Les travailleurs, des actionnaires gâtés par les sociétés

A l’usine Pernod Ricard de Lormont, près de Bordeaux, le 15 février.
A l’usine Pernod Ricard de Lormont, près de Bordeaux, le 15 février. Regis Duvignau / REUTERS

Pour la première fois, Pernod Ricard va proposer une offre d’actionnariat pour 75 % de ses 19 000 employés.

Une première pour les travailleurs de Pernod Ricard. Le numéro deux mondial des vins et spiritueux va offrir, dans les prochains jours, à 75 % de ses quelque 19 000 salariés dans le monde d’approuver à une offre d’actionnariat salarié. Ce dispositif, très apprécié en France, permet aux collaborateurs d’acheter des actions de leurs chefs en profitant d’une décote, voire, selon les cas, d’abondements.

Pernod Ricard était l’une des rares entreprises du CAC 40 à ne pas mettre à l’agencement de son personnel ce type d’investissement. Le fait que le groupe franchisse le pas trois mois après l’irruption du fonds activiste Elliott à son capital ne manque pas de fomenter des interrogations sur ses motivations. Alexandre Ricard, le PDG, cherche-t-il à élargir le cercle de ses actionnaires amis ? Plusieurs sources assurent, en fait, que les préparatifs avaient débuté bien avant l’arrivée d’Elliott…

Quoi qu’il en soit, ce plan tombe à pic. Les propriétaires salariés – d’autant plus précieux qu’ils bénéficient souvent de droits de vote – se divulguent les premiers défenseurs de leur entreprise en cas d’OPA non sollicitée. Eiffage, en guerre avec l’espagnol Sacyr, en 2007, peut en certifier.

Depuis qu’en octobre 2015, Vivendi est entré par effraction à son capital, Ubisoft met les bouchées doubles pour assister ses équipes à acheter ses actions. L’éditeur de jeux vidéo a vu la part de son capital détenue par le fonds commun de placement d’entreprise (FCPE) d’actionnariat salarié passer de 0,8 %, en mars 2015, à près de 3,5 %, en mars 2018. Et la cession, en mars 2018, de la collaboration de 27 % acquise par Vivendi n’a rien changé à cette stratégie.

Un rectificatif suscite la polémique

Pernod Ricard n’est pas le seul néophyte. En mai 2018, L’Oréal avait ouvert « un nouveau chapitre de sa politique sociale », en jetant sa première opération d’actionnariat salarié. « Beaucoup de nouveaux entrants se sont montrés, ces derniers mois. Ces plans d’actionnariat favorisent l’unité au sein d’un groupe et permettent de faire participer les salariés à la gouvernance », souligne Anne Lemercier, réunie du cabinet d’avocats Clifford Chance, qui ajoute : « De nouvelles offres sont en préparation pour début avril, période où débute l’allocation de la collaboration ou de la participation des salariés. »

« La France est, de loin, le premier pays en Europe avec environ 3,5 millions de salariés actionnaires de leur sociétés »

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Au pays du tourisme, l’industrie n’a pas dit son ultime mot

L’usine du champion de l’engrais espagnol Fertiberi, près d’Huelva, dans le sud de l’Espagne, en 2008.
L’usine du champion de l’engrais espagnol Fertiberi, près d’Huelva, dans le sud de l’Espagne, en 2008. Javier Barbancho / REUTERS

En Espagne, quelque secteurs comme la chimie ont su se projeter en investissant lourdement dans l’innovation.

Elle s’est ouverte à d’autres marchés, a joué sur la souplesse de l’emploi et les coûts réduits du travail en Espagne, misé sur l’innovation… Après avoir contrarié à la crise, l’industrie chimique espagnole a réussi son pari : celui de renouer avec la croissance. En 2018, le chiffre d’affaires du secteur a augmenté de 4 %, après une progression de 6,9 % en 2017. Et cela, alors que l’industrie du pays, dans son ensemble, commence à présenter des signes de diminution inquiétants.

