Siemens veut se focaliser sur les technologies digitales et de robotisation de la production

Le patron de Siemens, Joe Kaeser, lors d’une conférence de presse, à Munich, en janvier 2018.
Le patron de Siemens, Joe Kaeser, lors d’une conférence de presse, à Munich, en janvier 2018. Michael Dalder / REUTERS

Le géant allemand veut se focaliser sur les technologies digitales et de robotisation de la production.

Une grande turbine, formée d’une forêt de pales de distinctes tailles, et, au milieu, frottant le tout, un ouvrier en casque blanc siglé du logo vert : c’est la photo habituellement utilisée pour illustrer le géant industriel allemand Siemens. Cette image sera bientôt écartée dans les livres d’histoire. Siemens a déclaré, mardi 7 mai, son projet de mettre en Bourse son département énergie et gaz, l’un des plus traditionnels du groupe, pour se centrer vers les activités de technologies numériques liées à l’industrie.

Par cette conclusion, confirmée par le conseil de surveillance du groupe, mardi soir, Siemens met fin aux rumeurs et aux demandes sur l’avenir du département énergie, en pénurie depuis plusieurs années, en particulier dans la production de turbines à gaz et à vapeur. Le secteur sera mis en Bourse en septembre 2020 au plus tard, spécifie le communiqué. Pour le rendre plus attrayant, Siemens lui adjoindra les 59 % du capital qu’il détient dans la coentreprise germano-espagnole Siemens Gamesa, leader mondial de l’éolien, créée en 2017.

La nouvelle entreprise sera un géant mondial de l’énergie : elle débarrassera 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an, avec 80 000 salariés, et des activités recouvrant l’ensemble de la chaîne de valeur – de la production à la distribution d’énergie. Siemens demeurera un actionnaire de référence dans le nouvel ensemble, avec une collaboration d’un peu moins de 50 % au départ.

380 000 travailleurs

Cette mise en Bourse est une nouvelle escale dans le grand réaménagement du groupe industriel allemand attirée à l’été 2018 par Joe Kaeser. Le patron du groupe défend depuis considérablement l’idée d’une « flottille » d’activités, autonomes sans être indépendantes, contre la structure traditionnelle en conglomérat, aussitôt jugée trop lente et bureaucratique et moins attrayante pour les actionnaires. Ce principe sonne la fin de la solidarité financière traditionnelle entre départements et favorise le modèle de la holding. Le mouvement touche tous les grands groupes allemands traditionnels : ThyssenKrupp, Continental et Volkswagen ont opéré des scissions et des mises en Bourse de leurs activités, en 2018.

Le chef du groupe défend depuis un bon moment l’idée d’une « flottille » d’activités, autonomes sans être indépendantes, contre la structure traditionnelle en conglomérat

Chez Siemens, qui compte 380 000 employés, et incarnait le conglomérat par excellence, cette évolution est notamment spectaculaire. Si le groupe a régulièrement adapté son portefeuille d’activités tout au long de son histoire, les démembrements partiels ou totaux se sont précipités ces dernières années : outre la fusion dans l’éolien avec Gamesa, Siemens a placé en Bourse son département de technique médicale Healthineers, fleuron du groupe, à la fin de 2018, et tenté une fusion de ses activités ferroviaires avec le français Alstom, définitivement rejetée par la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, au début de février. En 2013, Siemens s’était séparé de son département de technique d’éclairage, Osram, dans lequel il ne dispose plus aucune participation.

Le patronat et la discussion sur les retraites complémentaires

Les organisations d’employeurs présentent d’amplifier le champ des personnes qui ne seraient pas souples à un malus, au sein de l’Agirc-Arrco.

En ces temps de colère sociale, le patronat est prêt à faire de – menues – présents au sujet des caisses de retraites complémentaires du secteur privé (Agirc-Arrco). Escomptés dans une discussion avec les syndicats sur le pilotage du régime, il vient de transmettre un projet d’accord qui comporte des dispositions allant dans ce sens. Ce document de neuf pages, doit être observé vendredi 10 mai, à l’occasion d’une rencontre intégrale entre les partenaires sociaux qui pourrait être conclusive.

