Rue Bayen, dans le 17e arrondissement de Paris, de nombreuses personnes font la queue sur le trottoir pour se rendre à La Poste, le lundi 16 mars. JULIEN MUGUET « POUR LE MONDE »
La distribution du courrier était maintenue, mardi 17 mars, mais des facteurs ont fait valoir leur droit de retrait partout sur le territoire, estimant que les mesures prises par La Poste sont insuffisantes pour protéger leur santé et celle du public face au coronavirus.
Interrogée mardi matin par l’Agence France-Presse (AFP), la direction de La Poste a fait savoir qu’elle était en train de faire le point de la situation. Elle a précisé que « 1 600 bureaux de poste étaient ouverts mardi » sur 7 740, assurant « les opérations prioritaires : retrait-dépôts d’espèces, mandat cash, retraits de courriers-colis en instance ». « 80 % des factrices et des facteurs, soient environ 55 000, assurent leurs tournées ce jour. L’appareil industriel de La Poste fonctionne normalement [centre de tri pour les courriers et les colis] », a-t-elle ajouté.
Une vingtaine de départements concernés
Des postiers « ont exercé leur droit de retrait à Marseille, Lille, Lorient, Toulouse, Caen, Vitrolles, Paris, Chambéry, Le Mans, Bayonne, Bergerac, Montpellier, Sarlat, en Seine-Saint-Denis, dans le Puy-de-Dôme, l’Aube, la Haute-Normandie, en Gironde, dans le Finistère, le Val-de-Marne, la Sarthe et les Hauts-de-Seine, et la colère monte un peu partout sur le territoire pour les mêmes raisons, certains directeurs locaux tentant de s’y opposer », a affirmé, de son côté, SUD-PTT, qui dénonce « un manque de protection élémentaire ». « A Paris, l’ensemble des fédérations syndicales (CGT, CFDT, FO, SUD-PTT, UNSA, CFTC, CGC) ont dénoncé les pressions exercées sur les salariés dans l’exercice de leur droit de retrait », a déclaré à l’AFP Eddy Talbot (SUD-PTT).
Lors d’une réunion avec la direction des ressources humaines du groupe, elles ont aussi demandé « que les missions indispensables soient redéfinies avant toute chose mais la direction a estimé que toute l’activité devait être assurée », a-t-il déploré, évoquant un « silence au sujet des personnes contaminées ».
« Un paquet de mouchoirs jetables et un sac-poubelle »
« Une bouteille d’eau, un paquet de mouchoirs jetables et un sac-poubelle : c’est tout ce que La Poste a fourni aux facteurs au lendemain de l’allocution du président de la République annonçant le confinement [des Français] », a dénoncé auprès de l’AFP François Marchive, responsable de SUD-PTT Isère-Savoie. Chargé de la distribution du courrier, il s’insurge : « Des mesures ont été prises dans les bureaux de poste mais, du côté des facteurs, rien n’est fait ! Les agents mettent leur vie en danger. »« On va demander à être reçu par le préfet et à avoir un contact avec le cabinet du ministre de la santé [Olivier Véran] », également ancien député de l’Isère, a-t-il ajouté.
Dans les Hauts-de-Seine, « 200 postières et postiers exercent depuis lundi leur droit de retrait, majoritaire dans les établissements courrier d’Asnières, Gennevilliers, Levallois, Villeneuve-La-Garenne, Clichy, Fontenay-aux-Roses, Malakoff, Courbevoie » et de nombreux facteurs ont aussi cessé le travail à Boulogne, Nanterre et Neuilly, précise SUD-PTT 92 dans un communiqué.
Selon Serge Bourgin, secrétaire départemental SUD-PTT35, « le mécontentement est fort à la plate-forme industrielle courrier [PIC] de Rennes, un établissement qui compte 410 salariés, maintenus au travail sur les machines de tri, malgré les demandes de droit de retrait et alors qu’il y a des cas de contamination avérés ». « La direction de La Poste veut maintenir l’activité. Hier, il y avait un peu plus de 350 bureaux de poste ouverts, aujourd’hui 69, il y a eu quatre bureaux avec des gens malades, fermés en catastrophe », a ajouté ce syndicaliste.
« En 2018, un superviseur de l’usine de Renton (Washington) voulait arrêter les cadences de production qui créaient un problème de sécurité : cette requête a été refusée » (Photo: sur les lieux du crash du Boeing de l’Ethiopian Airlines, le 11 mars 2019). Mulugeta Ayene / AP
Tribune. A la lecture du rapport préliminaire de la commission des transports du Congrès américain sur le Boeing 737 MAX, publié le 6 mars, mais passé inaperçu pour cause de coronavirus, c’est un vrai « dieselgate » de l’industrie aéronautique que l’on découvre. On se demande comment Boeing a pu affirmer si longtemps que ses avions défectueux voleraient à nouveau rapidement. Car le bug à l’origine des deux crashs de la Lion Air (2018) et de Ethiopian Airlines (2019) n’est pas une cause, mais un aboutissement.
