« Faut-il sauver chaque entreprise à tout prix ou considérer que la disparition de certaines d’entre elles fait partie du cycle économique ? »

Tribune. La crise sanitaire et son impact économique ont conduit le gouvernement à déployer une impressionnante batterie de mesures pour aider les entreprises : diminution des coûts de fonctionnement par le chômage partiel, report des échéances fiscales, interruption du recouvrement des loyers impayés, rééchelonnement des dettes, prêts rebond…

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Ces mesures, qui représentent au total plus de 110 milliards d’euros, semblent avoir porté leurs fruits : au troisième trimestre, l’Insee nous apprend que l’activité est revenue à 95 % de son niveau d’avant-crise.

Cette apparente bonne nouvelle cache en réalité d’importantes disparités. Certains secteurs restent sinistrés : l’hôtellerie-restauration est encore lourdement affectée (78 % de son niveau d’avant-crise), tout comme le transport (80 %) et la fabrication de matériels de transport (83 %). Le redressement global de notre économie, portée par des secteurs en pleine expansion comme le numérique, ne doit pas occulter le risque de faillite de secteurs entiers, aujourd’hui à la peine.

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De plus, les PME ont particulièrement souffert : 43 % de la perte globale de volume d’activité a été subie par des entreprises de moins de 20 salariés, 45 % par les entreprises de 20 à 249 salariés. Le risque est grand que les PME, qui représentent 59 % des salariés concernés par le chômage partiel, peinent à redémarrer et soient contraintes de mettre la clé sous la porte. La confiance, élément central de la reprise, ne semble pas non plus être au rendez-vous, puisque 91 % des dirigeants de PME anticipent une baisse importante de leur chiffre d’affaires.

Alors que faire ? Faut-il sauver chaque entreprise à tout prix ou considérer, au contraire, que la disparition de certaines d’entre elles fait partie du cycle économique, en vertu du principe bien connu de la destruction créatrice ? La bonne réponse est, comme souvent, dans un entre-deux.

Gare aux mesures contre-productives

L’Etat doit assumer ses responsabilités. Parce que la situation économique actuelle est aussi la conséquence de sa gestion de la crise, le gouvernement doit soutenir fermement les entreprises en difficulté et les aider à reprendre leurs investissements – ce qui est la meilleure façon de générer des profits et de l’emploi. Pour cela, il faut garantir le maintien des mesures d’amortissement le plus longtemps possible, de manière d’abord large puis en se restreignant aux secteurs les plus en difficulté. Bien sûr, il n’est pas question de maintenir éternellement notre économie sous perfusion : ces mesures ont vocation à cesser, une fois que les entreprises auront recouvré un certain niveau d’activité.

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« Le maintien de l’activité des plus petites entreprises est devenu brutalement un enjeu central pour les politiques publiques »

Tribune. A la différence des grandes crises qui ont secoué l’économie mondiale au cours des dernières décennies, celle liée à la pandémie de Covid-19 éclaire d’un jour nouveau le rôle vital des très petites et des petites et moyennes entreprises (TPE et PME), qui pouvaient passer jusqu’ici, à l’heure de la « start-up nation », de la « révolution numérique » et du grand jeu de la « compétitivité mondiale », pour un poids mort.

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Les crises précédentes – crises asiatiques ou sud-américaines des années 2000, des subprimes en 2008, de la dette en 2010 – se sont surtout déployées dans le noyau dur du capitalisme financier : il s’agissait, pour reprendre la célèbre tripartition de l’économie inventée jadis par l’historien Fernand Braudel (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Armand Colin, 1979), d’un « phénomène d’altitude », touchant les relations commerciales « au loin ». En revanche, la crise présente, déclenchée par des mesures sans précédent de confinement des populations, a affecté en priorité les deux autres étages « braudéliens » de l’économie. D’une part, celui des « structures du quotidien », de « la vie matérielle » des populations qui tentent de satisfaire leurs besoins élémentaires (vie domestique, alimentation, santé…) ; d’autre part, celui des « échanges marchands de voisinage » et de « l’économie d’usage », domaine de la petite production artisanale, commerciale et servicielle.

