Fessenheim : le démantèlement de la centrale nucléaire ne commencera pas avant 2025

Devant l’entrée de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin), en décembre 2019.
Devant l’entrée de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin), en décembre 2019. Sébastien Bozon / AFP

Le calendrier officiel d’arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) est connu depuis plusieurs semaines : le premier réacteur s’arrêtera le 22 février, le second, le 30 juin. La doyenne des centrales nucléaires françaises cessera alors de fonctionner, conformément à un engagement pris par François Hollande en 2012 pendant sa campagne présidentielle, finalement honoré par Emmanuel Macron.

Cette fermeture a provoqué une intense négociation avec EDF sur les indemnisations – le groupe devrait toucher autour de 450 millions d’euros, dans un premier temps, puis recevoir une compensation pour l’électricité que la centrale aurait pu produire.

Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk, a précisé, lors de ses vœux annuels, les évènements qui suivront l’arrêt des installations. EDF a d’ores et déjà présenté, en septembre 2019, un plan de démantèlement. Celui-ci est en cours d’examen par l’ASN, qui doit définir les travaux devant être réalisés. Une deuxième phase doit cadrer les opérations de démantèlement. Un dossier approfondi sera remis à la fin de 2020 par EDF à l’ASN. « Son examen fera l’objet d’un processus assez long, qui débouche sur une enquête publique, puis sur un décret, souligne M. Doroszczuk. Le temps d’arriver à ce décret, cela devrait prendre quatre ou cinq ans. »

La question du maintien de l’emploi

S’il estime que le « site est bien préparé, bien mobilisé et a à cœur de réaliser dans de bonnes conditions ces opérations », il note toutefois que « les services centraux d’EDF » doivent renforcer leur accompagnement de ce projet.

Le président de l’ASN rappelle par ailleurs que Fessenheim a souvent été considéré « comme un bon site » en termes de sûreté. « Cela a encore été le cas en 2019 », souligne-t-il. La fermeture de la centrale, considérée comme un premier pas pour réduire la dépendance de la France au nucléaire par les écologistes, est très fortement critiquée par la filière de l’atome, qui y voit une erreur sur le plan climatique, cette énergie n’émettant que très peu de CO2.

L’arrêt des réacteurs pose par ailleurs un certain nombre de questions sur le maintien de l’emploi dans le territoire. EDF et les pouvoirs publics réfléchissent à des pistes pour maintenir une activité, et plusieurs engagements ont déjà été pris.

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Une société d’économie mixte franco-allemande doit être constituée, afin de piloter plusieurs projets de reconversion du territoire situé autour de la centrale. Une des hypothèses jusque-là était la mise en place d’un centre de traitement des métaux qui aille au-delà du démantèlement de la centrale, en partenariat avec des entreprises allemandes. « Cela ne me paraît pas facilement concrétisable », a toutefois estimé la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, à l’Assemblée nationale, début janvier.

Les grévistes oubliés de la centrale nucléaire de Gravelines

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, arrive à la centrale nucléaire de Gravelines (Nord), mercredi 22 janvier.
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, arrive à la centrale nucléaire de Gravelines (Nord), mercredi 22 janvier. DENIS CHARLET / AFP

Il a fallu la visite du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, mercredi 22 janvier à midi, à la centrale de Gravelines, pour braquer les caméras sur le combat des grévistes nordistes. « Il était temps », soupire un agent EDF. Depuis le 5 décembre 2019, le centre nucléaire de production d’électricité est touché par un mouvement social contre la réforme des retraites.

