La démocratie sociale mise en danger de glaciation

Le coup d’arrêt est brutal et plutôt inattendu. Après trois mois et demi de discussions, les syndicats et le patronat ont constaté, durant la nuit du 9 au 10 avril, leur incapacité à conclure un « nouveau pacte de la vie au travail ». Cette issue infructueuse frappe les esprits car, depuis un peu plus d’un an, les organisations de salariés et d’employeurs avaient réussi à trouver, sur d’autres thématiques, des compromis présentant des avancées – comme celui, ficelé en février 2023, sur le « partage de la valeur ». L’échec, qui s’est produit il y a un mois, jette un froid parmi les acteurs en présence. A tel point qu’il est permis de se demander si la démocratie sociale entre dans une période glaciaire, au risque de sombrer dans la léthargie.

Pour les syndicats et le patronat, la négociation relative à un « nouveau pacte de la vie au travail » était celle qu’ils ne devaient surtout pas rater. Cet exercice leur avait été proposé par Emmanuel Macron, peu après la promulgation – à la mi-avril 2023 – de la réforme des retraites, qui a décalé de 62 à 64 ans l’âge d’ouverture des droits à une pension. Le président de la République voulait confier aux partenaires sociaux le soin d’identifier des solutions afin que les personnes ayant franchi le cap de la soixantaine restent plus longtemps en activité.

Une telle offre avait de quoi intriguer, de la part d’un chef de l’Etat accusé d’avoir une piètre opinion des corps intermédiaires. Elle constituait, en même temps, une occasion rêvée pour les partenaires sociaux de montrer leur aptitude à élaborer ensemble des mesures concrètes. Fin 2023, ils relevèrent le défi, en engageant la réflexion autour de quatre axes : favoriser l’emploi des seniors, prévenir les tâches pénibles, faciliter les reconversions et instaurer un compte épargne-temps universel (CETU) – de manière que les travailleurs puissent s’octroyer des temps de pause à tout moment dans leur parcours professionnel.

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Au commencement des tractations, on pouvait penser qu’elles avaient des chances de déboucher sur un résultat positif, tous les protagonistes ayant réaffirmé leur foi dans le paritarisme. Un espoir également entretenu par les bonnes intentions du patronat : « L’approche qui vise à virer les gens en fin de carrière, c’est fini », lançait Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), en appelant à un « changement de paradigme ».

Avaler des couleuvres

Mais la révolution n’a pas eu lieu. Les parties en présence se sont séparées sans avoir dégagé un consensus, ce qui est rare pour une négociation de ce type, conduite à l’échelon interprofessionnel. Bien évidemment, chaque camp a rejeté sur son vis-à-vis la responsabilité de la « sortie de route ». « [Le Medef et la CPME] sont allés jusqu’à nous faire des propositions (…) qui dégradaient la situation actuelle », a dénoncé Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, dans les colonnes de Libération. Et d’enfoncer le clou, dans des termes inhabituellement abrasifs dans sa bouche : « Ils se moquent des salariés en considérant que l’heure est plutôt à la diminution de leurs droits. » Les deux mouvements d’employeurs rétorquent qu’ils ont fait des concessions, mais que les syndicats se sont montrés beaucoup trop gourmands, en méconnaissant le cahier des charges de l’exécutif : pas d’augmentation des dépenses publiques.

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Sylvie Pierre-Brossolette, la présidente du Haut conseil à l’égalité, accusée en interne de propos discriminatoires

Sylvie Pierre-Brossolette à Paris, le 16 décembre 2021.

La présidente du Haut conseil à l’égalité (HCE), Sylvie Pierre-Brossolette, est accusée d’avoir tenu des propos sexistes et racistes en contradiction avec les valeurs défendues par l’instance consultative, selon un courrier interne révélé par Médiapart et consulté par l’Agence France-Presse (AFP) lundi 6 mai.

Contactée par l’AFP, la présidente de cette instance rattachée à Matignon « conteste formellement » les accusations portées contre elle, dénonce une « volonté de déstabiliser » l’instance et sa ligne « abolitionniste et universaliste », et fait savoir qu’elle réfléchit à porter plainte.

