Fonction publique : un rapport alerte sur la crise d’attractivité

Manifestation dans le cadre d’une journée d’action et de grève dans le secteur public, à Strasbourg, le 5 décembre 2024.

Les ministres passent, la désaffection pour la fonction publique perdure. Ce n’est pas la première crise d’attractivité qu’elle connaît, mais celle-ci est d’une ampleur inédite. Ce désamour n’est toutefois pas irrémédiable et des solutions existent. C’est le constat dressé par France Stratégie − un organisme de réflexion rattaché à Matignon − dans un rapport intitulé « Travailler dans la fonction publique : le défi de l’attractivité », publié lundi 9 décembre. Un travail de dix-huit mois portant sur les trois volets de la fonction publique – Etat, territoriale et hospitalière – qui permet, et c’est là l’un de ses principaux apports, de dresser un panorama global sur les ressorts d’un malaise généralisé à l’ensemble des métiers.

Augmenter les rémunérations, améliorer les conditions de travail, revaloriser les avantages notamment face au secteur privé… Les pistes proposées pour améliorer une situation alarmante ne manqueront pas de conforter les organisations syndicales, puisqu’elles correspondent à leurs revendications depuis de nombreuses années. Car le désaveu n’est pas nouveau. « Nous adressons un message d’alerte aux décideurs parce que cette crise s’installe dans le temps, elle a une dizaine d’années et elle est amenée à durer, signale Emmanuelle Prouet, coordinatrice du projet chez France Stratégie. Mais nous adressons aussi un message d’action car il existe des leviers sur lesquels on peut s’appuyer, et il est important de tous les articuler. »

Les derniers ministres ont d’ailleurs tous évoqué ce manque d’attractivité pour un statut qui concerne aujourd’hui 5,6 millions de personnes. « La question de l’attractivité de la fonction publique, qui représente un emploi sur cinq en France, constitue un enjeu majeur pour les années à venir », écrivait ainsi l’ancienne ministre de la transformation et de la fonction publique Amélie de Montchalin, en septembre 2021.

Insatisfaction salariale

Le rapport va à rebours des pistes ou des réponses proposées par les ministres successifs. Alors que Stanislas Guerini, ministre entre 2022 et septembre 2024, envisageait de faciliter les licenciements de fonctionnaires et de supprimer les catégories A, B et C, France Stratégie préconise de « combiner la garantie de l’emploi avec des perspectives d’évolution et de progression ». Beaucoup plus récemment, plutôt que de viser « une consolidation des avantages à travailler dans la fonction publique pour en faire des arguments d’attractivité », Guillaume Kasbarian, désormais ministre démissionnaire, souhaitait aligner les règles d’indemnisation des agents publics en arrêt maladie sur celles du privé.

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Le vieillissement de la population enseignante, un enjeu majeur de ressources humaines

Le corps enseignant vieillit, et ce phénomène accentué par la réforme des retraites de 2023 s’annonce comme un enjeu majeur pour l’éducation nationale. La mise en garde vient de la Cour des comptes, qui s’est penchée, dans une publication du 26 novembre, sur le sujet de « l’allongement de la vie professionnelle des agents dans [la] fonction publique d’Etat ». Parmi les « zones de tension et de fragilité » que les magistrats ont identifiées : les cadres supérieurs, les agents administratifs de catégorie A et B, et les enseignants.

La pyramide des âges dans le plus gros corps de la fonction publique est déjà « particulièrement vieillissante » et les projections laissent à voir une dégradation sur au moins les deux prochaines décennies, au point que l’institution de la rue Cambon qualifie la situation de l’éducation nationale « d’inquiétante ».

D’un côté, le bas de pyramide s’est atrophié du fait de la forte contraction des recrutements dans les années 2000-2010. A l’autre extrémité, la part des enseignants plus âgés ne cesse d’augmenter sous l’effet des réformes des retraites qui ont affecté les enseignants de manière « plus marquée » que d’autres catégories de la fonction publique d’Etat. En cause : l’allongement, depuis 1980, de la durée d’études requise pour exercer le métier (cinq ans après le bac), qui repousse l’âge d’entrée dans la profession et donc l’âge de la retraite à taux plein – au moins 66 ans, désormais, avec 43 ans de cotisations requis. Dans le même temps, l’accès aux dispositifs de départ anticipé a été fortement réduit.

