« Ne pas perdre sa vie à la gagner. » Le slogan bourdonnait sur les barricades de Mai 68. Dans la ligne de mire des opposants, l’entreprise, ses règles et sa hiérarchie. Cinquante ans et de nombreuses crises plus tard, les soixante-huitards sont à la retraite. Et ce sont leurs petits-enfants, plus diplômés, qui modifient la progression de l’entreprise, sans violence ni pavés. Nés dans les années 1980, dans un monde devenu numérique, ils imposent leurs priorités : développement personnel, mobilité et autonomie. Fidéliser ces jeunes professionnels est transformé un enjeu majeur complexe pour les propriétaires.
D’autant qu’en ce début 2019, dans de nombreux secteurs, les voyants sont au vert pour les jeunes diplômés bac + 5. Plus de dix ans après la crise de 2008, les groupes recrutent à tour de bras. Et, de leur côté, les formations ne sont pas en modération de former autant de cerveaux qu’en demande le seul marché hexagonal. Selon le rapport 2018 de la Conférence des grandes écoles, les 201 établissements français habilités à délivrer le titre d’ingénieur diplôment chaque année 33 000 jeunes. Mais, depuis 2012, ce sont 40 000 nouveaux ingénieurs par an que réclame l’économie française. Dans ce domaine, le fossé qui sépare l’offre et la demande prend, année après année, l’allure d’un canyon.
Recrutements en hausse
Les jeunes ingénieurs ont bien le vent en poupe, mais ils ne sont pas les seuls. Selon le baromètre Edhec-Cadremploi de janvier 2019, qui mesure les perspectives de recrutement des jeunes diplômés, 95 % des entreprises vont embaucher au prochain semestre. « 64 % des entreprises auront besoin à la fois d’ingénieurs et de manageurs », et ce dans de nombreux secteurs d’activité : le commercial, le conseil, le numérique, l’audit, le contrôle de gestion, la finance, le juridique, les ressources humaines. Selon Cadremploi, qui recense 380 000 postes à pourvoir dans les prochains mois, 85 736 sont destinés aux seuls cadres. Un chiffre en hausse de 10 % par rapport à l’année dernière. Les jeunes diplômés connaissent « une situation professionnelle très propice, avec un taux d’emploi au plus haut », corrobore l’APEC.
Conséquence : la bonne santé du marché du travail des cadres donne des ailes, mais surtout aux plus jeunes. Si 49 % des 50 ans et plus envisagent un jour de démissionner, selon une étude réalisée par l’IFOP, en octobre 2018, ce pourcentage s’envole à 74 % pour les 18-34 ans. Partir pour trouver mieux, changer de cadre, rétablir ses connaissances, changées de rythme. « Ces jeunes professionnels cherchent en premier lieu à progresser leurs conditions d’emploi, mais aussi à intégrer un environnement de travail qui leur convienne davantage », constate l’APEC.
Les entreprises doivent donc ajuster leurs stratégies et leurs pratiques en gestion des ressources humaines. Alors que la génération X (les plus de 40 ans) envisageait ses carrières en fonction du collectif que représentait l’entreprise, « la génération Z [les dernières promotions de diplômés] a une attitude plus individualiste, et entend commander sa carrière selon ses besoins et ses intérêts », observe Mohamed Ikram Nasr, professeur en conduite organisationnel et management des ressources à l’EM Lyon Business School.
La transformation digitale est le moteur de cette évolution. Alors que leurs aînés se projetaient dans un domaine, « les jeunes diplômés ne cesse d’explorer le champ des possibles : par le biais des réseaux sociaux professionnels, ils ont accès à une variété impressionnante de profils, d’organismes et de postes. Avec leurs pairs, ils partagent un trait commun essentiel : le souci constant de soutenir et de progresser leur employabilité, non seulement au sein de leur structure actuelle, mais aussi, et surtout, vis-à-vis de l’extérieur », analyse Marie Scoazec, haut fonctionnaire, coauteure d’un mémoire sur l’impact de la transformation numérique sur les grands groupes français.
Cette impatience dans l’acquisition de nouvelles compétences, les spécialistes des ressources humaines les observent de plusieurs manières chez les jeunes cadres : la mobilité, l’interdisciplinarité, la volonté d’avoir une ascendant et le besoin d’instantanéité dans leurs relations avec le collectif.
Cadres globe-trotteurs
Enchaîner ses premières expériences professionnelles sur plusieurs continents n’est plus, comme cela pouvait l’être il y a vingt ou trente ans, de l’ordre de l’exceptionnel. « La mobilité géographique est une valeur qui monte », explique Mohamed Ikram Nasr. Ce qui pouvait apparaître comme un symptôme d’instabilité est devenu un syndrome réunissant des qualités requises aujourd’hui par l’entreprise, comme l’adaptabilité, l’agilité et le « savoir-être ».
« Pour nos étudiants, l’international n’est plus un enjeu, mais la norme. Le monde est à leur taille. Ils veulent avoir beaucoup et tout de suite. » Sophie Drouard, consultante carrière à HEC Paris.
