Pour recruter des chauffeurs routiers, « on ne leur vend pas du rêve »

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Il faut du métier pour conduire un semi-remorque de 44 tonnes sur les routes départementales qui mènent à Saint-Laurent-sur-Gorre (Haute-Vienne). Dans ce bout de campagne limousine, les chaussées, bordées de champs et d’arbres, sont étroites. Sylvie Granet en sait quelque chose : elle les sillonne depuis trente-six ans. L’élégante blonde au regard perçant en avait 18 quand André Roulaud lui a confié les clés de son premier camion. C’est pour Laurence, sa petite-fille, que la conductrice parcourt aujourd’hui la France et l’Europe. « Ce travail, confie-t-elle au pied du monstre bleu qui lui sert si souvent de maison, on ne le fait pas parce qu’on n’a rien trouvé d’autre. Il faut aimer ça, être, sans doute, un peu sauvage. » Aussi, les vocations se font rares. Au point de provoquer régulièrement des pénuries de main-d’œuvre.

En 2017, reprise économique oblige, près de 10 600 emplois de chauffeur ont été créés, d’après l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique (OPTL). La même année, le secteur, tous postes confondus, a passé le cap historique des 700 000 salariés. Mais cela n’a pas suffi. Selon la Fédération nationale des transports routiers, près de 20 000 postes sont toujours à pourvoir.

Pour faire tourner ses soixante poids lourds, Laurence Roulaud a compris tôt qu’elle devrait diversifier ses canaux de recrutement. Intérim, job dating, forums… Avec une trentaine d’autres chefs d’entreprise, elle a également rejoint un groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) qui forme, chaque année, des dizaines de chauffeurs et mécaniciens pour la Corrèze, la Creuse et la Haute-Vienne. Les intéressés passent de neuf à seize mois en alternance, le temps d’obtenir leur permis puis de se frotter au métier. Une formation entièrement prise en charge financièrement. Résultat : depuis 2011, 260 contrats de professionnalisation ont été signés.

Les chauffeurs disposent encore d’une vraie liberté

« Pour trouver des candidats, Le Bon Coin reste le moyen le plus efficace, mais Pôle emploi a aussi beaucoup amélioré son traitement des demandes, explique François Cenut, le directeur du GEIQ. L’objectif, c’est de détecter des gens qui ont envie de faire ça. On ne leur vend pas du rêve : dans le transport, on sait quand on part, pas quand on rentre. Il y a des découchés, des heures à attendre. Mais pour des jeunes sans diplôme, c’est un moyen de gagner de l’argent. Près de 2 000 euros net avec les primes, en moyenne. »

« Un risque financier peut exister pour le contribuable si l’employeur ne prélève pas l’impôt à la source »

Un employeur est passible d’une amende qui peut aller jusqu’à 80 %, en cas de rétention délibérée du prélèvement.
Un employeur est passible d’une amende qui peut aller jusqu’à 80 %, en cas de rétention délibérée du prélèvement. Pablo Blasberg/Ikon Images

Question à un expert

Que se passe-t-il si l’employeur ne prélève pas ou ne reverse pas la retenue à la source prélevée sur le salaire ?

Rappelons qu’avec la mise en place du prélèvement à la source (PAS), l’employeur va collecter l’impôt pour le compte du Trésor, et ce, en ponctionnant directement le salaire du collaborateur. Nous devrons nous habituer à recevoir un salaire net de l’impôt sur le revenu.
La question est alors, pour le salarié, de savoir s’il devra payer la retenue directement au Trésor si son employeur ne la reverse pas… Autrement dit, quel est le risque financier qui pèse sur lui ? Peut-il être responsable des agissements de son employeur ?

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La réalité veut que l’employeur soit le débiteur légal de la retenue. A ce titre, il est d’ailleurs passible d’une amende qui peut aller jusqu’à 80 %, en cas de rétention délibérée. Vous le voyez, le salarié est donc considéré comme ayant payé l’impôt et ne devra pas payer une deuxième fois cette charge fiscale.

Mais, nous ne pouvons écarter une seconde hypothèse. Celle où l’employeur n’a pas prélevé la retenue à la source. Ce risque pourrait notamment survenir en cas de procédure collective, procédure de sauvegarde ou redressement judiciaire. Dans ce contexte, le salarié a perçu un salaire brut. Il resterait redevable de l’impôt. Il lui incomberait alors de solder le montant fiscal dû pour s’acquitter de sa dette vis-à-vis de l’administration. La vigilance est donc de mise !