Alors que 6 % des enseignants auront plus de 60 ans en 2025, ils seront 16 % en 2035, calcule ainsi la Cour des comptes. Plusieurs problèmes vont ainsi se poser au premier employeur de l’Etat. Un défi de recrutement, d’abord, pour remplacer les futurs retraités dans un moment de crise d’attractivité du métier dont les effets pourraient ainsi s’aggraver. Des enjeux d’accompagnement, ensuite, alors qu’« il est très difficile d’aménager [les] fin[s] de carrière [des enseignants] comme leur reconversion », remarquent les magistrats. Le rapport note que « le degré de préparation pour faire face à cette tendance irrépressible au moins dans la décennie future paraît très insuffisant ».

« Je finis les semaines exténuée »

Le sévère constat de la Cour des comptes fait écho aux alertes qu’avaient unanimement émises les organisations syndicales au moment de la réforme des retraites, en 2023. L’enjeu des fins de carrière a pris en importance pour des agents qui ont vu leurs conditions de départ à la retraite changer considérablement en vingt ans. Jusqu’au début des années 2000, les enseignants pouvaient partir à 60 ans, et même à 57 ans pour les anciens instituteurs, et avaient droit à une pension à taux plein au bout de 37,5 années de cotisation.

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Humanoïdes, IA… La nouvelle ère des robots est arrivée

Le jeudi 7 novembre, à New York, la maison Sotheby’s a vendu aux enchères la première peinture réalisée par un robot. Ce portrait d’Alan Turing, le célèbre mathématicien, a été adjugé 1,08 million de dollars (1 million d’euros). Son auteur, Ai-Da, est un robot humanoïde, doté d’une intelligence artificielle (IA) et vocale. Ces automates prêts à décorer notre intérieur, à faire le ménage, à livrer, à promener le chien ou à veiller sur nos aînés sont désormais à nos portes.

Sur cet énorme marché mondial émergent, la Chine dispose d’une longueur d’avance. « Notre pays est le plus grand producteur de robotique au monde, notamment pour la livraison, le nettoyage et bien d’autres applications », se félicite Tony Li, PDG de Keenon Robotics. Cette licorne chinoise conçoit des robots pour les tâches de la vie quotidienne : elle en a livré plus de 100 000 à des restaurants, des hôtels, des hôpitaux, des magasins ou des usines.

Avant cette irruption dans les commerces et les foyers, l’« atelier du monde » a fait ses armes dans la robotique industrielle. Selon l’étude annuelle de la Fédération internationale de la robotique, publiée en septembre, plus de 4,2 millions de robots industriels sont actifs dans le monde, en croissance de 10 % sur un an. La Chine est en tête de ce marché en nombre d’installations en 2023, suivie, de loin, par le Japon, les Etats-Unis, la Corée du Sud et l’Allemagne. La France, elle, arrive en huitième position, devancée par l’Italie et l’Inde.

Mais, comme l’a démontré la 10e Conférence mondiale sur les robots, qui s’est tenue fin août à Pékin, le potentiel du marché des robots de service se place à une tout autre échelle, car il vise le grand public. Aux côtés des géants de la robotique industrielle tels que ABB, Kuka, SMC ou encore Tesla, 27 robots humanoïdes ont été présentés dans la capitale chinoise, un record. La compétition mondiale de la robotique au service des humains est donc bien lancée. Ainsi, au concours de robots organisé à Pékin, plus de 7 000 équipes se sont affrontées, venant d’une dizaine de pays.

A la conquête du monde

« Même si les robots humanoïdes commencent à pointer le bout de leur nez en Chine, les robots de service, eux, font déjà partie de la vie quotidienne, qu’ils soient laveurs de vitres, réceptionnistes dans des lieux publics et des hôtels, serveurs dans des restaurants, ou encore livreurs dans des espaces sécurisés comme les grandes universités ou les campus d’entreprise », témoigne Jean-Dominique Séval, consultant et enseignant en technologies de rupture, qui a vécu quatre ans dans la capitale chinoise, jusqu’en août 2022.

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Journée de colère chez Decathlon pour de meilleurs salaires et contre le milliard d’euros versé à la famille Mulliez

Des consommateurs passent devant un magasin Decathlon de la zone commerciale de Plan-de-Campagne ouvert le dimanche, à Cabriès (Bouches-du-Rhône), le 27 avril 2008.