La commission d’enquête a reçu 600 000 pages de documents, a mené vingt auditions officielles et, une fois en action, a reçu nombre d’informations émanant de lanceurs d’alerte.
Pour le Congrès américain, la pression commerciale d’Airbus et de son A320 Neo a amené Boeing à couper dans les coûts tout en maintenant un planning démentiel pour mener son programme sans jamais ralentir la cadence, quels que soient les problèmes de production rencontrés en cours de route.
Il y a aussi eu des erreurs de jugement sur les technologies critiques pour la sécurité de ces avions désormais cloués au sol. On a peine à croire que Boeing a délibérément relié à un seul capteurle fameux système MCAS [le système automatique antidécrochage], à l’origine des crashs. C’est en effet le MCAS qui, dans certaines conditions, incline intempestivement le nez de l’avion. Boeing n’a pas voulu déclarer ce système comme étant un équipement « critique », pour éviter de perdre du temps en certification. Or, l’alerte de dysfonctionnement du MCAS ne fonctionnait pas sur la plupart des avions.
Conflit d’intérêt
Plus grave est le conflit d’intérêt, pourtant évident, des employés de Boeing… agissant comme délégués de la Federal Aviation Authority (FAA), le régulateur américain de l’aviation, pour effectuer en son nom le travail de certification.
Il est pourtant évident que, sous la pression commerciale, ce type de délégation est voué à l’échec. Le rapport met en évidence qu’un de ces délégués avait décidé de ne pas insister sur la nouveauté du système MCAS afin d’éviter trop de certifications et de temps de formation sur simulateur de vol, pour permettre aux pilotes du 737 NG de voler directement sur le 737 MAX.
Pour le Congrès américain, la pression commerciale d’Airbus et de son A320 Neo a amené Boeing à couper dans les coûts tout en maintenant un planning démentiel pour mener son programme sans jamais ralentir la cadence
Et même lorsque ces régulateurs ont bien fait leur travail, la direction de la FAA a contredit leurs avis à plusieurs reprises, comme l’a constaté la commission. Au sein de la FAA elle-même, la communication était en effet déficiente entre bureaux pourtant responsables conjointement de la certification. Et la FAA n’a tout simplement pas correctement utilisé son pouvoir d’investigation, ne posant pas suffisamment de questions et en n’examinant pas en profondeur les réponses de Boeing.
Devant l’usine Airbus, à Hambourg, lundi 16 mars. FABIAN BIMMER / REUTERS
Airbus a annoncé, mardi 17 mars, la suspension de sa production sur deux de ses quatre sites espagnols et à Toulouse. L’objectif de l’avionneur européen est de «mettre en place les directives» de confinement de la population annoncées, lundi 16 mars, par le gouvernement pour lutter contre la propagation du Covid-19. La direction du groupe veut mettre à profitles quatre jours qui viennent pour définir «les conditions de transports» de ses salariés qui seront obligés de retourner à l’usine dès lundi 23 mars. Seuls les personnels nécessaires au maintien de la production reviendront à leurs postes. Les autres devront poursuivre leurs activités via le télétravail.
D’ici lundi, la direction veut désinfecter préventivement les deux sites. Pour préparer «le retour des équipes», elle veut d’abord assurer sa fourniture en blouses, masques et charlottes de protection contre le coronavirus. Le siège de l’avionneur européen, à Toulouse, rassemble chaque jour environ 40 000 salariés, dont 30 000 employés directs d’Airbus.
Feuille de route maintenue
Jusqu’à aujourd’hui, le constructeur semble relativement épargné par la propagation de l’épidémie. «Un seul cas positif» a été détecté en Espagne et un autre parmi la myriade de sous-traitants d’Airbus en France. Toutefois, la décision du groupe semble faire écho à l’appel lancé, lundi, par le syndicat Force ouvrière (FO), la première organisation chez Airbus et notamment à Toulouse. Dans un tract, « FO demande le confinement total pour protéger nos salariés et notre industrie». Une demande qui, si elle était acceptée par la direction, aurait comme conséquence directe l’arrêt total de la production. Une issue que les dirigeants de l’avionneur veulent absolument éviter.
Un ralentissement de l’activité à cause du développement de la pandémie n’a pas été décidé
De même, un ralentissement de l’activité à cause du développement de la pandémie n’a pas été décidé. Airbus devrait évoquer cette question, «fin mars», à l’occasion de la publication de ses résultats pour le premier trimestre de 2020.