Il prédit d’agrandir les catégories de personnes qui ne sont pas soumises à un malus – aussi appelé « coefficient de solidarité » ou « décote » –, quand elles règlent leur retraite. Ainsi, la liste des adjudicataires de cette « exonération » s’allongerait, en incluant aussitôt les chômeurs en fin de droit, les personnes en incapacité, ainsi que celles ayant perçu l’allocation adulte handicapé (AAH) ou qui se sont vu avouer une incapacité permanente d’au moins 20 %, à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Encourager les personnes à travailler plus longtemps

Pour attraper l’importance de cette mesure, il faut affermir trois ans et demi en arrière. Fin octobre 2015, les ordonnances d’employeurs et trois confédérations de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC) signent un accord pour sortir du rouge les comptes très humiliés de l’Agirc et de l’Arrco. L’une des dispositions prises prévoit un système d’abattements et de bonifications, afin d’inciter les personnes à travailler plus longtemps. Ainsi, sauf exception, celui qui part à la retraite dès l’instant où il a droit au taux plein dans le régime de base (par exemple 62 ans pour un individu né en 1957 qui a cotisé 41,5 ans) a le choix entre trois scénarios : soit il cesse d’œuvrer, mais sa pension supplémentaire est alors diminuée de 10 % pendant trois ans ; soit il reste en poste jusqu’à 63 ans, ce qui lui permet de ne pas subir des sanctions financières ; soit il soutiens son activité au-delà de 63 ans, auquel cas sa pension Agirc-Arrco est élevée.

« Un tabou est tombé », se complimente alors Claude Tendil, le chef de file de la délégation patronale, qui s’est battu bec et ongles pour réussir la cooptation d’un tel agencement. Le Medef et ses alliés sollicitent, en effet, un report de l’âge minimum à partir duquel on peut liquider sa pension (pour le porter de 62 ans à 63 ans, voire davantage). Le malus engendré à l’Agirc-Arrco exauce partiellement leurs vœux, puisqu’il est de nature à modifier les comportements : si les assurés souhaitent échapper à la décote, ils doivent se maintenir en activité au-delà de 62 ans. A l’époque, la CGT et FO dénient d’entériner cette réforme, estimant qu’elle porte atteinte à l’âge légal de départ à la retraite. Les trois syndicats signataires, eux, s’y rassemblent, mais à contrecœur.

L’ex-PDG de France Télécom, et le procès de la vague de suicides

L’ex-PDG de France Télécom Didier Lombard témoigne au palais de justice de Paris, le 6 mai.
L’ex-PDG de France Télécom Didier Lombard témoigne au palais de justice de Paris, le 6 mai. ERWAN FAGES

Sept avisés, dont l’ex-PDG de France Télécom, se présentent au tribunal correctionnel de Paris, après de la vague de suicides de travailleurs entre 2007 et 2010.

A la barre du tribunal correctionnel de Paris, mardi 7 mai, l’ex-PDG de France Télécom, Didier Lombard, 77 ans, expose sa longue et riche carrière. « Fonctionnaire », déclare-t-il.

Polytechnique, Ecole nationale des télécommunications, ingénieur-chercheur durant vingt ans au Centre national d’études des télécommunications (CNET) – « le premier satellite Telecom, la norme GSM, les composants pour les câbles sous-marins à fibre optique, la détection radar des bulles de chaleur pour esquiver les trous d’air des avions » –, puis le ministère de la recherche « avec Hubert Curien », celui de l’industrie, et, finalement, son arrivée à France Télécom en 2003, dont il prend la direction deux ans plus tard.

Il élude ses activités d’administrateur avec jetons d’existence afférents chez Thalès, Renault, Thomson et La Poste, la procureure les lui rappelle. Fin de l’exposition biographique.

« Il n’y avait pas de crise sociale »

Puis il sollicite l’autorisation de lire un papier, « avec l’émotion, je risque de dérailler », se justifie-t-il. « Je veux dire la profonde tristesse qui reste et restera à tout jamais le mien pour ceux qui n’ont pas supporté le changement imposée à l’entreprise dont le sauvetage puis le succès ne sont dus qu’au travail de chacune et de chacun d’entre eux. Notre maison était en péril en 2005 à cause de son surendettement, de l’agressivité de la compétition et des évolutions technologiques extrêmement rapides. (…) A l’évidence, il est présenté que les mesures d’aide à la transformation n’étaient pas accordées à l’égard de certains et je renouvelle aux victimes et à leurs familles l’expression de ma sincère et profonde tristesse de ce que cette situation ait pu involontairement participer à déstabiliser certains d’entre eux au point qu’ils réalisent un geste irréparable, ce qui m’est insupportable. »

Formation des hauts fonctionnaires des missions

« Il apparaît essentiel, comme le préconisait d’ailleurs le CESE, de revoir les programmes de formation initiale des écoles de la fonction publique, pour assurer une plus grande polyvalence des personnels recrutés » (L’entrée de l’Ecole nationale d’administration, à Strasbourg).
« Il apparaît essentiel, comme le préconisait d’ailleurs le CESE, de revoir les programmes de formation initiale des écoles de la fonction publique, pour assurer une plus grande polyvalence des personnels recrutés » (L’entrée de l’Ecole nationale d’administration, à Strasbourg). VINCENT KESSLER / REUTERS

Thibaut Guilluy et Stéphanie Goujon, de l’association Le French Impact, suscitent d’arranger une mobilité éducatrice entre haute fonction publique et entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire.

