Le fossé générationnel entre les jeunes et les seniors se creuse dans les entreprises japonaises

Une senior au travail, à Tokyo, en décembre 2015.
Une senior au travail, à Tokyo, en décembre 2015. TORU YAMANAKA / AFP

« Les dirigeants âgés ne nous laissent pas tenter et nous tromper. C’est pourtant essentiel pour l’expérience. » Ce constat amer de Tatsushi Mihori, dynamique quadragénaire spécialiste de la vente à l’international, traduit une frustration réelle chez les salariés japonais vis-à-vis de leurs aînés, accrochés à leurs fonctions dans un pays qui privilégie l’emploi des seniors pour compenser une pénurie de main-d’œuvre de plus en plus criante.

Pour les jeunes travailleurs, ces empêcheurs d’évoluer sont des facteurs de rougai, littéralement les « problèmes posés par les personnes âgées », un phénomène – non limité à la sphère professionnelle – de plus en plus visible dans une société où un tiers de la population a plus de 60 ans. En avril, les réseaux sociaux s’étaient déchaînés contre un vieux monsieur apparu dans une vidéo le montrant en train de bloquer sans raison apparente la fermeture des portes d’un métro bondé de Nagoya.

Les personnes âgées qui provoquent des accidents de la route, un sujet d’inquiétude majeure au Japon, en sont une autre manifestation. Tout comme la classe politique vieillissante et jugée incompétente. L’ancien ministre de la lutte contre la cybercriminalité Yoshitaka Sakurada, 69 ans, par exemple, avait été nommé par le premier ministre, Shinzo Abe, alors que, de son propre aveu, il n’avait jamais touché un ordinateur de sa vie.

« Raison sur tout »

Dans les entreprises, l’affaire tourne au conflit de générations. En septembre, selon les statistiques du ministère du travail, 9 millions de personnes de plus de 65 ans travaillaient, contre 5,5 millions en 2009. Dans le même temps, le nombre d’actifs a quasi stagné, à 63,1 millions, en septembre. Le travail des personnes âgées est d’autant plus encouragé qu’une majorité d’entre elles veulent poursuivre leur activité, même avec des horaires réduits.

En octobre 2018, le magazine économique BizSPA ! a réalisé une enquête auprès de jeunes salariés pour établir le classement des dix choses les plus insupportables causées par leurs aînés. La première était la « manière qu’ont les personnes âgées de toujours dire qu’elles ont raison sur tout ». Venaient ensuite les manies de répéter « quand j’étais jeune… », d’imposer leurs méthodes ou de refuser de « reconnaître leurs erreurs et de s’excuser ». Les aînés veulent aussi toujours aller boire le soir après le travail et ne comprennent pas pourquoi les jeunes s’y refusent.

L’Adapei de l’Orne a décidé de baisser la rémunération de 114 travailleurs handicapés

« Un quart de l’effectif a ainsi subi une baisse de revenus mensuels de 100 à 200 euros, sans avoir son mot à dire. »
« Un quart de l’effectif a ainsi subi une baisse de revenus mensuels de 100 à 200 euros, sans avoir son mot à dire. » CHRIS GILLEARD / Ikon Images / Photononstop

Une décision « difficile à prendre ». C’est par ces mots que la direction de l’Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales (Adapei) de l’Orne a tenté de justifier un choix lourd de conséquences : la baisse de rémunération de cent quatorze travailleurs handicapés exerçant dans les cinq établissements et services d’aide par le travail (ESAT) qu’elle gérait.

Afin de « résorber au plus vite [l]es déficits » de ces établissements, dont l’endettement s’alourdissait, l’Adapei de l’Orne a fait le choix, en mai 2016, de réduire les revenus des travailleurs les mieux payés. A mi-chemin entre des entreprises classiques et des établissements médico-sociaux, les ESAT ont pour vocation d’accueillir des personnes trop lourdement handicapées pour travailler en milieu ordinaire.

