Avec les opposants de conscience de la « tech »

Après Amazon, c’est au tour de Google de voir son rassemblement général perturbé par des réclamations éthiques conduites par certains de ses salariés. Une révolte qui a pris une grandeur nouvelle après l’élection de Donald Trump, fin 2016.

Ingénieure chez Google, Irene Knapp devait s’informer, mercredi 19 juin, devant l’assemblée générale annuelle des actionnaires du géant technologique américain.

Trois minutes pour défendre, face à un auditoire, l’une des trois résolutions déposées cette année par des salariés. « Toutes sont liées à des thèmes qui nous intéressent en tant qu’employés engagés dans les mouvements de mobilisation au niveau interne comme le “Google Walkout” », raconte-t-elle.

Avec 20 000 des 100 000 salariés du groupe, Irene Knapp avait participé, le 1er novembre 2018, à la grande marche devant plusieurs bureaux de l’entreprise dans le monde, pour dénoncer le traitement des cas de harcèlement sexuel et les inégalités6 au sein de la société de Mountain View en (Californie). Elle est aussi une colonne des autres manifestations qui agitent Google depuis plus d’un an. Ainsi, elle a fait partie des 4 000 salariés signataires de la demande pour l’arrêt du contrat Maven de collaboration avec l’armée américaine ou encore des 700 salariés sollicitant l’arrêt du projet « Dragonfly », un moteur de recherche ajusté à la Chine.

De supplément, elle a corédigé la lettre ouverte, approuvée par 2 000 de ses collègues, contre la nomination, au comité d’éthique de Google sur l’IA d’une personnalité conservatrice jugée antitrans, anti-LGBTQ et antimigrants. Des employés de ces différents mouvements étaient appelés à se rassembler, mercredi, devant l’assemblée générale et les bureaux de Google dans douze villes.

Croisade écologique

La détermination 14 défendue par Irene Knapp demande que les dirigeants soient payés en fonction de leur capacité à respecter des « critères de diversité et d’inclusion », afin de prévenir les discriminations selon des critères ethniques, de genre ou d’orientation sexuelle. Elle-même se définit comme « transgenre » et souhaite, en anglais, être désignée par le pronom pluriel neutre « they » ou « them ».

Cette « autodidacte » de 38 ans développe avoir « toujours voulu travailler dans la tech », mais ne s’être fait recruter chez Google qu’à la trentaine, en 2014, après avoir connu des périodes « de pauvreté ». « Je voyais les entreprises de la tech comme un repaire d’idéalistes où l’on cherche à régler les problèmes des gens. Mais j’ai été déçue de voir qu’on n’y était pas assez conscients des effets réels de la technologie sur la société », déclare-t-elle.

Autolib’ : bilan de la classification des travailleurs un an après le clap de fin

A Paris, une station de voitures électriques Autolib’.
A Paris, une station de voitures électriques Autolib’. Christophe Lehenaff / Photononstop / Christophe Lehenaff / Photononstop

En juin 2018, les 254 personnes qui œuvraient pour la société d’autopartage guidaient l’arrêt quasi immédiat de leur activité. Seules une dizaine ont été reclassées dans le groupe ; 70 n’ont pas rattrapé de travail.

Le 21 juin 2018, le syndicat Vélib’ Autolib’ Métropole éclairait, à la stupeur générale, qu’il retirait le contrat le liant au groupe Bolloré pour l’exploitation d’Autolib’, le service d’autopartage initier en région parisienne.

Victimes alliées de ce jugement : les 254 salariés d’Autolib’. Apprenant du jour au lendemain que son poste d’« ambassadeur du service d’autopartage » allait disparaître, Edouard (son prénom a été modifié) évoque encore du choc éprouvé lors de la nouvelle : « Vous imaginez, on a appris l’arrêt d’Autolib’ dans la presse ! »

Après avoir « passé l’été le plus pourri de [sa] vie », Edouard regarde actuellement l’avenir avec plus de confiance : il a recouvré un travail. Sans espérer la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) commercé pendant l’été 2018 entre les syndicats et la direction, le jeune homme a demandé un départ anticipé et retrouvé un nouveau poste dans la foulée, dès la rentrée de la même année, dans une société de transports. « J’étais dans le flou total, alors j’ai préféré ne pas attendre pour chercher du travail », déclare-t-il.