Olivier Rozenfeld (président de Fidroit)

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Egalité salariale hommes-femmes : les entreprises seront notées

La ministre du travail,  Muriel Pénicaud (à gauche)  et la secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, à l’Elysée, le 22 novembre 2017.
La ministre du travail,  Muriel Pénicaud (à gauche)  et la secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, à l’Elysée, le 22 novembre 2017. LUDOVIC MARIN / AFP

Une fois n’est pas coutume, le gouvernement est parvenu à un consensus avec le patronat et les syndicats sur une thématique très conflictuelle : la réduction des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. Jeudi 22 novembre, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, et la secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, ont dévoilé une batterie de mesures qui visent à gommer les inégalités salariales liées au sexe. L’objectif est de faire – enfin – respecter la loi en imposant une « logique de résultats » aux entreprises.

Théoriquement, les employeurs sont tenus, en vertu de dispositions prises en 1972, d’« assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». Mais les secondes restent moins bien payées que les premiers, à hauteur d’environ 9 % en moyenne, même en tenant compte des différences de tranche d’âge, de type de contrat, de temps de travail, de secteur d’activité et de taille d’entreprise. « Une honte à la République », a souligné Mme Pénicaud, jeudi, lors d’une conférence de presse. « Une violence économique qui est faite aux femmes », a renchéri Mme Schiappa.

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Début mars, l’exécutif avait présenté une feuille de route qui esquissait les actions envisagées pour parvenir à une réelle égalité professionnelle. Elles viennent donc d’être précisées, jeudi, après une réflexion de plusieurs mois pilotée par Sylvie Leyre, directrice des ressources humaines (DRH) de Schneider Electric en France.

« Une question d’efficacité »

Principale innovation : la mise en place d’un « index », qui mesurera l’égalité hommes-femmes à l’aide de cinq paramètres. Cet outil aboutira, concrètement, à donner une note aux employeurs, en fonction de leurs efforts pour combler les disparités salariales injustifiées, promouvoir les femmes autant que les hommes, veiller à ce que celles-ci figurent parmi les dix plus hautes rémunérations de la société, etc. Cet index devra ensuite être publié sur le site Internet des entreprises, qui disposeront de trois ans pour procéder à un « rattrapage » dans les rémunérations versées. Celles qui n’auront pas corrigé le tir s’exposeront à des sanctions susceptibles d’aller jusqu’à 1 % de leur masse salariale.

La mise en œuvre s’effectuera du 1er mars 2019 au 1er mars 2023, en prenant en considération la taille des sociétés. Celles qui emploient plus de 1 000 personnes seront tenues de communiquer leur index dès le 1er mars 2019 ; les entreprises de 251 à 1 000 salariés, elles, disposeront de six mois supplémentaires, tandis que les autres (de 50 à 250 personnes) auront jusqu’au 1er mars 2020 pour se mettre en conformité avec la loi – celles de moins 50 salariés n’étant pas concernées. Les premières pénalités financières pourront s’appliquer dès 2022. Point très important : les indicateurs ont été bâtis de telle manière qu’ils puissent être calculés de façon automatique par les logiciels de paye, a assuré Mme Pénicaud, jeudi.

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Un « pragmatisme » salué par Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef. La sanction potentielle est, certes, « significative », confie-t-il, mais le « patron des patrons » dit « entendre l’argument selon lequel ça fait quarante ans qu’on cherche à lutter contre cette inégalité, en vain ». C’est aussi « une question d’efficacité », ajoute-t-il : « Garder ce différentiel, c’est aussi se priver de la moitié des talents. »

A l’issue d’une rencontre avec Mmes Pénicaud et Schiappa, Laurent Berger, numéro un de la CFDT, a déclaré, jeudi, face aux journalistes, que le dispositif constitue « une avancée qu’il faudra faire fructifier ». De son côté, Sophie Binet (CGT) s’est félicitée que l’idée d’instaurer une « obligation de résultats (…) soit enfin reprise ». Cela étant, a-t-elle enchaîné, « la vigilance s’impose », notamment sur les moyens humains dévolus à l’inspection du travail pour vérifier que les entreprises soient bien dans les clous.