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Elles touchent une rémunération, dite « garantie », mais faible : entre 55 % et 110 % du smic, financée en partie par l’Etat. La part à la charge de l’employeur est comprise entre 5 % et 20 % du smic. L’Adapei l’a donc ramenée au minimum légal de 5 % du smic pour les travailleurs qui touchaient le plus.

Un quart de l’effectif a ainsi subi une baisse de revenus mensuels de 100 à 200 euros, sans avoir son mot à dire. En effet, quelle que soit la nature de leur handicap, les personnes exerçant dans ces établissements n’ont pas le statut de salarié, du fait de la vocation médico-sociale des ESAT. Elles ne sont donc pas couvertes par le droit du travail. Difficile donc, pour ces travailleurs, de contester la décision de l’Adapei. L’un d’entre eux a finalement saisi le seul recours qui lui semblait possible : le Défenseur des droits.

Les personnes exerçant dans ces établissements n’ont pas le statut de salarié, du fait de la vocation médico-sociale des ESAT. Elles ne sont donc pas couvertes par le droit du travail

Et celui-ci a donné tort à l’Adapei de l’Orne. Même si ces établissements ont effectivement le droit de baisser de manière unilatérale la paie de leurs travailleurs, « les difficultés économiques alléguées par l’ESAT ne justifient pas de manière objective la décision de ce dernier de baisser ainsi la rémunération de ces travailleurs », considère le Défenseur des droits. Dans sa décision, il estime que « l’ESAT aurait privilégié la compétitivité de son activité en investissant dans des outils de production et en embauchant une commerciale, et ce au détriment du maintien du niveau de rémunération de ces travailleurs handicapés particulièrement vulnérables ».

Egalité femmes-hommes en entreprise : « On ne peut se payer de mots »

A l’occasion du Women’s Forum 2019, qui se déroule à Paris jusqu’au 22 novembre, cinq dirigeants d’entreprise appellent, dans une tribune au « Monde », à la création d’une plate-forme diffusant au public les données sur les progrès réels de la parité dans les entreprises.

Publié aujourd’hui à 06h00 Temps de Lecture 3 min.

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« Quelles que soient les réalités culturelles spécifiques à la France, il est un fait que, sans “name and shame” [“nommer et couvrir de honte”], entreprises et dirigeants continuent à se payer de mots. »
« Quelles que soient les réalités culturelles spécifiques à la France, il est un fait que, sans “name and shame” [“nommer et couvrir de honte”], entreprises et dirigeants continuent à se payer de mots. » Ingram / Photononstop

Tribune. « Nous devrions avoir pour objectif d’accroître le pouvoir d’influence des femmes dans la société. Je considère le pouvoir et l’influence comme la capacité de prendre des décisions, de contrôler les ressources et de façonner les perspectives », écrivait Melinda Gates dans un récent article de la Harvard Business Review (« Gender equality is within our reach », hors-série « Women, Power and Influence », septembre 2019).

Pour cela, il nous faudra, en France, beaucoup d’outils : l’index de l’égalité salariale femmes-hommes pour faire pression sur les entreprises, le soutien au financement à l’entrepreneuriat féminin, la promotion de l’ouverture aux étudiantes des filières scientifiques, technologiques, mathématiques et ingénierie, mais aussi une nouvelle culture du capitalisme et du leadership, plus équilibrée et extraite des déterminismes patriarcaux historiques et sociaux.

En dépit de progrès réels, le Forum économique mondial a rappelé, dans son rapport « Global Gender Gap », qu’il faudra, au rythme actuel, cent huit ans pour combler les inégalités et deux cent deux pour parvenir à l’égalité professionnelle.

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La « marche des cavalières » solitaires a joué son rôle : des pionnières ont pris la parole pour se présenter aux élections, défendre la place des femmes dans les instances de gouvernance, diriger des entreprises, amplifier leur présence dans les médias, démontrer que « l’alpha financier » (la super-performance financière) n’est pas une affaire de genre mais bien une affaire de diversité et de guerre des stéréotypes.

