Modification de la fonction publique : « Le gouvernement doit faire son changement digital »

Manifestation des agents de la fonction publique pour l'emploi et les salaires, à Nantes, en 2013.
Manifestation des agents de la fonction publique pour l’emploi et les salaires, à Nantes, en 2013. Alain Le Bot / Photononstop / Alain Le Bot / Photononstop

Interruption, clientélisme et démobilisation sont les signes d’une administration qui repose sur l’emploi à vie, déclare l’économiste Olivier Babeau.

La discussion touchant les évolutions souhaitables de la fonction publique est rendu très pénible en France par le poids des idées obtenues. Parmi elles, on peut mentionner la confusion entre action publique et fonction publique (la première n’étant censée pouvoir passer que par la seconde), l’incorporation de toute baisse des effectifs à une diminution, l’irréductible distinction entre secteur public et secteur privé, ou le péril que des allers-retours entre les deux feraient courir à la totalité des agents. Des convictions indiscutées, mais qui ne résistent pas à une réflexion éveillé sur le fonctionnement réel de la puissance publique et sur ses nouveaux enjeux dans un contexte technologique et social fortement nouveau.

L’administration contemporaine est façonnée sur la bureaucratie décrite par Max Weber à l’orée du XXe siècle : division du travail en tâches élémentaires exactement définies, élaboration des pouvoirs, sélection formelle (prenant souvent la forme d’un concours). Dans l’esprit du sociologue allemand, ce modèle souscrivait d’éloigner l’ambigüité, l’inefficacité et le népotisme dont souffraient les entreprises. Le statut de fonctionnaire en est l’accomplissement fidèle.

Or les dérives de la bureaucratie ont été amplement décrites par la sociologie des organisations (notamment Michel Crozier, dès 1963, dans Le Phénomène bureaucratique, qui met en lumière le cercle vicieux de l’inflation régulatrice) et le courant de recherches économiques de l’école des « choix publics » (Gordon Tullock, Mancur Olson, les Prix Nobel Milton Friedman et James Buchanan). Démotivation, gestion inexistante des carrières, accroissement invérifiable des effectifs sans lien avec l’utilité réelle, autojustification des missions, etc. Autant de travers décrits en profondeur par William A. Niskanen dans Bureaucracy and Representative Government (1971). Le problème de l’administration est l’absence de lien mécanique entre son efficacité et ses ressources.

Nouveaux défis

Alors que pour une entreprise, le vide se traduit par la faiblesse à garder des clients et donc à survivre, les administrations profitent de ressources garanties venant de l’impôt. Elles peuvent survivre à leur nullité, voire embellir bien que leur nocivité. La situation de monopole dont jouit le plus souvent le service public rend impossible toute comparaison.

Dans ce flou embellissent les gâchis et sont couverts les clientélismes. Philip Selznick avait présenté, dans TVA and the Grass Roots (1949), comment les objectifs initiaux des agences publiques pouvaient être déformés au profit de certains intérêts singuliers. L’administration publique incarne aussi la préférence française pour le dualisme du marché du travail : d’un côté, les inclus, les fonctionnaires, aux maints privilèges (comme la retraite, comptée sur les six derniers mois et non sur les vingt-cinq meilleures années) contre ceux qui sont exposés, les salariés du privé. Une fois rentrés dans la fonction publique, leur productivité chute, l’absentéisme bondit – une étude Sofaxis rendue publique en novembre 2017 montrait que l’absentéisme dans les collectivités territoriales avait cru de 28 % entre 2007 et 2016. En outre, le rapport sur l’état de la fonction publique et les rétributions, publié en annexe au projet de loi de finances 2017, accentue que le nombre de laborieux absents au moins un jour au cours d’une semaine pour raison de santé est de 4,5 % dans la fonction territoriale contre 3,7 % dans le privé.

 

 

 

Incertitude du gouvernement sur l’âge de la retraite

Mercredi, Benjamin Griveaux a réaffirmé que ce sujet était au menu de la collusion.