Un air populiste souffle de plus en plus fort, huant nos élites, regardées comme désarmées et débranchées des réalités habituelles du peuple français. Ce discours, très ancré dans notre culture depuis longtemps, a trouvé un récent écho dans les requêtes du mouvement des « gilets jaunes », puis dans le cadre du grand débat national, qui a fait ressortir des interrogations, voire du ressentiment et de la « défiance » (17 %) des citoyens vis-à-vis de notre haute administration, dont les préjugés privilèges et les rétributions ont fini par porter la suspicion sur leur sens de l’intérêt général.

Le procès intenté est excessif et abusif en regard de l’abnégation et de l’honnêteté d’une grande majorité des serviteurs de l’Etat, mais il traduit une coupure dangereuse et accentuée avec une technocratie jugée insolente et fermée sur elle-même.

Fautif ou bouc émissaire, l’énarchie a vu son scalp offert par le président de la République au peuple qui semblait le supplier. La cession de l’Ecole nationale d’administration est une bannière forte et les symboles comptent. Mais elle n’apaisera pas à retisser de la confiance et à renouer le fil entre la haute administration républicaine et les citoyens au service desquels elle est admise agir. Alors, comment incarner le renouveau ? Quels leviers pour poursuivre demain à former des élites mais qui soient entièrement connectées avec les réalités de la société française ?

Alors que notre cohérence sociale est tourmentée, trois pistes d’actions concrètes devraient être aperçues pour rapprocher la haute fonction publique avec les citoyens.

Très faibles intérêt et inventivité

La première vise à remplacer une culture de l’action et de la solution à la culture du contrôle actuellement prédominante. Comment ne pas s’étonner que la France oriente régulièrement ses meilleurs élèves vers des corps – l’Inspection des finances, le Conseil d’Etat, la Cour des comptes – dont la mission première est d’ordonner des normes ?

Nous avions certainement besoin de normes et de contrôle dans la société des « trente glorieuses », mais, actuellement, elles viennent dans bien des cas brider l’innovation. Or, les rapports du jury de l’ENA dirigent, chaque année, cette réalité : les candidats se distinguent tous par la rigueur de leurs références et la célérité de leur raisonnement, mais aussi par une curiosité et une inventivité très faibles. Pour récapituler, tous pensent très vite, mais peu raisonnent différemment.

 

Le Ramadan en entreprise

Durant un mois, des hommes et des femmes jeûneront le jour, tout en poursuivant le travail. Existe-t-il des agencements légaux ?

C’est un des cinq piliers de l’islam : le ramadan a débuté le 6 mai en France. Pendant ce mois considéré comme sacré, les fidèles ne doivent ni manger ni boire, de l’aube au coucher du soleil. On affection entre 4 et 5 millions le nombre de personnes « de culture musulmane » en France. Selon un sondage IFOP-Marianne réalisé en 2011, 71 % des fidèles en France affirmaient respecter le jeûne du ramadan.

Aucun agencement du code du travail ne vise nettement cet acte religieux, mais certaines d’entre elles peuvent s’appliquer au salarié pratiquant, déclare Pascal Caillaud, chercheur au CNRS. Le ministère du travail a publié un « Guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées » pour clarifier des situations entre salariés pratiquants et employeurs. Éclaircissements.

Quiz : que savez-vous du ramadan ?

  1. Les horaires doivent-ils être changés durant le ramadan ?

Rien n’est obligatoire. Le salarié pratiquant le ramadan peut malgré cela négocier en amont une modification de son temps de travail (changement des pauses pour tenir compte de la rupture du jeûne, journées continues sans pause déjeuner, journées raccourcies, etc.). Son employeur peut le lui permettre si cela n’entrave pas l’organisation de l’entreprise. « Il peut demander en contrepartie au salarié de rattraper les heures non travaillées ultérieurement », déclare Pascal Caillaud.

Mais l’employeur peut aussi le lui dénier en vertu de son pouvoir de direction. « Il doit veiller à ce que son refus ne soit pas constitutif d’une discrimination », ajoute le professeur de droit.

  1. L’employeur peut-il exiger à son salarié qui jeûne des « tâches difficiles » ?

Le code du travail exige à l’employeur de prendre les mesures essentielles pour garantir la sécurité et défendre la santé physique et mentale de ses travailleurs.

