« Les relocalisations ne créent pas beaucoup d’emplois directs »
Quand les entreprises relocalisent, elles normalisent leurs processus productifs et numérisent leurs chaînes d’assemblage, déclare le professeur d’économie El Mouhoub Mouhoud.
El Mouhoub Mouhoud est professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, spécialiste des délocalisations.
Assiste-t-on à une action de relocalisation en France ?
Cela relève sur quels éléments on se situe. Il y a évidement une action de relocalisation pour les secteurs pondéreux [qui utilisent des matériaux lourds, comme le bois]. Dans ces divisions, les coûts de transport ne sont pas neutres et il n’y a pas d’empêchement à la numérisation et à la robotisation des tâches d’assemblage, ce qui permet de diminuer les coûts salariaux.
Dans d’autres secteurs plus « légers », au contraire, comme l’habillement, les relocalisations restent anecdotiques. Dans l’habillement, les activités d’assemblage ne sont pas facilement robotisables : la main-d’œuvre qui constitue encore 70 % du coût total de l’assemblage. Comme il s’agit aussi de produits légers, ils sont moins touché par l’augmentation du coût du transport et de l’énergie. Les relocalisations concernent uniquement les petites séries ou lorsqu’il y a des problèmes de qualité du produit final.
On en parle un peut, mais il y a de même une action de délocalisation des services, permis par le développement des technologies de l’information et de la communication et qui dépend un nombre de plus en plus grand de services : dans l’informatique, le médical, etc. Ce mouvement devrait augmenter dans les années à venir.
Le « made in France » peut-il convier les sociétés à relocaliser ?
Malgré cela l’instauration de labels spécialisés, il n’est continuellement pas possible pour le consommateur l’accommodé une traçabilité établie des produits. L’étiquette « fabriqué en France » signifie seulement que la dernière opération sur le produit a été réalisée en France. Il est donc facile aux entreprises de faire du « made in France » minimal. Il y a bien eu quelques cas de relocalisation ultra-médiatisés, comme Atol ou Rossignol, mais cela concerne en général un segment minoritaire de la production et sans qu’il y ait forcément beaucoup de créations d’emplois à la clé. Atol, par exemple, a uniquement relocalisé son segment haut de gamme et a mis en place un process de fabrication entièrement automatisé. Peu d’emplois ont été créés au final.
Vous estimez que l’impact des relocalisations sur l’emploi est finalement marginal. Pourquoi ?
Quand les firmes relocalisent, elles rationalisent leurs processus productifs et mécanisent leurs chaînes d’assemblage. Les relocalisations de retour, qui communique à une simple inversion des différences de coûts salariaux unitaires entre le Nord et le Sud grâce à la robotisation des tâches d’assemblage, créent peu d’emplois directs mais ont des effets sur la régénération du tissu industriel auprès des sous-traitants locaux. Plus intéressantes sont les relocalisations de développement compétitif, fondées sur l’innovation de produits dans des niches sur lesquelles les savoir-faire étaient absents en France, qui admettent de relancer des dynamiques régionales tout à fait importantes.
Il s’agit de borner les abus dans un secteur très montré au dumping social. Mais, étant donné les profondes divisions qui présentent entre les Etats du centre et ceux de la périphérie, le « paquet transport » tel que réformé par les eurodéputés est un parfait compromis à l’européenne, avec ses avancées et ses faiblesses.
Etait-il éventuel d’aller plus loin dans le support des chauffeurs et des intérêts des entreprises de transport hexagonales ? Pas sûr. Il s’agit en tout cas d’un bon thème de discussion pour la campagne des européennes.
Parmi les points forts du « paquet », les mandatés ont utilisé la prohibition du repos hebdomadaire nécessaire des chauffeurs dans leur cabine. La France faisait partie des pays qui défendaient cette mesure. Les chauffeurs routiers devraient par ailleurs bénéficier d’un droit de retour régulier dans leur pays d’origine, au moins toutes les quatre semaines. Et ce, pour en finir avec les pratiques de certaines entreprises qui les encouragent de leur famille durant plusieurs mois d’affilée.