Depuis le début de l’année, l’avionneur n’a pas dévié de sa feuille de route et a poursuivi sa montée en cadence pour produire, chaque année, plus d’avions que la précédente. C’est ainsi que lors des deux premiers mois de 2020, il a produit plus d’appareils que lors de la même période un an plus tôt. En février, les chaînes d’assemblages ont ainsi sorti six unités de plus qu’il y a un an. En mars, Airbus a même «livré à Aeroflot le premier des vingt-deux long-courriers A350» commandés par la compagnie aérienne russe.
L’objectif d’Airbus est de «maintenir l’activité » de ses usines, assurer «la continuité des opérations» pour livrer ses clients. Aujourd’hui, une compagnie doit patienter en moyenne cinq ans avant de prendre livraison d’un avion. Un délai qu’Airbus ne souhaite pas allonger. Déjà ultra-dominateur sur le secteur des moyen-courriers avec plus de 60 % de part de marché, le constructeur aéronautique a vu celle-ci augmenter au-dessus de 70 % à cause des déboires de Boeing dont le 737 MAX, concurrent direct de l’Airbus 320, est cloué au sol de puis le 13 mars 2019, après deux catastrophes qui ont causé la mort de 346 passagers et membres d’équipages.
Deux heures de réunion téléphonique le matin avec le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et presque autant l’après-midi avec Agnès Pannier-Runacher, sa secrétaire d’Etat. Les représentants des commerçants ont été sollicités toute la journée du lundi 16 mars pour avoir des réponses à la crise financière qui menace les entreprises et ajuster le plan d’urgence pour les commerçants, contraints de fermer boutique à la suite des mesures d’urgence sanitaire.
Le gouvernement leur a promis la mise en place d’un plan qui coûtera un milliard d’euros par mois afin d’aider les 450 000 entreprises indépendantes qui réalisent moins d’un million de chiffre d’affaires par an. Ce fonds sera abondé par l’Etat, les régions, mais aussi par un appel que devrait lancer le gouvernement auprès des grandes entreprises – même si bon nombre d’entre elles sont également en difficulté. Une indemnité forfaitaire de 1 500 euros, dont la fréquence de versement reste à définir, devrait être accordée aux entreprises qui doivent baisser le rideau ou qui ont enregistré une baisse d’au moins 70 % de leur chiffre d’affaires. Elles pourront aussi étaler leurs charges sociales et fiscales sur simple demande, sans pénalité.
« A priori, ce sera sur simple déclaration, sans démarche sophistiquée. Pas besoin de recourir à son expert-comptable », indique Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF). A la différence des précédentes mesures d’aides aux commerçants, pour répondre aux conséquences du mouvement des « gilets jaunes » ou des grèves, que les commerçants avaient trouvé administrativement trop complexes. « Mais on a demandé qu’il y ait une campagne de communication nationale, en télé, radio… pour que le plus petit commerçant du fin fond de l’Aveyron puisse être au courant », poursuit M. Palombi, qui ajoute : « On a demandé aussi l’instauration d’une cellule psychologique, car il y a des chefs d’entreprise qui sont confinés, qui tournent en rond et se demandent comment ils vont pouvoir subsister. »
D’autant qu’ils ont des loyers à payer. Le gouvernement réfléchit, à la demande des fédérations et des associations, à un dispositif fiscal qui inciterait les bailleurs privés, principaux propriétaires des magasins que les petits commerçants exploitent, à suspendre ou différer les échéances. Les grands enseignes, elles, sont en discussion avec les centres commerciaux.
Depuis le 2 mars, Bpifrance, qui accorde des prêts aux petites entreprises, a mis en place des mesures d’accompagnement aux PME touchées par l’épidémie, dont des prêts de trésorerie pour assurer leur fonds de roulement.
L’Etat a demandé également aux assureurs d’intégrer dans les contrats d’assurance la prise en charge de la perte d’exploitation, dont beaucoup de commerçants ne disposent pas. Et ce, de manière rétroactive.
Toutes ces mesures doivent être affinées et seront mises en place très prochainement. Dans son allocution de 20 heures, le président de la république, Emmanuel Macron, devrait les évoquer, avant qu’elles soient détaillées par Bruno Lemaire, mardi 17 mars, à 7 h 45 sur RTL.
« Entre tristesse de fermer et sentiment de participer à l’effort collectif pour lutter contre la pandémie, tous les 2 000 cinémas, soit 6 000 salles en France ont fermé samedi 14 mars à minuit », a expliqué au Monde Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). Une situation inédite.