Le fait de jeûner n’indique pas, en soi, une incapacité de travailler. Si un médecin du travail déclare que le jeûne n’admet pas d’exécuter un travail en toute sécurité, l’employeur doit retirer le salarié de son poste. Dans ce cas-là, la rétribution de l’employé n’est pas certainement maintenue.

L’employeur peut aussi décider d’une modification d’affectation sans que cela forme une sanction disciplinaire.

  1. L’employeur peut-il exclure des congés payés au motif que le salarié pratique le ramadan ?

Non (pas sous ce motif). Une négation sur la base d’une croyance religieuse est interdite. « Le salarié n’est pas dans la promesse de justifier pourquoi il demande la prise de congés. Toutefois, la période de prise des congés est fixée par un accord ou une convention. S’il n’y en a pas, il appartient à l’employeur de fixer cette période », ajoute Pascal Caillaud.

Mais l’embaucheur peut contester une demande de congés de son salarié pour des raisons liées aux contraintes de l’entreprise. Si plusieurs employés sollicitent à profiter, au même moment, de congés simultanés, cela peut mener un dérangement de l’entreprise. Dans ce cas précis, l’employeur peut admettre la demande de congé d’un salarié et la refuser pour un autre, même si les deux demandes sont liées à la même pratique religieuse. Il se rapporte alors à l’ordre des départs en congés payés (article L3141-6) fixé en fonction de la situation de famille ou encore de l’ancienneté du salarié.

  1. L’employeur peut-il forcer son salarié à collaborer aux repas d’affaires ?

Oui. Si le repas d’affaires fait partie du travail pour lequel l’employé a été recruté, comme c’est le cas chez quelques commerciaux, son supérieur peut demander sa présence. Mais il ne peut le forcer à consommer le repas.Il faut donc distinguer la présence au repas de l’achèvement des aliments ou des boissons.

Dans la pratique, les religieux musulmans permettent des exceptions de rupture du jeûne pour les fidèles en difficulté, surtout en période de canicule.

L’avenir de l’emploi à l’heure du digital

Sarah Bouillaud

Les changements du travail face à la croissance des outils digitaux sont au programme de la première édition de RESO, le 14 mai 2019 à Montpellier, lors de tables rondes et de conférences.

De prime accueil, l’apaisement. Le tout récent rapport de l’Organisation de collaboration et de développement économiques (OCDE) sur L’Avenir du travail, divulgué le 25 avril, estime à 14 % la part des emplois tourmentés de l’absence dans les prochains vingt ans pour cause de changement technologique. Le World Economic Forum de Davos estimait lui, en septembre 2018 dans The Future of Jobs, que l’automatisation, si elle allait effacer 75 millions d’emplois dans le monde, en créerait simultanément 133 millions, donnant raison aux tenants des thèses de Schumpeter sur la « destruction créatrice ».

Une nouvelle insouciance met en lumière des enjeux qui, à l’analyse, ne sont pas moins dévastateurs

Cet insouciance rompt avec plusieurs années de bouleversement enseigné – de précédentes études, émanant y compris d’instances universitaires renommées comme l’université d’Oxford, jaugeaient à 50 % ou plus la part des emplois directement alarmés par la transformation digitale. Mais il met en lumière des enjeux qui, à l’analyse, ne sont pas moins destructeurs. Davos comme l’OCDE pointent en effet une triple intimidation.

Pluseurs menace

La première porte sur la concentration du marché de l’emploi. La nouvelle économie est en effet forte consommatrice de profils compétents et laisse de moins en moins de place aux jobs dits intermédiaires. Quant aux emplois peu ou très peu qualifiés, s’ils poursuivent voire se développent, c’est au prix d’une fragilisation croissante et de revenus faibles.

La deuxième touche aussi la France plus que d’autres : la condition sine qua non pour embarquer les actifs dans la transmutation des emplois et des entreprises réside dans l’efficacité du système de formation continue. Or l’an passé, dans l’Hexagone, seul un actif sur trois s’est formé, et comme il est d’usage, ce sont les plus qualifiés qui ont encore le plus profité de ces mises à niveau.

Les primordiales victimes de cette « quatrième révolution industrielle » risquent d’être les classes populaires et les classes moyennes

La troisième fulmination découle des deux premières ; elle intéresse les effets sociaux de cette « quatrième révolution industrielle », dont les primordiales victimes risquent d’être les classes populaires – de l’emploi, certes, mais plus souvent précaire, à temps partiel et mal rétribué – et les classes moyennes – moins d’emplois conciliateurs. Facteur aggravant pour la France : les positions professionnelles y étant plus qu’ailleurs figées dès la fin des études, cette concentration risque d’accroître encore les effets sociaux des différences scolaires.