L’équipe dirigeante est notamment accusée d’avoir tenu des « propos violents sur le ton de l’humour contribuant à banaliser et diffuser la culture du viol et à culpabiliser les victimes », des « propos stigmatisants pour les personnes LGBTQIA + réitérés en dépit de mises en garde sur le sujet », ou encore des « propos racistes et islamophobes ».

Dans une lettre de six pages datée du 2 janvier 2024, les salariés du secrétariat général du HCE disent avoir été « témoins, de manière fréquente, de propos à la limite de la légalité tenus par la présidente et les coprésident.es ». « La présidente ne prend aucune précaution pour ne pas heurter ses interlocuteur·rices dans l’équipe mais aussi en public », peut-on lire.

Huit arrêts maladie en 18 mois

Plus globalement, le courrier interne alerte sur « un certain nombre de dysfonctionnements internes qui ont progressivement conduit à l’instauration d’un environnement de travail délétère et à l’émergence d’un mal-être collectif. » Il fait état de huit arrêts maladie en 18 mois et de plusieurs départs anticipés « directement liés à la situation décrite ».

« Nous avons été attentifs et à l’écoute des salariée.es » et « nous avons à cœur de trouver des solutions qui puissent les satisfaire et permettre de travailler au service des droits des femmes », réagit Sylvie Pierre-Brossolette, dans une déclaration à l’AFP. Selon elle, ces accusations s’inscrivent « dans une volonté de déstabiliser le HCE, notre ligne universaliste et abolitionniste, et les axes de travail qui sont les nôtres, la lutte contre l’exploitation des femmes, les violences et les inégalités dont elles sont victimes, les effets délétères du patriarcat ».

Créé en 2013 sous le quinquennat de François Hollande, le HCE est notamment chargé de rédiger chaque année un rapport sur l’état du sexisme en France et d’évaluer les politiques publiques en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

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Le Monde avec AFP

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Entreprises : « Une codétermination à la française est à inventer »

Selon le juriste Alain Supiot, « le travail est quelque chose de plus grand que l’emploi (…). L’emploi est né de ce grand pacte, issu des luttes syndicales de l’ère industrielle, qui a consisté à échanger l’aliénation au travail, le renoncement à dire son mot sur la production, contre des limitations du temps de travail et de la sécurité physique et économique » − cet entretien a été publié par L’Humanité, le 11 mars 2016, à l’occasion de la nouvelle édition du rapport Au-delà de l’emploi, sous la direction d’Alain Supiot, parue chez Flammarion.

Le mouvement syndical peut dépasser ce stade en mettant au premier plan de ses exigences la réponse à deux questions de fond : « Qu’est-ce que l’on produit ? Et comment on le produit ? » Il s’agit de mobiliser les capacités d’innovation et d’apprentissage collectif pour sortir de la spirale : plus d’énergie, plus de matière pour plus de déchets, et sauvegarder le potentiel de la biosphère, premier garant de la santé sociale du genre humain.

Peut-on faire confiance au court-termisme des actionnaires aux yeux rivés sur leurs dividendes, aux champions de la financiarisation à la recherche de la liquidité, pour mettre en œuvre le renouveau industriel au cœur de cette logique ? Il s’agit d’une reconstruction, s’inscrivant dans le long terme des transitions énergétiques et écologiques indispensables. Une telle rupture de sens dans la gestion de l’économie appelle l’émergence d’une véritable citoyenneté dans l’entreprise, sans laquelle le « dialogue social » continuera à relever de l’incantation, du cosmétique ou de l’illusion.

Une « codétermination » à la française est à inventer. Elle appelle une redéfinition juridique, politique, démocratique, du concept d’entreprise induisant une révolution de sa gouvernance, associant enfin les salariés (et les territoires), très au-delà des timides premiers pas de la loi Pacte [Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises de 2019]. Il s’agit d’étendre la sphère du droit social à la dimension sociétale de l’activité économique, au gré de la transformation de l’entreprise en un véritable bien collectif donnant tout son sens au concept de « parties prenantes ».