Saisisse qui pourra. En l’espace de trois jours, l’exécutif est arrivé à jeter le trouble sur ce qu’il souhaite faire de l’âge légal de départ à la retraite – un sujet pourtant explosif. Si la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, a essayé, mardi 19 mars, de clore le débat qu’elle a elle-même commencé dimanche sur ce thème, son collègue Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a garanti, mercredi, que ce sujet était bien au menu des travaux guidés par le haut-commissaire chargé du dossier, Jean-Paul Delevoye. « C’est une question qui est à la concertation, a-t-il déclaré sur RTL. Nous n’avons pas l’habitude de fermer les concertations en pleine concertation, ça n’est pas une bonne méthode de gouvernement. »

Il a ainsi reprit Mme Buzyn qui avait fait une mise au point mardi à l’Assemblée nationale. « Aucune modification de l’âge minimal de départ à la retraite n’est entrevue, ni sur la table des contestations que pilote le haut-commissaire à la réforme des retraites », avait-elle déclaré. Ce qui avait toutes les apparences d’un rétropédalage n’en était cependant pas un pour la ministre, qui avait précisé : « Ce n’est pas non plus le sens des propos que j’ai tenus dimanche et dont les diverses interprétations sont à la provenance d’une polémique. »

« Offre très courageuse »

Mme Buzyn avait alors étalé ne pas être hostile, dans le cadre de la grande discussion, à ce que le sujet de l’« accroissement de la durée de travail » soit approché. Cette situation avait créé la surprise. Il va à l’encontre de la promesse de campagne d’Emmanuel Macron, affirmé une autre fois depuis par M. Delevoye, de ne pas palper à l’âge minimum de départ à la retraite, aujourd’hui fixé à 62 ans. Si la ministre avait accentué s’informer « à titre personnel », elle a été soutenue par l’exécutif ; le premier ministre, Edouard Philippe, étant lui-même allé dans ce sens vendredi. L’Elysée a pour sa part montré que la « règle des 62 ans » n’était plus tracée dans le marbre. Quant au ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, il s’est englouti dans la brèche, saluant une « proposition très courageuse » qui « s’étudie et se regarde ».

Une proche de la ministre garantit que « ce n’était pas une proposition » et que « son intention n’était pas de mettre le sujet de l’âge de départ à la retraite dans le projet qu’elle conduit avec Jean-Paul Delevoye ». A l’Assemblée, Mme Buzyn est retourné dans les clous de ce qui a été balisé par M. Delevoye ces dernières semaines lors de la coalition avec les partenaires sociaux. Elle a ainsi fait référence à un système de gratifications pour « permettre à toutes celles et tous ceux qui le souhaitent de pouvoir continuer à œuvrer après l’âge minimal de départ à la retraite et d’être avantagés financièrement à le faire ».

Le groupe Kingfisher veut cloturer 15 magasins Castorama en Europe d’ici à 2021

La marque française a souffert ces derniers mois à cause particulièrement d’une moindre tangence des magasins, de prix plus élevés que ses compétiteurs ou encore de l’action des « gilets jaunes ».

Le groupe britannique de magasins de bricolage Kingfisher a éclairci mercredi 20 mars qu’il apercevait de clôturer, d’ici à deux ans, quinze magasins de son enseigne française Castorama en Europe, car il procureure leur résultat insuffisante.

Ce plan des clôtures portera en France sur 9 Castorama et 2 Brico Dépôt d’ici à novembre 2020. Au total, ces 11 fermetures intéressent 789 salariés, qui se verront présenter un poste similaire au sein de ces deux enseignes en France, selon un jugement.

Ces fermetures illustrent les difficultés rencontrées depuis plusieurs années par le groupe en France, ce qui pèse sur ses résultats et a notamment coûté sa place à la directrice générale, Véronique Laury, qui va prochainement quitter ses fonctions. Kingfisher explique dans un communiqué s’être mis à la recherche d’un nouveau patron et précise n’avoir pas encore fixé de date pour le départ effectif de Véronique Laury, qui était en poste depuis la fin de 2014.

Si son autre enseigne française, Brico Dépôt, a vu ses ventes légèrement progresser lors de l’exercice annuel achevé  fin de janvier, Castorama a en revanche souffert, avec une activité en nette baisse, du fait d’une moindre fréquentation des magasins, de prix plus élevés que ses concurrents ou encore, en France, du mouvement des « gilets jaunes ». Pour redresser l’enseigne française, Kingfisher compte donc sur une diminution des prix, des réductions de coûts avec des suppressions de postes et sur une plus grande efficacité de l’enseigne sur le plan logistique.

« Performance décevante »

« Castorama France enregistre une performance trompeuse, et nous avons débuté à mettre en évidence un plan clair, avec une nouvelle équipe dirigeante, pour remédier durablement à cette situation », a fait savoir Véronique Laury. Le groupe compte pareillement terminer 19 magasins Screwfix en Allemagne.

