma petite idée. On n’a pas besoin de cow-boy ou de héros pour la conquête spatiale, mais de gens qui savent travailler en équipe. Pour rester six mois dans la Station spatiale internationale à gérer la promiscuité, les nombreuses tâches à réaliser et l’éloignement de chez soi, il faut être un joueur d’équipe. Il faut savoir s’entendre, communiquer, être aussi patient et calme.

Ces qualités priment dans ma spécialité, mais elles sont importantes dans tous les métiers. Ce n’est pas important d’être le plus intelligent tout le temps. Je ne l’ai jamais été, sauf peut-être en maternelle, et encore ! En revanche, cela ne me pose aucun problème de travailler avec les autres.

Aviez-vous un plan B ? Comment, en cas d’échec, apprendre à rebondir ?

Si je n’avais pas été pris comme astronaute, je serais revenu chez Air France. J’étais pilote instructeur et cela me plaisait. Je n’en avais clairement pas exploré toutes les possibilités et j’avais des projets pour ma vie personnelle.

J’ai appris qu’il ne faut surtout pas être obnubilé par une seule chose. Si j’ai un message à transmettre, c’est celui-là. Dans toutes les sélections auxquelles j’ai participé, il y avait des personnes qui étaient, mangeaient, dormaient astronautes. Ils savaient tout par cœur, ils avaient tout lu, tout écrit, tout regardé. Ils avaient orienté leur vie entière vers cet objectif. Bizarrement, ces personnes-là n’ont jamais été prises.

Face à ce type d’attitude, sans vraiment de prise de recul, on peut légitimement se demander : que signifie n’avoir qu’une chose qui nous plaît dans la vie ? Il faut avoir des plans B. C’est une illusion de se dire « je ne peux être que pilote ou pompier, sinon ma vie ne vaut rien ». Ce n’est pas vrai, c’est une construction de l’esprit. Plus généralement, il n’y a pas que la vie professionnelle, dans la vie. Il est nécessaire d’avoir d’autres intérêts qui s’équilibrent.

L’historien Yuval Noah Harari souligne, dans « 21 leçons pour le XXIe siècle » (Albin Michel, 384 p., 23 €), l’importance de transmettre aux jeunes des compétences telles que « la capacité d’affronter le changement et de préserver notre équilibre mental dans des situations peu familières »…

L’équilibre mental est une clé, tout comme la capacité à s’adapter. Il s’agit de pouvoir rester soi-même en toutes circonstances. Dans ce monde où les changements technologiques sont rapides, la génération qui vient va devoir changer de métier souvent. Il faut s’y être préparé et, être constitué des racines, un socle. Une base sur laquelle on peut se construire.

Vous avez fait face à une compétition impressionnante. Quels conseils donneriez-vous à tous les jeunes qui vont entrer dans l’univers compétitif du monde du travail ?

Nul ne peut nier que le monde du travail est compétitif et que c’est difficile. Mais regardez la course à pied : c’est compétitif parce qu’on est classé, mais c’est aussi très convivial. Les gens s’entraident parce que, au final, on court contre soi-même.

La vraie compétition, dans la vie active, est avec soi-même : qu’est-ce qu’on peut faire de mieux ? Difficile à dire, car nous ne sommes pas des très bon juge de nous-même. Il ne s’agit pas d’avoir le boulot le plus lucratif, s’il nous rend malheureux. Où est-ce que l’on sera le plus heureux ? C’est cela qu’il faut maximiser. Le reste se mettra en place tout seul.

Vous avez été un astronaute connecté. Avez-vous un conseil pour la jeune génération, très portée sur les réseaux sociaux ?

Ce n’est pas simple de résister aux sollicitations constantes quand le téléphone est dans votre poche et que cela permet de s’évader à un réel pas toujours marrant. Mais la vie, ce n’est pas Instagram. Dans la Silicon Valley, ceux qui créent ces programmes font en sorte que leurs enfants passent le moins de temps possible sur les écrans. Je n’ai pas de leçons à donner, mais s’il y avait eu des smartphones quand j’avais 18 ou 20 ans, je ne sais pas si j’aurais eu le même parcours. Car il m’a demandé beaucoup de travail et un peu d’abnégation.

