Les dirigeants doivent calibrer « le temps de travail journalier »

Les pointeuses vont-elles se multiplier dans les entreprises ? Voilà l’une des questions qui vient à l’esprit, à la lecture d’un arrêt rendu mardi 14 mai par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Cette juridiction, implantée à Luxembourg, conclut que les Etats membres sont tenus d’obliger les employeurs à instaurer un système « permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ». La décision ne remet – a priori – pas en cause la législation existante en France, mais elle réaffirme avec plus de vigueur la nécessité de veiller au respect effectif des temps de repos auxquels ont droit les personnes en activité. Ce qui inspire un peu de perplexité chez des directeurs des ressources humaines (DRH).

L’affaire observée par la CJUE résulte d’une allure de l’Audiencia Nacional – la Cour centrale en Espagne. Celle-ci voulait obtenir une intelligence sur les règles européennes relatives à « l’agencement du temps de travail » et à « le progrès de la sécurité et de la santé des travailleurs ». Sa demande avait été exposée à la suite d’un différend entre une organisation syndicale – la Federación de servicios de comisiones obreras (CCOO) – et la Deutsche Bank : la première reprochait à la seconde de ne pas avoir établi un dispositif « d’enregistrement du temps de travail journalier » des salariés, alors même que, à ses yeux, la loi nationale tout comme les textes européens le prévoient.

Modalités définies par les Etats membres

Cette analyse juridique avait été critiquée par la Deutsche Bank, au nom de la jurisprudence du Tribunal Supremo – la Cour suprême espagnole. Pour en avoir le cœur net, la Cour centrale de Madrid avait donc demandé son avis à la CJUE.

L’arrêt rendu mardi est on ne peut plus affirmatif : « Lues à la lumière » de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, les directives européennes « s’opposent » aux réglementations nationales qui n’imposent pas aux employeurs « un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier ». De telles procédures sont essentielles, souligne la Cour de Luxembourg, en particulier du point de vue de la « santé » et du « repos » du travailleur. L’instance estime que :

« Le laborieux doit être considéré comme la partie faible dans la relation de travail, de telle sorte qu’il est nécessaire d’empêcher que l’employeur n’arrange de la faculté de lui imposer une restriction de ses droits. »

La CJUE ne donne pas de solutions toutes prêtes, de nature à garantir le respect de ces principes : il appartient aux Etats membres de définir « les modalités concrètes de mise en œuvre d’un tel système, en particulier la forme que celui-ci doit revêtir », sachant que « des particularités propres » à chaque secteur ou à « certaines entreprises » peuvent, « le cas échéant », être prises en considération.

« C’est le retour de la pointeuse »

Evaluer l’impact de ce jugement pour la France n’a rien d’évident, compte tenu de la diversité des situations et des normes en vigueur. Dans le secteur privé, les salariés ont être soumis à des régimes très différents : par exemple à celui des horaires collectifs, s’appliquant régulièrement à l’ensemble du personnel, ou individualisés.

Autre choix, très fréquente chez les cadres : le temps de travail peut être résolu en journées sur l’année – et non pas en heures ; dans cette hypothèse, un contrat dite de « forfait-jours » est mise en place, grâce à un accord communautaire qui pose un certain nombre de conditions (catégories de salariés concernés, nombre de jours travaillés, etc.). Quel que soit le schéma tenu, des limites sont fixées, en particulier pour que la personne bénéficie de moments de repos (au moins 11 heures entre deux jours de travail et 35 heures consécutives par semaine).

Dès lors, comment s’accorder à la conclusion formulée mardi à Luxembourg ? « C’est le retour de la pointeuse », soupire Jean-Paul Charlez, président de l’Association nationale des DRH, en commentant l’arrêt de la CJUE, qui renvoie, selon lui, « à une autre époque ». Le diagnostic de M. Charlez est toutefois loin de faire l’unanimité. « Notre code du travail prévoit déjà de décompter la durée du travail de chaque salarié, ajoute Antoine Lyon-Caen, professeur émérite de droit du travail à l’université de Nanterre. Par exemple, pour ceux qui, dans un atelier ou dans un service, sont soumis à des horaires collectifs différents, l’employeur doit enregistrer les heures de début et de fin de chaque période travaillée. » Différemment dit, les patrons, en phase avec la loi, n’auront pas à bouleverser leurs pratiques, puisqu’ils doivent avoir une idée précise du temps que leurs salariés dédient à leur activité.