Une transition « juste »

Face aux conséquences désastreuses du réchauffement climatique, de nombreux acteurs syndicaux cherchent à mener de front défense des travailleurs, promotion de leurs droits et prise de position sur la planification des transitions. Des droits nouveaux sont absolument nécessaires pour qu’ils aient le pouvoir d’orienter et de valider les décisions, tant sur leur contenu que sur leur rythme. Cet objectif stratégique constitue une base fédératrice pour des démarches unitaires, dans le droit-fil de celles lancées depuis la mobilisation sociale unitaire du printemps 2023.

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L’intelligence artificielle au secours des entreprises japonaises désireuses de réduire les rotations du personnel

Avril au Japon coïncide avec les premiers jours en entreprise des nouveaux employés tout juste sortis de l’université. Ces jeunes sont précieux pour les compagnies confrontées à une pénurie aiguë de main-d’œuvre. Or un jeune sur dix quitte son emploi dans l’année qui suit son embauche – parfois dès le premier jour – et 30 % le font dans les trois ans, d’après le ministère du travail japonais.

D’où l’idée de Naruhiko Shiratori, professeur à l’université de la ville de Tokyo, de développer un système basé sur l’intelligence artificielle (IA) évaluant la probabilité de départ d’un salarié, afin de le prévenir. Mis au point avec la start-up Shikinami, le système compile les données relatives aux employés de l’entreprise, comme leur assiduité, leur âge et leur genre, et leurs congés. Il intègre aussi les informations concernant les salariés qui ont quitté l’entreprise. Cela permet de créer un modèle de rotation du personnel spécifique à l’entreprise.

Sur cette base, l’utilisateur peut entrer des données sur les nouvelles recrues, telles que leurs heures d’arrivée et de départ et leurs éventuelles absences après l’entrée dans l’entreprise. Cela permet d’évaluer le risque de démission. A l’essai dans plusieurs compagnies, le taux de précision du système atteindrait 83,7 %.

Impact du mal-être

Pour créer cet outil, M. Shiratori s’est appuyé sur un logiciel qu’il a lui-même mis au point pour limiter l’abandon des études. « En moyenne, le taux d’abandon dans les universités est à moins de 2 %, mais dans certains établissements, il peut atteindre plusieurs dizaines de pour cent. » Cela a un impact important notamment sur les finances des établissements privés, eux-mêmes confrontés à la baisse générale du nombre d’étudiants.

L’enjeu est similaire pour les entreprises qui souhaitent réduire les coûts – recrutement, formation, vacance des postes et départs à la retraite – engendrés par les changements de personnel. Une embauche revient en moyenne à 936 000 yens (5 600 euros) pour les nouveaux diplômés et à 1 033 000 yens (6 200 euros) pour les travailleurs en milieu de carrière, selon l’édition 2020 du Livre blanc sur l’emploi du spécialiste des petites annonces Recruit.

Lire la chronique : Article réservé à nos abonnés Manager avec l’intelligence artificielle : les biais des recruteurs

Dans le même temps, les coûts liés à l’impact psychologique du mal-être d’un employé sont évalués à 4,22 millions de yens (25 000 euros) par le Conseil gouvernemental pour l’égalité entre les femmes et les hommes. « La santé mentale des employés et la réduction de la rotation du personnel, comme des absences dues par exemple à des problèmes de harcèlement sont des questions importantes pour la pérennité et la compétitivité de l’organisation », souligne sur son site la start-up Shikinami.

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« Les jeunes actifs sont autant investis et engagés que leurs aînés dans leur rapport au travail »

Les représentations du regard des jeunes sur le travail font l’objet de nombreuses publications tendant à diffuser des idées, des images et des portraits pour le moins contrastés de cette population.

Une première vision, positive et offensive, les associe à un modèle exaltant, symbole d’espoir et de transformation et donc à ce titre supposée distinct de celui de leurs aînés, conservateurs et dépassés par les mutations du travail.