Deuxième principal secteur exportateur derrière l’automobile, elle accomplit actuellement 57 % de ses ventes à l’étranger, contre 35 % en 2007. Ses 3 100 entreprises comptent 193 000 emplois directs et 460 000 indirects et induits, dépassant les niveaux obtenus avant la crise. Et le secteur investit : il indique 13,8 % du produit intérieur brut (PIB) industriel, mais 25 % des dépenses en recherche et développement de l’ensemble de l’industrie espagnole.

Aux côtés de grandes multinationales, souvent établies de longue date sur le territoire (Bayer produit dans son usine des Asturies, dans le nord du pays, la totalité de l’aspirine exploitée dans le monde, Novartis est établi près de Barcelone), coexistent des poids lourds espagnols, comme le parfumeur catalan Puig, qui produit les eaux de toilette Nina Ricci ou Jean Paul Gaultier, mais aussi le champion de l’engrais Fertiberia ou les laboratoires pharmaceutiques Almirall.

« Flexibilité de l’emploi »

« Nous sommes l’une des industries qui repoussent le plus en Europe. La chimie génère de manière directe et indirecte près de 5,8 % du PIB espagnol et 3 % de l’emploi », déclare Juan Antonio Labat, directeur général de la Fédération des entreprises de l’industrie chimique espagnole (Feique).

Pas uniquement le secteur participe à la croissance soutenue de l’Espagne (2,6 % en 2018), mais, avec 94 % de contrats en CDI et un salaire annuel moyen de 38 000 euros, il propose des emplois de meilleure qualité que le tourisme et l’hôtellerie. Car, si ces derniers n’ont arrêté de prendre du poids dans l’économie espagnole (ils pèsent aujourd’hui 12 % du PIB) et restent de grands pourvoyeurs de jobs (13,8 % du total), les contrats saisonniers sont monnaie courante, la part de l’emploi à durée décidée s’élève à 35 % et le salaire moyen dépasse à peine les 14 000 euros annuels.

l’Amérique le paradis d’Air France

Air France vient de démarrer une nouvelle ligne transatlantique pour Dallas, au Texas.

Un Airbus d’Air France à l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, le 14 mars.
Un Airbus d’Air France à l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, le 14 mars. EMMANUEL FOUDROT / REUTERS

Jean-Marc Janaillac, ex-PDG d’Air France-KLM, observer vers l’est, avec la Chine en point de mire. Anne Rigail, la nouvelle patronne d’Air France, voit plutôt vers l’Ouest. La patronne de la compagnie aérienne cherche d’abord à fortifier la société commune, qui associe Air France-KLM à l’américaine Delta Airlines pour l’Atlantique nord. Il faut dire que ce joint-venture (JV) pesant dans les comptes des deux compagnies, avec un chiffre d’affaires annuel de 13 milliards de dollars (11,6 milliards d’euros). A elle seule, elle évoque plus de 20 % du chiffre d’affaires d’Air France-KLM.

Ce poids devrait encore s’accroître, avec le lancement, depuis le 31 mars, d’une nouvelle ligne vers Dallas, au Texas. La 13destination d’Air France aux Etats-Unis et la 22e pour Air France-KLM. Cette récente ligne ne doit rien au hasard. Elle vient d’accomplir l’accord de coopération, qui lie Air France avec la compagnie indienne Jet Airways. « Le joint-venture avec Jet Airways fonctionne très bien entre l’Europe et l’Inde. La collaboration est tellement positif que l’on fera tout pour formtifier [la compagnie indienne] », a décalaré Mme Rigail, qui faisait allusion aux difficultés financières qui affectent cette dernière. Avec l’apport de Jet Airways, « les recettes unitaires ont progressé », s’est-elle félicitée. Pour Air France, la collaboration avec la compagnie indienne est avantageux, grâce à « une saisonnalité inversée », se réjouit Mme Rigail. Au contraire de la plupart des passagers, ceux du sous-continent viennent aux Etats-Unis à contre-cycle, principalement en hiver, alors que la pleine saison pour Air France-KLM a lieu en été.

A l’avenir, le joint-venture sur l’Atlantique nord devrait profiter de l’arrivée de la britannique Virgin Atlantic, contrôlée à 31 % par Air France et à 49 % par Delta Airlines. « Virgin Atlantic nous apporte le Royaume-Uni », se félicite Air France. Avec la compagnie britannique, le partenariat franco-américain va pouvoir présenter des vols au départ de Londres.