A l’instar d’Edouard, la majorité des ex-salariés d’Autolib’ ont choisi d’abandonner le navire sans attendre le congé de rangement. Echaudés par l’arrêt brutal du service, 135 d’entre eux ont fait le choix d’un départ précédé, déclare Samir Mohamdi, le secrétaire FO de la délégation unique du personnel d’Autolib’.

« Les indemnités de départ étaient avantageuses, donc beaucoup ont préféré partir, ajoute M. Mohamdi. De plus, pour les postes non qualifiés, il fallait fréquemment changer de région. Le jeu n’en valait pas la chandelle : des postes de cariste, par exemple, on peut en trouver à Paris. »

Difficile retour à l’emploi

Sur les 254 travailleurs, une centaine ont actuellement retrouvé un emploi ailleurs ; vingt-quatre se sont jetés dans la création d’entreprise, et une trentaine ont entrepris une formation pour se transformer. Définitivement, seuls une dizaine de salariés ont été reclassés dans le groupe. Alors que le congé de reclassement des employés d’Autolib’ se termine à la fin juin, Samir Mohamdi estime à 70 le nombre de ceux qui restent sans travail, en plus de la vingtaine de personnes qui n’ont retrouvé qu’un emploi précaire, contrat à durée déterminée (CDD) ou autre.

« C’est surtout difficile pour les anciens ambassadeurs et les chefs d’équipe », s’intérroge le délégué syndical FO, qui se dit contrarié du cabinet chargé du rangement, Alixio : « Alors qu’on nous avait promis un cabinet expérimenté, on s’est retrouvés en face de gens qui étaient eux-mêmes en CDD ! »

Encourager un employé peut miner toute une équipe

Grève de Radio France

Assemblée générale des salariés en grève de Radio France, mardi 18 juin.
Assemblée générale des salariés en grève de Radio France, mardi 18 juin. TAIMAZ SZIRNIKS / AFP
La présidente de Radio France, est mélomane. Mais il n’est pas sûr qu’elle ait estimé la version tenace de la neuvième de Beethoven fredonnée, mardi 18 juin, par le chœur de Radio France à l’occasion de la journée de grève pour faire face contre le plan d’économies qu’elle veut mettre en œuvre jusqu’en 2022 :

« Unis dans la même chaîne CDI et CDD. Ecoutez ce chant sans haine, celui des cœurs révoltés. Face au plan de Mme Sibyle, nous sommes tous mobilisés pour que la radio publique continue de rayonner. »

Pas certainement une ode à la joie. Plutôt un appel à la lutte et à l’appel. Il a été habitué par 1 289 travailleurs, soit un taux de collaboration de 41,6 % sur la journée, selon la direction.

Comment ça débute un AG à Radio-France ? #OnlyInRadiofrance https://t.co/5PD5wndS09

 

— FabSintes (@Fabienne Sintes)

Dans une situation de fermeté exigée par l’Etat à l’ensemble de l’audiovisuel public pour cette période – soit moins 20 millions d’euros pour Radio France –, Mme Veil s’inquiète d’une trajectoire budgétaire qui, si rien n’est fait, déclare-t-elle, s’interprétera par 40 millions d’euros de déficit, en raison de l’augmentation des charges de personnel et de l’exigence d’investir dans le digital. Il y a une dizaine de jours, elle développait vouloir affecter 20 millions d’euros à ce sujet, pour « construire la plateforme française de référence de l’audio sur le numérique, qui alliera qualité de nos contenus et diversité de nos offres ».