Une autre version plus sombre, mais non moins tenace, tend à les décrire comme étant individualistes, désengagés ou matérialistes. Ils n’accorderaient plus une place aussi importante et centrale que leurs aînés au travail, et considéreraient celui-ci comme utilitaire et instrumental, voire dépourvu de « sens » ; enfin, ils seraient réfractaires à la relation hiérarchique d’autorité dans l’organisation.

Lire l’analyse du sociologue Camille Peugny pour le projet Liepp : Article réservé à nos abonnés « Les jeunes sont-ils des travailleuses et travailleurs comme les autres ? »

Mais ces représentations largement médiatisées sont pour le moins discutables. Plusieurs recherches avaient déjà alerté sur ces stéréotypes (« Pour en finir avec la génération Y… enquête sur une représentation managériale », François Pichault et Mathieu Pleyers, Annales des Mines. Gérer et comprendre, n° 108, 2012). Les auteurs y relevaient que « les particularités supposées de cette génération [Y] sont minces, tout du moins en ce qui concerne les attitudes et les valeurs de ses membres au travail ».

Préjugés tenaces

De même, la synthèse d’une vingtaine de travaux centrés sur les différences au travail recouvrant quatre générations et de l’ordre de 20 000 personnes, conclut « qu’il n’existe probablement pas de différences significatives entre les générations pour les variables examinées » (« Generational Differences in Work-Related Attitudes : A Meta-analysis », David Costanza, Jessica Badger, Rebecca Fraser, Jamie Severt et Paul Gade, Journal of Business and Psychology, n° 27/4, 2012).

Cependant, le contexte aurait fortement évolué dans la période plus récente : la pandémie et ses effets différenciés sur les pratiques de télétravail, les conflits en Europe et au Proche-Orient, l’accélération des impacts de la crise climatique mondiale, etc., ont-ils changé la donne ?

Deux recherches récentes viennent confirmer qu’il s’agit bien de préjugés tenaces (Les Jeunes, des travailleurs comme les autres, de Suzy Canivenc, Presses des Mines, 2024 ; « Rapport au travail. Loin des stéréotypes, les actifs de moins de 30 ans sont motivés et engagés par leur évolution professionnelle », Terra Nova et Apec, février 2024).

Ils démontrent de manière convaincante que les jeunes actifs sont autant investis et engagés que leurs aînés dans leur rapport au travail – « 47 % le jugent plus ou aussi important que les autres pans de la vie contre (…) 36 % des 45 ans et plus ».

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Impôt sur le revenu : quelles primes de transport sont exonérées ?

Question à un expert

La prise en charge, par mon entreprise, de certains de mes frais de transport est-elle soumise à l’impôt ?

Les frais de transport entre le domicile et le travail des salariés peuvent, et parfois doivent, être pris en charge par l’employeur. Trois dispositifs sont prévus par le code du travail.

D’abord, la moitié du prix des abonnements aux transports publics ou aux services publics de location de vélos est obligatoirement prise en charge. Et une « prime de transport » facultative permet à l’employeur de rembourser, à certaines conditions, tout ou partie des frais de carburant et d’alimentation des véhicules électriques, hybrides rechargeables ou à hydrogène.

Enfin, le forfait mobilité durable autorise l’employeur volontaire à financer tout ou partie de certains frais de transport des salariés : vélo, covoiturage, trottinette, etc.

Décryptage | Article réservé à nos abonnés Impôts : ce qui change en 2024 pour la déclaration de revenus

Ces prises en charge ouvrent droit, sous certaines conditions et limites, à une exonération d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux – contribution sociale généralisée (CSG) et contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).

En 2022, face à la forte hausse des prix des carburants, le législateur avait encouragé, de façon temporaire, la prise en charge par l’employeur des dépenses des déplacements entre le domicile et le travail en étendant les exonérations fiscale et sociale à la prise en charge facultative des frais de transport public dans la limite de 25 %, au-delà des 50 % obligatoires.

Il avait aussi ouvert le bénéfice de la prime de transport à tous les salariés et relevé les plafonds d’exonération de la prime de transport et du forfait mobilité durable. Tous ces aménagements temporaires ont été prorogés pour 2024.