Problème de rentabilité

Après Dallas, Mme Rigail parie plus sur « le développement de nouvelles fréquences que sur l’ouverture de nouvelles lignes aux Etats-Unis ». L’idée maîtresse de la directrice générale est « la performance opérationnelle », autrement dit la robustesse de l’exploitation, son bénéfice. Elle a posé un « problème en 2018 ». Pour le résoudre, en 2019, Air France « a réaménagé son programme avec une offre simplifiée ». La compagnie veut choyer sa clientèle premium, qui représente « 55 % [du] chiffre d’affaires sur les Etats-Unis ». A ses passagers de « première » ou de classe affaires, Air France va offrir« au moins un vol par jour avec un full flat bed », un lit complètement plat.

Outre l’Amérique, l’autre pilier du développement d’Air France est Transavia, sa filiale à bas coûts. Elle offre « la meilleure marge du groupe », déclare Mme Rigail. Selon elle, Transavia est « un bon outil offensif sur le point-à-point au départ des bases en France ». Mais la filiale est aussi un bouclier contre les appétits de compagnies comme easyJet ou Ryanair. « C’est un outil défensif contre l’arrivée des low cost en France », déclare la directrice générale.

La flotte de Transavia France va passer à 40 appareils. Air France aimerait la faire croître encore plus au futur. « La question se pose », déclare Mme Rigail. Pour faire grossir Transavia, Air France doit obtenir le feu vert des pilotes. Avant la crise de Boeing, Air France aurait dû passer une commande d’une centaine de 737 Max pour renouveler les flottes de Transavia France et Transavia Holland. Une commande tardé, faute d’avoir obtenu alors l’accord des syndicats de pilotes. Cela ne devrait être que partie remise.

Pour avoir son rang parmi les premières compagnies au monde, une ambition fixée par Benjamin Smith, directeur général d’Air France-KLM, Air France va investir 1 milliard d’euros sur cinq ans, dont 600 millions d’euros entre 2019 et 2020, a déclaré Anne Rigail. Avec ce montant, la compagnie aérienne va moderniser les cabines de ses 15 A330 pour 140 millions d’euros. De l’été 2019 à celui de 2020, ce sont les douze Boeing 777 à destination des Antilles qui bénéficieront d’une enveloppe de 125 millions d’euros pour leur intérieur. Les sept A380 se referont une beauté « à l’automne 2020 », selon Mme Rigail pour 200 millions à 220 millions d’euros. Finalement, dès cette année, 100 millions d’euros seront consacrés à l’installation de la Wi-Fi sur tous les long-courriers de la flotte d’Air France, soit 60 % des avions de la compagnie aérienne.

Reprise d’études, travail, famille : un défi à gagner

S’introduire dans une formation longue tout en vivant une vie professionnelle et personnelle serré exige discipline et endurance.

La charge mentale et le soin des enfants pesant encore davantage sur les femmes aujourd’hui, reprendre les études pour les mamans reste très compliqué.
La charge mentale et le soin des enfants pesant encore davantage sur les femmes aujourd’hui, reprendre les études pour les mamans reste très compliqué. Stefan Rupp/Westend61 / Photononstop

« Il y a un adage dans la formation que j’ai fait: on y entre marié et on en sort divorcé. Je me voie heureux, ce n’est pas mon cas », déclare Antoine Alexandre, développeur informatique à Metz (Moselle), récemment diplômé du Conservatoire national des arts et métiers. En 2014, ce trentenaire, déjà titulaire d’un DUT et d’une licence pro en informatique, s’est engagé dans un défi ambitieux : avoir,son diplôme d’ingénieur tout en travaillant à plein temps et en assumant son nouveau rôle de père. Cinq ans plus tard, pari réussi. Avec un deuxième bébé en plus.