Celui-ci s’est doucement amplifié et, depuis le 14 janvier, près de 500 manifestants se relaient sur le piquet de grève à l’entrée du site, de jour comme de nuit. « Ça fait une semaine que je ne suis pas entrée dans la centrale, mais on est là tous les jours, déclare une femme syndiquée à la CGT. Pourquoi, jusqu’à présent, les médias ne parlent-ils pas de nous pour expliquer que l’on cotise deux fois plus que les autres pendant toute notre carrière et que l’on ne coûte rien à l’Etat ? »

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Près d’un feu de palettes, David Maillet, 46 ans, dont vingt-quatre passés chez EDF, serre la main d’anciens agents en retraite depuis dix ans, venus soutenir les grévistes. Il n’a pas souvenir d’un mouvement d’une telle ampleur. Les anciens non plus. Ce technicien d’exploitation à la conduite dans la centrale fait grève… tout en travaillant pour assurer la sécurité du site. « Les gens pensent qu’EDF, c’est la poule aux œufs d’or. Mais c’est fini, ça. On mange notre pain noir. Et personne ne parle de nous parce qu’on n’est pas à Paris, à la RATP ou à la SNCF. »

Sur le site de la plus importante centrale nucléaire d’Europe de l’Ouest, les agents veulent aussi rappeler à l’opinion publique que leur outil de travail n’a rien d’anodin. « Parler de nucléaire, c’est tabou en France, estime Franck Redondo, secrétaire Force Ouvrière pour la centrale. Mais on travaille quand même avec de l’uranium. On a un métier à risque. Il y a un statut qui nous protège, et nous, on garantit votre sûreté ».

A l’arrivée de Philippe Martinez, mercredi, certains grévistes s’en sont pris aux médias. « Journalistes collabos ! Si c’est pour dire qu’on est des nantis ou des délinquants, c’est pas la peine ! » Avec calme, le délégué syndical CGT Stéphane Choquel tente d’expliquer la colère de ses collègues. « On nous annonce la fin de notre régime spécial et l’on fait croire aux gens que l’on a encore les acquis des anciennes générations, dénonce ce préparateur maintenance. Moi, je viens du privé, et en arrivant chez EDF, j’ai perdu 800 euros mensuels et ma voiture de service, alors nous traiter de nantis… »

Le référent contre le harcèlement sexuel, personne de confiance ou alibi ?

« La tentation d’enterrer l’affaire peut être grande. »
« La tentation d’enterrer l’affaire peut être grande. » Gary Waters/Ikon Images / Photononstop

Depuis le 1er janvier 2019, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel impose à tous les comités sociaux et économiques (CSE) de nommer parmi leurs membres un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. La mesure s’inscrit dans le prolongement de la loi Rebsamen (2015) et de la loi travail (2016), qui ont intégré la notion de propos sexiste, et renforcé les obligations de l’employeur en matière de prévention contre le harcèlement sexuel.

Elle a été globalement saluée par les syndicats et les associations féministes, avec quelques réserves concernant l’insuffisance de moyens dont bénéficient ces référents – et surtout, les risques pesant sur leur indépendance. Les entreprises d’au moins 250 salariés doivent aussi désigner un second référent « chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes », précise le texte de loi.

Un an après l’entrée en vigueur de la mesure, les entreprises se sont-elles pliées à cette obligation ? Difficile à dire : « Le ministère du travail ne dispose pas d’outil informatique nous permettant de connaître dans quelle mesure [les CSE] le font réellement », nous indique le ministère. Quant aux référents désignés par l’employeur dans les entreprises de plus de 250 salariés, il n’existe aucun moyen de les recenser. Mais Karine Armani, fondatrice d’Equilibres, une société qui œuvre pour l’égalité au travail, considère que cette obligation est prise au sérieux : « Le mouvement #metoo, qui a mis en lumière le problème du harcèlement sexuel, a contribué à faire exister le sujet au sein des entreprises ».

D’autant que les cas portés devant la justice semblent en augmentation. Me Alain Antoine, du cabinet du même nom, et Me Guillaume Boulain, de CRTD & Associés, membres du réseau Eurojuris, témoignent tous deux d’une « hausse » des affaires de harcèlement sexuel. « A ce jour, le nombre de contentieux sur cette thématique reste stable, mais nous constatons une libération de la parole en entreprise », affirme de son côté Me Céline Vieu Del Bove, du cabinet Aguera Avocats.