« Des armes supplémentaires aux salariés »

Quant à la législation, elle n’aura pas à être ajustée, assure-t-on au ministère du travail, y compris pour les employés au forfait-jours, puisqu’elle oblige l’employeur à « s’assure[r] régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et admet une bonne répartition, dans le temps, de son travail ». « Cette décision de la CJUE ne devrait pas avoir d’incidence sur les textes applicables en France, particulièrement pour tout ce qui a trait au forfait-jours, confie M. Lyon-Caen, mais il provienne à un rappel à l’ordre très ferme sur les règles à respecter en matière de temps de travail et de santé des travailleurs. »

« Cette décision donne des armes additionnels aux salariés, qui désirent saisir le juge à la suite d’un conflit avec leur employeur », déclare Me Béatrice Bursztein.

Doyen honoraire de la chambre sociale de la Cour de cassation, Pierre Bailly juge d’ailleurs que « le plus captivant dans cet arrêt » demeure dans « le rappel à plusieurs reprises de l’existence d’un droit fondamental, garantissant la santé et la sécurité au travail et l’obligation pour le juge du travail d’interpréter sa loi nationale en ce sens ».

Il est, donc, très possible que la conclusion de mardi alimente des contentieux. « Elle donne des armes supplémentaires aux salariés, qui veulent saisir le juge à la suite d’un conflit avec leur employeur sur des heures additionnels non payées ou sur une charge de travail si volumineuse qu’elle empêche le respect des temps de repos », ajoute Me Béatrice Bursztein, avocate spécialisée en droit du travail. Dans ces actions en justice, les forfaits-jours sont susceptibles d’être une cible de choix : des conventions qui les avaient mis en place dans plusieurs zones ont déjà été résiliées par la Cour de cassation, au motif qu’elles n’affirmaient pas assez que « l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables ».

Le taux d’inactivité en France est à son plus bas niveau depuis dix ans

Ces chiffres modérés selon les normes du Bureau international du travail réaffirment la lente baisse du chômage en France.

Le progrès sur le marché du travail se poursuit, mais à une cadence très lente. Au premier trimestre, le taux de chômage s’est amoindri de 0,1 point sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris, sauf Mayotte), d’après les données provisoires distribuées, jeudi 16 mai, par l’Insee. Ce ratio, qui se situe désormais à 8,7 % – soit son plus bas niveau depuis début 2009 –, avait déjà abandonné de 0,3 point lors des trois derniers mois de 2018.

Pour la période convenant de début janvier à fin mars, il y avait, en métropole, 2,4 millions de personnes au chômage (soit 19 000 de moins en trois mois). Une réduction effectuée en vertu de la définition du Bureau international du travail (BIT). Ces conséquences semblent en ligne avec les dernières données relatives à la création d’emplois : publiées le 10 mai par l’Insee, elles présentaient une progression des effectifs dans le secteur privé de 0,3 %, au premier trimestre.

Taux de chômage de longue durée à 3,3 %

Entre les chômeurs, 963 000 affirment rechercher un poste depuis au moins un an. Le taux de chômage de longue durée s’élève, ainsi, à 3,3 % de la population active, en diminution de 0,3 point en un an.

Si l’on considère les statistiques par tranche d’âge, les résultats sont tranchés : le taux de chômage baisse pour les personnes de 25 à 49 ans (− 0,2 point entre janvier et mars ; − 0,7 point sur un an) mais il s’accroît chez les jeunes, au premier trimestre (tout en refluant clairement, si l’on raisonne sur les douze mois écoulés, à − 1,7 point). Quant aux seniors, la tendance est à l’augmentation (+ 0,2 point en un an).

La part des personnes de 15 à 64 ans qui ont un emploi reste stable, s’établissant à 66,1 %, ce qui aménage « son plus haut niveau depuis 1980 », déclare l’Insee. En un an, cet indicateur a progressé pour toutes les tranches d’âge, en particulier pour les jeunes (+ 0,8 point, malgré une baisse début 2019) et les 55-64 ans (+ 0,5 point). Quant à la qualité de l’emploi, elle poursuit de s’améliorer, modestement, avec une amélioration très légère (+ 0,1 point) de la part des personnes titulaires d’un contrat de travail à temps plein (à 54,5 %).

Emploi : Jaris défait les fonctions de l’audiovisuel aux personnes en condition de handicap

Jaris, promo 2017, atelier de prise de vue au Plessis-Trévise.
Jaris, promo 2017, atelier de prise de vue au Plessis-Trévise. DR

Le fait Duoday appel le 16 mai les sociétés à assister l’accès du handicap à l’emploi en milieu ordinaire. C’est le credo du centre de formation aux professions de l’audiovisuel Jaris depuis plus de quinze ans avec un vrai succès.