Mesures prosaïques

Dès lors, le maintien de l’activité des plus petites entreprises, souvent les moins visibles et considérées comme les moins productives, est devenu brutalement un enjeu central pour les politiques publiques, habituées jusqu’alors à favoriser la compétitivité des entreprises considérées comme les mieux armées pour s’inscrire dans les chaînes de valeur mondialisées, ou offrant le plus fort potentiel de développement, d’innovation et de création d’emplois – les championnes de la French Tech, les PME insérées dans les « pôles de compétitivité », les « champions nationaux »…

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A l’inverse des traditionnelles politiques publiques de soutien à la compétitivité ou à l’innovation, promptes à livrer les canards boiteux aux forces impitoyables du marché, il a fallu adopter un train de mesures plus prosaïques, frapper fort et tous azimuts. D’où le recours à des aides individualisées – là où les mesures de soutien étaient plutôt conditionnées à la capacité de se constituer en réseau, à des interventions à plusieurs niveaux – local, territorial, sectoriel et national –, quand les politiques antérieures prétendaient « cibler » des objectifs macroéconomiques, et enfin au resserrement des « critères d’éligibilité », auparavant complexes et illisibles, sur la sécurisation de la trésorerie à court terme (subventions salariales par l’activité partielle, reports de charges, d’impôts et de cotisations, prêts garantis par l’Etat, fonds de solidarité, etc.).

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En temps de crise, l’accès à un premier emploi encore plus soumis aux « lois invisibles »

Depuis le confinement et la chute des offres d’emploi qui s’en est suivie, Stéphanie Lecerf s’active en coulisse pour « avoir l’oreille » des entreprises. Au travers de son association A compétence égale, cette spécialiste des ressources humaines sensibilise les recruteurs aux biais, souvent inconscients, qui s’immiscent dans les processus d’embauche, et aux discriminations qui en résultent. « Aujourd’hui, c’est plus que jamais nécessaire », estime-t-elle face au marché du travail fermé auquel se confronte toute une génération de jeunes diplômés.

Stéphanie Lecerf craint une « baisse de vigilance » des recruteurs, au détriment de populations déjà vulnérables. « Moins fluides et plus concurrentiels, les processus d’embauche risquent d’être, encore plus que d’habitude, la porte ouverte aux biais de perception. »

Effet placebo, de projection ou de halo, stéréotypes… Les biais cognitifs sont en effet nombreux à venir influencer le jugement des recruteurs. Notamment lorsqu’il s’agit de recruter des jeunes diplômés ayant encore peu de lignes sur leurs CV. Les 18-24 ans sont d’ailleurs les plus nombreux à affirmer avoir vécu, selon une étude du Défenseur des droits de 2017, des expériences de discrimination dans le monde professionnel (46 % des interrogés, contre 27 % des 45-54 ans, par exemple).

« Prime au beau »

Parmi ces lois invisibles qui pèsent sur une décision de recrutement, on trouve d’abord le biais de « stéréotypage », terme qui désigne une tendance à juger selon certains préjugés. Et en particulier à partir de l’apparence physique du candidat, observe Jean-François Amadieu, sociologue, directeur de l’Observatoire des discriminations et auteur de La Société du paraître (éd. Odile Jacob, 2016).

« Il existe notamment une prime au beau, socialement acceptée et légitimée. Même pour des postes sans contact direct avec le client, 40 % des recruteurs jugent décisive la beauté du candidat », pointe le chercheur. « La beauté est un appui préférable à toutes les lettres de recommandation », observait déjà Aristote. Porter ou non des lunettes, se maquiller ou pas, choisir telle ou telle tenue… « A chaque élément sont attribuées par les recruteurs des caractéristiques, une personnalité, de manière consciente ou inconsciente, et sans lien véritable avec la réalité », observe Jean-François Amadieu.

Alors que la période a accéléré l’usage des entretiens à distance, de nouveaux pièges apparaissent pour les candidats. « La plongée dans le cadre privé par webcam peut poser problème : le recruteur analyse des éléments d’ordre personnel qui n’ont rien à voir avec le contexte professionnel visé », observe Arnaud Povéda, docteur en sciences de l’information et formateur en insertion.

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Plan de départs au quotidien allemand « Süddeutsche Zeitung »

La mauvaise nouvelle leur a été communiquée à distance, par écrans interposés. Puisqu’ils ne pouvaient être réunis physiquement en raison des contraintes liées à la situation sanitaire, c’est lors d’une visioconférence organisée par leur direction que les journalistes de la Süddeutsche Zeitung ont appris, mardi 15 septembre, que cinquante d’entre eux allaient être invités à faire leurs cartons prochainement. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, il s’agit du premier plan social annoncé dans le secteur de la presse en Allemagne.