Kingfisher entend se relancer en outre en changeant de patron, puisqu’il a annoncé mercredi dans un communiqué le prochain départ de sa directrice générale, Mme Laury, qui est en poste depuis 2014. Le plan de changement porté par la dirigeante depuis 2016 n’a pas encore eu les effets escomptés. Le bénéfice net a notamment fondu de plus de moitié, à 218 millions de livres, lors de l’exercice 2018-2019 fini à la fin de janvier.

Les réfugiés bienvenus sur les professions en tension

« Carrefour a intégré près de 90 réfugiés en contrat de professionnalisation sur un poste d’employé de commerce en magasin. Auchan a accueilli une vingtaine de réfugiés sur le même type de poste. »
« Carrefour a intégré près de 90 réfugiés en contrat de professionnalisation sur un poste d’employé de commerce en magasin. Auchan a accueilli une vingtaine de réfugiés sur le même type de poste. » Eric Gaillard / REUTERS

Des firmes en carence de main-d’œuvre jouent sur l’intégration par l’emploi.

Hassan était boucher en Erythrée et Ahmad œuvrait dans un snack en Syrie. Tous deux ont dû fuir leur pays. Réfugiés en France, ils ont eu un emploi dans des secteurs en demande. Hassan œuvre aussitôt dans la grande distribution et Ahmad dans la restauration rapide. « Entre 150 000 et 180 000 postes sont maintenant à pourvoir dans l’hôtellerie-restauration, dont la moitié en CDI », rappelle l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH).

Ce secteur est loin d’être le seul à se trouver confronté à une pénurie de main-d’œuvre. C’est le cas de la grande distribution, du bâtiment, de l’industrie ou encore du numérique pour certains métiers. « Le problème des entreprises est bien plus de trouver des collaborateurs que de décrocher des marchés », constate Guillaume Richard, PDG du groupe de services à domicile Oui Care et président de la commission sociale du réseau de dirigeants d’entreprise CroissancePlus.

Pourquoi, dès lors, ne pas faire appel aux réfugiés pour solutionner une partie de la pénurie ? « Nos adhérents sont solliciteurs, explique Jessica Gonzalez-Gris, déléguée emploi et formation à la Fédération Syntec (numérique, ingénierie et conseil), car les réfugiés forment un vivier de compétences intéressant. Au-delà de l’aspect exclusivement économique, les entreprises ont connaissance de l’enjeu sociétal que représente l’assimilation de cette population. »

Sur exposition d’un souhait d’embauche

Les solliciteurs d’asile peuvent être autorisés à œuvrer six mois après le dépôt de leur demande, s’ils ont réussi une autorisation provisoire de travail, sur présentation d’une promesse de travail ou d’un contrat de travail. Cette durée a été amenée de neuf à six mois par la loi asile et immigration du 10 septembre 2018. « Il faut encore réduire ce délai et résumer la procédure, estime Guillaume Richard. Et, en parallèle, il est nécessaire d’augmenter la taxe à l’embauche des travailleurs étrangers. Le but n’est pas de créer un appel d’air. »

Pour avoir accès à cette réserve de candidats, les entreprises se dirigent vers des associations. Si elles sollicitent que les démarches soient collaborées, elles souhaitent aussi être escortées. Car « il est indispensable aux yeux de la majorité des employeurs de disposer d’un intermédiaire qui se porte garant, a minima de la qualité et de la légalité de la candidature », note le Lab’Ho (l’Observatoire des hommes et des organisations du groupe Adecco), dans son étude « Accueillir les réfugiés… autrement », parue en juin 2018. « Tout se passe comme si les employeurs, même convaincus, révélaient le sentiment de saisir un risque important », déclare le Lab’Ho.

« Les conséquences positifs de la méditation ne font qu’équilibrer ses effets négatifs »

« Andrew Hafenbrack, devenu professeur en comportement des organisations à l’école d’économie et de business Catolica-Lisbon (Portugal), sème le doute. »
« Andrew Hafenbrack, devenu professeur en comportement des organisations à l’école d’économie et de business Catolica-Lisbon (Portugal), sème le doute. » Tang Yau Hoong/Ikon Images / Photononstop

Il faut constamment se méfier des enthousiasmes rapides et violents. Pour les modes managériales notamment. Car à l’enthousiasme collectif remplacent bien fréquemment doute et remise en cause. Il pourrait en être ainsi de la méditation, aussitôt en vogue chez les jeunes et les moins jeunes cadres.