Le 16 mai se tient le Duoday 2019, une journée nationale usitée à la réunion du handicap et de l’entreprise. Pour les stagiaires de Jaris, le Duoday c’est tous les jours. Ce mécanisme d’insertion créé en 2003 forme avec un véridique succès les personnes en condition de handicap aux métiers de l’audiovisuel, en s’appuyant sur le réseau professionnel et sur la mise en situation des stagiaires. « On n’est pas une boîte à rêves, on est sur des emplois plus techniques que créatifs, on forme des manipulateurs de prises de vue, des preneurs de sons et des monteurs, mais ni des scénaristes ni des réalisateurs », déclare Eric Canda, fondateur et directeur de Jaris Productions.

Le plan de formation s’adresse aux personnes espacées de l’emploi par un handicap ou par l’instabilité sociale. Ce sont des personnes avouées en situation de handicap physique ou psychique (autistes, dépressifs, schizophrènes, bipolaires) et des jeunes de moins de 25 ans mandatés par le service public de l’emploi. Les stagiaires ont entre 18 à 45 ans.

Depuis 15 ans, tous les ans, Jaris perçoit en entretien une cinquantaine de candidats destinés par Cap emploi (le Pôle emploi « handicap ») ou par une mission locale (le Pôle emploi des 16-25 ans). Douze d’entre eux entreront en formation théorique et pratique. Des professionnels viennent leur expliquer les ficelles du métier et les stagiaires convoient des ateliers en conditions réelles de travail. « Pendant trois mois, ils s’exercent en binôme sur toute la chaîne de conception d’un film : écriture, prise de vue, réalisation, etc. », retrace Téva Bourdin, opérateur indépendant et formateur Jaris, qui a déjà une centaine d’élèves à son actif.

Quelques séances sont employées au développement personnel et à la gestion du stress. « Les contenus ne sont pas très alambiqués, mais derrière il y a pour chacun une lutte personnelle. Pour moi, c’était la fatigue, car c’est difficile d’analyser ce qui tient de la fatigue ou de la maladie », témoigne Caroline Roatta, 37 ans, stagiaire de la promo 2017, faite depuis 2013 par la maladie de Wilson.

Confiance recouvrée

« Certains stagiaires faisaient déjà dans l’audiovisuel avant de dépendre à la suite d’un accident de vie ou d’un burn-out. Ils achètent très vite les compétences métiers. Ils ont perdu la confiance, mais ce sont des personnes qui moulinent très vite », définit Téva Bourdin.

Auchan : les élus de la chambre centrale d’entreprise lancent un droit de fringante économique

En pénurie économique, Auchan entre dans une zone de confusion. Suite à l’annonce du groupe de quitter l’Italie et le Vietnam et plusieurs jours après avoir avisé la vente de 21 sites en France, les élus du comité central d’entreprise (CCE) ont voté, mercredi 15 mai, un droit d’alerte économique sur la condition d’Auchan et demandé une expertise.

Assemblés en meeting extraordinaire mercredi à Marcq-en-Barœul (Nord), « les membres du CCE Auchan ont déterminé à l’unanimité » de mettre en œuvre, simultanément aux négociations du possible futur plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), « la procédure du droit d’alerte économique », ont indiqué, à l’AFP, FO, la CFDT, la CGT et la CFTC. Par ce dispositif, le comité d’entreprise « peut demander à l’employeur de lui fournir des explications », lorsqu’il a « connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise », déclare le code du travail.

« C’est récent chez Auchan, ça veut certainement dire que ça ne va pas bien… L’idée, c’est de réaliser une expertise au niveau du groupe, pour voir plus loin que ce que la direction peut nous montrer dans le cadre du PSE » et obtenir plus d’informations « sur les comptes, les grandes orientations stratégiques, la situation du groupe au niveau international », a déclaré à l’AFP Guy Laplatine, délégué syndical central CFDT.

Une situation économique « très difficile »

Comparé de son propre confession à une situation économique « très difficile », Auchan France avait avisé, le 30 avril, la prochaine mise en vente de 21 sites tranchés rarement rentables, concernant éventuellement 700 à 800 salariés. Et mardi, l’entreprise a avisé la cession de la quasi-totalité de sa filiale Auchan Retail Italia au groupe transalpin coopératif de distribution Conad, pour un montant non publié. Auchan Retail va pareillement abandonner avant l’été le Vietnam, un pays où il était le dernier répartiteur occidental depuis le départ de Casino en 2016.