Les candidats au départ ont jusqu’à la mi-décembre pour se signaler. Leur indemnité sera d’environ un mois de salaire par année d’ancienneté, sans pouvoir toutefois dépasser 134 000 euros au total. Ceux qui se déclareront d’ici la fin du mois d’octobre toucheront une prime supplémentaire de 30 000 euros. Aucun licenciement sec n’est en revanche prévu à ce stade, la direction de la Süddeutsche Zeitung espérant que les conditions qu’elle propose seront considérées comme suffisamment attrayantes pour que cinquante journalistes – 10 % de la rédaction – demandent à profiter de ce plan de départs volontaires.

Entre fin 2012 et fin 2019, le nombre d’exemplaires du journal vendus chaque jour est passé d’un peu plus de 410 000
à 330 000

Cette annonce n’a constitué qu’une demi-surprise. A l’automne 2019, la direction de la Süddeutsche Zeitung – quotidien le plus vendu en Allemagne après le tabloïd Bild, propriété du groupe Axel Springer – avait prévenu qu’un plan d’économies était à l’étude, en raison notamment de la baisse des ventes de l’édition papier du journal. Entre fin 2012 et fin 2019, le nombre d’exemplaires du journal vendus chaque jour est passé d’un peu plus de 410 000 à environ 330 000.

S’ils savaient qu’un plan social était programmé, les journalistes du quotidien munichois de centre gauche ont toutefois été pris de court par les annonces faites mardi. « Une chose est de promettre un chèque à dix ou quinze personnes pour qu’elles partent à la retraite un peu plus tôt que prévu. Mais cinquante départs, c’est différent. On n’a jamais vu ça », confie un membre de la rédaction.

Le coup est d’autant plus rude qu’il intervient alors que la rédaction a été mise pendant trois mois au chômage partiel

Pour les journalistes de la Süddeutsche Zeitung, le coup est d’autant plus rude qu’il intervient alors que la rédaction – comme d’autres en Allemagne – a été mise pendant trois mois au chômage partiel en raison de l’épidémie de coronavirus. « D’abord le chômage partiel, pour lequel l’entreprise a touché des aides de l’Etat, et puis maintenant l’annonce de ce plan social : coup sur coup, ça fait beaucoup », explique l’un d’entre eux.

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Quand Amazon recrutait des « analystes en renseignements » pour éviter la syndicalisation

« Aux Etats-Unis, il est même reproché à la société de se séparer des salariés critiquant le groupe, comme ce fut le cas en mai. »

C’est une curieuse offre d’emploi qui est apparue sur le site d’Amazon, aux Etats-Unis, le 1er septembre : le leader mondial du commerce électronique indiquait recruter à Phoenix (Arizona) des « analystes en renseignements » pour surveiller les « menaces d’organisations syndicales » au sein du groupe.

Face au tollé engendré sur les réseaux sociaux, l’offre d’emploi a disparu, avant de réapparaître dans une version très allégée. « L’offre ne décrivait pas correctement le poste. Elle a été faite par erreur et a depuis été corrigée », se justifie Amazon France.

Cela n’a pas empêché plusieurs internautes de réaliser des captures d’écran du site de la firme américaine. Sur la très longue fiche de poste originale, il est mentionné que les nouvelles recrues devront travailler avec la direction et les avocats du groupe, et les informer « sur des sujets sensibles et hautement confidentiels, y compris les menaces d’organisations syndicales au sein de l’entreprise ».

Dans la même phrase, on lit aussi que les analystes ont pour mission de « traquer les financements et activités liées à des campagnes en interne et en externe envers Amazon ». Plus généralement, les employés doivent recueillir des éléments pour le montage des actions en justice contre le groupe.

Malgré les justifications de l’entreprise, cet épisode n’arrange pas la relation très difficile entre Amazon et les syndicats, et semble en dire long sur la stratégie du groupe. Le géant américain, réputé très hostile à toutes formes de syndicalisation de ses 876 000 salariés, avait plusieurs fois été accusé de les surveiller, sur leur lieu de travail ou sur leurs réseaux sociaux personnels.

