Avoir 20 ans au temps du coronavirus
Editorial du « Monde ». Le confinement s’est révélé indispensable pour protéger les plus âgés, particulièrement exposés à la pandémie de Covid-19. Cette décision, inédite par son ampleur et ses conséquences économiques, a néanmoins plongé la jeunesse dans une vulnérabilité dont on n’a pas fini de mesurer les effets.
La préservation de la vie des premiers a conduit de façon collatérale à fragiliser l’existence des seconds. Il est indispensable de prendre conscience de l’ampleur des dégâts pour tenter d’en atténuer les conséquences qui menacent d’aboutir à « une guerre » des générations, dangereuse pour la cohésion de la société.
Si les conditions de vie et les perspectives d’avenir se sont brusquement assombries pour l’ensemble de la population, la période qui s’ouvre s’annonce particulièrement anxiogène. Ces interminables semaines d’enfermement sanitaire subies ont bouleversé un horizon qui se dessinait à peine. Entre des études fortement perturbées, des stages qui se sont évaporés, des contrats courts non renouvelés, des débuts de carrière compromis, des salaires d’embauche révisés à la baisse, cette génération doit affronter un environnement particulièrement chaotique.
Basculement vers la pauvreté
L’Organisation internationale du travail (OIT), dans son dernier rapport, prévient que les moins de 25 ans seront les premières victimes de la récession en cours. Celle-ci risque d’aggraver les conditions de vie d’une génération qui cumulait déjà une série de handicaps économiques : précarité des contrats de travail, taux de chômage très élevé par rapport au reste de la population, difficultés pour se loger sur un marché immobilier de plus en plus inabordable, niveau de pension de retraite hypothétique.
A court terme, l’arrêt brutal de l’activité a particulièrement touché des secteurs comme la restauration, l’hôtellerie ou l’artisanat, qui sont traditionnellement de gros recruteurs de jeunes sortant des filières professionnelles. De façon plus durable, et plus inquiétante, cette crise menace d’aggraver les inégalités scolaires, qui auront inévitablement des effets à long terme sur l’insertion professionnelle, avec pour corollaire le basculement vers la pauvreté. Si la situation des jeunes diplômés demandera du temps pour s’améliorer, celle des « décrocheurs », ces jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme, est particulièrement inquiétante.
La prise de conscience du problème semble largement partagée au sommet de l’Etat, dans l’opposition, au sein du patronat comme parmi les syndicats. Lors de la crise de 2008, la réactivité n’avait pas été aussi forte. Désormais, elle doit se concrétiser à travers des mesures, dont les modalités restent à définir. La boîte à outils est vaste : incitations à l’embauche grâce à une baisse des charges, soutien à l’apprentissage, création d’un revenu de solidarité active (RSA) spécifique, revalorisation des aides au logement, renforcement des dispositifs de formation et d’insertion professionnelle…
Cette dégradation risque de nourrir la montée de la défiance vis-à-vis d’une société qui peine à faire une place à sa jeunesse. Ce ne sont pas des mesures techniques, si indispensables soient-elles dans cette période, qui suffiront à donner un horizon à la jeunesse. Plus que jamais, celle-ci a besoin d’un projet de société, qui se montre plus inclusif et plus soucieux de l’environnement. Cette crise constitue une opportunité d’en dessiner les contours.
Coronavirus : la jeunesse, victime de la crise économique
Qu’ils habitent à Arras, Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes ou Paris, partout les jeunes qui arrivent sur le marché du travail subissent de plein fouet la grave récession et l’envolée du chômage provoquées par l’épidémie, faisant voler en éclats leurs projets. Si certains diplômés préfèrent prolonger leurs études, d’autres doivent se résoudre à entrer dans la vie professionnelle au pire moment. Le Monde a rencontré cette génération qui raconte sa galère et son sentiment du déclassement.
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