Un texte de loi imprécis

Dirigeante de la société B2B consulting RH et ancienne DRH chez Thales, Béatrice Bretegnier a sondé des grandes entreprises de la région PACA, où elle exerce. « Fin décembre, quinze des dix-huit entreprises interrogées avaient déjà nommé leur référent CSE et leur référent employeur ; pour les autres, qui ont constitué tardivement leur CSE, c’était en cours », rapporte-t-elle. Rappelons que les CSE devaient être constitués avant le 31 décembre 2019.

La transparence attendue par les salariés sur les politiques de rémunération ne convainc pas tous les DRH

« La rémunération est de plus en plus complexe et individualisée. »
« La rémunération est de plus en plus complexe et individualisée. » Ingram / Photononstop

Les résultats des négociations annuelles obligatoires indiquent que les progressions salariales seront inférieures en 2020 à celles de 2019. Les études se succèdent depuis le début janvier pour l’annoncer, chiffres à l’appui. Certains groupes, comme le pharmaceutique Ipsen, les avaient achevées avant la fin de l’année, d’autres, comme l’assureur AXA, vont seulement s’y atteler. Comment les entreprises pensent leur politique de rémunération et interprètent les attentes des salariés ? Les Rencontres RH, nouveau rendez-vous de réflexion mensuel sur l’actualité du management, organisé par Le Monde en partenariat avec Leboncoin, se sont tenues mardi 14 janvier à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, pour tenter d’y répondre.

Pour les salariés, la rémunération apparaît comme un élément d’identification sociale, explique la sociologue Elise Penalva-Icher, qui constate de grandes attentes de transparence de la part des salariés : « Discuter salaire, c’est dire qui je suis et où je me situe dans mon entreprise. Mais les grilles de salaire, qui étaient claires durant les “trente glorieuses”, sont devenues floues, avec la complexification des rémunérations et les dispositifs hétérogènes qui complètent le salaire : variable, intéressement, participation, épargne salariale, stock-options, etc. » En outre, « on a tendance à souvent changer le mode de rémunération, ce qui ajoute à la complexité et à l’opacité », indique le DRH d’Ipsen, Régis Mulot.

Comparaison brouillonne

En réaction, les salariés développent des stratégies relationnelles pour évaluer leur rémunération. Ils se comparent à leurs collègues ou à leurs supérieurs, sauf les femmes, qui s’informent plutôt auprès de leurs subalternes pour relativiser l’inégalité salariale qui les touche. Et cette comparaison brouillonne ne produit qu’insatisfaction, poursuit la sociologue de Paris-Dauphine.

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Mais il est difficile d’être transparent sur l’ensemble de la rémunération, estime Jean-Christophe Sciberras, le directeur des relations sociales d’AXA. « Dans les années 1990, on a commencé à objectiver les rémunérations sur les résultats, et on a poursuivi sur des éléments d’appréciation subjective. Or, il n’est pas simple d’être transparent sur ces points-là. » D’autant que « tout n’est pas explicable dans une rémunération, dans la mesure où on parle d’humain », souligne Emmanuel Dufour, DRH d’Unibail-Rodamco-Westfield.

Mais « la demande de transparence ne porte pas tant sur les revenus que sur l’équité », estime Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des DRH (ANDRH). « Ce que j’entends de mes collaborateurs, c’est qu’ils veulent comprendre le système, la cohérence », renchérit Régis Mulot. « Les cadres adhèrent au principe de personnalisation des rémunérations, mais sont perdus face à la mise en œuvre », note Mme Penalva-Icher.

La transparence est aussi portée par les actionnaires. « En quinze-vingt ans, le rôle de l’actionnariat a énormément évolué, pas seulement sur la rémunération des dirigeants, affirme Christophe Le Bars, DRH de Cegos. Dans de nombreuses assemblées générales, les actionnaires interrogent aujourd’hui sur les modalités de rémunération des salariés. »

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L’enjeu est de taille, 87 % des cadres disent discuter de rémunération et il s’agit de ne pas perdre les meilleurs. A la Fédération française de sport automobile, la structure est modeste, « on est à moins de cinquante salariés, explique la responsable RH, Sophie Cassan. On est totalement dans l’individualisation des rémunérations, sans système variable. En périphérie, il y a bien la prise en charge de la mutuelle, mais la marge de manœuvre est réduite. Du coup, on crée des différences entre les cadres sans s’en rendre compte, et on en perd qui partent vers les grands groupes ».