Sarah Belouezzane et Bertrand Bissuel

Handicap : malaise dans le secteur « protégé et adapté »

Pour les personnes durement handicapées, les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) et les entreprises adaptées (EA) représentent bien souvent la seule porte d’entrée vers l’emploi. Ces structures sociales, qui composent ce que l’on appelle « le secteur adapté et protégé » ont pour mission d’accueillir les personnes les plus éloignées de l’emploi du fait de leur handicap. Mais tout n’est pas rose au sein de ces établissements. A l’instar des entreprises en milieu « ordinaire », les Esat et les EA ne sont pas épargnées par des tensions en leur sein.

Ces dernières années, des difficultés sporadiques ont agité plusieurs établissements du secteur protégé et adapté. A Reims, dans les Pyrénées-Atlantiques, dans l’Ain, à Lourdes… aucune région de France n’est épargnée. Un exemple parmi d’autres : fin juin, une partie du personnel de l’ESAT Claude-Martinière à Scaër, ainsi que d’autres établissements gérés par l’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH), s’est mis en grève pour protester contre la dégradation de ses conditions de travail.

« On nous demande de faire toujours plus avec moins », regrette Antoine Gougeon, éducateur spécialisé et délégué syndical FO action sociale. Une dégradation consécutive aux coupes budgétaires liées à la « décentralisation », selon l’éducateur, qui affecte directement les établissements gérés par l’APAJH. Et les travailleurs lourdement handicapés accueillis par la structure en paient le prix. « Alors que l’on accueille de plus en plus de personnes vieillissantes et dont le handicap s’aggrave, il y a un déficit d’encadrement certain et des exigences croissantes en termes d’adaptabilité qui pèsent sur elles », regrette Antoine Gougeon.

Pressions

Attaché en grande partie des subventions publiques, ces établissements doivent répondre aux exigences des donneurs d’ordre pour lesquelles ils travaillent, tout en tenant compte du handicap de leur personnel. A la fois humain et financier, cet équilibre n’est pas simple à trouver. A fortiori pour les EA, qui sont des entreprises à part entière et doivent donc être rentables (les Esat, qui accueillent les travailleurs les plus lourdement handicapés, sont des établissements médico-sociaux).

Mutations du travail : les maisons de santé inventent la médecine collaborative

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C’est une avancée encore discrète mais elle pourrait un jour fragiliser l’exercice solitaire de la médecine libérale : depuis leur création, en 2007, les « maisons de santé » inventent, dans les territoires, une nouvelle manière de prodiguer des soins. Ces lieux, qui regroupent des généralistes, des infirmiers, des kinésithérapeutes et des sages-femmes, conçoivent leur travail de manière collective, horizontale et pluriprofessionnelle – trois adjectifs qui ne sont pas, tant s’en faut, au cœur de la tradition libérale à la française…

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Dans les maisons de santé, le généraliste joue un rôle pivot, mais il travaille main dans la main avec les autres métiers : le parcours de soins des patients est discuté en équipe afin ­d’améliorer la qualité et la rapidité de la prise en charge. Le care n’est jamais loin : les ­soignants tentent, si c’est possible, d’éviter une hospitalisation quand le patient tient à rester avec son animal domestique et regroupent les rendez-vous afin de réduire les trajets sur des routes difficiles.

Une « troisième voie » ?

Pendant un an, Nadège Vezinat, maîtresse de conférences à l’université de Reims-Champagne-Ardenne, a étudié les 1 000 maisons de santé nées au cours de la dernière décennie. Leur « idéal égalitaire et collégial », selon le mot du sociologue François Dubet, constitue-t-il une « troisième voie » entre la médecine salariée et la médecine libérale ? Cette offre de soins parvient-elle à imposer son approche sociale et non hiérarchique dans un univers fondé sur l’exercice individuel ?

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Dans les maisons de santé, les médecins généralistes ne sont pas les « chefs » des infirmiers ou des kinésithérapeutes : les professionnels, qui sont payés à l’acte, n’ont ni contrat de ­travail ni lien de subordination avec leurs ­collègues. « Les uns ne sont pas les employeurs (ou les employés) des autres », résume Nadège Vezinat. La Fédération française des maisons et pôles de santé insiste d’ailleurs sur la nécessaire collégialité des décisions : dans les instances, chaque soignant dispose d’une voix, et ce quel que soit son métier.