Les salles emploient dans l’Hexagone quelque 15 000 salariés. Et un mois d’exploitation, comme celui de mars 2019, par exemple, représentait 18,34 millions de tickets vendus à 6,70 euros en moyenne, soit un chiffre d’affaires de près de 123 millions d’euros.
L’enjeu est crucial pour les exploitants, mais aussi pour toute la filière – depuis les tournages jusqu’aux distributeurs et aux producteurs. Trois phases d’aides aux entreprises sont prévues. Tout d’abord, le gouvernement a déjà annoncé la mise en œuvre de mesures de chômage partiel, de report des charges fiscales et sociales (URSSAF, impôts), avec, dans les cas les plus difficiles, des remises d’impôts directs. « Il s’agit de mettre en sommeil tous les cinémas », qu’il s’agisse d’entreprises, d’associations, de cinéma en régie… souligne le délégué général de la FNCF.
« Préparer la réouverture des salles »
Dans un second temps, interviendra la mise en œuvre des mesures annoncées vendredi 13 mars par le Centre national du cinéma (CNC), comme lasuspension en mars de la taxe sur les billets (TSA), payée par les exploitants de salles. D’autres coups de pouce avaient été annoncés la semaine dernière, comme le paiement accéléré, dès mars, des subventions Art et essai pour ces 1 200 établissements classés et des aides renforcées aux salles, aux entreprises de distribution et aux producteurs.
« Dans plusieurs semaines, on espère le plus tôt possible, explique M. Sebbag, il faudra préparer la réouverture des salles ». En attendant, pour les films à l’affiche, « ce sera le plus compliqué » puisque leur carrière est stoppée net et ils devront attendre quatre mois avant de pouvoir être exploités en vidéo à la demande » , constate M. Sebbag. Les longs-métrages qui devaient sortir mercredi, pourront certes négocier une sortie avec les plateformes mais devront négocier avec le CNC s’ils ont reçu des aides liées à leur sortie sur grand écran. « Cela devra rester exceptionnel », affirme-t-il.
Dimanche 15 mars, rue Mercière, à Lyon, les restaurants sont fermés. Bruno Amsellem/Divergence pour « Le Monde »
En même temps que la crise sanitaire, l’urgence économique est montée d’un cran, ce week-end, à mesure que l’épidémie de Covid-19 submerge la France. L’annonce, samedi 14 mars au soir, par le premier ministre, Edouard Philippe, de la fermeture des commerces, restaurants, bars et discothèques – à l’exception des commerces alimentaires et des pharmacies – a fait l’effet d’un coup de massue pour les professionnels, qui n’ont pas tardé à appeler à l’aide. « Nous comprenons bien sûr cette décision, mais il nous faut absolument un plan massif de soutien à ces entreprises », a rapidement réagi sur Twitter Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, appelant à un « plan “Canadair” massif de garanties de l’Etat aux banques, pour qu’elles puissent prêter aux PME avec un temps long de remboursement (10 ans) et un différé de paiement ».
Face à l’inquiétude des commerçants, des petites entreprises ou des indépendants, le gouvernement cherche à rassurer à tout prix. Contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni ou en Italie, il se refuse toutefois pour le moment à donner un chiffre précis. Bruno Le Maire a rappelé dimanche soir sur France 2 que l’épidémie allait coûter « des dizaines de milliards » d’euros à l’économie, que « chacun aura une solution économique à ses difficultés ». « J’ai dit qu’il y aurait tout l’argent qu’il faudra », a martelé le ministre de l’économie. « N’allons pas rajouter de la détresse économique » à l’inquiétude sanitaire, a-t-il poursuivi.
Manière de dire que l’exécutif compte soutenir les entreprises et, à travers elles, l’emploi. Depuis la semaine dernière, toutes les entreprises peuvent bénéficier d’un dégrèvement des cotisations et d’impôts, la garantie des prêts de Bpifrance – la banque publique d’investissement – pour les petites et moyennes entreprises (PME) a été renforcée et étendue aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), et l’Etat prend en charge l’intégralité de l’indemnisation des entreprises à leurs salariés en chômage partiel. « Le coût global de tout cela sera très élevé », a également souligné la ministre du travail, Muriel Pénicaud, enjoignant toutes les entreprises qui en ont besoin à avoir recours au chômage partiel, sans attendre la réponse de l’administration à leur demande.
Bercy planche désormais sur les modalités d’un fonds de solidarité qui viserait plus spécifiquement les indépendants. « L’idée serait de dire : vous êtes indépendants, vous avez perdu 90 % de votre chiffre d’affaires, on vous donne telle somme vous permettant de vous payer un peu. Après, il faut voir si c’est un prêt ou pas, qui a droit à quoi… Le fonds pourrait être abondé par l’Etat, en discussion avec les régions et la solidarité de plusieurs grandes entreprises », laisse-t-on entendre dans l’entourage de Bruno Le Maire. Pour le moment, seuls les salariés peuvent bénéficier du chômage partiel.