Compensations prud’homales : le plafonnement une autre fois jugé contraire au droit international

Conseil de prud’hommes de Toulouse.
Conseil de prud’hommes de Toulouse. ERIC CABANIS/AFP
Des juges sont-ils entrés en désobéissance contre les ordonnances de septembre 2017 sur le code du travail ? Pour une autre fois en quelques jours, un tribunal a évalué contraire aux engagements internationaux de la France une des mesures symboliques de cette réforme : le seuil des indemnités convenues par la justice à un salarié victime d’un « licenciement sans cause réelle et sérieuse ». C’est le conseil de prud’hommes d’Amiens qui a rendu cette décision, le 19 décembre 2018, comme le mentionne le site d’informations Actuel RH. Le jugement, ressemble à celui rendu six jours auparavant par les conseillers prud’homaux de Troyes. Il a pour effet d’écarter une disposition à laquelle Emmanuel Macron est très attaché puisqu’elle figurait dans son programme de campagne.

L’affaire tranchée à Amiens concerne Fidèle T., employé dans un commerce d’alimentation générale. Celui-ci avait saisi les prud’hommes en février 2018 après avoir su que son chef voulait le licencier pour faute grave. Les juges ont considéré que la rupture du contrat de travail était abusive et qu’il fallait dès lors dédommager le salarié pour le préjudice subi. Or, ont-ils rappelé dans leur décision, la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) indique qu’une juridiction nationale, en cas de congédiement injustifié, doit pouvoir ordonner l’octroi d’une « indemnité adéquate » ou toute autre forme de réparation « appropriée ».

Dans le cas de Fidèle T., l’échelle prévoit « une indemnité à hauteur d’un demi-mois de salaire », selon le conseil de prud’hommes d’Amiens. Cette somme ne peut être vue « comme étant appropriée et réparatrice ». A l’appui de leur preuve, les juges soulignent que « dans le cadre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié subit irrémédiablement un dommage (…), d’ordre psychique mais également (…) financier » puisque ses revenus baissent de façon consistante, une fois qu’il est privé d’emploi.

Donc, pour les conseillers prud’homaux d’Amiens : les textes issus de la réforme de 2017 « sont contraires à la convention 158 de l’OIT » et l’entreprise est appelé à verser à un dédommagement de 2 000 euros, soit un montant dont les juges sous-entendent qu’il est supérieur à ce qui est fixé dans les ordonnances.

Précision sérieuse : le jugement du 19 décembre 2018 a été rendu par une formation dans laquelle siégeaient deux conseillers salariés et deux conseillers employeurs, ce qui veut dire que l’un de ces derniers, au moins, adhérait à l’analyse juridique développée dans la décision.

« Résistance des juges »

« Avec deux jugements successifs qui utilisent la même argumentation, on commence à pouvoir parler de résistance des juges, commente Pascal Lokiec, professeur à l’école de droit de La Sorbonne. Cette résistance est d’autant plus sérieuse et, pour moi, fondée que le raisonnement qui conduit à écarter le barème est très solide, peut-être même imparable, à savoir l’impossibilité qu’ont désormais les juges prud’homaux de réparer de manière adéquate le préjudice d’un salarié injustement licencié. » Aux yeux de Pascal Lokiec, des conseillers prud’homaux ont aujourd’hui le sentiment que les plafonds d’indemnisation, inscrits dans la loi, représentent « un obstacle à l’exercice de leur fonction de juger, dont on peut rappeler le caractère fondamental dans tout Etat de droit ». Ils sont en quelque sorte « bloqués, bridés dans ce qui constitue l’un de leur rôle essentiel : la réparation du préjudice ».

Vu la sensibilité du sujet, les affaires d’Amiens et de Troyes ne vont absolument pas en rester là. Les cours d’appel puis la chambre sociale de la Cour de cassation auront à se prononcer. Cette perspective est d’autant plus probable, s’agissant du dossier de Fidèle T., que la décision semble présenter au moins une déficience : selon un spécialiste du code du travail, la législation n’instaure pas « de plafond égal à un demi-mois de salaire », contrairement à ce qu’écrivent les conseillers prud’homaux d’Amiens.

De même, la jurisprudence, à ce stade, n’est pas univoque. Dans un autre litige entre un salarié et son employeur, le conseil de prud’hommes du Mans avait été amené à se pencher sur la conformité du barème aux conventions internationales. Sa réponse, en septembre 2018, avait été exactement à l’opposé de celles des prud’hommes de Troyes et d’Amiens : pour lui, les normes élaborées en 2017 par le législateur respectent la convention de l’OIT.