Coopération entre les métiers

Cette rhétorique n’abolit cependant pas entièrement les rapports traditionnels de subordination. Parce que le financement des maisons de santé est indexé sur le nombre de généralistes, les médecins restent, malgré l’horizontalité, les piliers du dispositif. La rémunération des réunions, la répartition des tours de permanence ou l’affectation des locaux génèrent en outre des tensions qui se soldent souvent par la victoire des médecins sur les autres soignants.

Changement du travail : les différents profils de l’IA

Que l’intelligence artificielle (IA) s’apprête à changer le monde du travail, nul n’en doute. Mais personne ne connaît encore la réalité de cette révolution technologique. Donnera-t-elle naissance à un homme « remplacé », comme le craignaient, au XIXe siècle, les luddites anglais qui détruisaient les métiers à tisser ? Un homme « dominé » qui perdra le contrôle de son destin, comme le suggérait, en 1818, le Frankenstein de Mary Shelley ? Un homme « augmenté », comme en rêvent aujourd’hui les transhumanistes ? Ou un homme « réhumanisé » valorisant son intuition et son imaginaire, comme l’espère le cofondateur de Microsoft, Bill Gates ?

Parce qu’il estime que ce « momentum technologique » est avant tout un « momentum anthropologique », le sociologue Yann Ferguson, ­enseignant-chercheur à l’Institut catholique d’arts et métiers de Toulouse, explore ces ­quatre figures du travailleur à l’âge de l’IA en convoquant les sciences sociales, la littérature et la philosophie. Il les confronte ensuite à une enquête de terrain réalisée dans une entreprise étatisée de plus de 100 000 salariés qui a mis en place des « modules techniques » d’intelligence artificielle. « Il va de soi que ces quatre scénarios peuvent se conjuguer », souligne le sociologue François Dubet.

L’homme remplacé

Dans sa parabole de la manivelle, l’économiste Sismondi (1773-1842) redoute, dès le XIXe siècle, la disparition du travail : qu’adviendrait-il si le « machinisme arriv[e] à un tel degré de ­perfection que le roi d’Angleterre [peut], en tournant une manivelle, produire tout ce qui [est] nécessaire aux besoins de la population » ? Une crainte d’autant plus forte, aujourd’hui, que l’humanité entre dans le « deuxième âge » des machines. « Celles du premier âge produisaient un surcroît de puissance sans toucher au ­monopole humain de la décision, note Yann Ferguson. Celles du deuxième âge se révèlent capables de prendre de meilleures décisions que des humains. »

Contrairement aux idées reçues, le progrès technologiques ne détruisent pas le travail, qu’il soit manuel ou intellectuel : en se fondant sur l’analyse de seize études rétrospectives publiées entre 2009 et 2016, le Conseil d’orientation sur l’emploi montre que les créations d’emploi l’emportent sur les disparitions. Un phénomène confirmé en 2016 par les économistes Melanie Arntz,Terry Gregory et Ulrich Zierahn : l’analyse, de 1990 à 2012, de 18 Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont la France, montre que les nouvelles technologies n’ont pas d’effets néfastes sur l’emploi en raison des phénomènes de compensations.

 

Mutations du travail : le « lean management », une forme moderne du taylorisme ?

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Le monde du travail réinvente jour après jour une vieille querelle éthique – celle qui oppose l’« artisan », chérissant l’ouvrage bien fait, à sa hiérarchie, soucieuse de ­rationaliser les processus de production. « En France, les tensions autour de cette question sont particulièrement vives, constate le sociologue François Dubet, directeur scientifique de la Fondation pour les sciences sociales. On croyait, à la suite des travaux de Max Weber sur l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, que le travail comme réalisation de soi était l’apanage des pays protestants. Les Français sont pourtant les Européens les plus attachés à cette conception créative de leur métier. »

Selon les enquêtes d’European Values Study, les Français plébiscitent plus massivement que leurs voisins l’éthique de l’épanouissement au travail. « Dans l’Hexagone, le métier est un peu considéré comme un art : l’ouvrier professionnel défend les ­traditions de sa corporation et le professeur se dit le maître, après Dieu, dans sa classe, poursuit François Dubet. Dans ce contexte, les politiques d’évaluation et de contrôle sont souvent considérées comme des ­machines bureaucratiques qui, paradoxalement, ­démotivent les salariés et les empêchent de réaliser leur travail dans les règles de l’art. »