Or, selon FO, « entre 2013 et 2018, le groupe Auchan a accompli un cumul de 2 706 millions d’euros de conquête net » et « obtenu un cumul de 522 millions d’euros au titre du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) ». Donc, « l’expertise économique prend tout son sens ». D’autre part, Guy Laplatine (CFDT) a sollicité que « le PSE et les reclassements soient organisés à l’échelle du groupe Mulliez [détenteur d’Auchan], qu’ils puissent se faire sur d’autres enseignes du groupe comme Jules, Kiabi, Kiloutou (…) et pas uniquement sur le Auchan du coin ou celui situé à 200 km ». « La galaxie Mulliez peut assurer des passerelles professionnelles pour reclasser le personnel ! Il faut qu’on arrête de raisonner “Auchan” et qu’on raisonne “galaxie Mulliez” », a ajouté Gérald Villeroy (CGT).

L’acheteur d’Ascoval en pénurie

L’usine d’Ascoval de Saint-Saulve (Nord), le 8 novembre 2018.
L’usine d’Ascoval de Saint-Saulve (Nord), le 8 novembre 2018. Pascal Rossignol / REUTERS
Cela concorde à un très mauvais remake de Groundhog Day (Un jour sans fin). Soit un perpétuel retour. A peine recouvrés, le 2 mai, les 270 salariés d’Ascoval pourraient se retrouver à nouveau à la case faillite après la vraie fausse reprise, début 2019, par Altifort. Les anxiétés attachées au Brexit sont très largement responsables du problème.

British Steel, le dernier acheteur désigné de l’aciérie de Saint-Saulve, a annoncé mardi 14 mai effectuer des discussions avec ses créditeurs et le gouvernement britannique afin de réussir un soutien financier d’urgence. Sinon, le sidérurgiste, qui emploie 5 000 salariés, dont 4 200 au Royaume-Uni, risque tout simplement de se mettre en faillite, convaincant peut-être sa toute nouvelle filiale.

« Le problème ne se situe pas au niveau de British Steel, qui gagne de l’argent, mais au niveau de la holding, explique Paul McBean, président des syndicalistes de British Steel. Il y a besoin de 75 à 100 millions de livres (86 à 115 millions d’euros) pour poursuivre les activités. »

La « holding » indique l’actionnaire principal, Greybull Capital, un fonds qui dépend aux frères Marc et Nathaniel Meyohas, qui ont acquis British Steel en 2016. « La situation est très sérieuse », ajoute M. McBean. Les négociations entre les créditeurs, les actionnaires, le gouvernement britannique et les syndicats poursuivaient mardi soir.

« L’incertitude du Brexit »

L’entreprise garantit malgré cela que ces problèmes sont sans impact sur la reprise d’Ascoval. « Les discussions n’ont pas d’impact sur la volonté du groupe de se porter repreneur de l’aciérie Ascoval de Saint-Saulve », déclare-t-elle dans un communiqué. En France, Bercy précise que « l’Etat, en accord avec la région Hauts-de-France et la métropole de Valenciennes, (…) portera sa part du financement dans les conditions négociées, afin de admettre l’effectivité de cette reprise dès (…) mercredi 15 mai ».

Les raisons des difficultés des rétributions actuelles de Greybull Capital ne sont pas connues. « Mais ça vient de l’incertitude du Brexit, explique M. McBean, installé à Scunthorpe, dans le nord de l’Angleterre, où se trouve la principale aciérie du groupe. On peut administrer la sortie de l’Union européenne, ou le fait de rester dans l’UE. Mais on est entre les deux, dans les limbes, et plus personne ne veut prendre la moindre décision d’investissement ou de financement. »

Suivant un proche du dossier côté français, l’affaire illustre la réalité du Brexit. L’aciériste nécessite avoir des sites en Europe pour échapper de payer les droits de douane en cas de Brexit. « La vérité, c’est que British Steel est confronté à une baisse de son carnet de commandes au Royaume-Uni du fait des incertitudes, et qu’il cherche à créer sur le continent, où ce serait moins cher », pense une autre source proche du dossier. « Jusqu’à présent, personne ne savait évaluer les conséquences du Brexit en matière économique et industrielle », déclare un observateur. Avec Ascoval, voilà la Grande-Bretagne face à un cas concret.