De plus en plus complexe et individualisée

Pour fidéliser leurs salariés, « ces dernières années, les sociétés ont mis en avant bien d’autres éléments que la rémunération. Dans un contexte qui apparaît de plus en plus important concernant l’équilibre des temps de vie, les services ou “benefits” qui facilitent la vie des collaborateurs ont pris une importance croissante : facilité pour télétravailler, pour se déplacer, crèches d’entreprise pour les jeunes parents… », énumère Emmanuel Dufour.

Pour Frédéric Dubois, chargé des politiques de rémunérations du Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), ces dernières ont besoin d’être améliorées sur trois axes : le premier est ce qu’on paye, car si au départ le salaire payait le travail, aujourd’hui, la rémunération paye autre chose, de la flexibilité, du temps disponible, etc. ; le deuxième est l’équité reposée par la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) et, enfin, troisième point, la compétitivité sur le marché, avec, par exemple, l’actionnariat salarié pour partager le succès de l’entreprise.

La rémunération est de plus en plus complexe et individualisée. « La demande de transparence est avant tout le besoin de comprendre la stratégie de l’entreprise. Les manageurs doivent échanger davantage pour rendre l’équité plus lisible », recommande-t-il. L’étape suivante étant de redonner de la perspective aux systèmes de rémunération.

Les invités du 14 janvier

Ont participé aux rencontres RH du 14 janvier : Elise Penalva-Icher, sociologue de l’université Paris-Dauphine ; Frédéric Dubois, responsable du département rémunérations d’ADP, Emmanuel Dufour, DRH d’Unibail-Rodamco-Westfield ; Régis Mulot, DRH d’Ipsen ; Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales d’AXA ; Sophie Cassan, responsable RH de la Fédération française de sport automobile ; Christophe Le Bars, DRH de Cegos ; Wassila Kriche, responsable RH de la mutuelle Unéo ; Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources ­humaines (ANDRH) ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Gilles van Kote, directeur délégué, Le Monde.

C&A s’apprête à fermer près d’un tiers de ses magasins en France

Le nombre de postes concernés (216) porterait à 336 le nombre de suppressions d’emplois chez C&A France, d’après les représentants du personnel.
Le nombre de postes concernés (216) porterait à 336 le nombre de suppressions d’emplois chez C&A France, d’après les représentants du personnel. PHILIPPE HUGUEN / AFP

C&A réduit une nouvelle fois la voilure. L’enseigne d’habillement va fermer 30 de ses 150 magasins en France au cours de l’année 2020, ont annoncé les représentants de son personnel, par communiqué, mercredi 22 janvier. Les premières mesures prises à l’été 2019 n’ont pas été « suffisantes, selon la direction », a rapporté une représentante élue de Force ouvrière, quelques jours après la tenue d’un Comité social et économique (CSE), le 17 janvier.

En avril 2019, la marque avait affirmé son intention de fermer quatorze de ses points de vente dans l’Hexagone. Bien que cette première opération ne soit pas achevée, elle envisage « un nouveau projet d’adaptation », qui pourrait conduire à « la fermeture de trente magasins supplémentaires », a confirmé une porte-parole au Monde.

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Trois de ces C&A sont situés en Ile-de-France, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), Argenteuil (Val-d’Oise) et Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). Plusieurs autres sont exploités dans de grosses agglomérations, dont Toulon (Var), Le Havre (Seine-Maritime), Brest (Finistère) et Toulouse (Haute-Garonne). L’enseigne avait déjà renoncé à ses adresses de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et Caen (Calvados). Cette nouvelle liste ne comprend aucun des magasins de Paris que l’enseigne exploite boulevard Haussmann, en face des grands magasins du Printemps et rue de Rivoli.