Aux Etats-Unis, il est même reproché à la société de se séparer des salariés critiquant le groupe, comme ce fut le cas en mai : plusieurs d’entre eux avaient pointé du doigt le faible niveau de sûreté sanitaire des entrepôts. Amazon avait alors justifié ces licenciements par des violations répétées du règlement en situation de crise sanitaire : les personnes en question auraient continué à se rendre au travail malgré des diagnostics positifs au Covid-19. « Les travailleurs nous disent depuis des mois qu’Amazon les cible pour s’être exprimés. Cette description de poste est la preuve qu’Amazon a l’intention de continuer », a commenté dans un communiqué Dania Rajendra, la directrice d’Athena, un collectif d’organisations anti-Amazon.

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Souvent interrogée sur le sujet, l’entreprise se défend : « Amazon respecte le droit de ses employés d’adhérer ou de ne pas adhérer à un syndicat. Amazon maintient une politique d’ouverture qui encourage les employés à faire part de leurs commentaires, questions et préoccupations directement à leur équipe de direction pour discussion et résolution. »

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« Le Goût de l’espoir » : l’aventure collectiviste des ex-« Fralib »

Sur les 182 salariés, 76 entrent en résistance pour éviter la fermeture du site.

FRANCE 3 – JEUDI 17 SEPTEMBRE À 22 H 50 – DOCUMENTAIRE

Fralib, le nom rappelle vaguement quelque chose… Suivre une boîte estampillée « 1336 » tout au long de sa chaîne de production, en introduction au Goût de l’espoir, diffusé ce soir, ne renseigne pas davantage. Pas plus que de voir une femme, en blouse de travail verte, la cinquantaine avancée, préparer du thé dans ce que l’on devine être un bureau, pour des ouvriers d’usine qui n’ont pas, si l’on s’en réfère aux canons publicitaires, le profil type des buveurs de thé. Pourtant ils apprécient, s’y connaissent même. Ce sont eux, les ex-« Fralib », les héros de ce documentaire.

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Le 28 septembre 2010, il y a juste dix ans, le groupe Unilever annonce délocaliser en Pologne l’usine Fralib de Gémenos (Bouches-du-Rhône), qui produit des thés et des infusions pour la marque L’Elephant. Sur les 182 salariés, 76 entrent en résistance et décident d’occuper les lieux pour éviter la fermeture du site. Ainsi débute un des plus longs conflits sociaux français, qui n’est pas sans rappeler l’aventure des « Lip » dans les années 1970.

Le 26 mai 2014, c’est la victoire. Après 1 336 jours d’occupation, 42 employés (24 sont partis à la retraite et 10 ont trouvé du travail ailleurs) obtiennent 19,2 millions d’euros pour créer la Société coopérative ouvrière provençale de thés et infusion (Scop-Ti). Ils reprennent l’activité sous la marque symbolique 1336.

Affiches de Che Guevara

« C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie ! », scandaient les Lip. Pas si simple. Scop-Ti traverse des difficultés financières en 2016. Les banques rechignent à leur prêter de l’argent : seule l’émission de titres participatifs, en octobre, leur permet de sortir la tête de l’eau. C’est alors, en janvier 2017, que la réalisatrice allemande Laura Coppens décide de planter ses caméras sur place. Pendant dix-huit mois, elle va filmer les femmes et les hommes sur les chaînes de production, dans le laboratoire, à la comptabilité, lors des réunions dans la salle « Castro », sur le parking décoré d’affiches de Che Guevara. Sans poser de questions, sans commentaires ni musique ni explications, la mise bout à bout de ces plans-séquences rend compte des interrogations de ces travailleurs, contraints, par la force des événements, d’outrepasser leurs compétences.

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Au fil des dialogues, quelques thèmes reviennent : le changement de packaging, l’embauche d’un responsable commercial – « Ce qu’il nous faut, c’est un marketeur ». Autant de sujets qui nécessitent de décider. Le film reste évasif sur le sujet, comme pour valoriser la « lutte collective » au détriment de l’individu. La comptable digresse sur l’autonomie : « Donner un travail à faire, ce n’est pas diriger, c’est qu’il faut le faire. » Dans les faits, s’il n’y a pas de patron proprement dit, puisque l’assemblée des coopérateurs est souveraine, Olivier Leberquier (« toujours à la CGT », précise-t-il), préside le conseil d’administration.