Controverses

Le lean management (gestion de la production fondée sur la rentabilité) est au cœur de ces controverses sur le bien-être au travail : parce qu’il rationalise et standardise les procédures, on l’accuse volontiers de méconnaître, voire de déprécier le savoir-faire des salariés. Apparue en France dans les ­années 2000, cette modélisation des pratiques ­japonaises a été déployée dans l’automobile avant de s’imposer dans d’autres secteurs industriels, voire dans les services hospitaliers. Le lean management rêve d’améliorer sans cesse l’efficacité opérationnelle de la chaîne de production : il insiste sur l’optimisation des stocks ou l’affichage, dans les ateliers, des indices « qualité ».

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Si la démarche japonaise est imprégnée d’une philosophie participative qui met l’accent sur l’intelligence collective – elle a d’ailleurs été conçue en opposition avec le taylorisme –, le lean management tel qu’il est pratiqué en France ressemble souvent à un simple « outil » gestionnaire : au lieu de prendre en compte l’expertise des salariés, il impose des dispositifs standardisés imaginés par la hiérarchie dans une logique de performance à court terme. « Le “lean outil” est une optimisation technocratique centrée sur le rôle des ­experts, le poids des normes et la performance individualisée », résume François Dubet.

BPI France promeut un site pour recenser des start-up

Collaborer avec les start-up, adopter leurs solutions innovantes… Pour les grands groupes, qui ont longtemps observé ces jeunes pousses comme des ovnis, c’est devenu indispensable à l’heure de la transformation numérique.

Pour les y aider la Banque publique d’investissement (BPI) met à leur disposition depuis le 21 novembre un outil leur permettant de détecter les start-up dont les services pourraient leur être le plus utiles. Ce site présente 470 start-up françaises ayant des compétences dans plusieurs domaines tels que l’intelligence artificielle, le big data, l’Internet des objets.

Pour chacune d’elles sont précisés le détail de leurs activités, la liste de leurs investisseurs et les références des sociétés qui travaillent déjà avec elles. Car la BPI n’a retenu que des sociétés ayant déjà fait leurs preuves et dont les revenus sont de nature à rassurer les grandes entreprises qui souhaiteraient les approcher.

La BPI poursuit un double objectif : apporter des affaires à ces pépites françaises et favoriser, à terme, le rachat de certaines par des grands groupes. Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation de la BPI, cite en exemple le récent rachat par le groupe Legrand de la société Netatmo. « Il y a quelques années, Legrand aurait peut-être développé sa propre solution de maison connectée, concurrente de celle de Netatmo. En les rachetant, ils accélèrent leur transformation », souligne-t-il.

Généralement, il estime que cette évolution serait bénéfique pour tout l’écosystème : « Il y a des start-up qui ne pourront pas devenir des licornes [sociétés valorisées plus de 1 milliard de dollars]. Pour elles, le chemin naturel est de se rapprocher des grandes entreprises. Cela permet à des investisseurs de se retirer pour investir ailleurs, cela fluidifie le système. »

Une communication imparfaite

Mais les esprits n’y sont peut-être pas encore prêts et les start-up semblent surtout attendre du nouvel outil proposé par la BPI qu’il leur permette d’attirer de nouveaux clients. « Les grands groupes, ça représente un potentiel énorme », convient Quentin Debavelaere, directeur opérationnel de Malt, une plate-forme de mise en relation de free-lances avec les entreprises.

Mais la communication entre ces deux mondes est encore souvent imparfaite : « Signer un contrat avec un grand compte, ça prend beaucoup de temps. Or le facteur plus critique pour une start-up, c’est le temps », témoigne Jérôme Tredan, directeur de la start-up Saagie. Souvent les négociations butent sur des garanties exigées des start-up, qu’elles ne peuvent apporter. A commencer par l’assurance qu’elles n’auront pas périclité dans un futur proche. « Travailler avec une start-up, c’est accepter d’innover mais aussi d’échouer », prévient M. Tredan.

Low Cost, EasyJet plane sur le marché

La publication, mardi 20 novembre, des résultats annuels d’easyJet a illustré le grand écart entre les compagnies low cost moyen-courriers et les petites nouvelles, qui tentent de se faire une place dans le secteur du long-courrier à bas coûts.