Transparence

Pour autant, la révolution des esprits n’a pas eu lieu.

En effet, les efforts doivent être concentrés et mis en commun, comme la mesure de la mise en œuvre de la parité dans les comités exécutifs des entreprises cotées (leur féminisation est aujourd’hui estimée à 17,9 % pour les entreprises du SBF 120).

Le risque est de voir s’essouffler les effets positifs de la loi Copé-Zimmerman, voire, à l’instar de ce que nous observons avec la loi Sauvadet appliquée à la fonction publique, l’oubli des objectifs, faute de suivi et de sanctions sur l’application des textes.

C’est ainsi qu’à l’occasion du Women’s Forum 2019 qui se tient du 20 au 22 novembre à Paris, nous lançons un appel pour la création d’une plate-forme privée d’utilité publique rassemblant les efforts de collecte, de mesure et de suivi des données sur les actions visant à l’égalité.

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Seules des mesures univoques et transparentes permettront de mettre en évidence les écarts entre la parole et l’action, l’avancée de la société et celle du monde économique. Cette plate-forme viserait à regrouper les travaux de structures publiques comme le Haut Conseil à l’égalité, de structures privées comme Ethics and Boards, et de start-up de traitement et de diffusion de données auprès du public.

Le vieillissement va transformer le marché du travail

Sous l’effet de l’allongement de l’espérance de vie, la part des seniors au sein de la population active va augmenter. Une révolution à laquelle les entreprises, comme les systèmes de formation, sont encore peu préparées.

Par Publié aujourd’hui à 02h07

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OLIVIER BONHOMME

Planète grise (4/6). Quelque chose de Robocop, ou bien d’une nouvelle d’Asimov : à première vue, ces étranges accoutrements semblent tout droit sortis d’un classique de science-fiction. Sur l’un des modèles, deux structures métalliques plaquées aux jambes aident à porter des poids élevés. Sur l’autre, une demi-armure fixée aux épaules facilite les mouvements vers le haut, tout en soutenant la nuque.

« Nous testons ces exosquelettes dans de nombreuses usines, comme celle de Munich : ils soulagent les ouvriers effectuant des tâches répétitives sur les chaînes d’assemblage », explique Christin Hölzel, responsable des questions ergonomiques chez BMW. Objectif : protéger au mieux leur santé. En particulier celle des seniors, afin de leur permettre de conserver leur poste aussi longtemps que possible.

Audi, Daimler, Volkswagen : aujourd’hui, la plupart des groupes industriels allemands déploient des technologies similaires, tout en révisant leur organisation du travail pour simplifier le quotidien des salariés les plus âgés.

« Ils ont compris qu’ils n’avaient pas tellement le choix, souligne Hannes Zacher, spécialiste de l’organisation du travail à l’université de Leipzig. Du moins, s’ils veulent être en mesure d’affronter le déclin à venir de la population active. »

Selon une étude du cabinet Deloitte menée auprès de 11 000 entreprises dans le monde, la moitié d’entre elles n’ont rien prévu pour accompagner les salariés de plus de 55 ans

Celui-ci s’annonce vertigineux. D’ici à 2050, l’Allemagne, 83 millions d’habitants aujourd’hui, perdra 11 millions de personnes en âge de travailler, selon la Fondation Robert-Schumann, tandis que la population active de l’Union européenne (UE, 513 millions d’habitants) fondra de 49 millions d’individus. « C’est la double conséquence du vieillissement et de l’allongement de l’espérance de vie : nous allons travailler plus longtemps, et pas seulement pour financer nos retraites, résume Martin McKee, professeur de santé publique à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. A condition de pouvoir le faire dans de bonnes conditions. » Et que des aménagements soient prévus pour ceux qui, en raison de la pénibilité de leur emploi, ne seront pas en mesure de le faire.