En Europe, le grand chamboulement du marché du travail

Lashan Pathiraja, 30 ans, originaire du Sri Lanka, travaille dans un restaurant à Bucarest, en Roumanie, le 11 mars 2024.

« Dans les années 1990, on disait que si on résolvait le problème du chômage, il n’y aurait plus de populisme. Ça n’en prend pas le chemin… », constate avec inquiétude Gilles Moëc, chef économiste à Axa. Les sondages pour les élections européennes, du 6 au 9 juin, prévoient effectivement une nette poussée de l’extrême droite, alors que, sur le front du chômage, l’Europe a connu une véritable révolution.

Il y a une décennie, en pleine crise de la zone euro, l’emploi était la principale préoccupation. Le chômage en 2014 atteignait 12 % en zone euro, 27 % en Grèce, 25 % en Espagne, 13 % en Italie, 10 % en France. Aujourd’hui, il a été presque réduit de moitié : 6,5 % en zone euro, 10,2 % en Grèce, 11,7 % en Espagne, 7,2 % en Italie et 7,3 % en France. Quant à l’Allemagne et aux Pays-Bas, ils frôlent le plein-emploi, avec un chômage aux alentours de 3 %. Au total, l’Union européenne (UE) compte 20 millions d’emplois de plus qu’il y a dix ans. « C’est quand même une bonne nouvelle, même si personne ne semble en parler », poursuit M. Moëc.

Andrew Kenningham, chargé de l’économie européenne pour le cabinet d’études Capital Economics, salue, lui aussi, « cette croissance spectaculaire de l’emploi », mais résume le problème d’une phrase : « L’Europe s’est déplacée vers un modèle un peu plus américain, où tout le monde a du boulot, mais un boulot pourri. » « Minijobs » en Allemagne, contrats à horaires flexibles, travailleurs des plates-formes de livraison (Deliveroo, Uber Eats, etc.)… Partout sur le Vieux Continent, les réformes du marché de l’emploi se sont multipliées, afin de simplifier les licenciements, de réduire les aides aux chômeurs, d’alléger les obligations des employeurs.

En France, les lois El Khomri (2016), qui allègent le coût des licenciements et réduisent l’encadrement du temps de travail, suivies des lois Pénicaud (2017), qui inversent la hiérarchie des normes en donnant la primauté aux accords de branche, relèvent de cette tendance. Le durcissement des règles de l’assurance-chômage, annoncé en février par le premier ministre, Gabriel Attal, poursuit la même logique.

L’exemple de l’Espagne est, de même, parlant. En 2022, Madrid a inventé les « travailleurs fixes discontinus », un contrat à durée indéterminée, mais rémunéré uniquement un certain nombre de mois par an, en fonction de l’activité de l’entreprise (souvent durant les mois correspondant à la haute saison touristique ou, dans la construction, pour un nouveau chantier). L’avantage pour les salariés : l’entreprise est obligée de faire appel à ses « fixes discontinus » lorsqu’elle reprend l’activité. L’avantage pour le gouvernement : ces personnes sortent des chiffres du chômage, même s’ils connaissent de nombreux mois non rémunérés.

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La Roumanie fait venir des travailleurs asiatiques pour remplacer ses émigrés

Avec ses 1 100 lits répartis sur trois bâtiments, le foyer de travailleurs Komitat Bucarest-Sud est un vrai bouillon de cultures. Népalais, Indiens, Bangladais, Sri-Lankais… Les immigrés venus d’Asie entrent et sortent en continu, en cette mi-mars, des dortoirs avec caméras et service d’ordre, installés dans un faubourg résidentiel de la capitale roumaine. « Je suis arrivé il y a six mois pour travailler pour [le livreur à vélo] Glovo », raconte Naresh Chaudhary, Népalais de 38 ans, entre deux coups de fil à sa mère restée au pays, depuis la chambre qu’il partage avec trois autres Népalais.