Le ministère du travail avait fait valoir, à la mi-décembre 2018, que les arguments étendus dans la décision prud’homale de Troyes avaient déjà été soupesés lors d’une requête en référé devant le Conseil d’Etat et que ce dernier les avait balayés, fin 2017. Le ministère avait ajouté que le jugement rendu à Troyes soulevait « la question de la formation juridique des conseillers prud’homaux ». « Propos insultants », ont réagi le président et le vice-président du conseil de prud’hommes de Troyes, dans un communiqué. Patrice Huart (du collège salarié) et Alain Colbois (pour la partie patronale) ont écrit aux services de Muriel Pénicaud et au ministère de la justice « pour rappeler à l’ordre, voire à la loi, les responsables de ces dérives ». « Nous n’avons pas eu de réponse pour le moment », confie M. Huart. De son côté, le Syndicat des avocats de France (SAF) est résolu à poursuivre le combat contre le barème des ordonnances Macron, à l’occasion d’autres contentieux portés devant des juridictions. Pour lui, la situation du Conseil d’Etat est contestable et ne clôt pas du tout les débats. La guérilla judiciaire ne fait donc que débuter.

Sans-emploi : une vérification à contre-emploi

La constance du chômage de masse en France a fait du contrôle des demandeurs d’emploi un thème politique médiateur, qui a poussé plusieurs gouvernements à en faire un cheval de bataille sans que les résultats soient forcément au rendez-vous. L’actuel pouvoir exécutif s’est engagé dans une nouvelle réforme, qui a déclenché la première polémique de l’année.Un décret, paru dimanche 30 décembre au Journal officiel, ayant trait « aux droits et aux obligations » des chômeurs, ainsi qu’« au suivi de la recherche d’emploi » annonce ainsi un changement plus sévère des sanctions prononcées contre un inscrit à Pôle emploi qui contrevient à ses devoirs.

Rater un rendez-vous avec un conseiller de Pôle emploi sera dorénavant puni, la première fois, d’une radiation et d’un arrêt de l’allocation pendant un mois. C’est deux fois moins qu’actuellement, mais le fait que le gouvernement, qui avait envisagé dans un premier temps que la sanction soit de quinze jours, ait rallongé cette durée a donné l’impression d’un durcissement du dispositif. Celui-ci est simplement bien réel pour d’autres manquements, par exemple la recherche insuffisante de postes.

Des mesures pas généralement suivies d’effets

Autre transformation de taille, pour les offres raisonnables d’emploi (ORE) : le contenu évolue avec l’absence de toute une série de critères ultra-précis. Les offres feront l’objet d’une discussion entre le demandeur d’emploi et son conseiller, d’où la crainte de basculer dans un système arbitraire, où le chômeur serait contraint d’accepter un poste éloigné de ses aspirations, de ses qualifications et de son salaire antérieur.

Ce changement s’inscrit dans le prolongement d’un engagement de campagne d’Emmanuel Macron : renforcer le contrôle des chômeurs, jugé insuffisant, en contrepartie d’une extension de l’assurance-chômage à de nouvelles catégories d’ayants droit.

Sous Nicolas Sarkozy avaient été instituées une série de mesures, notamment sur les ORE, qui n’ont pas toujours été suivies d’effets : en théorie, le chômeur était susceptible de se faire radier et de se voir supprimer son allocation après deux refus d’ORE ; dans les faits, ce dispositif n’a quasiment pas été appliqué.

En revanche, des chômeurs sont fréquemment radiés et voient leur allocation suspendue s’ils manquent à leurs obligations – par exemple de se rendre à un rendez-vous à Pôle emploi ou de ne pas faire de recherche active d’emploi.

S’assurer que les inscrits au chômage sont bel et bien à la recherche d’une activité est très bien fondé et même appétissante, ne serait-ce que pour couper court à la critique courante selon laquelle de nombreux chômeurs se paient des « vacances » aux frais de la collectivité.

Démagogie

Fin 2017, une étude de Pôle emploi avait montré que 86 % des inscrits étaient en recherche active d’un poste, le cas échéant après rappel à l’ordre, les 14 % restants faisant l’objet d’une punition (radiation et suspension de l’indemnité). On le voit, les contrevenants sont déjà punis par le système et, contrairement aux idées reçues, ne profitent pas indûment de l’Etat providence.

En fait, au-delà de la réforme du contrôle des demandeurs d’emploi, la vraie question est celle de savoir s’il faut obliger les sans-emplois à accepter un travail qui ne répond pas nécessairement à leurs critères de recherche. C’est un vrai débat, au moment où les pénuries de compétence sont criantes, mais il mérite d’être posé clairement au-delà d’un durcissement des sanctions, qui tient plus de la démagogie que de la recherche d’efficacité du système.

 

Derrière l’apparence de l’intelligence artificielle, la réalité incertaine des « travailleurs du clic »

Dans sa nouvelle étude, le sociologue Antonio Casilli enquête sur le « digital labor », un travail mystérieux et précarisé que les start-up et les géants du Net conservent pour superviser et suppléer les intelligences artificielles et les algorithmes.