Pour se reconvertir, de beaucoup d’adultes prennent le risque dans un parcours de formation longue diplômante, malgré un équilibre entre vie professionnelle et personnelle déjà fragile. Un choix « exigeant et engageant » pour Sandrine Meyfret, coach et sociologue : « Réussir ses études passé 30 ans est un sacré challenge. »

« Quand on rentre le soir, on doit étudier, écrire son mémoire avec le stress d’avoir son diplôme… »

« C’est loin d’être simple », ajoute Sylvia Antoine. A l’âge de 40 ans, cette mère de deux enfants de 6 et 13 ans a adopter de retourner sur les bancs de l’université d’Evry-Val d’Essonne pour suivre un master 2 de sciences humaines et homologué par un diplôme ses acquis professionnels. Un programme qui n’est pas aux deux jours de cours, deux fois par mois. « Quand on rentre le soir, on doit réviser, écrire son mémoire avec le stress d’obtenir son diplôme. Et le boulot continue, tout comme la vie de famille… », déclare-t-elle.

Ce rythme impose des résignations. « Ce sont deux années où on met entre parenthèses ses week-ends, ses sorties », se remémore Virginie Hédin, actuellement responsable des inscriptions dans une école d’ingénieurs à Lille. Assistante de direction, en 2007, alors qu’elle rentre de congé maternité, elle commence un master 2 à l’école de commerce Skema. Deux ans de cours chaque mardi et vendredi après-midi, et le samedi matin. « Mes pauses déjeuners et mes vacances, je les passais à travailler, et surtout je voyais moins ma fille. »

Approfondir son projet

Une réalité à bien identifier avant de se lancer. « Il faut avoir en tête ce qu’implique une formation : un sacrifice financier et beaucoup de travail personnel. Deux heures de cours, c’est trois heures de travail derrière, déclare Patricia Guihard, directrice du service d’orientation du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Lorsqu’une personne vient nous voir, on lance des perches pour en savoir plus sur sa situation personnelle l’âge des enfants ou le temps de transport et nous garantir qu’il y a eu un échange dans la famille. »

Une forte présence masculine dans la fintech

Céline Lazorthes, fondatrice du site de cagnotte en ligne Leetchi, est la figure de proue de la fintech française, ici en février 2016 à Paris.

Céline Lazorthes, fondatrice du site de cagnotte en ligne Leetchi, est la figure de proue de la fintech française, ici en février 2016 à Paris. Charles Platiau / REUTERSLes femmes sont uniquement 9 % des créateurs et 12 % des groupes dirigeantes dans la fintech, selon une étude de France FinTech-Crédit mutuel Arkéa et Roland Berger.

Le rapport est très sévère. « Quand nous avons initié la French Tech, tout semblait possible. C’était l’occasion de remettre les compteurs à zéro, y compris en matière d’égalité des chances », se souvient Axelle Lemaire, associée du cabinet de conseil Roland Berger et ancienne secrétaire d’Etat au numérique (2014-2017). « Près de sept ans après, la promesse n’a pas été tenue », regrette-t-elle. Le secteur de la « tech » reste amplement masculin et, en particulier, celui des start-up de la finance aussi appelées les « fintech ».

Les femmes représentent uniquement  9 % des créateurs et 12 % des équipes gouvernantes, selon une étude dévoilée jeudi 4 avril par France FinTech, Crédit mutuel Arkéa et Roland Berger. Ironiquement, si Céline Lazorthes reste la figure de proue pour avoir été la première de cette nouvelle génération de jeunes gouvernantes à manier le jackpot en revendant le site de cagnotte en ligne Leetchi à Arkéa en 2015, son parcours reste une rareté dans le paysage.

Sur les 19 cofondateurs de fintech françaises, ayant accompli les augmentations de fonds les plus significatives en 2018, une seule est une femme : il s’agit de Ludivine Doladille, qui a co-créé en 2015 LaFinBox, un agrégateur de patrimoine, dans lequel Swiss Life a administré dix millions d’euros en avril 2018.

« La double peine »

Pour la fintech, en effet, « c’est la double peine », déclare Kristen Charvin, déléguée générale de France FinTech : l’entrepreneuriat a du mal à charmé les femmes et la finance, dont découlent souvent les fondateurs des Compte Nickel et autres October (ex. : Lendix), reste un monde très masculin. Avec, à la clé, un risque d’introduire des biais dans les algorithmes développés par des équipes quasiment masculines, sur lequel Aurélie Jean, docteure en mécanique numérique et entrepreneuse, tire souvent la sonnette d’alarme.