Plusieurs dizaines de salariés de l’enseigne Decathlon s’étaient rassemblés, samedi 7 décembre en début d’après-midi, devant l’entrée du magasin de la place de la Madeleine à Paris, comme un peu partout en France, à l’appel des syndicats. Avant une brève incursion dans l’allée centrale au milieu des clients, imperturbables dans leurs achats, au son d’un « on est là, même si Decathlon ne veut pas, on est là… », entonné au mégaphone. « J’ai toujours été dans la négociation, mais là, c’est trop », juge Guillaume Bera, encarté CFTC et vendeur du rayon cycle du magasin de Cergy (Val-d’Oise), pour qui c’est la « première grève en vingt-six ans de maison ».

Ce qui a mis le feu aux poudres dans cette enseigne spécialisée dans la vente d’articles sportifs, très peu habituée aux mouvements sociaux ? Une annonce de la direction glissée lors d’une réunion de comité de groupe, vendredi 29 novembre, qui a laissé les syndicats « sous le choc » : 1 milliard d’euros versés aux actionnaires de l’Association familiale Mulliez (AFM) au titre de l’année 2024. Après « un peu plus de 800 millions d’euros en 2023 », ajoute Sébastien Chauvin, délégué syndical central pour la CFDT, majoritaire chez les 12 000 employés des magasins en France.

Des montants indécents, selon les syndicats, au regard des évolutions salariales dans les magasins. « En général, un employé de dix ans d’ancienneté gagne à peine à 2 000 euros brut, s’agace M. Chauvin. Avec la revalorisation de 2 % du smic au premier novembre, les salariés se retrouvent rattrapés par le smic et la direction leur dit qu’on verra cela en janvier. Trois mois à attendre, et des fêtes à passer, alors, forcément, l’annonce passe mal, même très mal. »

D’autant que Decathlon, présent dans 78 territoires dans le monde (magasins et centres de distribution), reste l’un des plus rentables des 18 fleurons nordistes (parmi lesquels Auchan, Leroy-Merlin, Boulanger, Flunch, Kiabi…) de la galaxie Mulliez, dont le chiffre d’affaires cumulé avoisine les 100 milliards d’euros. « Après 935 millions d’euros en 2023, le bénéfice devrait être de l’ordre de 830 millions en 2024 », souligne M. Chauvin. En France, où elle exerce un quart de son activité dans le monde, l’enseigne a vu son chiffre d’affaires progresser de 1,24 % sur un an en 2023, et de 22,52 % depuis 2019, à 4,75 milliards d’euros.

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« Un trésor de guerre »

Samedi, les salariés s’étaient donc rassemblés pour appeler à « un partage de la valeur plus équilibré » entre actionnaires et salariés, dans un groupe qui, comme beaucoup d’autres, réduit les coûts pour améliorer la rentabilité au mètre carré de ses magasins, et notamment ceux de sa masse salariale qui a perdu « environ 1 000 équivalents temps plein en 2024 », selon M. Chauvin.

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250 postes supprimés dans le groupe Canal+ : « C’est l’ampleur du plan qui nous a surpris »

Lorsqu’ils ont été convoqués à un conseil social et économique (CSE) extraordinaire, la semaine dernière, les élus du groupe Canal+ n’ont pas été surpris. « Pour nous, il s’agissait d’annoncer le choix retenu pour l’après-C8, explique l’un d’eux. Est-ce que l’émission “Touche pas à mon poste” allait continuer sous une autre forme, être transférée sur une autre chaîne ? On savait qu’on nous annoncerait aussi un plan de départs. C’est son ampleur qui nous a surpris. »

Vendredi 6 décembre, la direction a informé les représentants du personnel de l’ouverture d’un plan social de « 150 postes (CDI, CDD, pigistes, intermittents) liés à l’arrêt de la chaîne C8 et 100 autres “additionnels” (postes dans l’unité économique et sociale du groupe Canal+), sans plus de précisions », résume le communiqué envoyé dans la soirée par l’intersyndicale + Libres, SNRT-CGT, CFE-CGC et CFDT. La veille, jeudi 5 décembre, Canal+ avait fait savoir qu’il retirait ses chaînes Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport et Planète+ de la TNT payante.

Les dirigeants du groupe, détenu par Vivendi, propriété de la famille Bolloré, n’ont ainsi attendu ni la confirmation par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de sa décision de ne pas attribuer à C8 de nouvelle autorisation de diffusion sur la TNT, programmée dans les prochains jours, ni le résultat des recours qu’ils devraient former devant le Conseil d’Etat, pour communiquer sur leur décision.