Obtenue du bouddhisme, la méditation comporte à s’assembler sur le moment présent, à accepter la situation telle qu’elle est. Même adoptée pendant de très courtes périodes – pour rester compatible avec les exigences de la vie professionnelle – elle serait donc efficiente pour batailler contre l’anxiété, et s’apercevoir mieux au travail, entre autres. Le célèbre chef cuisinier français Thierry Marx en est un adepte. Et il est bien connu que Chade-Meng Tan, l’un des premiers ingénieurs mobilisés chez Google aux Etats-Unis a persuadé nombre de ses collègues d’y avoir recours.

Mais voilà qu’un de ses initiateurs de la première heure, Andrew Hafenbrack, devenu professeur en conduite des organisations à l’école d’économie et de business Catolica-Lisbon (Portugal), sème le doute. Alors qu’en 2014, il assurait que quinze minutes de méditation suffisent pour prendre de meilleures décisions, il alerte aussitôt sur un effet négatif de la technique, sans la remettre globalement en cause. « Méditer démotive », déclare-t-il dans un article diffusé en janvier dans la Harvard Business Review. Il a observé les différences de conduite au travail entre deux groupes de personnes.

Les personnes blasées moins performantes

Les adhérents du premier groupe connaissaient médité durant quinze minutes avant qu’il ne leur soit sollicité d’écrire une lettre. Les participants du second groupe possédaient pu faire ce que bon leur semblait, lire les nouvelles par exemple. Ceux qui avaient réfléchi ont déclaré faillir d’inspiration et ont expédié leur travail. Bizarrement cependant, ces êtres démotivés ont fourni d’aussi bons résultats que les autres, alors que ce n’aurait pas dû être le cas, vu que les personnes blasées sont naturellement moins performantes.

Pour le chercheur, il semble donc que les effets positifs de la méditation, comme le progrès de l’aptitude à se concentrer, ne font que compenser les effets négatifs dus à la perte de motivation. Ce qui prime l’intérêt professionnel de ce type de technique… A moins d’être capable de jouer délicatement de cet art, de savoir repérer les situations où sa pratique est certainement utile.

« La discussion de proximité doit-il avoir lieu dans les sociétés ? »

Trente ans après le « droit d’expression » sur le temps et le lieu de travail né avec la loi du 4 août 1982, les réseaux sociaux d’entreprise n’ont guère « libéré la parole », constate le juriste Jean-Emmanuel Ray dans sa chronique.

Publié aujourd’hui à 06h30 Temps de Lecture 2 min.

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« Chaque délégué syndical qui, en France, a le monopole de la négociation d’entreprise, doit s’être présenté aux élections professionnelles et avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés pour pouvoir être désigné par son syndicat. »
« Chaque délégué syndical qui, en France, a le monopole de la négociation d’entreprise, doit s’être présenté aux élections professionnelles et avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés pour pouvoir être désigné par son syndicat. » Philippe Turpin / Photononstop

Avis d’expert. L’éruption des « gilets jaunes » a constitué un apprentissage accéléré du droit des conflits collectifs. Le « tous contre » est fédérateur, surtout avec des revendications très diverses. Mais, pour trouver une issue, il faut ensuite sélectionner : les thèmes essentiels, puis des « représentants » jugés légitimes par leurs mandants. Et qui ne décrètent pas que ce sera « tout, ou rien ! », déni du principe même d’une négociation, donc d’un compromis.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Comité social et économique : refondation ou continuité ?

Mais comment les désigner ? L’effet « vu à la télé » a montré ses rudes limites et confirmé le judicieux choix fait par notre droit du travail le 20 août 2008 : la représentativité réelle d’un négociateur se mesure à partir du terrain. Chaque délégué syndical qui, en France, a le monopole de la négociation d’entreprise, doit s’être présenté aux élections professionnelles et avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés pour pouvoir être désigné par son syndicat, qui ensuite l’encadre dans sa mission. Son mandat à durée déterminée, car remis en cause tous les quatre ans, l’incite à coller aux problèmes quotidiens des salariés-électeurs : à moins de 10 %, il quittera la table des négociations.