A l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), le 6 mars. THOMAS SAMSON / AFP
Sur les fils WhatsApp des médecins et personnels hospitaliers, les messages alertant sur la situation dans les hôpitaux de la région Grand-Est ont circulé toute la journée de dimanche 15 mars, décrivant « l’enfer » dans des services de réanimation saturés. Le temps d’un week-end, la situation a basculé en France, désormais passée au stade 3 de l’épidémie. Dimanche, plus de 400 personnes étaient hospitalisées dans un état grave (contre 300 la veille).
« C’est une épidémie très rapide et on voit que le nombre de cas double désormais tous les trois jours », a alerté, lundi matin, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon. « On voit bien qu’aujourd’hui les hôpitaux (…) ont vraiment de grandes difficultés à prendre en charge les patients qui arrivent tous les jours, toutes les heures », a-t-il souligné. « Je lance un appel à la mobilisation générale de tous les Français. Ce serait catastrophique de devoir en arriver à trier des personnes (…) en réanimation car il n’y a pas de place », a ajouté Jérôme Salomon.
Dans la région Grand-Est, la plus touchée de l’Hexagone, les hôpitaux vacillent déjà. Le Haut-Rhin concentre les inquiétudes. « On arrive à saturation, on a vingt-cinq personnes sous ventilation à Colmar », explique Jean-François Cerfon, président du conseil départemental de l’ordre des médecins.
« Nous n’avons plus de marge, on est à flux tendu »
Dans l’hôpital de cette ville, toutes les opérations non urgentes ont été déprogrammées, des lits supplémentaires ont été ouverts, mais cela ne suffit pas : « Nous n’avons plus de marge, on est à flux tendu, c’est un casse-tête permanent pour trouver des lits », explique l’anesthésiste-réanimateur, qui craint « trois semaines très dures ». Un urgentiste strasbourgeois confirme que la situation commence à se tendre dangereusement : « C’est une réorganisation permanente car nous n’avons pas assez de lits en réanimation. Nous avons ouvert de nouveaux lits “Covid” mais ils sont déjà tous pleins. »
La faculté de médecine a mobilisé ses étudiants, internes ou externes, sur la base du volontariat, pour venir aider dans les CHU. Des médecins de ville ont aussi fermé leur cabinet pour prêter main-forte. Une aide bienvenue tant « la situation est dramatique ».
A Strasbourg, la capacité de réanimation est d’environ 100 lits : ils sont tous occupés, dont la moitié par des cas de Covid-19. Cette capacité va être augmentée pour passer à 200 lits. « On va avoir un crash test la semaine prochaine », estime Jean Sibilia, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg. Car, assure-t-il, « on n’est pas encore au sommet du pic épidémique ». Les moyens, notamment les masques, sont relativement disponibles encore, au moins dans les services dédiés, mais, « si la hausse continue, on va être dans une situation difficile ».
« Une partie de la population n’a pas pris la mesure »
Et le professeur de médecine de rappeler, comme ses confrères, que le confinement et le respect des consignes − éviter de sortir et de se rassembler − sont « un volet majeur dont une partie de la population, qui est un peu dans le déni, n’a pas pris la mesure. Tout ce qui fait qu’on peut éviter de créer une chaîne humaine, casser les transmissions, arrêter les réunions, les dîners entre amis, etc. » est indispensable. « C’est entre nos mains, exhorte-t-il. Pour l’Alsace, c’est presque trop tard, mais on peut encore sauver ce qui peut l’être ailleurs. »
Les yeux rivés sur la situation dans la région Grand-Est, l’Ile-de-France se prépare à encaisser d’ici à quelques jours le choc d’une arrivée massive de patients en état grave. « En Moselle, ils se sont pris la vague une semaine avant nous. On va rentrer dans une cinétique qu’il va falloir réussir à casser ou à atténuer », estime Dominique Pateron, le président de la collégiale des urgentistes de l’AP-HP.
Chez les responsables hospitaliers, le changement de ton entre vendredi et samedi est net. « Si vous voulez aider les hôpitaux, il faut faire en sorte que la vie sociale se restreigne. C’est fondamental. Je supplie l’ensemble des Français d’appliquer les mesures annoncées », a lancé, samedi soir, d’une voix blanche, Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris (AP-HP). Pour libérer des lits et des personnels, la moitié des interventions programmées au sein du groupe a déjà été annulée.