Néanmoins, les efforts sollicités au personnel sont lourds : la direction a prétendu entre 270 suppressions de poste – si les organisations syndicales admettent de rogner sur les jours de congés et de revoir l’organisation du travail afin d’éviter le recours aux CDD – et 390 si elles disent non à son plan. Elle a proposé aux syndicats un accord de méthode, mais ces derniers ont refusé, dénonçant un chantage inadmissible.

Audiences excellentes

Les salariés réunis mardi dans l’agora, au centre de la Maison de la radio, ne conçoivent pas cette volonté de couper une nouvelle fois dans les effectifs, alors que les entourages des différentes chaînes sont excellents – France Inter est même devenue au premier trimestre la radio la plus entendue de l’Hexagone devant RTL – et que le groupe a réparé avec l’équilibre financier. « Au moment où toutes les audiences sont au beau fixe, ce plan d’économies constitue une opération programmée de destruction massive », s’alarme un représentant du personnel.

Syndicats et direction nécessitaient se récupérer mardi après-midi pour un comité social et économique (CSA) mais, en raison du mouvement de grève, cette retrouvaille aura lieu mercredi. Dans un communiqué, l’intersyndicale juge que :

« Les besoins de financement doivent être accompagnés par l’Etat, qui ne peut continuer à casser le service public en le privant de moyens. Sibyle Veil doit écouter les salariés et retirer son plan dangereux et destructeur ».

Assemblée générale des travailleurs en grève de Radio France, mardi 18 juin. TAIMAZ SZIRNIKS / AFP

De son côté, la direction, tout en captivant « acte de la mobilisation de ce jour, des angoisses et du très fort inclination à l’audiovisuel public et à ses missions qui se sont exprimés », « réaffirme sa volonté de construire un avenir durable pour Radio France et pour ses salariés et propose aux partenaires sociaux de poursuivre le dialogue pour construire avec eux un équilibre entre les efforts indispensables et les perspectives apportées à l’entreprise et à ses salariés ».

Appel à continuer le mouvement en septembre

Les envoyés des appointés jugent, eux, que cette journée de mobilisation constitue un « coup de semonce » et appellent à poursuivre la mobilisation en septembre.

Ils remettent aussi en cause les chiffres de la direction, en s’appuyant sur le rapport d’un cabinet indépendant, Tandem, qui, mandaté par le comité social de Radio France, a qualifié les économies de « surdimensionnées » : la hausse des charges de personnel sur les prochaines années a été, selon ce cabinet, surévaluée de 8,7 millions d’euros, et Radio France pourrait s’épargner 118 annulations de poste.

La direction de Radio France a critiqué ce rapport lundi soir, repassant une « méthodologie erronée ». Selon Marie Message, directrice des opérations et des finances, le cabinet Tandem s’est appuyé sur l’année 2018 pour calculer la hausse de la masse salariale, alors que cette année a vu peu d’embauches, du fait d’une vacance à la tête du groupe pendant quelques semaines, due à la dévolution de l’ex-PDG Mathieu Gallet – transformé par Sibyle Veil en avril 2018.

En 2015, Radio France avait connu une grève historique de vingt-huit jours pour protester contre un plan d’économies.

Sur les compensations chômage pour les cadres, une exceptionnelle union entre la CFE-CGC et la CGT

Les deux dispositions ont initié une demande digitale commune contre la mesure gouvernementale, qui a déjà récolté plus de 7 000 signatures.

Une alliance exceptionnelle a vu le jour pour s’objecter au sort attentif aux cadres dans la réforme de l’assurance-chômage que devait exposer, mardi 18 juin, Edouard Philippe, Muriel Pénicaud. La CFE-CGC, la confédération de l’encadrement, et l’UGICT, l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, ont initié, le 11 juin, une requête nommée « non à la dégressivité des allocations-chômage ». Celle-ci avait concentré, mardi matin, plus de 7 000 signatures sur la plate-forme Change.org.