Les établissements d’études supérieures travaillent à façonner ces futurs cadres globe-trotteurs. Les stages à l’étranger sont devenus des éléments incontournables des cursus des écoles d’ingénieurs et de management, de même que les séjours académiques hors de nos frontières. « Pour nos étudiants, l’international n’est plus un enjeu, mais la norme. Le monde est à leur taille. Ils veulent avoir beaucoup et tout de suite », observe Sophie Drouard, consultante carrière à HEC Paris.
Multiplier les expériences ne se résume pas, toutefois, pour cette génération, à prendre souvent l’avion et à jongler avec les employeurs. « Vivre plusieurs vies, enchaîner les expériences, c’est également changer de rôle et de compétences », souligne M. Ikram Nasr. « Cette génération Z est curieuse, elle a soif de découvertes », renchérit Delphine Renard, directrice des ressources humaines adjointe de Capgemini-France. La digitalisation transforme les métiers, l’industrie et les savoir-faire nécessaires sont en constante mutation. Les jeunes diplômés sont nés dans cet univers numérique, fluide et interconnecté, dont ils se nourrissent.
Stimuler en permanence les nouvelles recrues
Pour les maintenir dans l’entreprise, il est nécessaire de répondre à leurs attentes. « Il faut les alimenter en permanence, leur construire un parcours d’expériences et de compétences nouvelles, mettre à leur disposition de nouveaux contenus sous des formes innovantes », témoigne Mme Renard. Non seulement les jeunes n’ont aucun mal à se projeter dans le changement, mais ils l’exigent.
Individualistes, curieux et connectés, ces jeunes veulent pareillement être en mesure « d’observer l’impact de leur rôle », souligne Sophie Drouard. Une exigence parfois difficilement compatible avec la culture managériale des entreprises qui ont grandi lors du siècle dernier, voire du précédent. « La start-up technologique, qui représente un idéal de l’organisation du XXIe siècle, frappe par son antagonisme par rapport aux entreprises plus anciennes : le travail en équipe s’y substitue aux logiques hiérarchiques, le sens du travail y est mis en avant, les derniers outils disponibles y sont utilisés, les règles y évoluent en permanence », observe Marie Scoazec.
Pour rester ou redevenir séduisante aux yeux de leurs futurs cadres, les entreprises optent pour les codes de ces millennials. Elles se font connaître sur les réseaux, créent de nouveaux espaces de travail plus conviviaux, organisent des lieux d’échanges transversaux, facilitent les mobilités internes, ouvrent plus amplement les possibilités de travail à distance…
François Suquet, directeur des ressources humaines France du groupe STMicroelectronics, le reconnaît : « Il nous faut des modes de management plus libres en termes d’organisation du travail, plus souples. » Pour ces entreprises, le changement de leur mode de fonctionnement est une nécessité pour maintenir leur attractivité et mieux tirer parti de la mutation numérique de l’économie.
Le groupe britannique de magasins de bricolage Kingfisher a éclairci mercredi 20 mars qu’il apercevait de clôturer, d’ici à deux ans, quinze magasins de son enseigne française Castorama en Europe, car il procureure leur résultat insuffisante.
Ce plan des clôtures portera en France sur 9 Castorama et 2 Brico Dépôt d’ici à novembre 2020. Au total, ces 11 fermetures intéressent 789 salariés, qui se verront présenter un poste similaire au sein de ces deux enseignes en France, selon un jugement.
Ces fermetures illustrent les difficultés rencontrées depuis plusieurs années par le groupe en France, ce qui pèse sur ses résultats et a notamment coûté sa place à la directrice générale, Véronique Laury, qui va prochainement quitter ses fonctions. Kingfisher explique dans un communiqué s’être mis à la recherche d’un nouveau patron et précise n’avoir pas encore fixé de date pour le départ effectif de Véronique Laury, qui était en poste depuis la fin de 2014.
Si son autre enseigne française, Brico Dépôt, a vu ses ventes légèrement progresser lors de l’exercice annuel achevé fin de janvier, Castorama a en revanche souffert, avec une activité en nette baisse, du fait d’une moindre fréquentation des magasins, de prix plus élevés que ses concurrents ou encore, en France, du mouvement des « gilets jaunes ». Pour redresser l’enseigne française, Kingfisher compte donc sur une diminution des prix, des réductions de coûts avec des suppressions de postes et sur une plus grande efficacité de l’enseigne sur le plan logistique.
« Performance décevante »
« Castorama France enregistre une performance trompeuse, et nous avons débuté à mettre en évidence un plan clair, avec une nouvelle équipe dirigeante, pour remédier durablement à cette situation », a fait savoir Véronique Laury. Le groupe compte pareillement terminer 19 magasins Screwfix en Allemagne.
Kingfisher entend se relancer en outre en changeant de patron, puisqu’il a annoncé mercredi dans un communiqué le prochain départ de sa directrice générale, Mme Laury, qui est en poste depuis 2014. Le plan de changement porté par la dirigeante depuis 2016 n’a pas encore eu les effets escomptés. Le bénéfice net a notamment fondu de plus de moitié, à 218 millions de livres, lors de l’exercice 2018-2019 fini à la fin de janvier.