Selon les chiffres, publiés par la compagnie aérienne britannique, easyJet mène grand train. Lors de son exercice 2017-2018, elle a engrangé un bénéfice de 358 millions de livres, soit 400 millions d’euros, en hausse de près de 17 %. Une bonne fortune portée par la progression de 10,2 %, d’une année sur l’autre, du nombre de passagers transportés, qui s’est établi à 85 millions. Une performance qui se retrouve dans le taux de remplissage de 92,9 % (+ 0,3 %) des avions de la compagnie à la livrée orange. Au total, le chiffre d’affaires du transporteur low cost britannique s’est élevé à 6,6 milliards d’euros, en hausse de près de 17 %.

Cette santé insolente ne doit rien au hasard. Pour gonfler encore plus ses revenus, la compagnie a tablé sur son habituel cocktail à succès : une billetterie en augmentation et des revenus annexes (choix du siège, bagages supplémentaires, alimentation à bord) en progrès constant. la compagnie à bas coûts a aussi su échapper aux mouvements sociaux, qui ont affecté l’activité de sa grande rivale Ryanair.

Les ratés de Ryanair

Confrontée à des grèves de ses pilotes et de ses personnels de cabine, cette dernière a dû annuler des milliers de vols et rembourser plusieurs millions d’euros à ses passagers. Outre les ratés de Ryanair, easyJet a su aussi tirer, ces derniers mois, profit de la disparition de deux concurrentes, la britannique Monarch Airlines et l’allemande Air Berlin. Grâce à la faillite de cette dernière, easyJet a pu mettre le pied en Allemagne et étoffer sa flotte, avec la reprise de 25 appareils et environ un millier de salariés de l’ex-compagnie.

Les poches pleines, easyJet a pu confirmer une commande pour dix-sept Airbus A320neo, d’une valeur, prix catalogue, de 1,9 milliard de dollars (environ 1,66 milliard d’euros). Elle est même assez riche pour avoir déposé une des trois offres de reprise d’Alitalia, la compagnie italienne en grande difficulté.

Les compagnies low cost long-courriers souffrent

Surtout, easyJet veut continuer son expansion en Europe, et principalement en France. De fait, l’Hexagone est le principal relais de croissance de la compagnie britannique. « Nous y avons conforté notre position de deuxième compagnie, derrière Air France, avec 15,6 % de parts de marché et 40 % du marché du low cost, loin devant Ryanair, Transavia et les autres », s’est félicité François Bacchetta, directeur général France d’easyJet. Preuve de cette vitalité, la compagnie compte ouvrir, au printemps, une septième base à Nantes.

Pendant qu’easyJet gonfle son bas de laine, ce sont les compagnies low cost long-courriers qui souffrent. Ce nouveau segment du marché connaît même un début d’hécatombe. Presque coup sur coup, deux des fleurons du long-courrier à bas coûts ont fait faillite.

En octobre, la compagnie danoise Primera Air, a, du jour au lendemain, mis un coup d’arrêt définitif pour une dépense imprévue d’une trentaine de millions d’euros. Quelques semaines plus tard, au début de novembre, c’est sa rivale islandaise WOW Air qui a, à son tour, rendu les armes, en se faisant racheter par sa compatriote Icelandair.

La pionnière Norwegian en souffrance

Enfin, c’est la pionnière du genre, Norwegian, qui paraît souffrir d’une santé plus que chancelante. La low cost long-courrier norvégienne a dû annoncer la revente de la moitié des avions qu’elle avait commandés pour se développer. Affectée par plus de 2 milliards d’euros de dettes, la compagnie a, en outre, vu sa facture de carburant augmenter dangereusement ces derniers mois.

Quelques années après son lancement, en Europe, le long-courrier à bas coût n’a toujours pas fait la preuve de la solidité de son modèle économique. Preuve de cette incertitude, les Ryanair et autres easyJet, qui possèdent pourtant tout le savoir-faire pour se lancer, se sont pour l’instant toujours refusés à s’y aventurer.

Au contraire, easyJet veut renforcer son début d’alliance commerciale, à Londres, avec la compagnie de Dubaï, Emirates. Les passagers de la compagnie du Golfe pourront acheter leur billet pour poursuivre leurs vols sur les destinations moyen-courriers d’easyJet en Europe. La compagnie britannique à bas coûts pourrait renouveler cette opération, mais, cette fois, au départ de Roissy-Charles-de-Gaulle.