« Contexte de marché exigeant »

Le nombre de postes concernés (216) porterait à 336 le nombre de suppressions d’emplois chez C&A France, d’après les représentants de son personnel. Le calendrier des fermetures devrait être précisé lors des prochains CSE, prévus en février.

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Confrontée à la crise du marché français de l’habillement, l’enseigne serait dans le rouge « depuis au moins quatre ans », à en croire un élu. C&A avait déjà procédé à la fermeture d’une vingtaine de points de vente en deux ans, entre 2017 et 2018. Au printemps 2019, lors de l’annonce des 14 fermetures, le distributeur avait, pour expliquer sa décision, invoqué « le contexte de marché exigeant » et « la volonté de sauvegarder sa compétitivité ». Exploitée dans l’Hexagone depuis les années 1970, C&A vend des vêtements à bas prix pour les hommes, les femmes et les enfants. Partout, elle est confrontée à la concurrence de Kiabi, H&M et Primark.

La France n’est pas le seul pays concerné par les mesures de réduction de coûts du groupe C&A (1 900 magasins dans le monde, dont 1 575 magasins en Europe). Outre-Rhin, l’enseigne détenue par la famille Brenninkmeijer, héritière des fondateurs de la chaîne née en 1841, a mis en œuvre un plan de retournement. Selon la presse locale, il porte sur la fermeture de 100 de ses 450 magasins.

L’ère post-RSE a commencé

« Régulièrement accusés de « social-washing » ou de « green-washing », à tort ou à raison, les entrepreneurs engagés continuent d’avancer leurs pions au jour le jour, sans changer de cap. »
« Régulièrement accusés de « social-washing » ou de « green-washing », à tort ou à raison, les entrepreneurs engagés continuent d’avancer leurs pions au jour le jour, sans changer de cap. » Sven Hagolani/Flirt / Photononstop

« Carnet de bureau ». Le management va-t-il devoir changer de grille de lecture pour penser d’abord progrès social, intérêt général et défense des biens communs ? Le directeur général de la MAIF, Pascal Demurger en est convaincu : « La société commence aujourd’hui à demander et imposera demain aux entreprises qu’elles apportent la preuve de leur vertu dans leur activité même, tant à l’égard de leurs salariés que de leurs clients et de leur environnement », écrit-il dans son essai L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus (éditions de l’Aube, 246 pages, 17 euros).

Le Parlement des entrepreneurs d’avenir, réseau d’entreprises engagées créé en 2009, réunit les 22 et 23 janvier à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), quelque huit cents sociétés françaises qui ont l’ambition d’« humaniser le progrès » en intégrant les enjeux environnementaux et sociaux à tous les niveaux d’action de l’entreprise : de la stratégie jusqu’à la mission du manageur.

Mais les réponses qui furent les leurs par le passé, comme la responsabilité sociale et environnementale (RSE) ne suffiront plus à dédouaner les entreprises, précise M. Demurger. « On sort de dix ans de politique RSE, renchérit le président du Parlement des entrepreneurs d’avenir, Jacques Huybrechts. Aujourd’hui, le sujet c’est le post-RSE. Il s’agit de mettre l’économie au service de la planète, en se posant la question de ce qu’on mesure dans les progrès de l’entreprise, au regard des enjeux sociaux et environnementaux. Il faut orienter la finance vers ces enjeux ».

Un contexte favorable

Régulièrement accusés de « social-washing » ou de « green-washing », à tort ou à raison, les entrepreneurs engagés continuent d’avancer leurs pions au jour le jour, sans changer de cap. Depuis dix ans déjà, les « entrepreneurs d’avenir » associent rentabilité et responsabilité sociale. Mais aujourd’hui, le contexte leur est favorable : d’une part, ils font écho aux attentes des jeunes qui préfèrent travailler dans des entreprises aux forts engagements sociaux et environnementaux, à condition qu’ils soient sincères. Les jeunes ne se contentent plus de slogans ni de déclarations. Ils dénoncent les fausses promesses sur les réseaux sociaux et passent à la concurrence.