Dans son exposé de politique générale, le 12 juin, à l’Assemblée nationale, M. Philippe a affirmé que l’allocation des chômeurs qui apercevaient une rétribution élevée lorsqu’ils étaient en activité serait dégressive. L’exécutif se justifie en faisant valoir que le taux de chômage pour ces personnes est très faible et qu’il leur est plus facile d’avoir un emploi. Un raisonnement qui ne passe ni pour l’UGICT ni pour la CFE-CGC, qui le jugent « populiste ».

C’est la première qui est à l’origine de cette décision commune, et la seconde n’a pas souhaité à embrayer. Les autres confédérations n’ont pas été souhaitées. Dans le texte qui accompagne la pétition, ses auteurs jugent qu’« une fois expérimentée, n’en supposons pas, la dégressivité sera étendue à tous les autres travailleurs au prétexte de l’équité » et que « stigmatiser les cadres alors qu’on refuse de rétablir l’impôt sur la fortune, la ficelle est un peu grosse ».

Si ces discours sont dans la droite ligne de ce que défend la CGT, elles sont plus étonnantes pour la CFE-CGC. « Ce n’est pas forcément raccord avec ce que les cadres attendent », se demande un haut gradé d’une autre organisation syndicale.

« Particulièrement indigne »

François Homméril, président de la CFE-CGC, les assume entièrement. « Le gouvernement en a plein la bouche de son argument de “justice sociale”, dénonce-t-il. C’est principalement révoltant quand on sait qu’il s’agit de s’attaquer au principe même du régime assurantiel et contributif. Sans les plus hauts revenus, il n’y a pas d’équilibre ni de solidarité du système. » Même si sa centrale n’est pas allée jusqu’à appeler à défiler aux côtés de la CGT contre les ordonnances enlevant le droit du travail en 2017, M. Homméril a multiplié les critiques envers l’exécutif depuis le début du quinquennat.

Le ton est encore élevé d’un cran depuis qu’il sait que les droits de la catégorie socioprofessionnelle engendrant l’essentiel de l’électorat de son syndicat vont être rognés. « Dire, comme le fait le gouvernent, qu’il y a une corrélation entre le niveau d’indemnisation et le nombre de jours passés à Pôle emploi est une interprétation fausse d’une courbe qui est réelle, c’est un viol des faits et des chiffres, s’emporte-t-il. Pour les cadres expérimentés, il est difficile de retrouver le même niveau d’emploi, c’est beaucoup plus dur de rebondir. »

Le président de la CFE-CGC ne se fait néanmoins guère d’illusions sur le succès de la pétition dont le nombre de signataires, reconnaît-il, est « relativement faible » à l’heure actuelle. Mais initier cette action avec la CGT forme pour lui « un message politique fort ». Quant à ceux qui ridiculisent depuis plusieurs mois sur la « CFE-CGT », il n’en a cure : « Cela fait trente ans que je milite et trente ans qu’on me fait le coup, rien de nouveau sous le soleil. »

Assurance-chômage : le gouvernement envisage des mesures impératives

Le premier ministre, Edouard Philippe, lors de sa déclaration de politique générale, à l’Assemble nationale, le 12 juin.
Le premier ministre, Edouard Philippe, lors de sa déclaration de politique générale, à l’Assemble nationale, le 12 juin. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Le premier ministre, a exposé le changement des règles de rémunération, critiquées à la fois par le patronat et les syndicats.

Le gouvernement ne pourra pas être prévenu d’avoir la main qui tremble. Exposée mardi 18 juin par Edouard Philippe, et par la ministre du travail, Muriel Pénicaud, la réforme de l’assurance-chômage dissimule plusieurs mesures qui vont diminuer clairement les droits des solliciteurs d’emploi – qu’il s’agisse du montant de l’allocation répandue ou des conditions d’accès au régime. Quelque 3,4 milliards d’euros d’économies devraient être réalisés de novembre 2019 à fin 2021, sachant qu’au-delà les gains seront éventuellement supérieurs.