Pour la majorité des services et fonctionnalités des sites Web, applications et objets connectés, les fabricants vantent – et vendent – désormais de nouvelles solutions numériques personnalisées grâce aux intelligences artificielles et aux algorithmes qu’ils ont mis au point. Modération de contenus sur les réseaux sociaux, applications de livraison de repas ou de véhicules avec chauffeur, vente de produits culturels ou de vêtements, enceintes avec assistant vocal…, nos vies seraient désormais facilitées par les robots et autres solutions intelligentes. Cet argument promotionnel ravive la vieille idée selon laquelle le travail humain est peu à peu remplacé par les machines. 

Dans son œuvre enquête « En attendant les robots » : enquête sur le travail du clic, qui paraît jeudi 3 janvier aux éditions du Seuil, le sociologue Antonio Casilli montre au contraire que ces progrès numériques ne fonctionnent pas sans digital labor, un travail humain qui n’est pas mis en valeur et précarisé à grande échelle. En exposant les différentes aspects de ce que l’on appelle aussi le « travail du clic » – des internautes qui alimentent gratuitement les réseaux sociaux aux travailleurs des « fermes à clic » en passant par les prestataires de l’économie « ubérisée » –, Antonio Casilli démystifie l’apparence du tout automatique. Il met le point aussi que ces nouvelles formes de travail, exercées par des millions de personnes dans le monde, sont un enjeu majeur de l’économie du XXIe siècle.

Bonnes feuilles. C’est en 2017 que j’interviewe Simon. Ce n’est pas son vrai nom, comme par ailleurs SuggEst n’est pas le vrai nom de la start-up qu’il intègre en 2016 en qualité de stagiaire, à la fin de son master Sup de Co. En revanche, l’entreprise existe et se porte bien. C’est une « pépite » du secteur innovant, spécialisée en intelligence artificielle (IA). SuggEst vend une solution automatisée de pointe qui propose des produits de luxe à des clients aisés. Si vous êtes une femme politique, un footballeur, une actrice ou un client étranger – comme le défini la présentation du site –, en téléchargeant l’application, vous recevez des offres « 100 % personnalisables des marques françaises les plus emblématiques de l’univers du luxe, dans des conditions privilégiées ».

C’est « grâce à un procédé d’apprentissage automatique » que la start-up devine les préférences de ces personnalités et prévois leurs choix. L’intelligence artificielle est censée collecter automatiquement leurs traces numériques sur des médias sociaux, leurs posts, les comptes rendus d’événements publics auxquels ils ont participé, les photos de leurs amis, fans, parents. Ensuite, elle les agrège, les analyse et suggère un produit.

 

Les chercheurs d’emploi affronteront des avertissements plus durs que prévu en cas de désobéissance

A l’entrée d’une agence Pôle emploi, le 5 mars 2018.
A l’entrée d’une agence Pôle emploi, le 5 mars 2018. PHILIPPE HUGUEN / AFP

Quelques mois après l’acceptation définitive de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, un important décret d’application, visant à préciser des modalités pratiques du texte, a été publié au Journal officiel, dimanche 30 décembre ; il prévoit notamment des sanctions dures envers les chercheurs d’emploi qui manqueraient à leurs obligations. Mercredi, la porte-parole des députés La République en marche (LRM), Aurore Bergé, a justifié ces mesures par une « logique de justice ».

Etablis dans le prolongement du volet « contrôle des chômeurs » de la réforme avenir professionnel adoptée cet été, certaines de ces sanctions sont pourtant plus dures que ce qu’avait initialement annoncé le gouvernement au mois de mars.

Un mois d’arrêt plutôt que quinze jours dès le premier rendez-vous manqué

Le fait de ne pas être présent dans un rendez-vous avec un conseiller, par exemple, devait être initialement sanctionné de quinze jours de radiation des listes au lieu des deux mois actuellement en vigueur. Finalement, ce sera un mois de radiation au premier rendez-vous loupé, deux mois au deuxième manquement et quatre mois au troisième manquement constaté.

Jusqu’à maintenant, le code du travail n’était pas aussi clair sur les sanctions au-delà du premier rendez-vous manqué : il citait seulement qu’en cas de manquements « répétés » le demandeur d’emploi pouvait être radié pendant « une durée comprise entre deux et six mois consécutifs ».

Une allocation « supprimée » et non plus « suspendue » pour carence de recherche d’emploi 

Concernant les sanctions pour recherche d’emploi dépourvu (lorsque par exemple le demandeur refuse deux offres jugées « raisonnables »), le gouvernement avait d’abord évoqué des sanctions graduelles : arrêt de l’allocation d’un mois la première fois, de deux mois la deuxième fois, et de quatre mois la troisième fois. L’exécutif avait alors précisé que l’allocation serait amputée à partir de la deuxième fois.