Mais cela n’est pas mentionné dans Le Goût de l’espoir. Pourtant, on aurait aimé en savoir plus sur chacun des coopérateurs, et notamment sur celle qui crève l’écran, Nadine Fiquet, du « laboratoire de contrôle et gestion », tiraillée entre ses idéaux et la nécessité de vendre. Sur l’état de santé de Scop-Ti aussi. Après avoir multiplié par dix le chiffre d’affaires en quatre ans, à près de 4 millions d’euros en 2019, la hausse est de « 12 % par rapport à l’an dernier », confirme Olivier Leberquier, le 15 septembre. Les premiers bénéfices restent donc attendus en 2020, en dépit du Covid-19.

Le Goût de l’espoir, de Laura Coppens (Fr., 2019, 70 min).

Les salariés de Boiron manifestent contre le plan social

Manifestation de salariés de Boiron, à Messimy (Rhône), le 16 septembre 2020.

Du jamais-vu de mémoire de salariés des laboratoires Boiron. Plusieurs centaines d’employés ont manifesté devant le siège social du leader mondial de l’homéopathie, mercredi 16 septembre, à Messimy, au sud-ouest de Lyon. Venus de plusieurs régions françaises, parfois de très loin, les salariés, soudés dans une intersyndicale, ont bruyamment contesté la suppression de 646 emplois, sur un total de 2 400 salariés. La mesure, annoncée au mois de mars, juste avant le confinement, vise la suppression de douze sites de conditionnement et de distribution des produits du groupe.

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« On avait foi dans la famille Boiron, nous étions dans une entreprise bienveillante, nous ne comprenons pas cette annonce brutale », témoigne Alain Collinet, 59 ans, préparateur, dont le poste est menacé après trente-trois ans de carrière. « C’est une trahison !, poursuit Marielle Davant, 57 ans. Chaque salarié était impliqué, on ne comptait pas nos heures, nous avons fait signer une pétition pour contester le déremboursement, quel manque de considération ! »

Les deux salariés sont arrivés de Pau dans la nuit, pour venir brandir une banderole sur le rond-point qui mène à l’immense site de fabrication de Boiron. Venus de Grenoble, Limoges, Niord, Montpellier, Montrichard (Loir-et-Cher), Sainte-Foy (Rhône), les manifestants partagent amertume et sidération, pas convaincus par l’argument économique avancé par la direction.

« Décision dogmatique »

Pour cette dernière, le plan social résulterait directement du déremboursement des médicaments homéopathiques, décidé en 2018 par Agnès Buzin, ancienne ministre de la santé. Le gouvernement a imposé un déremboursement progressif, jugeant que l’efficacité de l’homéopathie n’est pas prouvée. Selon le laboratoire, la conséquence est immédiate et chiffrée : chute de 30 % de l’activité en moins de deux ans.

Baisse de 25 % du chiffre d’affaire français, qui représente 60 % des résultats du groupe, présent par ailleurs dans 22 filiales internationales. « Cette décision dogmatique est une manière de tuer un champion français, c’est incompréhensible, j’en appelle au pragmatisme d’Emmanuel Macron pour nous aider », confie au Monde, Valérie Lorentz-Poinsot. Selon la directrice générale de Boiron, le maintien du taux de 15 % de remboursement permettrait de sortir d’une spirale descendante, sans impact sur les comptes de la Sécurité sociale, puisqu’il resterait comparable au coût de la franchise médicale.

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« Nous avons été dénigrés, alors que 76 % des Français utilisent l’homéopathie, alors que de nombreux médecins soutiennent son efficacité, il suffit d’un décret pour que le gouvernement maintienne le remboursement et change l’avenir, je m’engagerai immédiatement à revoir le plan social dans de fortes proportions », assure Mme Lorentz-Poinsot, voix enrouée, visage marqué, visiblement éprouvée par une crise sociale historique. De l’étage feutré de la direction, où trône un cheval multicolore cabré, du sculpteur Giuseppe Viola, parvient la rumeur de la venue de grévistes aux slogans de « gilets jaunes ».

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Licenciements, plans sociaux… le plus fort de la crise attendu en 2021

A l’agence Pole Emploi de Montpellier, en 2019.