La potion administrée se confirme donc spécialement amère, témoignant les appréhensions exprimées depuis plusieurs semaines par les organisations de salariés. Illustration du « en même temps » cher au chef de l’Etat, le projet comporte cependant un volet dans lequel le souci de « justice sociale » est posté, avec des dispositions visant à encourager l’« emploi stable ». Entre elles, il y a les sanctions infligées aux entreprises abusant des contrats courts.

L’un des transformations majeurs arborés par la réforme – celui qui va permettre de sabrer le plus vigoureusement dans les dépenses : le durcissement des règles pour bénéficier d’une indemnisation. Actuellement, il faut avoir travaillé au moins quatre mois sur les vingt-huit écoulés. Un paramétrage mis en place il y a dix ans, pour affaiblir le choc des vagues de licenciements rassemblées par la crise.

Le contexte s’étant amendé depuis, avec un repli du nombre d’inscrits à Pôle emploi, l’exécutif avoue que le système peut se présenter moins généreux : à l’avenir, les personnes seront tenues d’avoir été en activité plus longtemps (six mois) durant un laps de temps plus court (vingt-quatre mois), ce qui reste plus adapté que la législation en vigueur dans bon nombre de pays européens, selon le ministère du travail.

Ce changement sera en harmonie avec une refonte des droits rechargeables – qui offrent la possibilité à un allocataire de rétablir des droits chaque fois qu’il retrouve un poste. Actuellement, ce mécanisme joue quand la personne a travaillé durant au moins cent cinquante heures : ce seuil minimum sera multiplié par six. Un serrage de vis douloureux, dans un dispositif auquel la CFDT est très attachée.

Nouvelle formule

Autre mauvaise nouvelle pour les chômeurs : la dégressivité des prestations octroyées aux salariés bien payés – une idée rappelée par M. Philippe dès la fin août 2018. Ceux qui apercevaient une rétribution de plus de 4 500 euros brut par mois lorsqu’ils étaient en poste apercevront leur indemnisation diminuée de 30 % au bout du septième mois – celle-ci ne pouvant descendre en dessous d’un plancher fixé à 2 261 euros net par mois. La mesure, qui ne s’applique pas aux seniors d’au moins 57 ans, ne touchera que les 10 % de salariés les mieux appointés, d’après le ministère du travail. Un temps aperçu, la piste consistant à diminuer le montant maximal de l’allocation (environ 6 600 euros net par mois) a été détendue.

L’Etat promet à conserver les « tiers lieux » dans les territoires

La ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 15 mai.
La ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 15 mai. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Pour stimuler les territoires, le gouvernement entend donner un coup d’accélérateur aux « tiers lieux », ces espaces de « living lab », « coworking », « fab lab », et autre « makerspace » qui prospèrent depuis quelques années. Lundi 17 juin, Julien Denormandie, ministre de la ville et du logement, et Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires, avec  pas moins de quatre de leurs homologues (enseignement supérieur,  numérique, travail, culture), ont enfin dévoilé un plan « Nouveaux lieux, nouveaux liens » pour renforcer et déployer ces espaces, promis en septembre 2018 lors de la remise d’un rapport sur le sujet.

Ce plan, qui vise à solutionner la rupture territoriale, surtout dans les quartiers populaires et les zones rurales, se veut aussi une réponse au mouvement des « gilets jaunes ». « Les tiers lieux peuvent répondre au sentiment de solitude, de déclassement de certaines populations, parce qu’ils sont des lieux de rencontre, de travail, de lien social, de culture, et de discussion tout simplement », déclare Mme Gourault.

Pratiquement, le gouvernement va lancer un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour admettre 300 « fabriques de territoire », dont 150 dans les quartiers prioritaires. Il peut s’agir de tiers lieux déjà existants comme de nouveaux projets. L’Etat les accompagnera avec une subvention comprise entre 75 000 et 150 000 euros sur trois ans.