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Problème : à l’exception de quelques pionniers de l’automobile allemande, très peu d’employeurs sont préparés à cette révolution grise. Selon une étude datée de mars 2018 du cabinet Deloitte menée auprès de 11 000 entreprises dans le monde, la moitié d’entre elles n’ont rien prévu pour accompagner les salariés de plus de 55 ans.

A Angoulême, des policiers verbalisent à tour de bras pour dénoncer leurs conditions de travail

En octobre, deux policiers municipaux ont infligé des centaines d’amendes pour stationnement gênant. La mairie leur a demandé d’« arrêter de s’acharner », se disant ouverte à la discussion.

Publié hier à 17h04, mis à jour à 09h32

Temps de Lecture 2 min.

Ecusson de policier municipal.
Ecusson de policier municipal. BENOIT TESSIER / REUTERS

Depuis douze ans, Gaëlle et Patrick Loosveldt ont la même habitude : pour rentrer chez eux, ils se garent sur le large trottoir devant leur maison, située dans le centre-ville d’Angoulême (Charente). Le mois d’octobre est venu bousculer cette routine. En moins de trente jours, le couple a été verbalisé huit fois par les agents municipaux pour stationnement gênant, fait savoir La Charente libre. Au total, Gaëlle et Patrick doivent s’acquitter d’une somme de 1 080 euros, soit 135 euros par infraction.

Leur voisin a subi la même déconvenue, tout comme les autres habitants de la rue de Montmoreau et des alentours. Une douzaine de foyers est concernée par cette vague de verbalisations, imputable à deux policiers municipaux, rapporte le quotidien régional. Alors qu’il n’avait adressé aucun procès-verbal en octobre 2018, l’année suivante, l’un des deux agents a dressé 82 contraventions. Son confrère, qui avait infligé sept amendes pour stationnement gênant l’année précédente, a verbalisé cette année 142 conducteurs, soit une contravention par heure travaillée, précise le journal local.

Tensions au sein de la police municipale

Comment expliquer cet excès de zèle ? Selon La Charente libre, cette salve de contraventions est liée à un mouvement de grève qui s’est déroulé durant l’été au sein de la police municipale d’Angoulême. Les agents dénonçaient notamment des difficultés avec la hiérarchie et réclamaient une hausse de leurs salaires. Deux salariés s’estimant lésés par les négociations avec la mairie ont donc décidé de mettre la pression sur la municipalité en suscitant la colère des administrés.

Une manœuvre réussie. Les riverains, qui déplorent être pris pour « des vaches à lait », en appellent à la municipalité, qui a récemment promis un aménagement des places de stationnement. En attendant, les habitants estiment « ne pas avoir le choix de stationner sur les trottoirs ».

Sommée de se positionner dans cette affaire, la mairie d’Angoulême assure « avoir demandé à la police municipale d’arrêter de s’acharner » contre les habitants. « On ne peut que comprendre la colère de ces gens. On n’a jamais rien dit à ces habitants durant des années, et là, ils croulent sous les PV », commente Véronique de Maillard, adjointe au maire, chargée de la vie quotidienne, qui a rencontré les riverains fin octobre, selon le journal.

« L’incompréhension de nos concitoyens »

Regrettant « un manque de discernement de ces agents », Xavier Bonnefont, le maire de la ville, assure qu’une note interne du chef de la police municipale rappelle aux agents leurs missions prioritaires. « Vous saurez ne pas exacerber l’incompréhension de nos concitoyens par la fréquence et le nombre de verbalisation sur des secteurs particuliers », indique cette note à laquelle La Charente libre a eu accès. Le maire de la ville rapporte également que les discussions avec les agents de police sont « constructives », précisant que, si les contraventions perdurent, il se penchera à nouveau sur les revendications des policiers.