Ce père de famille assure gagner deux fois plus qu’au Népal pour livrer des plats chauds aux Bucarestois, qui ont progressivement pris l’habitude de ces livreurs qui ne parlent pas un mot de roumain. « C’est la première fois que je viens ici », explique ainsi M. Chaudhary, passé auparavant par la Malaisie et l’Arabie saoudite. Comme tous ses voisins, il a atterri « grâce à un cabinet de recrutement » dans ce pays d’Europe de l’Est qui fait face à un manque de main-d’œuvre criant, en raison du départ de millions de ses propres habitants vers l’Europe de l’Ouest depuis son accession à l’Union européenne, en 2007.

Sherpa Pemba, 32 ans, originaire du Népal, et Sofonyas, 25 ans, originaire d’Éthiopie, tous deux livreurs à Bucarest, le 13 mars 2024.

A ses côtés, un autre Népalais, Sherpa Pemba, 32 ans, avoue lui aussi n’avoir jamais entendu parler de la Roumanie avant d’arriver, mais affirme trouver les « Roumains sympas ». Même s’il a vite déchanté sur ses conditions de travail. Alors même qu’il travaille plus de onze heures par jour pour Glovo, il affirme ne jamais arriver à décrocher suffisamment de livraisons pour dépasser le minimum de revenu exigé par son employeur. « Je n’ai toujours pas pu envoyer d’argent à ma famille », se plaint-il, en dépit d’un contrat qui lui avait garanti 550 euros de salaire mensuel.

« Problème de population active »

« Ils devraient passer davantage de temps dans le centre-ville pour recevoir plus de commandes », avance Valeriu Nicolae, le directeur du foyer, pour justifier ces complaintes qui seraient « des cas isolés » au sein des plus de 120 000 étrangers non européens qui résident désormais en Roumanie. Cet ancien diplomate a eu le nez creux en fondant, en 2016, sa société de dortoirs privée, qui propose aux entreprises roumaines d’héberger leurs travailleurs pour seulement 6 euros par nuit. Komitat assure désormais l’hébergement de plus de 4 000 travailleurs, en grande partie asiatiques, qui travaillent notamment « dans les Hôtels Marriott, chez McDonald’s ou dans les supermarchés Delhaize ».

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Sur l’égalité femmes-hommes au travail, des entreprises à la traîne et un recul du gouvernement

Noter les entreprises sur leur respect de la parité entre les femmes et les hommes, c’était l’idée de l’index de l’égalité professionnelle créé en 2018. Le gouvernement espérait lutter contre les discriminations, alors que les femmes gagnent toujours en moyenne 15 % de moins que les hommes à temps de travail égal. « On va être vigoureux et intransigeants », assurait alors la ministre du travail, Muriel Pénicaud.

Six ans plus tard, le système de notation a bien vu le jour, mais sa mise en application a été beaucoup moins volontariste qu’annoncé. Alors que des milliers d’entreprises ne remplissent pas leurs obligations déclaratives ou qu’elles font part d’inégalités flagrantes entre leurs salariés et salariées, les sanctions sont quasi inexistantes, selon l’enquête du Monde.

Un abandon du « name and shame »

Promesse d’Emmanuel Macron en 2017, l’index de l’égalité professionnelle repose sur la philosophie du « name and shame » : « nommer et couvrir de honte » les entreprises inégalitaires et les distinguer des plus vertueuses. Ces informations étant rendues publiques, les femmes pourraient consulter les notes des entreprises avant d’y postuler.

Le gouvernement a suivi cette logique au départ, en publiant en 2020 une liste de « mauvais élèves » de l’égalité salariale. Mais, depuis, plus rien, ou presque. Les index sont toujours rendus publics chaque année sur le site du ministère du travail, mais aucune liste agrégée ne permet de savoir lesquelles ne s’y seraient pas conformées ou pénaliseraient les femmes.

Plus d’une entreprise sur cinq en défaut

Or, d’après les données obtenues et agrégées par Le Monde, l’index reste ignoré par des milliers d’entreprises en France. Un cinquième (21 %) des entreprises assujetties n’ont pas mis en ligne leur bilan de l’égalité professionnelle pour l’année 2023, alors qu’elles avaient jusqu’au 1er mars 2024 pour le faire. Et 3 110 entreprises (7 % du total), n’ont jamais publié un seul bilan.