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« Cette question de l’attractivité de l’entreprise vaut, bien sûr, aussi à l’égard de ses clients », souligne Pascal Demurger, qui a fait de la MAIF la première grande entreprise à mission.

Fermeture de magasins, ventes en baisse… Le jean de Gap a le blues

Le magasin Gap de l’avenue des Champs-Elysées, à Paris, mardi 21 janvier.
Le magasin Gap de l’avenue des Champs-Elysées, à Paris, mardi 21 janvier. Gilles ROLLE/REA / Gilles ROLLE/REA

Au 36, avenue des Champs-Elysées, la messe est dite. Dans le magasin Gap que l’enseigne américaine exploite, depuis vingt ans, au bas de l’artère parisienne, la musique soul diffusée en sourdine résonne comme un requiem. Les vendeurs plient des centaines de jeans et de sweat-shirts aux prix bradés à moins 70 %. La chaîne n’en dit rien dans ses vitrines, mais la boutique fermera définitivement ses portes, samedi 25 janvier.

L’enseigne, qui, jusqu’à l’été 2019, exploitait vingt-huit pas de porte en France, multiplie, depuis, les fermetures de points de vente en Ile-de-France. Et, en dépit des 300 000 personnes qui, chaque jour, foulent les trottoirs des Champs-Elysées, elle a décidé de tirer un trait sur cette adresse prestigieuse. Elle ne lui procure plus que 9 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit moitié moins qu’en 2008. Pour l’heure, son emplacement n’a pas trouvé preneur.

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L’américain va « fermer 230 magasins [sur un total de 3 666], au cours des deux prochaines années », dans le monde, rappelle une porte-parole de la direction.

Confronté à une stabilité des ventes, à 16,6 milliards de dollars, soit 14,5 milliards d’euros, en 2018, et à une chute de sa marge opérationnelle à 8,2 %, le groupe, qui exploite les enseignes Gap, Old Navy et Banana Republic, prétend économiser 90 millions de dollars. Première visée : l’enseigne Gap, dont les ventes ont chuté de 5 % en 2018. Près de 250 des 850 employés dans l’Hexagone sont concernés. Aux Champs-Elysées, environ 90 personnes seront licenciées.

Ancien numéro un mondial

Rien ne laissait présager un destin aussi funeste. Le 2 juillet 1999, l’américain débarque au numéro 36 de l’avenue, sur 1 500 mètres carrés. « S’y installer était aussi important que d’ouvrir sur la VAvenue, à Manhattan », assure au Monde Ken Pilot, président de Gap à l’international à l’époque, aujourd’hui consultant et investisseur. Pour cette « fête », Bob Fisher, fils des fondateurs de l’enseigne née à San Francisco en 1969, a traversé l’Atlantique.

Près de 250 des 850 employés en France sont concernés par des fermetures de magasins

Mille invités empruntent un tapis rouge déroulé devant l’entrée. DJ Shazz remixe ses tubes de techno. Les flashs crépitent. Estelle Lefébure pose aux côtés de M. Pilot. Les membres du boys band français 2Be3 aussi.

A en croire Thierry Chevrier, agent immobilier, le petit monde du commerce tricolore se « presse » dans ce 35magasin français ouvert, après d’âpres négociations, à l’adresse qu’occupaient les tissus Rodin depuis 1953. Les vingt-six écrans géants, qui, en boucle, diffusent les spots de publicités de Gap, les épatent. Sa puissance de feu aussi.

Emmanuel Macron promet une baisse « significative » des impôts de production

Le président de la République, Emmanuel Macron, en visite à l’usine du groupe pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca, lundi 20 janvier.
Le président de la République, Emmanuel Macron, en visite à l’usine du groupe pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca, lundi 20 janvier. DENIS CHARLET / AFP

C’est un acronyme de trois lettres, ETI, et ces entreprises de taille intermédiaire mobilisent l’attention du gouvernement, après avoir été reléguées au second plan. Dans le cadre de la troisième édition de Choose France, une manifestation organisée pour y attirer les investisseurs anglo-saxons ou asiatiques, Emmanuel Macron met l’accent sur ces sociétés industrielles ou de services qui emploient 250 à 4 999 salariés et réalisent de 50 millions à 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.