L’élu a également écrit à l’officier du ministère public pour réclamer l’annulation de ces amendes. « Il m’apparaît injuste et éminemment regrettable que nos habitants, souvent de condition modeste dans ces secteurs, soient contraints de payer des amendes à un taux important », estime le maire dans son courrier, précisant que prochainement « la réorganisation matérielle du stationnement rendra parfaitement respectueuse de la réglementation la situation qui leur est reprochée ». Cette demande de « classement sans suite pour inopportunité des poursuites » a toutefois peu de chance d’aboutir.

Deliveroo, Uber, Frichti… : « la bataille des chartes »

La loi d’orientation des mobilités, votée par le Parlement mardi, oblige les plates-formes à créer une charte censée garantir des conditions de travail décentes à leurs indépendants. Mais est-ce suffisant, s’interroge Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 11h26 Temps de Lecture 1 min.

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Des livreurs Deliveroo en grève, à Paris, le 7 août.
Des livreurs Deliveroo en grève, à Paris, le 7 août. BERTRAND GUAY / AFP

Pertes et profits. Treize milliards d’euros pour les trains et les bus, la remise en état des routes et voies ferrées de France, et même la fin des voitures à essence, programmée pour 2040, la loi d’orientation des mobilités, votée définitivement mardi 19 novembre par le Parlement, est l’un des textes les plus vastes et ambitieux de ce quinquennat. Mais l’article qui agite les esprits en ce moment est d’apparence bien plus modeste. Il s’agit du statut des travailleurs de plates-formes. Ces chauffeurs et cyclistes indépendants qui turbinent dans les grandes villes pour les applications Uber, Deliveroo, Frichti et autres. Depuis un an au moins, nombre de ces autoentrepreneurs sont entrés en révolte contre leurs conditions de travail, très éloignées des standards du salariat traditionnel. Une révolte qui s’est répandue sur toute la planète, de San Francisco à Berlin en passant par Paris qui a vécu, en août, sa première grève des cyclistes Deliveroo.

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Sous pression sociale, mais soucieux de ne pas fermer la porte à un secteur économique en pleine croissance, le gouvernement tente de trouver la bonne martingale qui satisfera tous les acteurs. La loi va donc imposer aux plates-formes qui utilisent des indépendants d’établir une charte qui leur garantira un minimum de services et des conditions de travail décentes. Et notamment une couverture sociale. Pour cela, une négociation devra avoir lieu avec des représentants des travailleurs.

Un effort louable

Les principales plates-formes prennent les devants. Deliveroo met en place une couverture maladie et quinze d’entre elles annoncent lancer une association des plates-formes des indépendants destinée à se doter d’« une charte des bonnes pratiques ».

L’effort est louable mais ne résout pas le problème de fond, celui de l’adaptation du droit du travail à cette nouvelle donne. Il le complique même. Ces travailleurs bénéficieront des garanties de leurs chartes mais pas de la protection de la loi, taillée sur mesure pour les salariés. Le numérique n’a pas inventé le problème du statut des travailleurs précaires, mais il l’expose en le multipliant et ses start-up se développent en écrivant à la fois leur modèle économique et le droit qui lui correspond. Un sport dangereux, à la merci de la pression politique. Bonne nouvelle, le rapport de force semble doucement s’équilibrer, avec des syndicats qui apparaissent et trouvent un écho politique, condition indispensable pour stabiliser le système. Et le rendre acceptable.

Travailleurs handicapés, pourquoi se déclarer

« La reconnaissance de qualité de travailleur handicapé donne des droits au salarié, comme l’aménagement du poste de travail, que ce soit en termes de matériel, d’organisation du temps et de formation. »
« La reconnaissance de qualité de travailleur handicapé donne des droits au salarié, comme l’aménagement du poste de travail, que ce soit en termes de matériel, d’organisation du temps et de formation. » Danae Munoz/Ikon Images / Photononstop

Peur d’être stigmatisé, rejeté, discriminé : pour un salarié, demander la « reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé » (RQTH) ne va pas de soi. Il s’agit d’un choix très personnel. « Se voir coller une étiquette RQTH peut faire peur, reconnaît Isabelle Ruedas, médecin du travail. Je dois faire œuvre de pédagogie, car le handicap est entouré de fausses croyances. D’autre part, la personne ne se voit pas toujours comme handicapée, notamment quand il s’agit des conséquences d’une maladie acquise telles que le cancer ou la sclérose en plaques… » Autant de handicaps invisibles, au même titre que des troubles psychiques ou cognitifs. Ce type de handicap constitue 80 % des cas.