Au total, 45 millions d’euros vont être affectés à cet accord. « Dans le contexte budgétaire actuel, cela montre à quel point nous en faisons un choix de politique publique », déclare Julien Denormandie. Le plan gouvernemental bénéficie aussi du soutien d’Action Logement, qui va libérer 50 millions d’euros pour soutenir l’investissement des tiers lieux dans le foncier et les infrastructures.

Accroître les lieux d’accueil d’entourage

Le fonds Amundi, de son côté, va mettre 50 millions d’euros pour conduire ceux qui ont besoin de fonds propres afin de développer leur projet. « Nous espérons ainsi lever deux obstacles à la création des tiers lieux : le coût d’investissement [achat et location de bureaux ou d’ateliers], et l’amorçage [se faire connaître, recruter du personnel…] », ajoute le ministre.

Pour répliquer au besoin d’échange d’expérience formulé par les acteurs de ces espaces hybrides et multiformes, un conseil national des tiers lieux est créé

L’Etat discerne par ailleurs maintenir l’amélioration de ces espaces de proximité en les utilisant pour y accroître des activités d’intérêt général qui leur assurera des revenus. Il va s’appuyer sur les tiers lieux pour déployer le Pass numérique en finançant leur intervention dans l’accompagnement des Français en complication face au digital, comme pour former les chômeurs de longue durée et les jeunes éloignés de l’emploi, dans le cadre du Plan d’investissement des compétences (PIC) mené par la ministre du travail. Ou encore pour déployer l’objectif de 1 000 « Micro-Folies » en cinq ans, ces nouveaux lieux culturels qui assemblent musée virtuel, espace scénique, médiathèque et « fab lab », que le ministère de la culture aspire à développer. Des tiers lieux pourront aussi devenir l’une des maisons France Service que l’Etat entend installer dans chaque canton en vue d’accroître les lieux d’accueil de proximité.

Première but du bonus-malus sur les contrats courts

Stéphane Malchow a un mouvement en dents de scie. De grosses tablées un jour, un service plus calme le lendemain… Au café Mollard, l’établissement parisien qu’il pilote près de la gare Saint-Lazare, le chiffre d’affaires peut transformer de 30 % selon les mois. Alors le patron fait comme tous les restaurateurs français : il recrute des extras. Une trentaine de CDD d’usage chaque mois. « Pas le choix, assure-t-il. Je ne vais pas dire au client de repasser manger le lendemain parce que je manque de personnel… Il irait ailleurs. »

La profession ne s’en cache pas : une nette confession de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), le chiffre de contrats de moins d’un mois a retenti en dix ans, fréquenté de 1,5 à 3,8 millions. Une condition qui fait du secteur, qui compte 740 000 salariés, l’une des premières cibles du bonus-malus que convoite instauré le gouvernement. Si le plan de l’exécutif est opté, les contributions sur les CDD courts présenteraient en effet haussées de 0,95 point, et les CDD d’usage soumis à un prélèvement forfaitaire de 10 euros.

« Trop rigides »

« On va payer, se résout Stéphane Malchow. Le tout est de savoir combien. » Car, bien que le malus à venir, le restaurateur ne entrevoit pas de changer ses habitudes. L’intérim « coûte les yeux de la tête », déduit-t-il. Quant aux CDI ou aux CDD, même à temps partiel, ils sont « trop rigides ». « D’ailleurs, des surtaxations, il y en a déjà eu en 2013 et en 2017, rappelle Thierry Grégoire, président de la branche saisonniers de l’UMIH. Cela n’a pas empêché les CDD d’usage de se multiplier. »

L’organisation professionnelle estime aux représentants patronaux et syndicaux d’avoir « rendu les clés du camion à l’exécutif », faute de parvenir à un arrangement sur le changement de l’assurance-chômage. La surtaxation des contrats courts, parce qu’elle ne sera appliquée que dans sept secteurs, est « une mesure discriminatoire », écume Thierry Grégoire. Un dispositif qui va « taxer des sociétés qui n’ont pas d’autres options, alors qu’on laisse prospérer l’autoentreprise, pourtant beaucoup moins encadrée ».