Après avoir invité près de 200 dirigeants de multinationales (dont 150 étrangers) au château de Versailles, lundi 20 janvier, le président de la République devait recevoir à l’Elysée, mardi 21 janvier après-midi, quelque 500 dirigeants de PME en croissance et d’ETI, moins nombreuses (5 800) que les Mittelstand allemandes (12 500) ou leurs équivalents au Royaume-Uni (10 000) et en Italie (8 000).

Souvent innovantes (un quart des dépenses de recherche & développement), investies dans l’apprentissage, créatrices d’emplois (3,2 millions de salariés en 2015) et bien réparties dans l’Hexagone, ces entreprises ont un rôle essentiel, selon une récente étude de l’Institut Montaigne : « Elles structurent l’activité à l’échelle régionale et participent à l’intégration économique de l’ensemble des territoires. »

Réparer une forme d’injustice

M. Macron, qui veut réparer une forme d’injustice à leur encontre, a affirmé, devant leurs patrons, que les réformes menées depuis deux ans (assouplissement du code du travail, formation, réforme de l’ISF, suppression des seuils sociaux…) leur étaient destinées. Mais il veut aller plus loin, en améliorant leur accès aux compétences, en facilitant les transmissions de ces entreprises souvent familiales, en favorisant le passage des PME vers les ETI, en créant une « marque ETI », en multipliant les « clubs » où elles se rencontrent en région ou en les invitant davantage dans les voyages officiels à l’étranger.

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M. Macron s’est aussi engagé à assouplir la fiscalité, sur le modèle de la programmation de la réduction à 25 % de l’impôt sur les sociétés à la fin du quinquennat. Dans le cadre du « pacte productif », qu’il présentera prochainement pour permettre à la France d’atteindre le plein-emploi en 2025, il s’engagera sur une « baisse significative » des impôts de production : 75 milliards d’euros en 2019, qui pèsent sur les entreprises, soit trois fois plus qu’en Allemagne, mais qu’il faudra compenser à leurs principaux bénéficiaires, les collectivités locales.

« Le vieillissement et la mort en série des baby-boomeurs vont poser des questions vertigineuses »

Médecin spécialisée en cancérologie cutanée, qui a effectué toute sa carrière au CHU de Bordeaux, Michèle Delaunay a été députée PS de la Gironde de 2007 à 2012, puis ministre déléguée de François Hollande, chargée des personnes âgées et de l’autonomie, de 2012 à 2014. A 73 ans, elle vient de publier Le Fabuleux Destin des baby-boomers (Plon, 366 p., 20 €), un ouvrage très documenté et résolument positif dans lequel elle invite cette génération à abolir les barrières de l’âge et à faire la révolution de l’âge.

Michèle Delaunay en 2014.
Michèle Delaunay en 2014. Archives personnelles

D’abord, qui sont les baby-boomeurs ?

C’est la génération correspondant à la période où la natalité a été la plus forte en France, avec entre 800 000 et 900 000 bébés chaque année. Tout le monde s’accorde pour situer son début en 1946, année où le nombre de naissances avait bondi de 200 000 par rapport à l’année précédente. C’est moins clair pour la fin. L’historien Jean-François Sirinelli la fixe en 1969 ; j’ai pour ma part retenu 1973, année après laquelle les naissances ont chuté de façon importante.

Ce qui est remarquable, c’est que 20 millions des 24 millions de personnes qui ont vu le jour dans cette tranche 1946-1973 sont encore en vie. Jamais une génération n’avait perdu aussi peu de ses enfants. Pour autant, les baby-boomeurs, qui ont donc aujourd’hui entre 46 ans et 73 ans, ne constituent pas une génération homogène. Il y a clairement eu deux vagues. La première, dont je fais partie, celle des « oiseaux du matin », nés avant 1955, a été élevée avec la marque de la seconde guerre mondiale, et dans une culture paysanne. La seconde est celle des « oiseaux de midi », qui ont connu dès leur enfance la publicité et la société de consommation. Les derniers d’entre eux ont aussi été davantage confrontés au rétrécissement du marché du travail. Le sociologue Serge Guérin a inventé un mot pour qualifier les boomeurs de la dernière heure : les « quincados », des quinquagénaires qui vivent comme des adolescents.