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« Sans doute, ajoute le syndicaliste, cette annonce est-elle de nature à rassurer les investisseurs qui n’ont, semble-t-il, pas accueilli très chaudement les premières informations qui leur ont été données » sur la société en vue de l’introduction de Canal+ à la Bourse de Londres, dans le cadre de la scission des activités de Vivendi que l’assemblée générale des actionnaires est censée approuver, lundi 9 décembre. « Normalement, ce genre d’annonce s’accompagne d’un certain formalisme, explique Francis Kandel, délégué syndical SNRT-CGT. Là, aucun argument économique ne nous a été donné. » Des propos contradictoires tenus au cours de ce CSE trahissaient possiblement, selon lui, « un manque de préparation » de ce plan social.

Possibilité de « contester syndicalement »

Parmi les 150 départs liés à la fin de C8, une quarantaine de CDI seraient directement et exclusivement rattachés à la chaîne, tandis qu’une cinquantaine de personnes (à la technique, aux fonctions support) travailleraient en même temps pour d’autres canaux du groupe. Aux « 120 à 130 personnes en CDI, CDD et temps partiels, s’ajoutent les ETP [équivalents temps plein] occupés par des intermittents », ajoute une source syndicale.

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Concours enseignants 2025 : le ministère dévoile une forte baisse des futurs postes de titulaires dans le second degré

Lors d’une manifestation d’enseignants à Toulouse, le 10 septembre 2024.

Au lendemain de la censure du gouvernement de Michel Barnier et sans communication publique, le ministère de l’éducation nationale a publié, au Journal officiel du jeudi 5 décembre, le nombre de postes ouverts aux concours des enseignants du second degré pour 2025. Les arrêtés, signés par la ministre démissionnaire, Anne Genetet, le 27 novembre, actent une baisse sensible des recrutements de titulaires par rapport à 2024.

Le capes externe, principale voie de recrutement des professeurs de collèges et lycées généraux, proposera 4 890 postes, soit 232 de moins qu’en 2024 – et 1 000 de moins qu’en 2017. Le « troisième concours » du capes, ouvert à des candidats ayant déjà une expérience professionnelle dans le privé, perd un quart de ses postes et en offrira 320 en 2025. Le principal concours de l’enseignement professionnel est aussi concerné (– 8 %, 95 postes), et l’enseignement technologique également (presque − 10 %).

Les postes ouverts à l’agrégation sont stables. Sur l’ensemble des concours externes et troisièmes concours, la session 2025 ouvrira ainsi 500 postes de moins. Les places offertes aux concours internes (destinés aux agents publics) sont, elles, en légère augmentation (+ 73).

En lettres classiques, 60 places contre plus de 130 en 2023

Le détail par disciplines au capes externe donne à voir des situations contrastées. Là où l’histoire-géographie, les sciences de la vie et de la Terre ou encore la philosophie gagnent des postes, d’autres en perdent, parfois dans des proportions considérables, alors qu’elles font partie des matières dites « en tension », celles où les enseignants manquent.

Le nombre de postes en allemand passe ainsi de 165 en 2024 à 101 en 2025 et aura été divisé par deux depuis 2023. Sur la même période, le recul est de plus de 10 % en espagnol, et de plus de 12 % en physique-chimie.

Le capes de mathématiques propose 50 postes de moins par rapport aux 1 040 places de 2024. En lettres modernes, 669 enseignants pourront être recrutés en 2025, 30 de moins qu’en 2024, mais bien moins qu’à la session de 2023 (755 postes). En lettres classiques, le concours n’offre plus que 60 places, contre plus de 130 en 2023.

Cette contraction des futures cohortes de mathématiques et de français semble d’autant plus surprenante que plus de 800 créations de postes avaient été annoncées comme indispensables en 2024 pour mettre en place les « groupes de besoins » dans ces disciplines en 6e et 5e, et que le cabinet d’Anne Genetet anticipait un besoin « d’un millier » de postes supplémentaires pour adapter la mesure aux 4e et 3e à la rentrée 2025.