« On se prive de performance avec des pourvois qui n’ont pas développé de culture inclusive », assure Anne-Laure Navéos, directrice augmentation externe, collaborations et digital chez Crédit mutuel Arkéa, qui martèle :

« J’entends dire tout le temps que c’est difficile d’embaucher des femmes, qu’il n’y a pas assez d’ingénieures. En fait, tout le monde se renvoie la balle en disant que ce n’est pas de sa faute. Pour en sortir, il faut agir sur tous les fronts de manière volontariste : éducation scientifique, progrès de l’entourage professionnel, réduction des freins psychologiques et financement. »

Carlos Ghosn, Tom Enders et les abus des rétributions des directeurs

Alors que le sentiment d’inégalité sociale n’a jamais été aussi actif, il est urgent que les sociétés redonnent du sens aux sommes qu’ils accordent aux dirigeants.

 Comme dans une partie de Monopoly cauchemardesque, Carlos Ghosn a appris, jeudi 4 avril, qu’il va revenir en prison pour s’être personnellement enrichi au détriment de Nissan, alors que, la veille, Renault avait déclaré qu’elle va lui verser l’ensemble des éléments de sa rétribution pour 2018. Remarquant« des atteintes aux principes éthiques », le conseil d’administration du constructeur français a pris ses responsabilités. C’était bien le minimum, face aux menace qui s’accumulent sur le versement de plusieurs millions d’euros pour le patron déchu.

Une autre fois, les salaires extravagantes des PDG font débat. La période qui précède les assemblées générales d’actionnaires révèle son lot de salaires exagéré, qui ne sont pas toujours proportionnelles aux résultats et aux talents des dirigeants. Le cas Ghosn était hors catégorie au regard de pesanteur des faits qui lui sont reprochés. Les directeurs de Renault ont réagi en conséquence. Dont acte.

D’autres cas restent en hésitation, même si, leur nature n’a rien à voir. Les pertes substantielles de TechnipFMC en 2018 n’ont pas gêné Thierry Pilenko, le directeur du groupe parapétrolier, de prétendre pour son départ à 14 millions d’euros. Le 2 avril,Le Monde révélait que Tom Enders pourrait bénéficier d’un parachute doré de 36,8 millions d’euros, alors qu’il s’apprête à quitter la présidence d’Airbus sur un bilan mitigé.

Dans un ballet bien rodé, les remédias font les gros titres, les experts de la direction font les gros yeux, les membres du gouvernement s’indignent, le Medef averti les directeurs, les conseils d’administration essaie d’expliquer l’inexplicable. Malgré les efforts d’autorégulation des associations patronales, malgré le durcissement législatif, les dérapages continuent.

Une conception du capitalisme

Airbus comme TechnipFMC se retranchent derrière le fait que leur siège social est situé, pour l’un aux Pays-Bas, pour l’autre au Royaume-Uni, et que, en l’espèce, la loi française sur l’encadrement des saliresne s’applique pas. N’est-il pas temps justement d’obliger les groupes cotés à Paris de tous se conformer aux mêmes règles ?

Au-delà de la question de la localisation, on assiste à une vaste hypocrisie, qui consiste à entassé des clauses de non-concurrence – artificielles du fait de l’âge des dirigeants – avec de généreuses retraites chapeaux. Curieuse composition du capitalisme, qui consiste à changer l’entreprise en Etat-providence. Le gouvernement réfléchit à plafonner ces retraites. C’est louable. Mais ne doutons pas de la créativité des entreprises pour trouver d’autres moyens de poursuivre l’escalade depuis que le système s’est financiarisé.

Avant, les patrons étaient des salariés qui, pour confortablement rémunérés qu’ils étaient, n’avaient pas vocation à faire fortune. Aujourd’hui, ils sont à la fois directeurs et actionnaires, décisionnaires et propriétaires, dès lors, comme on dit à Wall Street, « the sky’s the limit » (« le ciel est la limite »).

