De mémoire de syndicaliste Pôle emploi n’avait pas connu une grève d’une telle ampleur depuis sa création, il y a une dizaine d’années. Mardi 20 novembre, un peu plus de 29 % des agents de l’opérateur public ont participé au mouvement social, lancé à la suite de deux appels distincts : l’un relayé par une intersyndicale (CFDT, CFTC, CGT, SNAP, SNU, Solidaires, UNSA), l’autre par Force ouvrière (FO). Le taux de grévistes, communiqué par la direction générale, est jugé inférieur à la réalité par des représentants du personnel : « Les chiffres définitifs, que nous obtiendrons d’ici deux ou trois jours, montreront que la participation s’est plutôt située aux alentours de 34 % à 35 % », confie David Vallaperta (CFDT).
A l’origine de cet arrêt de travail, plusieurs mots d’ordre, mais celui qui revient avec le plus d’insistance porte sur les effectifs. Les syndicats dénoncent la suppression de quelque 800 emplois (en équivalent temps plein) programmée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019. Un tour de vis qui s’ajoute à celui donné pour l’année en cours (près de 300 postes en moins). Avec de telles réductions de moyens, « nous ne sommes plus en mesure de remplir nos missions », affirme Nathalie Potavin (CGT). Or, Pôle emploi va être amené à développer son action, sous l’effet de la loi « avenir professionnel » promulguée en septembre : renforcement du contrôle de la recherche d’emploi, extension de l’assurance-chômage à de nouveaux publics (travailleurs indépendants, salariés démissionnaires avec un « projet professionnel »), ce qui va augmenter la charge de travail pesant sur les agents de l’opérateur… En outre, la convention, en cours d’élaboration, qui fixe les objectifs de Pôle emploi pour les trois prochaines années, s’annonce exigeante : elle prévoit notamment de resserrer les délais de prise en charge des chômeurs par le service public de l’emploi (diagnostic, offre de formation…).
« Dématérialisation à tous les étages »
Autre sujet de récrimination : les conditions de travail. Des conseillers de Pôle emploi accompagnent 200 à 300 chômeurs, voire jusqu’à « 1 000 dans certains endroits », rapporte David Vallaperta. Le fait que la direction générale de l’opérateur mette l’accent sur la numérisation de l’offre de services est également mal vécu : « On nous dit “faites tout ce que vous pouvez pour que les gens ne viennent plus dans les agences” », témoigne Sylvie Szeferowicz (FO). Dans un entretien récent à l’agence de presse spécialisée AEF, la responsable du SNU-Pôle emploi, Delphine Cara, avait signalé la situation « difficile » de ses collègues « chargés du placement » des chômeurs : ils « font face à une dématérialisation à tous les étages [et] perdent le sens de leur travail, basé sur l’humain », avait-elle expliqué. « Nous sommes obligés de faire du traitement de masse alors que le face-à-face est nécessaire pour accompagner un demandeur d’emploi », avait-elle rappelé.
Lors de l’examen à l’Assemblée nationale des crédits relatifs à la mission « travail et emploi », des députés de l’opposition s’étaient émus, le 9 novembre, des compressions d’effectifs infligées à l’opérateur public. « Ce n’est pas en réduisant les moyens humains et financiers de Pôle emploi et en augmentant les charges des conseillers (…) que la situation des demandeurs d’emploi s’améliorera », avait déclaré Gérard Cherpion (LR, Vosges). « Au moment où ce [PLF] entérine la suppression de 800 postes chez Pôle emploi, les acteurs locaux ont l’impression que l’Etat opère surtout un transfert de charges vers les missions locales [qui s’occupent de l’insertion des jeunes] et vers les communes qui financent ces dernières », avait renchéri Francis Vercamer (UDI, Nord).
« Accroître la productivité »
La ministre du travail, Muriel Pénicaud, avait répondu que les « ressources globales » de l’organisme « sont en augmentation (…) de plus de 100 millions d’euros » en 2019, pour un budget qui « dépasse 5 milliards ». « L’optimisation des plates-formes de support et la digitalisation [sic, numérisation] de l’accompagnement des demandeurs d’emploi permettent de repositionner plus de 3 000 agents pour l’accompagnement, ce qui représente un effort de 30 % supplémentaires », avait-elle argué, en faisant valoir que les 800 postes supprimés « doivent être mis en perspective avec les 56 000 autres », affectés chez Pôle emploi. D’après la ministre, ce service public peut être plus « efficace » et « accroître [sa] productivité », grâce en particulier à la « numérisation ».
Des représentants de l’intersyndicale ont été reçus, mardi, par un conseiller de Mme Pénicaud, après une rencontre avec le directeur général de l’opérateur, Jean Bassères. Un nouveau rendez-vous, entre les représentants des personnels et le ministère du travail, devrait être fixé dans les prochains jours.