« Réelles avancées »
Les opérations de cabotage (livraison d’un point à un autre dans un même pays, par un camion venu de l’étranger) seront bornées. Elles ne seront pas autorisées plus de trois jours par an. En outre, entre chaque intervalle de cabotage, le camion devra réintégrer dans son pays d’attache, et y rester au moins 60 heures avant de repartir. Il s’agit de prévenir « le cabotage systématique », effectué par des chauffeurs payés bien moins cher que ceux des pays où ils réalisent leurs livraisons.
Autres dispositions : pour mieux combattre contre les entreprises « boîtes aux lettres », enregistrées dans un pays mais salariant des chauffeurs venus d’ailleurs, les transporteurs devront réhabiliter d’une « activité substantielle » dans l’Etat dans lequel ils sont enregistrés. Les véhicules légers (moins de 3,5 tonnes), de plus en plus abîmés pour le cabotage, seront soumis aux mêmes règles que les camions. Par ailleurs, les élus ont voté l’application des règles du renoncement (même salaire horaire pour le même travail) dès le premier jour, pour les opérations de livraison internationales, y compris le cabotage.
Mais les eurodéputés de l’Est, lourdement opposés au raffermissement des règles, ont obtenu des exemptions importantes : le principe de la capitulation ne s’apposera pas pour des livraisons« bilatérales », d’un point A en France, par exemple, à un point B, en Belgique. Dans ce cadre, les chauffeurs pourront aussi accomplir une opération de cabotage à l’aller et une au retour (ou deux à l’aller et aucune au retour), sans être examinés comme des « détachés ».
La députée Verte Karima Delli, patronne de la commission transport à Strasbourg, a révoqué « la création en Europe d’une classe de salariés de seconde zone »
« Ces orientations représentent de réelles avancées pour les droits des travailleurs et pour une concurrence plus loyale dans le transport routier », s’est félicité Elisabeth Borne, la ministre française des transports. « La bataille a été difficile, mais désormais nous abordons de l’objectif de doter [les trois millions de chauffeurs routiers] de conditions de travail dignes », a pour sa part salué Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, chef de file des eurodéputés socialistes hexagonaux.
La députée Verte Karima Delli, présidente de la commission transport à Strasbourg, a, elle, révoqué « la création en Europe d’une classe de salariés de seconde zone. Les chauffeuses et chauffeurs du secteur routier sont victimes du “deal” passé entre le gouvernement français et les Etats périphériques, qui en avaient fait une monnaie d’échange afin d’obtenir un accord sur la révision de la directive générale sur le détachement ».
Manœuvre protectionniste
Il est vrai qu’avec d’autres Etats, la France a accueilli que le transport soit sorti du champ de la révision de la directive sur le travail dégagé et fasse l’objet d’un texte hétérogène. Il est aussi vrai qu’en 2017, Paris avait obtenu un aboutissement du détachement à un an, contre l’avis des pays de l’Est, qui estimaient bien prendre leur revanche avec le « paquet transport ».
Ces dernières semaines, les élus de l’Est ont essayé d’esquiver un vote du Parlement sur ces textes, considérant qu’ils représentaient une manœuvre protectionniste de l’Ouest à l’égard de leurs entreprises. Dans les pays baltes ou en Bulgarie, le transport représente une part élevé du produit intérieur brut (plus de 12 % dans le cas de la Lituanie).
« Obtenir de l’Est l’abstraction du renoncement à tous les types de transport, c’était impossible. Ces capitales considèrent que l’Ouest a profité à plein de l’accroissement, particulièrement en investissant le secteur financier à l’Est, et qu’on doit leur laisser le transport », glisse une source parlementaire.
Ces textes approuvés par les eurodéputés verront-ils le jour avant les élections européennes ? Cette vision est peu probable. Au Conseil, les Etats sont, eux aussi, parvenus à un accord (fin 2018). Leur position est proche de celle du Parlement. Mais les deux institutions doivent entrer en discussion pour achever à une position commune. Ce qui peut prendre au minimum un trimestre.