Un premier prêt d’urgence

Jusqu’où ira le britannique dans cette affaire ? « Ils ne peuvent pas s’admettre de perdre la maison mère et 5 000 emplois, estime un proche du dossier. Mais entre Nigel Farage [leader du parti du Brexit] et un gouvernement conservateur aux abois, c’est tendu. »

British Steel avait déjà vécu de sérieux problèmes le 1er mai. La société devait acquitter en urgence 120 millions de livres (138 millions d’euros) de permis d’émission de CO2 de l’UE, qu’elle aurait généralement obtenus gracieusement si le Brexit n’avait pas lieu. Le gouvernement britannique avait accepté de lui verser un prêt d’urgence pour payer cette somme.

British Steel s’était en effet retrouvé enfermé du système des droits d’émission de CO2, organisé par l’UE. Chaque année, le sidérurgiste reçoit un certain nombre de « droits à polluer », à titre gratuit, comme ses concurrents continentaux. Mais, depuis le 1er janvier, Bruxelles a décidé de ne plus permettre de nouveaux permis d’émission aux entreprises britanniques.

« En cas de “no deal”, l’UE craignait que les entreprises britanniques se recouvrent avec des permis dont elles ne connaîtraient plus besoin et dont elles inonderaient le marché », déclare Richard Warren, de UK Steel, l’organisation représentant la sidérurgie britannique. Pour British Steel, cette décision de Bruxelles a été une catastrophe. Il devait rembourser un déficit de 120 millions de livres de permis pour l’année 2018, et estimait utiliser son allocation de 2019 pour cela.

« Des milliers d’emplois britanniques sont en jeu »

La date butoir pour verser cette somme à l’UE était le 1er mai. Faute d’y arriver, il risquait une infraction de 500 millions de livres. Impossible pour une société fragile, qui ne réalise que 20 millions d’euros de résultat net pour un chiffre d’affaires de 1,6 milliard.

Dans l’urgence, le gouvernement britannique lui a octroyé le 1er mai un prêt temporaire, assujetti à un taux d’intérêt d’environ 8 %. Une fois que la question du Brexit sera résolue, et que British Steel aura touché de l’Union européenne ses crédits carbones, il les débitera et pourra alors rembourser le gouvernement.

« On connaissait ce problème des permis d’émission de CO2 et ce n’était pas une surprise, déclare M. McBean. En revanche, les nécessités de la holding étaient complètement inattendues. » Le syndicat GMB a appelé pour sa part le gouvernement à accorder au plus vite le prêt réclamé par British Steel. « Des milliers d’emplois britanniques sont en jeu, sans parler de l’avenir de notre industrie sidérurgique », a affirmé Ross Murdoch, responsable national du syndicat.

 

L’embauche par simulation : une solution aux jobs en tension ?

« Pôle emploi dispose de 110 équipes spécialisées et de 500 conseillers MRS sur l’ensemble du territoire » (Agence Pôle emploi de Montpellier, le 3 janvier)..
« Pôle emploi dispose de 110 équipes spécialisées et de 500 conseillers MRS sur l’ensemble du territoire » (Agence Pôle emploi de Montpellier, le 3 janvier).. PASCAL GUYOT / AFP

Le procédé de mise en condition des candidats, séparément de leur CV, assiste le travail des responsables des RH, continuellement en recherche de la perle rare.

Ils étaient paysagiste, préparateur en pharmacie, gestionnaire des achats, spécialiste du marketing ou du tourisme… Ils sont actuellement codeurs-développeurs. Florian Carmelet, 27 ans, est diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’ingénieurs de Poitiers (Ensip). Après une expérience d’ingénieur thermique dans le bâtiment, il est, depuis le mois d’avril, salarié à Nantes chez Wiztivi, une société qui développe surtout des arranges télé pour des opérateurs téléphoniques et pour des opérateurs de contenus.

Une réorientation vers une profession en très forte tension rendue possible par le l’embauche par simulation (MRS). Ce procédé développée par Pôle emploi fait fi du traditionnel CV et met les candidats en disposition afin de déceler leurs capacités ou leur « habileté » à dresser leur nouveau métier.

Cette manière met tout le monde sur un pied de concordance. « Il s’agit de casser les représentations, déclare Adeline Guiter, chef de projet MRS numérique à Pôle emploi. Non, les codeurs-développeurs ne sont pas que des hommes. Non, il n’est pas nécessaire d’avoir un bac + 4 ou +5. Oui, les seniors peuvent exercer ce métier. »

« Découvrir des talents cachés »

« Le processus de recrutement est très inhabituel, ajoute Johan Sanchez, codeur-développeur depuis mars à La Bécanerie, entreprise de vente à distance de pièces détachées pour deux-roues basée à Avignon. Ici, personne ne m’a sollicité quoique ce soit sur mon diplôme ou sur mes antérieures expériences professionnelles. » A 40 ans, il appréhendait que son âge puisse être un frein. Après une formation en management et en gestion, il a fait plusieurs fonctions (achats, logistique, supply chain…), dans de grands groupes et de petites structures. Laurent Henni, le directeur de La Bécanerie, estime quant à lui une démarche qui « casse les habitudes et qui permet de découvrir des talents cachés venant d’horizons professionnels différents ».