Or, dans le décret publié dimanche, les notions de « réduction » et de « suspension » de l’allocation (ce qui permettait de conserver ses droits) disparaissent du code du travail : celle-ci ne pourra désormais que connaître une « suppression ».Même, dès deux refus d’une « offre raisonnable » d’emploi, le solliciteur verra son allocation supprimée pour un mois. S’il s’absente à nouveau deux offres, elle sera supprimée pour deux mois consécutifs, puis pour quatre mois au troisième manquement.

Le décret limite par ailleurs les possibilités de refus d’un emploi trop mal payé et « abroge la définition du salaire antérieurement perçu qui était pris en compte pour déterminer l’offre raisonnable d’emploi » ; concrètement, un demandeur d’emploi ne pourra plus refuser une offre au motif que le salaire est inférieur à celui qu’il touchait lors de son dernier travail.

Au micro de France inter, Michel Beaugas, secrétaire confédéral du syndicat Force ouvrière (FO), s’est dit « surpris » par le décret qui, « au prétexte de simplification, durcit » le contrôle. « Avant, vous aviez vos allocations suspendues, vous les retrouviez, là c’est la disparition des allocations », a-t-il déploré sur France Inter. « Pour retrouver un emploi il suffit de traverser la rue, c’est cette idée-là que les demandeurs d’emploi en France ne font pas suffisamment de recherches pour retrouver un emploi, c’est une précarisation rampante. »

La majorité parle d’un « équilibre entre droits et devoirs »

Aurore Bergé a fait savoir que ces sanctions plus dures avaient été décidées dans le but d’imposer un équilibre entre des« droits supplémentaires » et des « devoirs supplémentaires ». Mme Bergé faisait notamment référence à des annonces de l’exécutif en matière de formation professionnelle, domaine où le gouvernement aurait « mis le paquet » avec « un million de chômeurs de longue durée qui vont bénéficier d’une formation » selon la députée des Yvelines.

Le député LRM Aurélien Taché, corapporteur de la loi avenir professionnel, a pour sa part estimé que des sanctions plus dures devaient s’accompagner de « propositions d’emploi (…) et d’accompagnement plus importantes ».

« J’ai toujours dit quand j’étais rapporteur de cette loi que je n’étais pas du tout pour qu’on traque les chômeurs » car « quand ils n’ont pas de travail, c’est la plupart du temps tout simplement parce qu’ils n’en trouvent pas », a-t-il souligné. Selon une étude de Pôle emploi publiée en août 2018, seulement 12 % des demandeurs d’emploi ne cherchent pas activement un emploi, et ce taux tombe à 8 % chez les bénéficiaires de l’assurance-chômage.

Point central du programme social d’Emmanuel Macron, la réforme de l’assurance-chômage à proprement parler a été officiellement lancée en novembre. Elle va porter surtout sur la compensation des indépendants et des démissionnaires, et sur la mise en place d’un bonus-malus sur les cotisations patronales pour les entreprises qui abusent des contrats courts. Dans son document de cadrage, le gouvernement a également demandé de nouvelles économies draconiennes aux syndicats et au patronat : 3 à 3,9 milliards d’euros sur trois ans.

Ce que change l’union des régimes de retraites Agirc et Arrco

Tout le monde cotisait à l’Arrco, l’Agirc, qui ne concernait que les cadres.
Tout le monde cotisait à l’Arrco, l’Agirc, qui ne concernait que les cadres. Sean Prior/Wavebreak Media / Photononstop
Jusqu’à l’année dernière, deux régimes de retraite complémentaire coexistaient pour les salariés. L’Arrco, à laquelle tout le monde cotise, et l’Agirc, qui ne concerne que les cadres. Ces derniers disposent donc, de deux pensions complémentaires. Cette coexistence a disparu le 1er janvier 2019. Pour des raisons financières en premier lieu, mais aussi de simplification, les partenaires sociaux qui copilotent ces régimes ont en effet décidé de fusionner les deux entités. C’était en 2015, au terme d’un long cycle de négociations.

Ces deux régimes étaient déjà très proches, et les règles qui s’appliquaient déjà en partie similaires. Pas de révolution, donc. Premier effet de l’union, tout de même : les points Agirc et Arrco seront modifiés en points « Agirc-Arrco ». Ne subsistera donc qu’une sorte de points. Ce qui fait qu’une fois à la retraite, vous ne recevrez qu’une pension complémentaire, même si vous êtes cadre.