La démarche peut être difficile à engager. « Il s’agit de faire le deuil de la situation professionnelle antérieure et d’accepter la limitation de ses capacités », explique Emilie Gouzon, psychologue clinicienne dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées Korian. Titulaire de la RQTH depuis treize ans, c’est-à-dire depuis le début de sa vie professionnelle, elle souffre de graves problèmes de dos. « J’avais accepté mon handicap, j’étais donc partante pour une reconnaissance qui me permettait de m’orienter vers des offres d’emploi adaptées. Il faut dédramatiser », dit-elle.

Laurent Tuil fait le même constat. Responsable de compte chez ADP, l’éditeur de logiciels, il a vu sa santé se dégrader pendant quatre ans, avant que les médecins ne diagnostiquent la maladie de Parkinson en 2012. « C’est une nouvelle vie à accepter. Cela peut prendre du temps. J’ai choisi la transparence totale vis-à-vis de mon employeur. »

Ivan Talpaert, directeur de la sécurisation des parcours à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), lui donne raison : « Il est plus efficace de mettre les choses à plat que de les cacher. Se déclarer permet d’ouvrir des portes et non de les fermer, comme on le croit trop souvent. En en parlant, le salarié évite les risques de surcompensation de son handicap qui ne ferait qu’accélérer le processus. »

Des droits

De plus, « l’information peut n’être connue que du service de santé au travail et de la mission handicap de l’entreprise, rappelle Catherine Petrovic, responsable diversité et inclusion de Siemens France. Mais le faire savoir à son équipe permet d’éviter des incompréhensions et des malentendus », citant l’exemple d’un salarié diabétique qui devrait s’absenter en pleine réunion pour faire sa piqûre d’insuline.

Compétences numériques : l’écart se creuse

En France, l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emplois est beaucoup plus forte que chez nos voisins allemands, britanniques voire italiens. Nombre d’entreprises vont chercher leur réponse à l’étranger, explique la journaliste du « Monde » Anne Rodier, dans sa chronique.

Publié aujourd’hui à 06h30 Temps de Lecture 2 min.

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« La France a pris du retard sur la formation à ces métiers et avec une mobilité géographique moindre, à ancienneté égale, on a moins de candidats expérimentés », explique Oualid Hathroubi, directeur Paris du cabinet de recrutement Hays.
« La France a pris du retard sur la formation à ces métiers et avec une mobilité géographique moindre, à ancienneté égale, on a moins de candidats expérimentés », explique Oualid Hathroubi, directeur Paris du cabinet de recrutement Hays. Nick Lowndes/Ikon Images / Photononstop

« Carnet de bureau ». Les organismes de formation ne jurent que par le numérique : du codage pour les compagnies d’assurance au community management dans les entreprises de communication, en passant par le pilotage de drones pour le BTP. Les outils de formation aussi sont numériques : la réalité virtuelle dans l’industrie pour familiariser les salariés avec leur nouvel environnement de travail et former les ouvriers en trois heures au lieu de six mois.

Les institutionnels ne sont pas en reste : le gouvernement lance, jeudi 21 novembre, l’application numérique CPF, pour que les salariés gèrent eux-mêmes leur compte personnel de formation. Les réfractaires et les « illettrés » numériques pourront toujours se faire assister pour demander une formation à l’usage des « applis ».