Le procédé n’est pas nouveau. Loin de là : elle existe depuis 1995. « Au départ, elle a été créée pour les métiers de l’industrie, surtout pour pourvoir des postes de soudeurs, dont les entreprises avaient besoin en grand nombre, déclare Christian Hiron, coordinateur équipe MRS à Pôle emploi. Après, elle s’est très vite étendue à la restauration rapide, à la grande distribution, notamment dans le cadre de nouvelles implantations, aux centres d’appels… » Actuellement, elle concerne tous les secteurs : aéronautique, logistique, téléphonie, agroalimentaire… Pôle emploi dispose de 110 équipes spécialisées et de 500 inspirateurs MRS sur l’ensemble du territoire.

 

Les employés sollicitent une « transformation »

Les technologies numériques peuvent « apporter des savoir-faire à ceux qui n’en ont pas, ou qui n’ont pas les bons, et permettre ainsi une montée en capacités de personnes dont on jugeait les compétences trop faibles dans le monde précédent ».
Les technologies numériques peuvent « apporter des savoir-faire à ceux qui n’en ont pas, ou qui n’ont pas les bons, et permettre ainsi une montée en capacités de personnes dont on jugeait les compétences trop faibles dans le monde précédent ». Ingram / Photononstop

Au contraire de l’idée générale, les employés sont généralement désireux de se former pour s’ajuster, l’évolution étant porteuse de récente dispositions et modalités professionnelles.

D’où vient donc cette idée selon laquelle les personnes seraient totalement rétifs, voire hostiles, à la transformation ? Un a priori aux conséquences gravissimes, qui conduit les responsables d’entreprises à mettre au chômage des personnes jugées inaptes de s’ajuster et à se lamenter au même temps de ne pas trouver les compétences recherchées.

Cette idée serait un conjecturé. Des experts de la Harvard Business School (HBS) et du Boston Consulting Group (BCG) viennent de le prouver. « Vos employés sont bien plus prêts à évoluer que vous ne le pensez », déclarent-ils dans un article du dernier numéro de la Harvard Business Review (« Your Workforce Is More Adaptable Than You Think », mai-juin 2019), parafé par Joseph Fuller et Manjari Raman, respectivement professeur et chercheur senior à la HBS, et par Judith Wallenstein et Alice de Chalendar, au même temps  associée et consultante au BCG.

Ils ont consulté 11 000 employés – d’un niveau d’étude inférieur à la moyenne nationale –, et 6 500 responsable de onze pays différents : Allemagne, Brésil, Chine, Espagne, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Inde, Indonésie, Japon et Suède. Conclusion : si les dirigeants sont très inquiets à l’idée de trouver le personnel sollicité, les salariés sont en revanche en majorité désireux de se former pour s’ajuster.

Partage d’expériences

Dans son dernier ouvrage Besogner à l’ère post-digitale. Quel travail pour 2030 ? (Dunod), Dominique Turcq, sociologue et consultant, montre en effet à quel point les technologies digitales peuvent « apporter des savoir-faire à ceux qui n’en ont pas, ou qui n’ont pas les bons, et permettre ainsi une montée en capacités de personnes dont on jugeait les compétences trop faibles dans le monde précédent ».

Au contraire de l’idée générale selon laquelle la transformation serait généralement redoutée car vécu comme préjudiciable d’emplois, les employés consultés par les experts  auraient donc une vision plus optimiste de la transformation, porteur de nouvelles aptitudes et modalités professionnelles.

Ils ont, certes, conscience de l’exigence de se former. Ce doit être un projet personnel, apprécient-ils, majoritairement, sur le plan mondial, mais pas en France. « La France est le seul pays où les employés estiment que c’est avant tout au gouvernement de prendre en charge leur formation », ajoute Judith Wallenstein.