Coefficient de conversion

La conversion des points Arrco en points Agirc-Arrco sera facile, leur valeur étant exactement la même, seul le nom va changer. Pour les points Agirc, un coefficient de conversion a été calculé en divisant la valeur actuelle du point Agirc par celle du point Arrco, afin que l’opération soit neutre pour le salarié.

Si vous êtes cadre, on multipliera donc votre nombre de points Agirc par ce coefficient (0,3477911548), avant d’ajouter vos points Arrco, pour dire combien vous avez de points du régime unifié. Vous n’avez aucune procédure à effectuer, mais si vous voulez savoir tout de suite de combien de points Agirc-Arrco vous serez crédité, une calculette est en ligne.

Les principaux changements vont toutefois être dans les cotisations réglées au titre de la retraite complémentaire. Cadres et non-cadres ne cotisaient pas de la même façon, il a donc fallu accomoder le tout en refondant totalement l’architecture des cotisations. Le principe sera simple : à salaire égal, cadres et non-cadres se verront appliquer les mêmes cotisations, le statut n’entrera plus en ligne de compte. La garantie minimale de points – la « GMP » –, dont bénéficient actuellement les cadres peu rémunérés, disparaît donc, logiquement.

Au-delà cette harmonisation, les partenaires sociaux en ont sans surprise profité pour relever au passage le niveau global des cotisations, en augmentant surtout le poids de celles qui ne sont pas génératrices de droits à la retraite. Au final, la majorité des salariés verront leurs cotisations grimper (la hausse sera faible pour un non-cadre au salaire peu élevé, plus importante pour un cadre supérieur). Mais les cadres bénéficiant aujourd’hui de la GMP verront quant à eux leurs cotisations diminuer.

Personne n’y perdra

Parmi les autres nouveautés induites par la fusion : un nouveau plafond a dû être fixé pour les majorations familiales, les bonus de pensions accordés aux parents d’au moins trois enfants.

Dans le nouveau régime, le montant annuel maximal pouvant être versé à ce titre correspondra tout simplement à l’addition des plafonds en vigueur à l’Agirc et à l’Arrco (soit un peu plus de 2000 euros par an au total). « Personne n’y perdra, donc, et certains devraient même y gagner, ceux qui auraient subi le plafonnement d’un côté mais pas de l’autre », souligne Dominique Prévert, d’Optimaretraite.

Vous êtes déjà à la retraite ? Pour vous, la fusion ne changera rien ou presque. Si vous avez été cadre et que vous percevez deux pensions, vous continuerez à recevoir deux paiements distincts. Et ce sont, comme aujourd’hui, les partenaires sociaux qui fixeront les taux annuels de revalorisation.

Un petit changement des règles de réversion a toutefois été ajouter : dans le nouveau régime, les conjoints survivants de cadres comme de non-cadres pourront en bénéficier dès 55 ans, sans minoration. Alors que jusqu’ici, la pension de réversion de l’Agirc n’était dans le cas général percevable sans minoration qu’à partir de 60 ans pour les conjoints survivants ne touchant pas la réversion du régime de base.

Les syndicats condamnent la nouvelle échelle de sanctions contre les sans-emplois.

Il faut toujours surveiller sur le Journal officiel : à défaut d’être exaltante, la lecture de cette publication peut s’avérer instructive, spécialement entre Noël et le Jour de l’an. La preuve vient d’en être faite avec l’édition du dimanche 30 décembre, qui contient vers de 20 décrets d’application de la loi « avenir professionnel » – une réforme votée l’été dernier sous le commandement du ministre du travail, Muriel Pénicaud. L’un des décrets publiés dimanche a trait « aux droits et aux obligations » des sans-emplois, ainsi qu’au « suivi de la recherche d’emploi ». La contenance de ce texte, éminemment sensible, est grosso modo en ligne avec les intentions affichées initialement par le gouvernement. A une réserve près, qui n’est pas anodine : elle porte sur les sanctions prononcées contre un inscrit à Pôle emploi qui contrevient à ses devoirs.

Dès le départ, le gouvernement avait manifesté le souhait de revoir l’échelle des « peines » applicables. Le 20 mars, des pistes très précises avaient été dévoilées à la presse par le ministère du travail. Il avait alors été indiqué qu’un sans-emploi qui ne se présente pas à un rendez-vous avec son conseiller chez Pôle emploi serait radié des listes durant deux semaines et non plus pendant deux mois. « On diminue par quatre [la durée de] la sanction, qui était complètement disproportionnée sur ce sujet-là », avait expliqué l’entourage de Mme Pénicaud. Finalement, la « punition » sera un peu plus lourde qu’annoncée : un mois de radiation (au lieu de quinze jours, donc), ce qui la place tout de même à un niveau inférieur à celui en vigueur avant la réforme ; durant cette période, la prestation cesse momentanément d’être versée.