Un peu plus tard dans la soirée de samedi, Aurélien Rousseau, le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France, assurait au Monde, entre deux réunions de crise, suivre « heure par heure l’évolution du nombre de cas et de patients en réanimation », un nombre en « accélération nette depuis mercredi ». Pour M. Rousseau, « aucun doute sur le fait que nos réanimations vont être sous une pression maximale. C’est une course contre la montre pour dégager des capacités et aplatir la courbe. Nous allons être à l’épreuve. » Lundi matin, la Fédération hospitalière de France en appelait à « une union sanitaire sacrée » pour combattre « cette épidémie historique ».
« C’est mécaniquement impossible de tous les soigner »
Chez certains médecins, l’heure est même à l’alarme. « Depuis jeudi, il y a au moins vingt ou trente patients Covid qui arrivent chaque jour dans les hôpitaux parisiens. Un sur sept va nécessiter un transfert en réanimation, où il peut rester jusqu’à vingt jours. C’est mécaniquement impossible de tous les soigner », lance Cécile Ghander, endocrinologue à la Pitié-Salpêtrière, qui vient d’être mobilisée pour le dépistage Covid.
En lisant le message décrivant la situation aux urgences de Mulhouse (Haut-Rhin) qui a beaucoup tourné dimanche chez les soignants, elle reconnaît avoir eu un coup de découragement. « Je me suis dit que c’était foutu, que, malgré tout, ce virus gagne sur le système. Les moyens sont enfin là, mais ils ne suffiront probablement pas. C’est il y a trois semaines qu’il aurait fallu commencer les quarantaines, vider les hôpitaux, et former tout le monde à prendre en charge les Covid. Ce qui me fait peur, c’est que, s’ils ne décident pas une vraie quarantaine, un vrai confinement strict, il y aura encore plus de morts. »
« Nous avons tous peur de ce qui arrive »
D’un bout à l’autre du territoire, on attend désormais le moment d’être frappé de plein fouet par la vague. « Les quatre premiers jours, c’était le désert des Tartares, mais, vendredi, quatre patients sont arrivés d’un coup dont trois dans un état grave », observe Nicolas Van Grunderbeeck, infectiologue à l’hôpital d’Arras, dans les Hauts-de-France. « Nous n’avons pas encore les résultats de tests, mais le tableau ressemble à ce que nous ont décrit nos collègues : un syndrome de détresse respiratoire très sévère et une dégradation rapide de l’état de santé. »
Le plus jeune des patients a 29 ans, et le plus âgé 60 ans. A Arras, où la situation était calme jusque-là, six lits de réanimation Covid ont été ouverts vendredi après-midi, et la capacité d’hospitalisation sera doublée dans la semaine pour atteindre trente lits. Des médecins réanimateurs du privé pourraient être appelés à la rescousse en cas de besoin.
« Nous avons tous peur de ce qui arrive », lâche Nicolas Van Grunderbeeck, en soulignant des « difficultés » pour obtenir des ventilateurs supplémentaires. « Nous nous attendons aussi à des difficultés pour les masques », souligne le médecin, en expliquant que les soignants s’efforcent déjà de les économiser en les gardant trois heures d’affilée sans en changer.
Devant l’hôtel de ville du Havre (Seine-Maritime), le 15 mars. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
Assurer la continuité du transport tout en dissuadant la plupart des Français de se déplacer. Voilà l’équation que doivent désormais résoudre les pouvoirs publics et les principaux opérateurs de la mobilité, alors que l’épidémie de Covid-19 s’accélère dans le pays.
La France a atteint le stade 3 épidémique, dimanche 15 mars. Et les commerces non essentiels ainsi que les établissements scolaires et universitaires sont désormais fermés.
Dans cette optique, la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, et le secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, ont détaillé, dimanche matin, plusieurs mesures d’adaptation à cette nouvelle donne. « Les transports en commun en agglomération seront maintenus pour permettre aux Français d’accomplir les déplacements strictement nécessaires, a expliqué Elisabeth Borne. Les transports de plus longue distance entre les agglomérations – par train, car et avion – seront progressivement réduits afin de limiter la propagation du virus sur le territoire national. Mais tout le monde pourra retourner vers son domicile, il n’y aura pas d’arrêt brutal et pas d’arrêt complet. »
Programme très réduit chez Air France
Lundi 16 mars, sept trains sur dix devaient circuler sur les réseaux SNCF : TGV, TER et Transilien. Le lendemain, mardi 17 mars, l’ensemble du trafic ferroviaire sera divisé par deux par rapport à la normale. « Des solutions de déplacement de rechange seront trouvées pour 100 % de nos clients sans frais supplémentaires », a assuré un porte-parole de la société publique.