Cependant, la limite pourrait s’imposer de façon brutale. Les salaires disproportionnées deviennent de moins en moins tolérables, alors que le sentiment d’injustice sociale n’a jamais été aussi vif et que la cohésion de la société est gravement fragilisée. Il est urgent que les actionnaires et les conseils d’administration redonnent du sens aux sommes qu’ils donnent aux dirigeants avant que le système ne se grippe pour de bon.

Les offres de Terra Nova pour changer l’assurance-chômage

Alors que l’Etatprévoit d’installer un bonus-malus pour diminuer les contrats courts, le think tank progressiste plaide pour une cotisation forfaitaire sur tous les contrats.

Si le gouvernement cherche des idées pour sa réforme de l’assurance-chômage, en cours d’achèvement, il peut aller vers le think tank Terra Nova. Ce cercle de réflexion a déclaré, jeudi 4 avril, une note qui contient « des éléments de fond et de méthode » dans le but d’« assurer la réussite » de ce chantier ultrasensible.

Le changement du dispositif, géré par l’association paritaire Unédic, doit reposer sur « quelques mesures fortes, lisibles », équilibrées, afin de « les rendre aussi consensuelles que possible ». Deux objectifs, qui rejoignent ceux avancés par l’exécutif, sont énoncés : combattre la « précarisation » sur le marché du travail et participer « à la maîtrise de la dépense publique ».

Au sein des pays développés, l’économie française se distingue par sa très forte appétence pour les contrats à durée déterminée (CDD) courts : 35 % des salariés en CDD ont des contrats de moins de trois mois « contre 19 % en Italie, 13 % au Danemark, 4 % en Allemagne », déclare Terra Nova, en joignant: « La moitié des CDD de moins d’un mois conclus dans l’Union européenne le sont en France ! »

Pour réduire le recours à cette forme d’emploi, le think tank préconise un mécanisme de « modulation des cotisations employeurs ». Plusieurs schémas sont possibles, parmi lesquels le bonus-malus imaginé par l’exécutif. Mais celui qui a la préférence de Terra Nova consiste à instaurer un prélèvement « forfaitaire uniforme pour l’ensemble des ruptures de contrats de travail ». Ainsi, il représenterait « un coût négligeable pour un CDD de plusieurs mois », mais pèserait beaucoup plus lourd s’il s’appliquait à un contrat d’un jour.

« Soutien au revenu »

Considérées à « plusieurs centaines de millions d’euros », les recettes tirées de cette nouvelle contribution pourraient être exploitées de deux manières : soit en accordant des « aides ciblées » – par exemple – aux entreprises qui recrutent en CDI des chômeurs, soit en créant un « fonds de lutte contre la précarité de l’emploi » (dont la vocation serait de financer des actions en faveur des travailleurs abonnés aux CDD). Précision importante : une telle « surcotisation » concernerait toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, sauf celles du secteur de l’intérim, pour lesquelles « une réflexion spécifique doit (…) être menée ».

Une importante présence des investissements étrangers en France

Le stand de la French Tech, au Consumer Electronics Show de Las Vegas, en janvier.
Le stand de la French Tech, au Consumer Electronics Show de Las Vegas, en janvier. ROBERT LEVER / AFP

L’année dernière, la France a attiré 20 % des projets réalisés en Europe, contre 16 % pour le Royaume-Uni ou 14 % pour l’Allemagne.

L’effet Emmanuel Macron n’est constamment pas épuisé et, pour l’instant, les « gilets jaunes » et les violences de certaines manifestations n’ont pas eu d’importants effets sur les investissements internationaux. En 2018, ils ont continué leur augmentation, selon les données de l’agence nationale Business France présentées jeudi 4 avril.

Avec 1 323 projets d’investissement étrangers, contre 1 298 en 2017, la France attire continuellement autant. « La croissance de 2 % en 2018 est moins forte qu’en 2017 (15 %), mais le site France a parvenu à faire venir 420 nouvelles entreprises », admet Christophe Lecourtier, le directeur général de Business France.