 

Une autre transformation s’est produite par rapport à la communication gouvernementale. Il concerne une option, également abordé le 20 mars, pour l’ensemble des « manquements » du demandeur d’emploi (à l’exception du rendez-vous manqué avec son conseiller, sans motif valable). L’idée présentée à l’époque consistait à dire que, à la première incartade (par exemple, le fait de ne pas rechercher activement un poste), l’allocation serait suspendue pendant un mois – les droits restants acquis et pouvant être utilisés plus tard, en cas de besoin. Si le chômeur commet un deuxième écart, le ministère avait précisé que la prestation serait supprimée durant deux mois – ce qui signifiait, cette fois-ci, une amputation des droits d’une durée équivalente. A la troisième « infraction », le coup de bâton serait de quatre mois.

 

Majoration de l’Agirc-Arrco : « Ne vous trompez pas d’enjeux ! »

Si quelqu’un ne supporte pas l’idée de voir sa pension minorée, ou s’il ne peut se le permettre, il n’a pas forcément à travailler un an de plus pour éviter cette perte.

Si quelqu’un ne supporte pas l’idée de voir sa pension minorée, ou s’il ne peut se le permettre, il n’a pas forcément à travailler un an de plus pour éviter cette perte. Philippe Turpin / Photononstop

Question à un expert

Avec l’organisation du malus qui minore ma retraite complémentaire. Ai-je intérêt à la prendre plus tard ?

Sauf cas marginaux, il ne serait pas sérieux de changer sa date de retraite uniquement pour éviter le malus ou décrocher le bonus. Sur le plan financier, continuer à travailler un an de plus est dans tous les cas souvent une très bonne affaire, parce que vous continuez à percevoir votre salaire plutôt que de toucher une pension, parce que vous continuez à améliorer vos futures pensions, à bénéficier de la mutuelle de l’entreprise, etc. Si vous êtes prêt à travailler plus longtemps, le vrai enjeu, en termes d’euros sonnants et trébuchants, est là ! L’annulation du malus ou l’application d’un bonus ne représenteront qu’une petite partie du gain total.

Imaginons un cadre de 62 ans ayant tous ses trimestres en mai 2019, gagnant 55 000 euros par an et pouvant prétendre, hors malus, à une pension annuelle de 37 000 euros, dont 20 000 euros de pensions Agirc-Arrco. S’il part dès mai 2019, le malus va représenter pour lui une perte totale de pension de 6 000 euros (trois fois 10 % de 20 000).

L’enjeu numéro un s’il retarde d’un an sa retraite n’est pas d’éviter de perdre 6 000 euros sur trois ans, c’est bien avant tout de percevoir 18 000 euros de plus sur l’année (différence salaire/pension). Mon conseil : raisonnez en euros dans cette affaire, au-delà des concepts. Et prenez en compte tous les aspects financiers, pas que l’effet sur la pension.

Après, si quelqu’un n’accepte pas l’idée de voir sa pension minorée, ou s’il ne peut se le permettre, il n’a pas certainement à travailler un an de plus pour éviter cette perte, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire. Là encore, il faut tout chiffrer. Revenons à notre senior à qui le malus ferait perdre 6 000 euros de pension sur trois ans : il lui suffit de retarder son départ de quatre mois, donc de rester durant quatre mois son salaire plutôt que sa pension, pour récupérer les 6 000 euros du malus.

 

En Belgique, des banquiers incités à devenir infirmiers

Le siège du groupe bancaire belge KBC, à Bruxelles, en février 2014.
Le siège du groupe bancaire belge KBC, à Bruxelles, en février 2014. BENOIT DOPPAGNE / AFP

Deux problèmes, une solution. En Belgique, une résolution insolite vient d’être mise sur la table pour régler les questions d’effectifs rencontrées par deux secteurs-clés de l’économie du royaume. Comme en France, le secteur bancaire belge, bouleversé par la révolution numérique, l’intelligence artificielle et la chute de fréquentation des agences, ne cesse de détruire des emplois. « Les effectifs sont en baisse constante depuis vingt ans, de 2 % par an en moyenne », explique Rodolphe de Pierpont, le porte-parole de la Febelfin, la Fédération belge du secteur financier.