Il restera des ronds-points « gilets jaunes » un fort besoin d’expression. Ce n’est pas surprenant : en 1980, 26 % d’une génération avait le baccalauréat, ils étaient 43 % en 1990 et 65 % aujourd’hui, omniprésents sur les réseaux sociaux. Le débat de proximité doit-il se tenir dans l’entreprise ? Depuis 1946, le droit du travail a multiplié les mécanismes de démocratie représentative et de démocratie directe depuis 2016. Ainsi en est-il du comité social (CSE) et économique.

Avis individuels et intérêt collectif

Composé de représentants élus, avec monopole des listes syndicales au premier tour, ce qui exclut à ce stade une liste spécifique « gilets jaunes », « le comité social et économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts » (L. 2312-8). Et comme les délégués du personnel vont disparaître fin 2019, la création par accord collectif des « représentants de proximité » nés avec l’ordonnance du 22 septembre 2017 rencontre un légitime succès dans les établissements.

Depuis août 2016 se sont aussi multipliés les référendums, facilités par le vote électronique. Ici pour ratifier un accord en l’absence de délégué syndical, là en guise de session de rattrapage pour valider un accord signé par des syndicats représentant plus de 30 % mais moins de 50 % des électeurs, et permettant ainsi de contourner le principe de l’accord majoritaire (cf. n° spécial Droit social, mars 2019 : « La place des syndicats dans le nouveau modèle social »). Mais une somme d’avis individuels reflète-t-elle l’intérêt collectif ?

« Les Robots, mon emploi et moi » : bien calibrer l’évolution digitale

L’économiste et directeur de l’Institut Sapiens Erwann Tison offre une approche rationnelle et tranquillisée de l’influence du numérique sur le marché de l’emploi.

La première fois qu’une IA, à savoir Hal 9000 dans le film 2001, l’odyssée de l’espace, établit d’une grand impact narrative au cinéma, elle forme le rôle de le ravageur d’humains. C’est dire à quel point la technologie excite nos peurs et nourrit nos fantasmes les plus sombres.

Cette rivalité est amplement présente dans notre inconscient communautaire qu’il s’est invité lors de la dernière campagne présidentielle : Benoît Hamon a bâti l’adaptation de son programme sur la diminution du travail due au choc digital. « Dans un climat défaitiste et décliniste, peu de gens se posent la question de l’impact réel que pourrait avoir cette révolution numérique et des bénéfices que notre société pourrait en tirer », déclare Erwann Tison.

Dans Les Robots, mon emploi et moi (MA Editions), l’économiste et directeur de l’Institut Sapiens propose une approche « rationnelle et dépassionnée » de la mission du digital sur le marché du travail. La robotique va troubler bon nombre de procédés de production et de construction. Par la numérisation d’abord, qui a déjà infusé dans nos sociétés. AlphaGo, l’IA développée par Google, a battu deux années de suite les champions mondiaux du jeu de go.

Prévoir l’évolution des techniques

Par la démocratisation de l’imprimante 3D ultérieurement : quelle sera l’utilité des grandes enseignes dont la portée du stock est un avantage comparatif, lorsque chaque agent pourra imprimer chez lui une table ou une chaise ? Quelle sera l’utilité d’ouvriers de l’utilisation non qualifiés qui dirigent jusqu’à deux tonnes par jour en entassé, dont la tâche pourra être accomplie par un simple bras commandé à distance ?

De la magasinière d’usine au médecin en passant par l’avocat, le chauffeur de taxi ou encore le comptable, de nombreux artistes de notre économie seront affectés par le numérique. Les résultats de ce choc pourraient être très graves : si les études sur le nombre d’emplois détruits sont correctes, nous allons droit vers une éventuelle forte hausse du chômage.

Alors que la start-up lyonnaise Navya a largué le premier taxi robot autonome, « les syndicats de taxi en sont encore à demander d’arbitrer leur conflit avec les VTC pour cause de remise en cause de leur monopole. Une fois que les taxis autonomes circuleront, il sera inutile pour les chauffeurs humains de se pivoter vers l’Etat pour les aider. Il sera trop tard », déplore l’auteur, pour qui l’exemple du véhicule autonome est symptomatique de notre rapport à la révolution numérique : « Les futurs naufragés pensent pouvoir se décamper derrière la digue législative en espérant que la politique fera tout pour l’empêcher de céder. »