« Que ce soit du côté des faillites, des plans sociaux ou de l’emploi, la crise a jusqu’ici produit des effets de second ordre au regard du potentiel de destruction de capacités que suppose le niveau actuel d’activité » : dans une étude publiée mercredi 16 septembre, intitulée « Une rentrée économique sous perfusion », le cabinet d’études économiques Xerfi est limpide.

Sur le front social, le nombre de victimes du Covid est encore contenu. Mais lorsque les perfusions, qui prennent ici la forme de mesures d’urgence (PGE, reports de charges, aides sectorielles…) et du vaste dispositif de chômage partiel, seront retirées, le taux de mortalité des entreprises et les emplois perdus connaîtront un pic. « L’épreuve de vérité viendra quand tous les moratoires mis en place vont venir à expiration », reconnaît un expert de la Banque de France.

715 000 emplois détruits

Du côté de l’emploi, « le point bas » devrait être atteint vers le premier semestre 2021, comme l’a rappelé Olivier Garnier, directeur général chargé des études et des relations internationales de la banque centrale. Les plans sociaux annoncés depuis le 1er mars représentent 51 000 ruptures de contrats de travail, soit près de trois fois plus que sur la même période en 2010, un chiffre auquel il faut ajouter un peu plus de 2 900 « petits » licenciements collectifs. Sur le premier semestre de l’année, quelque 715 000 emplois ont été détruits, un bilan finalement contenu au regard de l’ampleur de la baisse d’activité.

Au second semestre, ce chiffre ne devait évoluer qu’à la marge : les emplois détruits à la fin de l’année ne dépasseraient pas le chiffre de 800 000. Certes, la baisse de la prise en charge par l’Etat de l’indemnisation du chômage partiel, initialement fixée au 1er octobre − mais dont la mise en œuvre doit être repoussée au 1er novembre, sous réserve de la parution du décret d’ici à fin septembre − devrait entraîner des suppressions de postes. Mais, par ailleurs, certains secteurs dont l’activité est redevenue quasi normale ont recommencé à embaucher, récréant des emplois − notamment en CDD ou intérim − perdus pendant le confinement.

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« Le tertiaire marchand, par exemple, devrait fortement se redresser au troisième trimestre 2020 », précise Vladimir Beauceron, directeur du département emploi et revenus d’activité à l’Insee. Le même phénomène se poursuivra en 2021, avec des destructions d’emplois dans les secteurs les plus en difficulté, mais une reprise nette par ailleurs. La Banque de France estime même que les emplois créés seront plus nombreux que les emplois détruits, avec un solde positif en fin d’année 2021 de 125 000 emplois supplémentaires. Une étude publiée jeudi 17 septembre par BPI France confirme l’optimisme relatif des patrons de PME ou d’ETI (entreprises de taille intermédiaire) quant à la reprise. Sur l’emploi, l’investissement ou la trésorerie, « les résultats sont étonnamment bons », constate Baptiste Thornary, chef économiste de BPI. Près de trois patrons d’ETI sur quatre (71 %) et un patron de PME sur deux (47 %) disent s’attendre à un « retour rapide à une activité normale », c’est-à-dire dans les six mois.

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Le gouvernement prend ses distances avec l’offensive de Veolia contre Suez

Antoine Frérot, PDG de Veolia, et Jean-Pierre Clamadieu, président d’Engie, à Paris, le 27 août 2020.

Le vent est-il en train de tourner ? Après avoir semblé apporter son soutien au projet d’offre publique d’achat (OPA) de Veolia sur Suez, le gouvernement de Jean Castex se montre désormais plus réservé sur l’opportunité de l’opération, alors que dirigeants, banquiers et avocats de Suez travaillent d’arrache-pied à une offre alternative.

« L’opération fait sens », estimait le premier ministre, début septembre, juste après l’annonce du projet de Veolia d’avaler son rival historique – en commençant par racheter à Engie 29,9 % du capital de Suez. M. Castex défendait notamment l’idée, au nom de la « souveraineté », de préserver les intérêts des groupes français dans le secteur des services à l’environnement (eau, déchets) face à des entreprises étrangères, et notamment chinoises.

