Boeing 737 MAX : le fantôme de « la faute de fabrication »

Boeing 737 MAX : le fantôme de « la faute de fabrication »

« Boeing avait mis en avant, ces dernières années, une politique agressive de réduction des coûts qui avait dopé sa valeur boursière » (Boeing 737 MAXà  Renton, Washington, en 2015).
« Boeing avait mis en avant, ces dernières années, une politique agressive de réduction des coûts qui avait dopé sa valeur boursière » (Boeing 737 MAXà  Renton, Washington, en 2015). Matt McKnight / REUTERS
Les fautes de fabrication sont aussi antiques que l’industrie. L’étude a montré que ces fautes résultent parfois d’une évaluation biaisée des risques, d’une organisation inadaptée ou d’une réduction excessive des coûts, explique le titulaire de la chaire Théorie et méthodes de la conception innovante, Armand Hatchuel.

Avec son 737 MAX interdit de vol, Boeing fait face au pire des soupçons : un nouveau logiciel de pilotage destiné à dresser une conduite indiscrète de l’avion, mais méconnu ou mal compris des pilotes, serait en cause dans deux crashs récents. Les erreurs de conception sont aussi anciennes que l’industrie.

Certaines peuvent être imprévisibles, mais la recherche a montré que ces erreurs résultent parfois d’une appréciation biaisée des risques, d’une organisation inadaptée ou d’une réduction excessive des coûts. Mais comment une conduite dysfonctionnelle de la conception d’un avion est-il possible dans une entreprise de la stature de Boeing ?

Contradictoirement à la production, plus récurrente, chaque projet de création comporte des innovations et des singularités. Face à cette part d’inconnu malheureuse, la maîtrise technique, une coordination intense des équipes et une bonne évaluation des priorités sont indispensables. S’imposent aussi des tests sévères, réalisés en interne ou par des autorités indépendantes, afin de détecter au plus tôt les erreurs dangereuses. En général, ces vérifications sont fiables et sûres, et ne sont prises en défaut que très rarement et lorsque le danger était accidentel : comme pour le Titanic, dont la collision avec un iceberg géant apaisait de l’impensable.

Mais un autre type d’erreur peut se constituer et doit être échappé. Il naît d’une fragilité du système que l’on aperçoit tard et qui se révèle pénible à résoudre. Renvoyer le projet serait alors utile mais aurait des suites commerciales trop importantes. Dès lors, une dérive collective devient possible. Soumis à une pression immodérée sur les coûts et les délais, les concepteurs tendent à limiter les études et à retenir les solutions abandonnées. Des tests ambigus sont interprétés positivement.

La navette Challenger en 1986

On admet que les acteurs engagés et les utilisateurs futurs sauront gérer convenablement cette fragilité. Certes, les effets d’une catastrophe seraient néfaste, mais cette alternative n’est pas convenue ou jugée trop improbable par les responsables. Un tel scénario fut à l’origine de l’explosion au décollage de la navette Challenger en 1986. En origine, la faiblesse d’un simple joint technique, dont le péril était signalé mais l’information s’était fondue dans la chaîne de décisions.

L’erreur de création se confond alors avec une erreur de conduite. Elle révèle une distorsion des responsabilités et des objectifs. Pour l’échapper, les leçons de la recherche sont claires : instaurer une conduite responsable des activités de création, donc capable de résister à des objectifs intenables de coûts et de délai ; inversement, la direction d’entreprise, doit comprendre qu’une trop grande pression sur les équipes d’ingénierie peut avoir des effets complexes, peu visibles et dont les suites négatives, si elles s’expriment, sont beaucoup plus graves que les surcoûts de création que l’on tentait à éviter.

 

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LJD

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