Les sociétés augmentent les manœuvres pour fidéliser les jeunes cadres

Les entreprises adoptent de plus en plus les codes de des millennials : visibilité sur les réseaux, création de nouveaux espaces de travail plus conviviaux, possibilité de travail à distance…
Les entreprises adoptent de plus en plus les codes de des millennials : visibilité sur les réseaux, création de nouveaux espaces de travail plus conviviaux, possibilité de travail à distance… Ted S. Warren/AP
« Ne pas perdre sa vie à la gagner. » Le slogan bourdonnait sur les barricades de Mai 68. Dans la ligne de mire des opposants, l’entreprise, ses règles et sa hiérarchie. Cinquante ans et de nombreuses crises plus tard, les soixante-huitards sont à la retraite. Et ce sont leurs petits-enfants, plus diplômés, qui modifient la progression de l’entreprise, sans violence ni pavés. Nés dans les années 1980, dans un monde devenu numérique, ils imposent leurs priorités : développement personnel, mobilité et autonomie. Fidéliser ces jeunes professionnels est transformé un enjeu majeur complexe pour les propriétaires.

D’autant qu’en ce début 2019, dans de nombreux secteurs, les voyants sont au vert pour les jeunes diplômés bac + 5. Plus de dix ans après la crise de 2008, les groupes recrutent à tour de bras. Et, de leur côté, les formations ne sont pas en modération de former autant de cerveaux qu’en demande le seul marché hexagonal. Selon le rapport 2018 de la Conférence des grandes écoles, les 201 établissements français habilités à délivrer le titre d’ingénieur diplôment chaque année 33 000 jeunes. Mais, depuis 2012, ce sont 40 000 nouveaux ingénieurs par an que réclame l’économie française. Dans ce domaine, le fossé qui sépare l’offre et la demande prend, année après année, l’allure d’un canyon.

Recrutements en hausse

Les jeunes ingénieurs ont bien le vent en poupe, mais ils ne sont pas les seuls. Selon le baromètre Edhec-Cadremploi de janvier 2019, qui mesure les perspectives de recrutement des jeunes diplômés, 95 % des entreprises vont embaucher au prochain semestre. « 64 % des entreprises auront besoin à la fois d’ingénieurs et de manageurs », et ce dans de nombreux secteurs d’activité : le commercial, le conseil, le numérique, l’audit, le contrôle de gestion, la finance, le juridique, les ressources humaines. Selon Cadremploi, qui recense 380 000 postes à pourvoir dans les prochains mois, 85 736 sont destinés aux seuls cadres. Un chiffre en hausse de 10 % par rapport à l’année dernière. Les jeunes diplômés connaissent « une situation professionnelle très propice, avec un taux d’emploi au plus haut », corrobore l’APEC.

Conséquence : la bonne santé du marché du travail des cadres donne des ailes, mais surtout aux plus jeunes. Si 49 % des 50 ans et plus envisagent un jour de démissionner, selon une étude réalisée par l’IFOP, en octobre 2018, ce pourcentage s’envole à 74 % pour les 18-34 ans. Partir pour trouver mieux, changer de cadre, rétablir ses connaissances, changées de rythme. « Ces jeunes professionnels cherchent en premier lieu à progresser leurs conditions d’emploi, mais aussi à intégrer un environnement de travail qui leur convienne davantage », constate l’APEC.

Les entreprises doivent donc ajuster leurs stratégies et leurs pratiques en gestion des ressources humaines. Alors que la génération X (les plus de 40 ans) envisageait ses carrières en fonction du collectif que représentait l’entreprise, « la génération Z [les dernières promotions de diplômés] a une attitude plus individualiste, et entend commander sa carrière selon ses besoins et ses intérêts », observe Mohamed Ikram Nasr, professeur en conduite organisationnel et management des ressources à l’EM Lyon Business School.

La transformation digitale est le moteur de cette évolution. Alors que leurs aînés se projetaient dans un domaine, « les jeunes diplômés ne cesse d’explorer le champ des possibles : par le biais des réseaux sociaux professionnels, ils ont accès à une variété impressionnante de profils, d’organismes et de postes. Avec leurs pairs, ils partagent un trait commun essentiel : le souci constant de soutenir et de progresser leur employabilité, non seulement au sein de leur structure actuelle, mais aussi, et surtout, vis-à-vis de l’extérieur », analyse Marie Scoazec, haut fonctionnaire, coauteure d’un mémoire sur l’impact de la transformation numérique sur les grands groupes français.

Cette impatience dans l’acquisition de nouvelles compétences, les spécialistes des ressources humaines les observent de plusieurs manières chez les jeunes cadres : la mobilité, l’interdisciplinarité, la volonté d’avoir une ascendant et le besoin d’instantanéité dans leurs relations avec le collectif.