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La censure du gouvernement accentue l’incertitude des entreprises, des plus petites aux grands groupes

L’année 2024, pour Somater, une entreprise spécialisée dans les emballages, ne sera pas à marquer d’une pierre blanche. Elle n’avait pas très bien commencé, après vingt-quatre mois d’inflation, une énergie très chère, des taux d’intérêt « super élevés », raconte son PDG, Félix Hubin. Mais elle ne s’achèvera pas non plus sous les flonflons.

La dissolution de l’Assemblée, porteuse de nombreuses incertitudes sur le cadre budgétaire et fiscal, a donné un « coup de frein extrêmement net » aux investissements, au ralenti depuis mai, et aux embauches. La nouvelle page politique qui s’ouvre aggrave encore l’incertitude. « Nous n’avons plus aucune idée de ce qui va se passer », s’inquiète M. Hubin.

« Prenez la réforme des retraites : savoir qu’un salarié part dans deux mois ou dans douze mois ne conduit pas aux mêmes décisions en termes de recrutement ». Dans le doute, Somater a mis en place un gel des embauches, qui a déjà conduit à une baisse de 10 % des effectifs environ, sur un millier de salariés.

Toutes les entreprises, des plus petites aux grands groupes, sont affectées par le manque de visibilité sur le terrain politique, qui vient s’ajouter à quatre années de soubresauts. « Ce que les agents économiques détestent, c’est l’instabilité », rappelle Nicolas (l’anonymat a été requis par l’intéressé). Aujourd’hui incapable de payer les dernières échéances de son prêt garanti par l’Etat, il s’apprête, la mort dans l’âme, à fermer son entreprise créée juste avant le Covid-19, faute d’activité. Ses clients, des acteurs de la distribution, se font tirer l’oreille pour renouveler leurs contrats. « Mon discours est devenu inaudible, déplore Nicolas. Aucune entreprise ne veut entendre parler de mettre de l’argent dans des projets de long terme, elles ne pensent qu’à sauver les meubles au quotidien. »

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Le groupe Societe.com, une entreprise de 35 salariés qui vend de l’information financière et administrative, a aussi fait les frais de cet attentisme. Le chiffre d’affaires a chuté de 75 % entre juillet et septembre par rapport à la même période en 2023. « Cette chute provient uniquement du segment étatique de notre clientèle et des grands groupes », explique Tristan Méneret, directeur de la stratégie.

Investissement des entreprises en baisse

Le rattrapage intervenu mi-octobre « montre que les budgets de nos clients ne se sont pas annulés, mais reportés le temps d’y voir plus clair dans le contexte politique ». Societe.com a décidé de les imiter et a reporté ses propres investissements. « La règle, c’est “wait and see” [attendre et voir] », prévient M. Méneret. « Aujourd’hui, les chefs d’entreprise sont tétanisés, poursuit Denis Le Bossé, président du cabinet ARC, spécialiste du recouvrement de créances. Les directeurs financiers ont pour mission de récupérer un maximum de trésorerie, quitte à allonger les délais de paiement, et à externaliser plutôt que de recruter. »

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Assurance-chômage : l’allocation des travailleurs frontaliers ne sera pas réduite

Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l’emploi, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 28 novembre 2024.

Un grand « ouf » de soulagement pour les travailleurs frontaliers. Alors qu’ils devaient être soumis à des règles d’assurance-chômage plus dures à partir du 1er avril 2025, la mesure est finalement abandonnée. La ministre du travail, désormais démissionnaire, Astrid Panosyan-Bouvet, l’a annoncé, mardi 3 décembre, lors d’une rencontre avec trois parlementaires de l’est de la France, qui s’étaient émus d’une telle disposition, prise récemment par les partenaires sociaux avec la bénédiction du gouvernement. Ce rétropédalage laisse en suspens un problème compliqué à résoudre car dépendant très largement de la bonne volonté d’Etats européens, qui est loin d’être acquise.

A l’origine de cet arbitrage, il y a le projet d’accord conclu, le 14 novembre, par les syndicats et par le patronat qui pilotent l’Unédic, l’association gestionnaire du régime d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Le texte prévoit, entre autres, d’introduire un « coefficient » qui a pour effet de réduire l’allocation versée à certains chômeurs établis en France et ayant occupé un poste dans un pays limitrophe. Sont tout particulièrement pénalisés par le mécanisme ceux qui ont été employés en Suisse et au Luxembourg.