Pourtant, les 7 familles du numérique et ses 820 métiers ne représentent actuellement que 3 % de l’emploi total, révélait le 4 novembre une étude de la Dares. En hausse depuis dix ans, « la part du numérique sur le volume total d’emplois est toute petite, alors qu’on en fait grand bruit dans les entreprises », confirme Christelle Pradier, la directrice du recrutement France de Sopria Steria. Car le numérique étant désormais partout, un recrutement manquant peut bloquer de multiples projets.

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Après trente-cinq ans de métier à lutter contre la fraude à l’assurance, en s’appuyant sur l’intuition, la curiosité et l’expérience, le directeur des services clients dommages de Swisslife, Didier Aufray, n’a rien changé à son métier d’antan, sauf qu’il collabore désormais quotidiennement avec les jeunes datascientistes pour élaborer ensemble l’algorithme « anti-fraudeurs ». « On met notre expérience métier à leur service et ils traduisent ça en algorithme », dit-il.

Solution allemande

Mais le recrutement est un problème. « L’écart se creuse d’année en année entre les besoins de l’entreprise de tous les métiers du numérique (datascience, deep learning, infrastructure, etc.) et le nombre de jeunes qui sortent des écoles. On cherche surtout des jeunes diplômés, car ils sont digital native », explique Mme Pradier, qui a prévu de recruter 3 800 personnes en 2020 pour Sopra Steria. Nombre d’entreprises vont finalement chercher leur réponse à l’étranger. « En Allemagne, ils sont mieux lotis, car ils acceptent plus de recruter au-dessous de bac + 5 et de compléter la formation au sein de l’entreprise », précise-t-elle.

Grèves des transports et continuité de l’activité de l’entreprise

Pour nombre de travailleurs intellectuels, faute de pouvoir se déplacer, le travail peut venir à eux grâce au télétravail au domicile ou dans des tiers lieux proches, explique le juriste Jean-Emmanuel Ray dans sa chronique. Mais il ne concerne pas tous les postes, ni toutes les situations

Publié aujourd’hui à 06h15 Temps de Lecture 2 min.

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« Nombre de salariés vont avoir de grandes difficultés à accéder à leur lieu de travail. Et tout le monde ne peut pas venir à vélo ou à trottinette » (Photo: Gare du Nord, Paris).
« Nombre de salariés vont avoir de grandes difficultés à accéder à leur lieu de travail. Et tout le monde ne peut pas venir à vélo ou à trottinette » (Photo: Gare du Nord, Paris). BERTRAND LANGLOIS/AFP Creative / Photononstop

« Avis d’expert. Droit social ». Les grèves dans les transports publics étant annoncées massives à compter du jeudi 5 décembre, nombre de salariés vont avoir de grandes difficultés à accéder à leur lieu de travail. Et tout le monde ne peut pas venir à vélo ou à trottinette… Face à une « grève externe », que peut faire une entreprise pour assurer la continuité de son activité ? L’enjeu est d’éviter une éventuelle mise en cause de sa responsabilité contractuelle par des clients ou des fournisseurs, faute de démontrer un cas de force majeure (il ne s’agit pas d’une grève EDF pouvant paralyser un site entier).

Si une vaste inondation ou pandémie constitue un cas de force majeure l’autorisant à fermer, puis à récupérer au tarif normal ces heures collectivement perdues dans les douze mois qui suivent, ce n’est pas le cas d’une classique grève des transports publics. Un employeur ne peut donc pas décider de fermer son entreprise ce jour-là en invoquant son incertitude sur le nombre de salariés à leur poste, ou de clients ayant déserté son magasin. Alors chacun cherche à s’adapter, en fonction de l’impact du mouvement social : horaires plus flexibles, prise de jours de congés ou de RTT, voire de jours sans solde.

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Mais comment s’organiser si le conflit dure… Pour nombre de travailleurs intellectuels, faute de pouvoir se déplacer, le travail peut venir à eux grâce au télétravail au domicile ou dans des tiers lieux proches. Il est déjà pratiqué officiellement et surtout officieusement. La pandémie H5N1 de 2006 a été l’occasion de généraliser le recours au télétravail : « En cas de circonstances exceptionnelles (…), la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise », indique le code du travail. L’article L. 1222-11 peut aussi s’appliquer en cas de catastrophe naturelle bloquant une ville entière, de pollution particulièrement grave (voir aussi L. 1222-9), et de grève massive des transports.