Cadres globe-trotteurs

Enchaîner ses premières expériences professionnelles sur plusieurs continents n’est plus, comme cela pouvait l’être il y a vingt ou trente ans, de l’ordre de l’exceptionnel. « La mobilité géographique est une valeur qui monte », explique Mohamed Ikram Nasr. Ce qui pouvait apparaître comme un symptôme d’instabilité est devenu un syndrome réunissant des qualités requises aujourd’hui par l’entreprise, comme l’adaptabilité, l’agilité et le « savoir-être ».

« Pour nos étudiants, l’international n’est plus un enjeu, mais la norme. Le monde est à leur taille. Ils veulent avoir beaucoup et tout de suite. » Sophie Drouard, consultante carrière à HEC Paris.

Les établissements d’études supérieures travaillent à façonner ces futurs cadres globe-trotteurs. Les stages à l’étranger sont devenus des éléments incontournables des cursus des écoles d’ingénieurs et de management, de même que les séjours académiques hors de nos frontières. « Pour nos étudiants, l’international n’est plus un enjeu, mais la norme. Le monde est à leur taille. Ils veulent avoir beaucoup et tout de suite », observe Sophie Drouard, consultante carrière à HEC Paris.

Multiplier les expériences ne se résume pas, toutefois, pour cette génération, à prendre souvent l’avion et à jongler avec les employeurs. « Vivre plusieurs vies, enchaîner les expériences, c’est également changer de rôle et de compétences », souligne M. Ikram Nasr. « Cette génération Z est curieuse, elle a soif de découvertes », renchérit Delphine Renard, directrice des ressources humaines adjointe de Capgemini-France. La digitalisation transforme les métiers, l’industrie et les savoir-faire nécessaires sont en constante mutation. Les jeunes diplômés sont nés dans cet univers numérique, fluide et interconnecté, dont ils se nourrissent.

Stimuler en permanence les nouvelles recrues

Pour les maintenir dans l’entreprise, il est nécessaire de répondre à leurs attentes. « Il faut les alimenter en permanence, leur construire un parcours d’expériences et de compétences nouvelles, mettre à leur disposition de nouveaux contenus sous des formes innovantes », témoigne Mme Renard. Non seulement les jeunes n’ont aucun mal à se projeter dans le changement, mais ils l’exigent.

Individualistes, curieux et connectés, ces jeunes veulent pareillement être en mesure « d’observer l’impact de leur rôle », souligne Sophie Drouard. Une exigence parfois difficilement compatible avec la culture managériale des entreprises qui ont grandi lors du siècle dernier, voire du précédent. « La start-up technologique, qui représente un idéal de l’organisation du XXIe siècle, frappe par son antagonisme par rapport aux entreprises plus anciennes : le travail en équipe s’y substitue aux logiques hiérarchiques, le sens du travail y est mis en avant, les derniers outils disponibles y sont utilisés, les règles y évoluent en permanence », observe Marie Scoazec.

Pour rester ou redevenir séduisante aux yeux de leurs futurs cadres, les entreprises optent pour les codes de ces millennials. Elles se font connaître sur les réseaux, créent de nouveaux espaces de travail plus conviviaux, organisent des lieux d’échanges transversaux, facilitent les mobilités internes, ouvrent plus amplement les possibilités de travail à distance…

François Suquet, directeur des ressources humaines France du groupe STMicroelectronics, le reconnaît : « Il nous faut des modes de management plus libres en termes d’organisation du travail, plus souples. » Pour ces entreprises, le changement de leur mode de fonctionnement est une nécessité pour maintenir leur attractivité et mieux tirer parti de la mutation numérique de l’économie.

 

Un examen initié à Bobigny pour mise en péril de la vie d’autrui

Plusieurs ouvriers sans papiers occupent le siège d’une société de démolition, à Bobigny.

« Espèce d’enculé. Je vais te défoncer ta gueule. Tu vas mourir. Espèce de pute de Noir. » C’est avec ces mots, que Djibril (qui a souhaité conserver l’anonymat) a été réuni par son patron, à la tête de la société Pinault et Gapaix, il y a un an. Ce travailleur en destruction avait œuvré pour lui durant près de neuf ans, sur plusieurs chantiers en région parisienne. Mais Djibril et une plusieurs autres laborieux sans papiers ayant accompli des contrats de mission en intérim pour cette entreprise, entre 2012 et 2018, voyaient de se tourner vers la justice, après avoir saisi l’inspection du travail.