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Depuis, il manifeste moins d’enthousiasme devant l’opposition catégorique de Suez, qui juge cette opération « hostile » et « funeste pour la France ». « Le premier ministre n’est pas opposé par principe à cette fusion, relativise-t-on à Matignon. En revanche, il est contre le monopole sur l’eau et les déchets que cela pourrait engendrer. » Surtout, M. Castex « attend de connaître la contre-proposition de Suez », avant de se prononcer. Il n’est plus question de favoriser d’abord la création d’un champion français, mais de bien mesurer les avantages et les inconvénients du projet.

Le premier ministre « s’est fait rouler dans la farine »

Le ministre de l’économie a lui aussi pris ses distances avec la position initiale de M. Castex. « Le premier ministre n’a aucunement pris parti, déclare Bruno Le Maire, jeudi 17 septembre, dans un entretien aux Echos. Il a rappelé que l’Etat actionnaire d’Engie [23,6 % du groupe d’énergie] a défini des conditions claires qui doivent être respectées : la préservation de l’emploi ; un projet de reprise de Suez à capitaux majoritairement français ; la valorisation patrimoniale pour l’Etat. » Et de mettre en garde : « N’ajoutons pas à la crise économique actuelle une guerre entre industriels français. Pour le reste, nous examinerons toutes les propositions avec impartialité et attention, en prenant le temps nécessaire. Aucun choix n’est arrêté. »

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Une source proche du dossier reproche à M. Castex d’avoir « un peu trop cru au discours de Veolia, qui lui a raconté que tout le monde était d’accord ». « Maintenant, il est obligé de rétropédaler. » Ce que confirme un patron qui connaît bien ce secteur : « Il s’est fait rouler dans la farine par Antoine Frérot, le PDG de Veolia, qui lui a présenté cette offre comme amicale. » Le ministère de l’économie et des finances exprime, en coulisses, des réserves depuis le début.

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LVMH en piste pour prendre 40 % de Challenges Publications

Bernard Arnault, PDG de LVMH, à Paris, en janvier 2020.

Les unes après les autres, Claude Perdriel continue de mettre de l’ordre dans ses affaires. Après avoir cédé Le Nouveau magazine littéraire (Sophia Publications) à Lire (Editions Médias Culture et Communication), au printemps, après avoir placé La Recherche (Sophia Publications) dans le giron de Sciences et Avenir (Challenges Publications), au cours de l’été, le fondateur du Nouvel Observateur et du Matin de Paris accueillerait volontiers le groupe de Bernard Arnault, LVMH, au sein de Challenges Publications.

Dès le mois de février, il évoquait la multinationale française comme un « partenaire » potentiel, dans une interview au Journal du dimanche. A l’occasion d’un séminaire de rédaction organisé vendredi 11 septembre, ainsi que l’a révélé Libération, le 16 septembre, le nonagénaire est allé plus loin, en affirmant qu’une « lettre d’intention » lui était parvenue au cours de l’été. LVMH, détenteur du groupe de presse Les Echos-Le Parisien, prendrait 40 % du capital, soit la part acquise par Renault en 2017, et reprise en janvier par Claude Perdriel, à laquelle s’ajouterait un droit de premier refus sur les 60 % restants.

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Les deux entreprises travaillent déjà un peu ensemble, au travers d’un accord de partenariat dans l’événementiel. « Un certain nombre de repreneurs honorables, et pas seulement LVMH, m’ont proposé leur appui, précise au Monde le doyen de la presse française. Je ne cède pas Challenges, je cherche à en augmenter le capital avec un partenaire intéressant. Car je crois à l’avenir de la presse écrite, à sa nécessité face aux fausses informations des réseaux, et je crois à l’avenir de cette entreprise. »

« Aucune modification de capital en 2020 »

Contacté, le géant du luxe ne confirme pas son entrée prochaine au capital de Challenges. Il reconnaît, en revanche, volontiers « une relation de grande proximité et de très grande confiance, depuis très longtemps », entre l’homme d’affaires et l’homme de presse. « Bernard Arnault et moi avons fait la même école, l’X, et nous aimons la musique classique tous les deux, ajoute Claude Perdriel. Nous avons de nombreux points communs. L’amour des mathématiques et du progrès scientifique nous rapproche. »

« Il n’y a pas de lettre d’intention, mais un accord verbal entre Bernard Arnault et lui, et des idées jetées sur le papier », appuie Maurice Szafran, directeur éditorial de Sophia Publications. Dès le début de l’année, son patron a fait une promesse à ses équipes : « Il n’y aura aucune modification de capital en 2020. »

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