Ce mouvement s’est jusqu’à présent « passé en douceur », par le biais de mobilités internes et de départs volontaires ou à la retraite non remplacés, « mais il va se poursuivre », prévient M. de Pierpont. « Pour éviter des licenciements secs, nous proposons d’accompagner cette transformation en facilitant la mobilité externe. » La fédération se propose ainsi de faire le pont avec d’autres secteurs, comme celui de la santé, qui, à rebours des banques belges, peine à recruter. Pour encadrer cette « mobilité des talents », la Febelfin vient de signer avec plusieurs syndicats un protocole, dévoilé par le quotidien belge L’Echo, mardi 26 décembre. L’objectif ? « Faciliter la rencontre entre le collaborateur et un futur employeur potentiel, l’offre d’une formation adéquate et, si le travailleur le souhaite, la conclusion d’un nouveau contrat auprès d’un nouvel employeur », résume la Febelfin.

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La logistique aussi

Plusieurs formules seront proposées aux salariés des banques : de la possibilité de tester un nouveau métier en accomplissant à l’extérieur une mission temporaire de trois mois au « prêt » d’employés seniors à d’autres organisations (celles-ci rembourseront une partie du salaire à « l’entreprise qui prête »), en passant par la mise en relation d’employés plus âgés ou limités à des métiers bancaires en perte de vitesse « avec des emplois vacants chez d’autres employeurs », précise la Febelfin.

Le secteur de la santé, premier à signer un accord, proposera aux banquiers d’entamer une formation d’infirmier ou d’aide-soignant à partir de septembre 2019. « Une rémunération sera versée pendant le temps de cette formation, prise en charge pas le futur employeur, avec l’aide du fonds social de formation pour le secteur de la santé, précise Rodolphe de Pierpont. L’idée a été testée, il existe bien une demande pour changer de parcours. » Après la santé, c’est le secteur de la logistique, dynamisé par l’essor de l’e-commerce, qui démarrera prochainement des discussions avec la Fédération belge du secteur financier.

Véronique Chocron

« L’entrée des femmes aux postes hospitalo-universitaires : c’est le moment de passer à l’action »

Une chercheuse au laboratoire de la biobanque de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, en 2015.
Une chercheuse au laboratoire de la biobanque de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, en 2015. THOMAS SAMSON / AFP

Le mercredi 24 octobre, Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès de Gérard Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, a commencé une discussion sur l’égalité entre les hommes et les femmes, érigée « grande cause du quinquennat », dans la fonction publique, dont la fonction publique hospitalière. Nous demandons à prendre toutes les dimensions nécessaires pour favoriser une accession satisfaisante des femmes aux postes hospitalo-universitaires, au sein desquels elles ne sont que peu représentées depuis la création des Centres Hospitalo-Universitaires (CHU) en 1958. Nous appelons également à ce que les femmes soient davantage représentées dans les instances de gouvernance des hôpitaux, des facultés de médecine, et des conseils d’administration des sociétés savantes médicales.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon ceux du Conseil national de l’Ordre des médecins (consultables en ligne), en 2016, 54 % de la population des médecins de 35-50 ans étaient des femmes. Comparativement, en 2017 et 2018, sur 366 nominations à un poste de professeur des universités – praticien hospitalier (PU-PH), 104 (soit 28 %) concernaient des femmes. Ces mêmes années, sur 298 nominations à un poste de maître des conférences – praticien Hospitalier (MCU-PH), 113 (soit 38 %) concernaient des femmes.

Dans certaines spécialités, l’écart de nomination entre les hommes et les femmes est particulièrement marqué : anesthésie, médecine intensive-réanimation, psychiatrie, rhumatologie, médecine Interne, gastro-entérologie et hépatologie, chirurgie thoracique, plastique, orthopédique, et vasculaire, ou surtout gynécologie-obstétrique.

Dans une enquête récente au sein d’un CHU parisien, pendant que les femmes représentent 49 % de la population médicale, elles représentent seulement 15 % des professeurs de médecine, et 7 % des professeurs dans les spécialités chirurgicales (Revue de Médecine Interne 2018). Les douze présidents des commissions médicales d’établissement locales (CMEL : commissions qui représentent les médecins de chaque hôpital) du plus grand CHU de France (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), sont tous des hommes.

Les restrictions à l’accession des femmes

La Commission médicale d’établissement centrale de ce même CHU comporte 10 représentants des chefs de pôle, et parmi eux une seule femme, et douze représentants des personnels enseignants et hospitaliers titulaires médicaux ou chirurgicaux, parmi eux une seule femme. Parmi les représentants des professeurs en biologie, les femmes sont en revanche prédominantes. Autre exemple actuel, lors du vote pour le renouvellement des membres du Conseil d’administration d’une société savante médicale, la liste offerte comportait huit hommes, et une seule femme.