Celle-ci a depuis renseigné sur les conditions dans lesquelles ces hommes, originaires du Mali pour la plupart et du Sénégal, ont accompli pendant plusieurs années des travaux, particulièrement de désamiantage et de déplombage. Au terme de son enquête, fin février, l’inspection du travail a fait un signalement au procureur du tribunal de grande instance de (Seine-Saint-Denis) pour plusieurs infractions : mise en péril de la vie d’autrui et travail dissimulé. D’après nos informations, le parquet a aussitôt ouvert une enquête préalable, maintenant en cours.

C’est dans ce contexte que quinze travailleurs intérimaires et des militants de la CGT ont débuté, lundi 18 mars, l’occupation des locaux de Pinault et Gapaix à Bobigny. Ils ont œuvré entre deux et neuf ans pour la société, à raison de 300 à 1 300 heures par an. Ils réclament aujourd’hui que l’entreprise prenne en charge leur suivi médical et l’obtention de cartes de séjour en tant que victimes « de la traite des êtres humains », déclare Jean-Albert Guidou, du syndicat CGT à Bobigny.

Montrés à de l’amiante et à du plomb

D’après le courrier envoyé par les travailleurs intérimaires à la société de démolition dès le mois de mars 2018, ceux-ci disent ne pas avoir été informés des risques qu’ils encouraient. L’entreprise n’aurait pas suivi la loi sur les travaux exposant à l’amiante, en matière d’assistance, de protection, de formation spécifique ou de surveillance médicale. En outre, le code du travail interdit les travaux sur les matériaux isolants contenant de l’amiante aux laborieux temporaires.

Djibril, 34 ans, assure malgré cela être participé sur des chantiers tels que celui de la Bourse du commerce à Paris, entre 2016 et 2017, qui reçoit aujourd’hui une collection d’art contemporain de la collection Pinault.

Les jeunes cadres face au changement du lieu de travail

La dernière distribution géographique de l’emploi offre des occasions loin de la capitale. Mais les offres ne sont pas continuellement à la hauteur des attentes.

« C’est l’offre d’emploi qui a fait que je suis ­partie », évoque Sophie (le prénom a été changé), responsable dans la communication. A 29 ans, la jeune diplômée de Sciences Po Paris et du Celsa, en poste depuis quatre ans dans une entreprise industrielle parisienne, a eu envie d’innovation. « J’ai découvert une annonce pour un poste en communication, basé dans une usine. » Célibataire, elle tente l’aventure, même si « ce n’est pas une ­petite décision », et part à Rouen… pour un poste plus senior, avec un gain de ­salaire de 10 %. Et un coût de la vie bien moindre qu’à Paris.

Première coutume en Ile-de-France

Comme Sophie, de plusieurs jeunes cadres débutent leur vie professionnelle dans la capitale. Ainsi, 47 % des ­diplômés 2017 des écoles de commerce ou d’ingénieurs œuvrent dans la ­région francilienne, selon la dernière enquête de la Conférence des grandes écoles. Pour un premier emploi, la ­région attire aussi ceux qui ont étudié loin. Entre les ­diplômés de l’Ecole de ­management (EM) de Lyon, de 50 % à 70 % préfèrent une première expérience en Ile-de-France.

« Certains métiers sont davantage ­présents là-bas, par exemple dans le ­marketing, la grande consommation ou le luxe, analyse Françoise Dany, directrice des relations entreprises de l’école lyonnaise. L’inégalité des offres disponibles est spécialement attractive pour les jeunes en couple. » Selon les prévisions de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), 48 % des recrutements de cadres nécessiteraient avoir lieu en Ile-de-France en 2019. Deuxième destination pour les jeunes diplômés de l’EM Lyon : l’étranger. Ils sont moins de 20 % à démarrer dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, malgré 30 000 embauches espérées en 2019 par l’APEC.

Mais amplement se lassent, ou désillusionnent, ou espèrent autre chose. Ainsi, 84 % des cadres franciliens désirent quitter Paris, selon une enquête publiée à l’été 2018 par Cadremploi. D’après les chiffres de la Conférence des grandes écoles, trois ans après ­l’acquisition de leur diplôme, les jeunes ne sont plus que 41 % à œuvrer en Ile-de-France.