Alors que le débat sur la réforme des retraites est particulièrement houleux en France, vous vous prononcez dans votre livre pour un allongement du temps d’activité et qualifiez la retraite « à jour fixe » d’injustice…

Bien sûr, il faut tenir compte de la pénibilité de certains métiers, mais aujourd’hui, avec les progrès médicaux et l’augmentation de la longévité, la vieillesse avec invalidité est globalement décalée de vingt ans. Dans bien des cas, imposer une retraite à un âge fixe n’a plus de sens. Beaucoup de boomeurs se sentent en forme et souhaitent continuer à travailler. Pour ma part, si j’avais exercé un métier où l’on me mette dehors à 60 ou à 62 ans, j’aurais saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le débat actuel porte sur l’âge légal et un âge pivot, mais, à l’inverse, si quelqu’un veut poursuivre son activité professionnelle au-delà de 65 ans, est-ce que sa retraite sera bonifiée ? Cette question n’est jamais posée.

« Le robot contre la mobilité sociale »

Tous les pays développés connaissent, depuis les années 1980, ce qu’on a appelé la polarisation des marchés du travail : l’emploi se concentre de plus en plus d’une part dans les activités où les niveaux d’éducation et de salaire sont élevés, d’autre part dans celles où les niveaux d’éducation et de salaire sont bas, le tout au détriment des emplois traditionnels intermédiaires.

En 1970 aux Etats-Unis, 31 % des emplois étaient peu qualifiés, 39 % intermédiaires, 30 % qualifiés. Cinquante ans plus tard, la part des emplois peu qualifiés est restée la même : 31 % ; mais seulement 23 % des emplois sont intermédiaires et 46 % sont qualifiés.

« L’évolution du marché du travail a eu peu d’effets sur les mieux éduqués, et des effets très négatifs pour les moins éduqués »

On peut affiner l’analyse en distinguant les salariés selon leur possession d’un diplôme d’enseignement supérieur. Parmi les personnes titulaires d’un diplôme universitaire, la part des emplois intermédiaires recule de 27 % en 1980 à 20 % aujourd’hui. Mais le phénomène est encore plus marqué pour les personnes sans diplôme universitaire, pour qui la part des emplois intermédiaires a chuté de 43 % à 29 %, alors que celle des emplois qualifiés a très peu augmenté, de 15 % à 17 %, et que celle des emplois peu qualifiés a bondi de 42 % à 54 %. La principale conclusion n’est donc pas tant la hausse des qualifications sur le marché de l’emploi que la perte de l’accès des moins qualifiés aux emplois intermédiaires.

Ces observations peuvent être étendues à la France où, en 1992, les emplois qualifiés représentaient 33 % de l’emploi total, les emplois intermédiaires 49 % et les emplois peu qualifiés 18 %. Les projections pour 2022 sont respectivement de 43 % (+10 points), 39 % (-10 points) et 18 % (stable).

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Le phénomène s’expliquerait par l’impact du déploiement des nouvelles technologies (« Work of the Past, Work of the Future », David Autor, American Economic Review Papers and Proceedings n°109, mai 2019). Celles-ci ont peu modifié le travail des diplômés de l’université, dont 57 % occupaient déjà en 1980 des emplois qualifiés et complexes ; c’est encore le cas de 61 % d’entre eux aujourd’hui. Mais elles ont fait disparaître les emplois intermédiaires détenus par les personnes au niveau d’éducation plus faible : ouvriers qualifiés de l’industrie, employés qualifiés des services financiers et des services aux entreprises… L’évolution du marché du travail a donc eu peu d’effets sur les mieux éduqués, et des effets très négatifs pour les moins éduqués.