Le choix des partenaires sociaux tient aux normes singulières auxquelles sont soumis les frontaliers domiciliés dans l’Hexagone. Lorsque ceux-ci n’ont plus d’activité, ils sont couverts par le système de solidarité français. Ensuite, l’Etat dans lequel ils ont travaillé rembourse notre pays, selon des modalités issues d’un « règlement » européen. Mais ce défraiement reste inférieur aux dépenses de prestation endossées par le régime tricolore. D’où un surcoût, évalué à quelque 800 millions d’euros en 2023. La facture est d’autant plus lourde que le niveau de l’allocation-chômage tient compte du salaire auparavant perçu, et celui-ci est, en moyenne, bien plus élevé en Suisse ou au Luxembourg qu’en France.

Mesure « injuste » et « discriminatoire »

Un tel déséquilibre ne date pas d’hier. Les gouvernements successifs ont essayé de le corriger à travers des négociations à l’échelon européen, depuis 2016. Elles n’ont pas abouti, pour le moment. Lassé par la lenteur qui prévaut sur ce dossier, le Medef a voulu, récemment, accélérer les choses, en coordination étroite avec le gouvernement. Le sujet a été abordé dans le cadre de discussions plus larges que les syndicats et le patronat ont ouvertes, cet automne, afin de revisiter les règles de l’Unédic. Décision a donc été prise d’instaurer ce coefficient réducteur dans le projet d’accord du 14 novembre, signé par tous les mouvements d’employeurs et par trois organisations de salariés (CFDT, CFTC, FO) – la CGT et la CFE-CGC étant contre le texte.

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Au Kenya, un sénateur veut protéger les entreprises de la tech de poursuites de leurs salariés

Plusieurs dizaines d’anciens salariés de Facebook viennent consulter leur avocate, Mercy Mutemi, devant le tribunal de Milimani, à Nairobi, le 12 avril 2023.

« Une tentative inquiétante de créer un système contemporain d’exploitation de maître à esclave. » C’est par ces mots que le Kenyan Union of Gig Workers (Kugwo), le syndicat des professionnels des « petits boulots », a réagi à une proposition d’amendement du sénateur Aaron Cheruiyot, président du groupe majoritaire à la haute assemblée kényane.

Le parlementaire a proposé, le 26 novembre, d’interdire aux salariés kényans travaillant pour des entreprises de la tech de poursuivre en justice leur employeur. L’amendement était présenté dans le cadre d’un projet modificatif de la loi sur le droit des affaires.

Selon le sénateur, interdire les poursuites judiciaires contre les donneurs d’ordre permettrait de rendre le Kenya plus compétitif sur le marché mondial des technologies, un secteur très concurrentiel dans lequel les sociétés de sous-traitance jouent un rôle clé. Ces dernières emploient « actuellement des milliers de personnes et pourraient en employer des millions [à l’avenir] », a estimé le sénateur dans un long post publié sur X.

« Proposition régressive »

La proposition d’amendement intervient deux mois après qu’une cour de justice kényane a jugé recevable la plainte de 185 anciens salariés de Facebook contre leur employeur pour licenciement abusif. Facebook refusait jusque-là à la justice kényane le droit de juger sur le fond de l’affaire.

« C’est une proposition régressive, dénonce Brian Ellam, le secrétaire général du Kugwo. Qu’il travaille à distance ou sur site, chaque travailleur kényan a le droit à un traitement juste, à la justice et à demander des comptes à ses employeurs. » Dans un communiqué, le syndicaliste a rappelé que la Constitution garantissait à chacun de ses citoyens le droit à « des pratiques de travail équitables » ainsi « qu’une représentation et un accès à la justice (…). Toute tentative pour miner ces garanties n’est pas seulement régressive mais aussi anticonstitutionnelle ».

Dans son post sur X, Aaron Cheruiyot a cherché à expliquer sa démarche : la future loi interdirait aux salariés de poursuivre les sociétés donneuses d’ordre (comme Facebook et sa maison mère Meta) mais non leurs sous-traitants, installés sur le sol kényan. « Dans le cadre des obligations contractuelles que les sous-traitants passent désormais avec le propriétaire du service, il y a l’engagement d’observer certaines normes de travail et de gérer tous les conflits liés aux ressources humaines avec leurs employés dans les pays dans lesquels ils opèrent. Cela signifie-t-il que les Kényans travailleront dans des conditions suspectes ? Absolument non. Puisque les sous-traitants, comme tout autre employeur, sont soumis à nos lois », a-t-il expliqué.

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