L’an dernier, l’élection de M. Macron avait entraîné un véritable emballement du nombre de projets. « C’était une année extraordinaire, qui avait vu le dégel de nombreux projets d’investissement », rappelle M. Lecourtier.

Malgré un climat économique mondial morose en 2018, avec la guerre commerciale sino-américaine, le Brexit ou le yo-yo des prix de l’énergie, la France a su tirer son épingle du jeu, en attirant 20 % des projets d’investissement étrangers sur le Vieux Continent, contre 16 % pour le Royaume-Uni ou 14 % pour l’Allemagne.

Qualité des ingénieurs, dynamisme de la French Tech

Du côté de l’emploi, les conclusions d’investissement ont permis la création ou le maintien de 30 302 postes en 2018, soit 3 000 de moins que l’année précédente. Le nombre de postes sauvegardés s’est effondré (– 4 000) « à la suite du recul du nombre de reprises de sites en difficulté (– 25 %) », souligne Business France.

Subsistent d’autres motifs de satisfaction pour le gouvernement et sa politique en faveur de l’industrie. Près du quart des participations sont consacrés à ce secteur, avec, à la clé, la sauvegarde ou la création de 11 300 emplois, attestation que la désindustrialisation de la France n’est pas une fatalité. « On dénombre d’importants investissements américains et allemands, et notamment d’entreprises de taille intermédiaire, note M. Lecourtier. Cela s’explique, le Mittelstand allemand a du mal à recruter à la fois en Allemagne et dans les pays d’Europe centrale, donc il se tourne vers nous. »

Business France mentionne l’exemple l’investissement de 110 millions d’euros du groupe d’outre-Rhin Knauf Insulation, qui crée une usine en Moselle, avec, à la clé, vers les 120 CDI, ou l’entreprise américaine spécialisée dans la production 3D, PostProcess Technologies, qui s’établit à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes). De même, les premiers effets du Brexit se ressentent déjà en France, avec un bond de 33 % des investissements dans le secteur financier.

Autres forces du « site France », la qualité de ses ingénieurs, le dynamisme, constamment important, de la French Tech, et son cadre fiscal ultra-avantageux, grâce au crédit d’impôt recherche pour les centres de R&D. En 2018, pas moins de 129 projets d’investissement dans ce domaine ont été recrutés, dont l’installation d’un centre de R&D d’Uber, la création d’un incubateur de la société informatique SAP. C’est une amélioration de 10 % sur un an.

« [Pour 2019], les premiers signes sont positifs, déclare M. Lecourtier. Malgré les “gilets jaunes”, on note une très bonne énergie des investissements étrangers sur les trois premiers mois. »

 

Les Italiens émigrent en masse

Inversement aux antérieures vagues d’émigration, ce sont surtout les jeunes diplômés italiens qui laissent le pays.

Il aurait privilégié ne jamais partir. Il n’a guère eu le choix. Après avoir eu son diplôme d’administration comptable à l’université de Pérouse, en 2009, Francesco Amaranto a tenté de gagner sa vie dans le village où il a grandi, Cavallino, au sud de l’Italie. Dans cette région, les Pouilles, le taux de chômage culmine à 19 %. Et l’économie souterraine pèse près de 20 % du produit intérieur brut (PIB). « Durant six ans, j’ai enchaîné les boulots : comptable, serveur, secouriste, le plus souvent au noir, raconte-t-il. Je travaillais douze heures par jour pour toucher guère plus de 500 euros par mois. Je devais solliciter de l’aide à mes parents. Alors, je me suis décidé à partir. »

« Je crois que je ne réintégrerai pas. Pour ceux restés, la condition est très difficile. Mon pays est au bord de l’effondrement »

Il y a deux ans, il s’est établi à Lanzarote, en Espagne, pour rattraper un ami. En quelques mois, il a décroché un poste de comptable. Avec un contrat permanent. « J’ai enfin un salaire correct, ma vie a changé », confie-t-il. Aussitôt, il gagne assez d’argent pour se payer un appartement, voyager et bénéficier de son temps libre. « Cela ne m’était jamais arrivé en Italie, constate-t-il. Je crois que je ne rentrerai pas. Pour ceux restés, la condition est très difficile. Mon pays est au bord de l’écroulement. »