Le droit social qui parvient du Luxembourg

« Pour éviter toute divergence d’interprétation mais aussi tout nationalisme juridictionnel, le CJUE a le monopole de l’interprétation des textes communautaires, nécessairement commune aux vingt-huit Etats membres ». Photo Siège de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) à Luxembourg,
« Pour éviter toute divergence d’interprétation mais aussi tout nationalisme juridictionnel, le CJUE a le monopole de l’interprétation des textes communautaires, nécessairement commune aux vingt-huit Etats membres ». Photo Siège de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) à Luxembourg, Mel Stuart/Westend61 / Photononstop

Pour échapper tout désaccord d’interprétation, mais aussi tout nationalisme juridictionnel, la Cour de justice de l’Union européenne a l’exclusivité de l’explication des textes communautaires qui doit être commune aux vingt-huit Etats membres.

Nul ne néglige les pénuries de l’Union européenne en matière sociale avec des risques de dumping (le coût horaire d’un travailleur d’un pays à l’autre varie de 1 à 8), ou encore les fraudes à la renonciation, encore que la directive du 28 juin 2018 changée en France le 20 février 2019.

Malgré cela il y a un établissement dont l’activité n’est en rien réunie par les divisions actuelles, et dont la puissance de feu juridique est exceptionnelle. Peu éprouvée du grand public, habituellement confondue avec la Cour de Strasbourg soignant du Conseil de l’Europe, il s’agit de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui siège à Luxembourg.

Concertée de vingt-huit juges (un par Etat, afin que chaque culture y soit représentée), elle a plusieurs dotations, entre lesquelles la question préjudicielle (QP) domine statistiquement (deux arrêts sur trois) et juridiquement.

Pour fuir toute différence d’explication mais aussi tout nationalisme juridictionnel, le CJUE a en effet le monopole de l’interprétation des textes communautaires, forcément commune aux vingt-huit Etats membres. C’est le cas, par exemple, des directives, abondantes en droit du travail.

Le fait religieux en entreprise

Convenable par n’importe quel juge qui aurait des doutes d’interprétation, la Cour ne se formule ni sur l’affaire, ni sur une concurrence entre droit national et droit de l’Union, mais sur la seule explication. Et il est remarquable que certains juges nationaux se posent moins de questions que d’autres : sur les 520 QP organisées en 2018, l’Allemagne en avait posé 78, l’Italie 68, la France et la Belgique 41, et enfin le Danemark et la Grèce 3…

L’explication de la CJUE s’inflige dans tous les Etats membres. Sa portée est donc équivalente à celle d’un règlement communautaire, mais quelquefois sur des sujets sociaux extrêmement sensibles n’ayant aucune chance d’obtenir à Bruxelles un consentement suffisant pour produire un texte. Il n’est enfin pas exclu qu’un juge suprême national pose à la CJUE une question dont la réponse semble évidente ; mais elle lui admettra, en s’y soumettant, de ne pas endosser la responsabilité d’une solution très discutée dans son pays.

La question du fait religieux en entreprise donne un concept de l’impact conduisant des décisions de la CJUE. En France, dans son arrêt du 23 novembre 2017, la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence pour reprendre l’arrêt de la CJUE du 22 mars 2017, à propos d’une réceptionniste belge déniant de retirer son voile : « L’employeur (…) peut envisager dans le règlement intérieur de l’entreprise (…) une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients ».

« L’Etat du management 2019 » 

Effectué sous la direction de Valérie Guillard et Bruno Oxibar, le livre nourrit la réflexion sur la raison d’être des entreprises qui doivent répondre aux demandes sociétaux et environnementaux.

« L’Etat du management 2019 », ouvrage collectif du laboratoire Dauphine recherches en management, sous la direction de Valérie Guillard et Bruno Oxibar. La Découverte, 128 pages, 10 euros.

« L’Etat du management 2019 », ouvrage collectif du laboratoire Dauphine recherches en management, sous la direction de Valérie Guillard et Bruno Oxibar. La Découverte, 128 pages, 10 euros.Le 28 juin 2018, l’entreprise Lafarge-Holcim est mise en vérification, en tant que personne morale, pour connivence de crimes contre l’humanité. En mars 2018, Facebook est mis en cause dans le scandale Cambridge Analytica. Finalement, en franchant le record de 1 000 milliards de dollars (863 milliards d’euros au taux de l’époque) de capitalisation boursière, au même temps en août et en septembre 2018, Apple et Amazon soulèvent un certain nombre de questions sur la place de l’entreprise dans la société.

Les quote-parte proposées, surtout par les chercheurs du laboratoire Dauphine recherches en management (DRM) dans L’Etat du management 2019 (La Découverte) rejoignent directement ou indirectement ces préoccupations et ces problèmes qui ont existé dans l’univers des entreprises.