Dans l’aérien, le tableau est similaire. L’offre s’amenuise considérablement, en particulier chez Air France, qui présentera un programme très réduit, se contentant surtout d’assurer la continuité territoriale avec l’outre-mer. Si les aéroports restent ouverts, des fermetures progressives de terminaux sont à prévoir : Orly 2 et les S4 et 2G de Roissy en région parisienne, le terminal 1 de l’aéroport de Nice.
Derrière cette réduction de la voilure, il y a plusieurs objectifs : s’adapter à la baisse de fréquentation prévisible, liée au télétravail et à la fermeture des écoles et des facultés ; envoyer un message cohérent avec la demande gouvernementale de réduction des déplacements ; anticiper le risque de réduction du personnel coincé chez lui par ses enfants à garder ou confiné pour raisons sanitaires.
Elisabeth Borne et Jean-Baptiste Djebbari, lors d’une conférence de presse sur l’épidémie de Covid-19, à Paris, le 15 mars. BRUNO LEVY POUR « LE MONDE »
Si, à la SNCF, on dit ne compter que deux agents atteints par le nouveau coronavirus, en revanche, selon nos informations, plusieurs centaines de cheminots ont été, par précaution, mis en quarantaine pour avoir potentiellement été en contact avec un porteur du SARS-CoV-2.
Droit de retrait massif à Bordeaux
« La direction de la SNCF a pris vite des mesures énergiques, admet Laurent Brun, le secrétaire général de la CGT-Cheminots, le premier syndicat de l’entreprise. Par contre, la communication gouvernementale, précipitée et incohérente, a semé la panique. Nous avons dû rassurer pas mal de collègues. Quant à l’idée de réduire de 50 % le trafic Transilien, elle ne nous paraît pas pertinente. Ce n’est pas le moment d’entasser des gens dans les RER. »
« C’est vrai qu’il y a de l’inquiétude, en particulier chez les personnels en contact avec le public », ajoute Florent Monteilhet, secrétaire général adjoint de l’UNSA-Ferrioviaire, deuxième syndicat de la SNCF. Les représentants des salariés bataillent pour obtenir des masques et du gel hydroalcoolique. Plusieurs cas de droit de retrait ont dû être gérés, dans le Sud-Ouest et à Paris, gare du Nord en particulier.
Côté transports urbains, l’angoisse est aussi présente. A Bordeaux, la contamination d’un couple de salariés du réseau de transport métropolitain (un conducteur de tram et son épouse, conductrice de bus) a provoqué un droit de retrait massif et un arrêt presque total de la circulation des tramways dimanche. Selon Keolis, la filiale de la SNCF qui opère dans la métropole girondine, un accord a été trouvé sur le nettoyage des salles de relève permettant le redémarrage du service. La difficulté pour les transporteurs du quotidien est donc d’assurer une continuité du service avec des personnels passablement inquiets.
Protéger davantage les chauffeurs
A la RATP, où le trafic devait être normal, lundi 16 mars, à l’exception du métro (quatre trains sur cinq), on a augmenté les fréquences de nettoyage et autorisé les chauffeurs de bus à rouler avec la vitre de sécurité relevée.
Keolis, qui a pris des mesures équivalentes, et son concurrent Transdev ont, pour protéger davantage les chauffeurs, arrêté la vente de tickets à bord et font monter les usagers des bus par la porte arrière. « Nous demandons que les enfants des personnels du transport public puissent bénéficier des dispositifs de garde qui existent pour les enfants de soignants, ajoute Frédéric Baverez, directeur exécutif France de Keolis. Cela nous aiderait à remplir notre mission. »
Devant les comptoirs d’Air Frnace, à l’aéroport internationa John F.-Kennedy, à New York, jeudi 12 mars. KENA BETANCUR / AFP
Air France a été l’une des premières entreprises touchée de plein fouet par la crise du coronavirus. Elle est aussi l’une des premières à réagir. La direction de la compagnie aérienne devrait annoncer à l’occasion d’un comité social et économique central, lundi 16 mars, « des mesures d’activité partielle ». En pratique, elle va mettre en place un plan massif de chômage partiel. Seuls seront épargnés les salariés qui exercent « des fonctions vitales ». Selon les informations du Monde, ce train de mesures devrait concerner 80 % des près de 40 000 salariés du groupe. Il faut dire qu’Air France prévoit de rédure son offre de « 70 % à 90 % » pendant deux mois a annoncé, lundi matin, la direction.