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Pas moins de 106 autres grandes entreprises (plus de 250 salariés) n’ont jamais respecté cette obligation déclarative depuis 2019. Ce sont par exemple l’entreprise de soutien scolaire Domicours individuel, la société France Restauration rapide (qui détient les boulangeries Patàpain) ou la chaîne d’épicerie asiatique Tang Frères. Si les deux premières n’ont pas donné suite, la troisième reconnaît n’avoir « pas bien travaillé pour répondre à cet index tel qu’il est exigé », tout en assurant qu’il n’y a « pas de souci sur l’égalité femmes-hommes » dans l’entreprise. Christophe Polini, le secrétaire général de la société, affirme n’avoir « jamais » été sollicité ou mis en demeure par les services du ministère du travail sur cette question et déplore que cette nouvelle obligation déclarative s’ajoute à « une somme déjà phénoménale de contraintes pour les entreprises ».

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A France Inter, journalistes et producteurs s’inquiètent pour leur liberté d’expression

La directrice de France Inter, Adèle Van Reeth, dans son bureau de Radio France, à Paris, le 26 septembre 2023.

Guillaume Meurice serait-il l’arbre qui cache la forêt ? Alors que l’humoriste a révélé, jeudi 2 mai sur X, être convoqué à « un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire » − qui aura lieu jeudi 16 mai − pouvant aller jusqu’à son licenciement, plusieurs voix de France Inter ont été convoquées, ces derniers jours, pour apprendre que leurs émissions ou chroniques étaient supprimées.

L’inquiétude et la colère sont telles que la Société des « producteurices » de France Inter (SDPI), officiellement recréée depuis un peu plus d’un mois, et la Société des journalistes (SDJ) de la station se sont réunies en urgence, vendredi 3 mai, en fin de matinée. Entre la rédaction et les programmes, « c’est une union inédite », souligne un participant, qui n’exclut pas une « immense mobilisation ».

« Nous refusons ce qui nous apparaît comme une atteinte grave au pluralisme de l’antenne de France Inter », revendique notamment leur très long communiqué commun, envoyé vendredi après-midi en interne. La liste des griefs commence par « le signe très inquiétant pour la liberté d’expression » envoyé par la direction avec la convocation de Guillaume Meurice.

Elle fait suite à l’émission « Le Grand Dimanche soir » du dimanche 28 avril, dans laquelle l’humoriste avait répété sa boutade polémique sur le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou (qualifié de « sorte de nazi, mais sans prépuce ») ; il avait alors ironisé sur ce qu’il appelait « la première blague autorisée par la loi française ».

« L’effet d’un coup de massue »

Sa consœur Charline Vanhoenacker, présidente de la SDPI, « ne comprend pas comment une telle décision a pu être prise », alors que les plaintes qui avaient été déposées contre M. Meurice viennent d’être classées sans suite par la justice, indique un proche. Selon lui, elle serait « très remontée », mais aussi « inquiète pour le métier de journaliste et de l’humour politique », et même « pour l’avenir des médias en France ».

« La convocation de Guillaume nous a d’autant plus fait l’effet d’un coup de massue que les modifications de la grille pour [2025], qui nous arrivaient au fil de l’eau depuis quelques jours, nous inquiétaient déjà beaucoup », raconte la productrice d’une émission récurrente. A la rentrée, en effet, les auditeurs n’entendront plus les portraits que Charlotte Perry dressait chaque samedi (à 23 h 50) dans « Des vies françaises », pas plus que les reportages sur l’actualité des luttes et mobilisations sociales « C’est bientôt demain », d’Antoine Chao (diffusés le dimanche à 14 h 40), les chroniques « Le Jour où », qu’Anaëlle Verzaux délivrait chaque vendredi dans l’émission « La Terre au carré » (elle conserve sa collaboration à « On n’arrête pas l’éco », émission du samedi matin), ou encore les grands formats mensuels de Giv Anquetil pour l’émission de Mathieu Vidard.

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