Effectué sous la direction de Valérie Guillard et de Bruno Oxibar, le livre nourrit la réflexion sur la raison d’être des entreprises. Les travaux sont organisés en trois rubriques : les nouvelles tendances, les dossiers à suivre et le point sur quelques aspects de la société.

Pourquoi les consommateurs des Emirats arabes unis achètent-ils du luxe contrefait ? L’interrogation effectué par Julia Pueschel, Cécile Chamaret et Béatrice Parguel dans la première partie fait écho aux records boursiers d’Apple, classée au rang de fabricant de produits de luxe.

Les dangers de la santé connectée

Au contraire du caractère ostentatoire de ces consommations, Nathan Ben Kemoun et Valérie Guillard dressent un panorama de la sobriété matérielle des consommateurs. Dans ce même cadre, Claire Auplat propose une contribution sur le « Safer By Design », une nouvelle théorie sur l’optimisation risques/bénéfices d’un produit qui implique toute la chaîne d’approvisionnement. Cette théorie émergente répond à des demandes sociétales fortes, mais provoque des tensions de même ampleur en raison de ses implications managériales.

Dans les « Dossiers à suivre », Eva Delacroix parle des consommateurs en situation de pauvreté qui conaissent une pénalisation par le marché, et Sarah Lasri se penche les dangers de la santé connectée à l’heure où certains GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) investissent ce marché.

Puis dans la rubrique « Le point sur… », Nicolas Berland fait le point sur la notion de rentabilité : pourquoi le taux de rentabilité doit-il être de 15 %, chiffre magique souvent communiqué dans la presse et les rapports financiers ? En s’intéressant au groupe coopératif Mondragon (au Pays basque espagnol), Jean-François Chanlat et Hervé Grellier-Bidalun contribuent de façon originale au débat sur le rôle et la mission sociale de formes particulières d’organisation.

Des établissements en pénurie de recrutement aux postes d’infirmiers et d’aides-soignants

Dans beaucoup de régions, des établissements de soins n’arrivent pas à embaucher les personnels dont ils ont besoin. Dans les hôpitaux de l’AP-HP, en Ile-de-France, il manque actuellement 400 infirmiers.

AURELDésaffection pour des jobs de soins jugés fatigants et mal payés, coût de la vie en Ile-de-France, concurrence des pays frontaliers… Pour plusieurs motifs, depuis quelques mois, dans plusieurs régions, des hôpitaux publics peinent à recruter des infirmiers en soins généraux ou des aides-soignants. Des pénuries qui viennent s’ajouter à celles existant de plus longue date pour recruter des masseurs-kinésithérapeutes, des manipulateurs en électroradiologie-médicale ou des infirmiers anesthésistes ou de bloc opératoire. « Nous n’avons pas d’alerte d’une pénurie majeure mais nous avons des signaux de difficultés que nous n’avions pas avant », explique-t-on à la Fédération hospitalière de France (FHF), la structure qui représente les hôpitaux publics.

Premiers affectés par ces pénuries : les 39 établissements – pour la plupart franciliens – de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le plus grand groupe hospitalier du pays. « On voit la courbe des recrutements se creuser depuis le début de l’année et actuellement, ce sont 400 infirmiers, soit environ 3 % des effectifs d’IDE [infirmiers diplômés d’Etat] à l’AP-HP, que l’on souhaiterait recruter et que l’on ne trouve pas », déclare Sylvain Ducroz, le directeur des ressources humaines. Un comble à l’heure où la direction s’est notamment engagée à recruter 61 soignants supplémentaires dans ses vingt-cinq services d’urgences en grève, et à y remplacer systématiquement tous les congés maternité pour mieux faire face à l’augmentation continue de la fréquentation.

« Il y a deux ou trois ans, il n’y avait pas ces tensions pour recruter. Le phénomène, qui avait déjà été observé dans les années 2000, semble à son début », estime Serge Morel, le directeur d’une structure englobant des établissements parisiens aussi prestigieux que Necker, Cochin ou l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP). Dans quelques hôpitaux, jusqu’à une trentaine de postes sont vacants, principalement en médecine gériatrique et médecine générale. « On se mobilise pour attirer les nouveaux formés qui vont sortir d’école en juillet, j’ai bon espoir que nous allons y arriver », ajoute M. Morel.

Postes vacants en gériatrie et médecine générale

Le problème a été jugé très sérieux pour être évoqué en conseil de surveillance de l’AP-HP le 19 avril. « Les difficultés de recrutement de certaines catégories de personnels médicaux et soignants compliquent inévitablement le fonctionnement des services et l’atteinte des objectifs en matière d’activité », peut-on lire dans le compte rendu de cette réunion.