Le mode d’application de ces mesures sera décidé durant la semaine à l’occasion de la tenue des comités social et économique par activité. Sans attendre, Air France veut rassurer ses salariés et prévient qu’il « n’y aura pas de licenciements secs ». Avant de prendre ces sévères décisions, la direction a rencontré à de multiples reprises les principales organisations syndicales. Des réunions « d’information et non pas de négociation », fait-on savoir toutefois.
Il y a urgence
Air France a saisi la balle au bond après les annonces, jeudi 12 mars, du président de la République, Emmanuel Macron, selon lequel le gouvernement accordera aux entreprises des reports d’impôts et prendra en charge l’intégralité de l’indemnisation des salariés en chômage partiel. « Nous allons profiter des mesures de l’Etat pour mettre entre parenthèses l’activité et être en mesure de rebondir le plus vite possible dès que cela va reprendre », fait-on savoir du côté de la direction.
Il faut dire que, pour la compagnie aérienne, comme pour nombre de ses rivales européennes, il y a urgence. Les uns après les autres les pays ferment leurs frontières aux voyageurs du Vieux Continent. Ces derniers jours, Israël, les Etats-Unis ou encore le Maroc ont tiré le rideau. L’activité d’Air France a plongé : elle aurait baissé de 30 % et le rythme s’accélère.
Cette dégringolade affecte aussi KLM. La filiale néerlandaise d’Air France a annoncé, vendredi 13 mars, 2 000 suppressions de postes sur 33 000 salariés. L’entreprise, basée à Amsterdam, va aussi prendre des mesures de chômage partiel et clouer au sol ses Boeing 747 à partir du 1er avril. « Dans les mois à venir, nous allons réduire de 1 500 à 2 000 emplois, ce qui signifie que non seulement dans les semaines à venir, mais aussi dans les mois à venir, nous aurons moins de collègues », a déclaré le directeur général de KLM, Pieter Elbers.
« Sans créer un nouveau statut inutile, il est nécessaire de faire émerger des modalités de garantie de l’indépendance qui rendraient les mutations en cours à la fois effectives et constructives » Philippe Turpin / Photononstop
Tribune.En décidant qu’un chauffeur Uber n’est pas un travailleur « indépendant » et doit être qualifié de salarié, la Cour de cassation ne procède qu’au simple constat d’une situation de fait. Le chauffeur est connecté à des clients via l’algorithme d’une plate-forme, il effectue des tâches dont les conditions d’exécution et le coût sont fixés par ladite plate-forme : il est donc subordonné au pouvoir d’un employeur. C’est sur ce principe de subordination que repose le salariat.
Comment expliquer qu’une telle décision soit accueillie comme un véritable coup de tonnerre par tant d’observateurs ? Comment comprendre qu’il ait fallu attendre si longtemps pour que soit révélée l’imposture des plates-formes numériques ? Il semblerait que, au-delà de la requalification de nombreuses autres « prestations de service » en contrats de travail, cet arrêt doive aussi signer la fin d’un savant enfumage.
Depuis près de dix ans, Uber, puis Deliveroo et les start-up qui les ont suivi sur le marché français déploient leur séduisant discours : les travailleurs en ont assez du carcan de l’entreprise, ils aspirent à plus d’autonomie et ne veulent plus dépendre des ordres d’un patron ; les plates-formes numériques leur proposent une solution flexible.
Nombre de travailleurs ne se reconnaissent plus dans le salariat
Depuis dix ans, ce discours n’a cessé de charmer dirigeants politiques, acteurs et experts de l’économie qui sont restés étrangement aveugles à cette vaste entreprise d’externalisation des coûts du travail vers les travailleurs : d’après les données, partielles fournies par la société Uber début 2019, le taux de charge qui repose sur les travailleurs serait de 63 % ! Il a d’ailleurs charmé jusqu’aux travailleurs eux-mêmes, pour qui l’indépendance est devenue le Graal…
Mais que recouvre précisément cette indépendance ? Et à quel type de société un marché dual du travail, constitué alternativement de salariés ou d’« usagers » atomisés, contribue-t-il ? Voilà les questions qu’ont omis de se poser les promoteurs de ce modèle. A la première, la Cour de cassation vient donc de répondre : rien. A la deuxième, c’est désormais à nous tous de réfléchir à la réponse.
Incontestablement, les temps, l’économie et les modes de vie ont changé. Le désir d’indépendance, s’il est instrumentalisé par les plates-formes, n’en est pas moins réel et ce, bien au-delà du digital labour : fin 2016 (dernière source disponible), 860 000 micro-entrepreneurs sont économiquement actifs en France (hors Mayotte). Nombre de travailleurs ne se reconnaissent plus dans le salariat. Aussi l’alternative entre le travail indépendant tel qu’il existe aujourd’hui et le salariat n’est-elle plus satisfaisante.