Pour sortir du trou, l’UMIH planche depuis des mois sur un projet de CDI hybride : un contrat dit « de mobilités », porté par une plate-forme convenue par la branche. Cette dernière, en plaisant un rôle de conciliateur avec les employeurs, regrouperait les différentes missions des salariés en contrat court et se chargerait de les rétribuer. Elle collecterait identiquement des cotisations supplémentaires auprès des entreprises, pour la formation et la rémunération des salariés entre deux missions. Objectif : délester l’assurance-chômage d’une partie des allocations tout en gardant la flexibilité du travail.

Eventé en février alors que les discussions sur la réforme de l’Unédic glissaient, le dispositif serait continuellement à l’étude, selon Thierry Grégoire, qui se donne jusqu’au 31 décembre pour en exprimer les modalités. Il pourrait être précédé par une autre proposition : celle d’un statut d’extra sécurisé, interdit par le Groupement national des indépendants de l’hôtellerie-restauration (GNI-Synhorcat). Son président, Didier Chenet, a prévenu qu’il en présenterait les contours « dans les prochains jours ».

CDI en temps partagé

Une sélection peu éprouvée existe pourtant déjà : le CDI en temps partagé au sein d’un groupement d’employeurs. Il admet par exemple à une femme de chambre d’œuvrer pour plusieurs employeurs tout en ayant un contrat fixe. L’association Reso France en a fait sa marque de fabrique, depuis son proclamation, il y a seize ans, à l’initiative de restaurateurs et d’hôteliers nantais. Créé pour répondre à l’insuffisance chronique de personnel dans le secteur, ce groupement d’employeurs salarie aujourd’hui 370 équivalents temps plein, dont une centaine de CDI en temps partagé, pour un salaire brut mensuel moyen de 1 570 euros.

Le GNI-Synhorcat a aussi développé une structure similaire, spécialisée, elle, dans les fonctions support. Stéphane Malchow en a expérimenté, mais n’a jamais, jusque-là, creusé la question. « Pour l’instant, je me débrouille, déclare-t-il. Mais le malus pourrait bien me forcer à m’intéresser à ces groupements. »

Après une grande école, les différences femmes-hommes poursuivent

Si le marché de l’emploi demeure au beau fixe pour ces jeunes diplômés, les écarts de rétribution et de type d’emplois entre hommes et femmes sont importants, dès l’entrée dans la vie active.

Mieux payés, précipitamment insérés… Le soleil semble briller depuis neuf années pour les diplômés des grandes écoles d’ingénieur et de management. Le rapport net d’emploi, six mois après la sortie de l’école, flirte avec les 90 %, et même au-delà pour les jeunes ingénieurs. Quant à rémunérations moyennes annuelles à l’embauche, ils sont en hausse pour les nouveaux diplômés et s’établissent entre 34 920 et près de 40 000 euros.

De quoi commencer confortablement sa carrière dans un contexte « très favorable sur le marché de l’emploi des cadres », déclare l’enquête sur l’insertion des diplômés éditée mardi 18 juin par la Conférences des grandes écoles (CGE), en collaboration avec l’Ecole nationale de la statistique et de l’analyse de l’information (Ensai). « Nous constatons un phénomène d’aspiration de nos diplômés. Alors que les effectifs étudiants des grandes écoles ont augmenté de 40 % depuis sept ans, nous ne parvenons pas à répondre à la demande des entreprises », ajoute Anne-Lucie Wack, présidente de la CGE.

Moins rétribuées, moins vite en CDI

Toutefois, une zone sombre poursuit dans cette météo approximativement idyllique de l’employabilité des nouveaux diplômés : la situation des femmes. Dès leur sortie de l’école, elles sont moins rétribuées, moins brusquement en contrat à durée indéterminée (CDI) et disposent du statut cadre en proportion moindre. Par contre, la part des femmes en activité professionnelle est « systématiquement moins élevée que celle des hommes », déclare l’étude. Pourtant, les entreprises sont en demande de jeunes talents – au point que, pour s’assurer de ne pas laisser une pépite à la concurrence, elles engagent manageurs et ingénieurs avant l’acquisition de leur diplôme.