Qu’apporte-t-il sur le plan juridique ? Alors qu’en principe, le télétravail nécessite légitimement l’accord exprès de chaque salarié concerné, il permet à l’entreprise de l’imposer, dans des conditions parfois précisées par accord collectif (groupe France Médias Monde, 4 septembre 2019 ; Carrefour, 27 septembre 2019).

Effets non attendus

Mais il ne concerne pas tous les postes, ni toutes les situations. Certains emplois ne sont pas « télétravaillables » (ouvrier, vendeuse) et certains risques sont complexes à couvrir (risque électrique, assurance habitation, bon accès Internet…), une telle exportation de données à l’extérieur de l’entreprise ne s’improvise pas. Bien en amont, elle doit donner lieu au montage d’un « plan de continuité », avec exercices de simulation réservant parfois quelques surprises.

Comment sortir du prêt-à-penser

Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers revisitent dans leur ouvrage quelques-uns des principaux défis de la communication en entreprise, des mutations du travail à la place du numérique, en passant par l’évolution du management et la question du sens.

Par Publié aujourd’hui à 06h00

Temps de Lecture 2 min.

Livre. Il suffit d’ouvrir un manuel de communication interne du début des années 2000 pour constater que les outils traditionnels ont été submergés par les supports électroniques. « De simple porteur, transmetteur et traducteur, le communicant voit son rôle évoluer dans un univers complexe (…). Longtemps gardien des codes symboliques et langagiers, y compris, convenons-en, de la langue de bois, son rôle se déplace vers celui de médiateur des communications », estiment Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers, respectivement docteur en sciences de l’information et sociologue d’entreprise.

Cette transformation demande de la part des professionnels un positionnement plus politique et des compétences sociales qui vont au-delà du maniement des outils, des supports et des contenus. « C’est exigeant, cela met parfois en porte-à-faux vis-à-vis des représentations mécanistes de la communication qu’ont certains dirigeants, mais c’est le sens d’un mouvement culturel et professionnel profond. Et cela d’autant plus que les salariés sont de moins en moins prêts à s’en laisser conter… », tranchent les deux spécialistes de la communication managériale dans Communiquer en entreprise (Vuibert).

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Comment les responsables de la communication vivent-ils leur métier aujourd’hui en entreprise ? Comment lancer un travail sur la mémoire ou l’histoire de son organisation ? Comment communiquer sur le thème du développement durable sans tomber dans le « greenwashing » ? L’ouvrage revisite quelques-uns des principaux défis de la communication en entreprise, des mutations du travail à la place du numérique, en passant par l’évolution du management et la question du sens. Il met en résonance les préoccupations professionnelles avec les sciences sociales.

Les sciences sociales indispensables

Ainsi, la professeure en sciences de l’information et de la communication Nicole D’Almeida revient sur les racines de l’expression « langue de bois », dont l’avènement se situe en France dans les années 1980, mais qui dispose d’anciennes racines en Russie, où on parlait de « langue de chêne », eu égard à la tradition bureaucratique et autoritaire.

Le sociologue Dominique Cardon analyse, quant à lui, l’impact des réseaux sociaux sur l’individu au sein de l’entreprise : « De plus en plus, il faut se servir de ses autres identités pour enrichir son travail. Intégrer les capacités personnelles dans l’entreprise, mais dans une identité de salarié. Du coup, la forme d’expression est associée à des compétences professionnelles. C’est ambigu et difficile : les organisations produisent des dispositifs qui mettent en format le fait de s’exprimer en tant que salarié, mais avec un outil qui résonne comme un outil grand public et dans lequel on va pouvoir investir au-delà de ses compétences professionnelles tous ses autres savoir-faire. »