Depuis 2008, 2 millions de jeunes Italiens ont, comme lui, préféré la voie de l’émigration. « Ce phénomène est absorbant, les forces vives du pays s’échappent », s’inquiète Nicola Nobile, économiste chez Oxford Economics, à Milan. La timide reprise enregistrée depuis 2017 n’a guère transposé la tendance. En 2018, la population a diminué durant quatre années consécutives, perdant 90 000 personnes (sur 60,4 millions d’habitants), selon l’Institut statistique italien (Istat). L’an dernier, 160 000 Italiens ont fait leurs valises pour partir à l’étranger, soit 3 % de plus qu’en 2017. Du jamais-vu depuis 1981.

Bien sûr, l’Espagne a déjà connu de grands épisodes d’émigration. De 1900 à 1915, 8 millions d’Italiens sont partis pour besogner dans les mines et usines de France et d’Allemagne, ou encore pour les Etats-Unis. Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’Etat lui-même incitait les travailleurs à plier bagage. Mais la vague d’émigration observée depuis dix ans est de nature différente. Cette fois, ce ne sont pas les ouvriers peu compétents ou les agriculteurs qui partent. Ce sont surtout les jeunes diplômés.

L’apprentissage est-il une arme antichômage ?

Des apprentis mécaniciens d’un CFA de Quimper, en février 2016.
Des apprentis mécaniciens d’un CFA de Quimper, en février 2016. FRED TANNEAU / AFP

La loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », effectuée en septembre 2018, qui  à développer ce type de formation.

C’est l’un des procédés sur lesquels le gouvernement mise le plus pour diminuer le chômage des jeunes. Longtemps regardé comme une voie de garage, l’apprentissage concerne un peu plus de 430 000 personnes en France aujourd’hui. Un niveau près de trois fois inférieur à celui de l’Allemagne, alors que le taux d’insertion dans l’emploi de ceux qui sortent de ces formations avoisine les 70 %.

Les effectifs vont-ils décoller, avec l’ascension en puissance de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », adoptée le 5 septembre 2018 ? Rue de Grenelle, on y croit dur comme fer. D’autant qu’il y a urgence à mieux faire correspondre les formations avec les besoins des entreprises.

Entre 2017 et 2018, alors que le changement était encore en discussion, le nombre d’apprentis a crû de 7,7 %. Un rebond dû, en partie, à l’allongement de l’âge maximum, passé de 25 à 30 ans, dans sept, puis neuf régions, avant d’être étendu à tout le territoire. « Il y a pareillement eu la campagne “Démarre ta story” sur les réseaux sociaux, et certains conseils régionaux comme les Hauts-de-France, le Grand Est, les Pays-de-la-Loire et la Nouvelle Aquitaine, se sont mis à jouer le jeu », précise-t-on dans le voisinage de la ministre du travail, Muriel Pénicaud.

« Les grands groupes ne font pas le job »

Mais ce que ces chiffres ne disent pas, c’est que l’apprentissage éprouve surtout un succès dans le supérieur, chez les bac +2, et beaucoup moins dans le secondaire, en CAP. Certes, les contrats de ces derniers demeurent plus nombreux (60 %), et « certaines entreprises s’efforcent d’intégrer des apprentis aux premiers niveaux de qualification, déclare Bertrand Martinot, économiste et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy. Mais, entièrement, les grands groupes ne font pas le job ».

Etudiant en master 2 à la Montpellier Business School, Benjamin Gachet, 24 ans, fait partie de ces « alternants » du supérieur. « L’école de commerce nous pousse vers l’apprentissage, car cela permet d’être exonéré d’une année de frais de scolarité, et ça la rend plus accessible », explique-t-il. Au service des ressources humaines des assurances du Crédit Mutuel, à Strasbourg, il gagne environ 1 440 euros par mois et peut désormais profiter de l’aide au rétribution du permis de conduire équipée aux apprentis depuis le 1er janvier.

Entre 2017 et 2018, alors que le changement était encore en débat, le nombre d’apprentis a crû de 7,7 % en France