Dans ce marché adéquat, le CDI est la norme : 86,5 % des diplômés le soutirent pour leur première embauche. Sur ce point également une importante disparité existe entre les hommes et les femmes. Celles-ci ne sont que 75,6 % à obtenir un CDI (soit 10 points de moins que pour leurs homologues masculins). Les ingénieures de la promotion 2018 ont été recrutées à 22,4 % en CDD, une situation qui se dégrade par rapport à 2017 (15,3 %).

Le salaire médian des diplômés de 2018 est de 35 000 euros annuels hors primes. Dès la sortie de l’école, des différences de genre suscitent : près du quart des femmes (23,1 %) saisissent moins de 30 000 euros ; c’est le cas d’exclusivement 11,5 % des hommes. « Du côté des salaires plus élevés, la situation s’inverse, avec 33 % des hommes gratifiés d’un salaire supérieur à 38 000 euros et seulement 23,5 % de femmes », articule le rapport. Pour la promotion 2018, l’écart de salaire examiné entre les hommes et les femmes est de 6,08 %.

Le « bon » enseignement

Aymeric Patricot se maintient sur son expérience de professeur dans le secondaire et sur sa passion de la littérature pour interroger, dans son livre, ce qui fait ou non un « bon » enseignement.

Aymeric Patricot dépend à l’espèce utile à l’intelligence collective des « profs qui écrivent ». Plusieurs ne le font que sur leur expérience d’enseignement, ce qui est déjà perceptible et nourrit le débat public. D’autres, au-delà du vécu ou de l’essai, se placent sur le terrain de la littérature. Lui écrit sur tout. Auteur de plusieurs romans, il a aussi donné dans l’enquête ethnographique avec Les Petits Blancs. Un voyage dans la France d’en bas (Plein jour, 2013), et, avant, dans la déclaration avec un Autoportrait du professeur en territoire difficile (Gallimard, 2011), où il exprimait compte de ses affres et accablements d’enseignant débutant jeté dans le dur de la banlieue.

Cette fois, l’espace traversée lui fait tenir un propos qui ne doit rien au pittoresque éducatif et tout aux épreuves qu’un professeur à la conscience professionnelle aiguë est conduit à se poser sur son métier en général, et sur sa façon de l’expliquer. Cette introspection est tenue sous tension par l’élégance du style, le goût de la subtilité et la capacité à nettoyer les conditions complexes du rapport professeur-élèves.

Elle part de son parcours préalable d’élève modèle, bachoteur jusqu’à la névrose, qui, étudiant, se compose un pot-pourri de diplômes tout en finissant son cursus à HEC. Le futur professeur et écrivain, mû par une pulsion libératrice, va en fait diriger de bord et décrocher l’agrégation de lettres modernes, qui lui ouvre les portes de l’enseignement. Il forme actuellement dans le cadre particulier des classes préparatoires.

« Une énergie folle »

Aymeric Patricot est conscient des limites de cette boucle qui joint le bon élève d’hier à ceux d’actuellement, mais il arrive à les subvertir. S’appuyant sur son expérience et sa passion de la littérature, multipliant les allers-retours entre grands principes et scènes de classe, il développe une problématique persévérante sur ce qui fait – ou non – le bon enseignement.

S’il est fréquemment éprouvé par la lamentation au parfum « réac », c’est un chemin que sa lucidité l’empêche de suivre plus avant. Chez lui, pas de réquisitoire contre le « collège unique ». Et s’il peste contre le règne des « méthodes » et des « compétences » ou encore la mauvaise notoriété faite à la dissertation et autres exercices classiques, c’est aussi pour exposer qu’il en a saisi les raisons et qu’il les partage, au moins en partie.