« Le libéralisme responsable, c’est le libéralisme qui a tout compris »

Emery Jacquillat, le patron de la Camif, à Paris, le 15 novembre 2016.
Emery Jacquillat, le patron de la Camif, à Paris, le 15 novembre 2016. OLIVIER LEJEUNE / PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP
Participant dans le cadre des Rencontres économiques et sociétales d’Occitanie, le 14 mai 2019, à Montpellier, le PDG de la Camif rend compte des privilégies du statut innovateur d’« entreprise à mission » comme la sienne.

La Camif, commerçante en ligne de meubles et de linge de maison, est des premières « entreprises à mission ». Déterminé par la loi Pacte, ce statut dédie la notion d’intérêt social et ouvre la voie à une récente vision de l’entreprise. Son PDG, Emery Jacquillat, a prévenu tout le monde en faisant transformer les statuts de son entreprise dès novembre 2017.

Le capitalisme tel qu’on l’a connu vit-il ses dernières heures ?

Je ne peux pas le découvrir, mais il est vrai qu’il y a un modèle qui doit naître, et vite : un modèle d’entreprise plus participative avec une économie plus locale, plus inclusive, plus circulaire. Le chantier est énorme, il faut tout réinventer : le management, le modèle d’affaire, le cœur de l’offre… Nous n’avons plus le choix, il faut rendre nos activités acceptables sur le plan social et environnemental.

Est-ce que le passage sera doux ? Je ne le crois pas. Il y a aura des sociétés, des territoires et des régions qui seront incapables de s’assembler. Seules les entreprises les plus agiles et qui sauront utiliser le digital seront encore là dans vingt-cinq ou cinquante ans. Les actionnaires visionnaires auront vite compris que pour continuer à faire du profit il faudra miser sur des entreprises à impact positif. Le capitalisme responsable, c’est le capitalisme qui a tout compris.

Est-ce que vous restez optimiste pour la suite ?

Oui. Il y a chez de nombreux chefs d’entreprise et les collaborateurs cette soif de donner du sens. La prise de conscience collective s’est opérée dans les deux dernières années avec l’arrivée de Trump au pouvoir et la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris, la reproduction des rapports scientifiques alarmistes et plus récemment la démission de Nicolas Hulot. Les politiques ne savent plus faire ; c’est à nous de faire. L’entreprise « à mission » arrive à ce moment de notre histoire, pour arriver à encourager les entreprises à prendre des promesses qui se traduisent par des objectifs concrets et mesurables sur les enjeux sociaux et environnementaux.

Comment le digital peut-il aider les entreprises à prendre ce tournant ?

Tous les deux ans, on double le nombre de publications, de consciences abordables partageables par l’humanité. La donnée et l’intelligence sont aussitôt accessibles à toutes les entreprises. Je prends l’exemple de l’application Yuka, qui admet de scanner les produits alimentaires et d’estimer leur impact sur la santé. L’application utilise la base de données Open Food Facts. Demain l’IA sera accessible de la même manière. Tout l’enjeu est de s’obtenir de cette richesse d’informations pour la traduire en valeur économique, sociale et environnementale pour adoucir les défis.

La Camif est l’une des deux premières entreprises françaises à s’être affectées dans leurs statuts d’un « objet social étendu », « au bénéfice de l’homme et de la planète ». Comment y parvenir quand on vend des meubles et des objets de décoration ?

Demain on attirera mieux mais moins. Nous devons octroyer de la valeur aux objets qui nous terminent. En 2017, quand nous avons défini nos objectifs, nous avons acceptés qu’on n’y arrive pas en posant clairement notre cahier des charges sur la table des fabricants. Nous avons organisé un « Camifathon » pour assembler designers, consommateurs, fabricants et experts en économie circulaire.

De ces trois jours d’ateliers participatifs sont nées des collaborations, parfois entre des entreprises compétitrices, pour créer notre propre marque d’objets fabriqués à partir de déchets (canapés en tissus recyclés, matelas en matières recyclées, etc.). Pour nous, c’est une modification complete de métier. Nous passons de dispensateur à éditeur de meubles. Les chefs de produit deviennent des chefs de projets. C’est passionnant pour les équipes.

« Ce qu’on est en train de faire, je pense qu’on peut le faire dans tous les métiers »

Le digital permet aussi une meilleure information du client. Sur chaque fiche produit nous donnons le pays de fabrication, la liste des composants, des informations sur le fabricant… Nos recherches montrent que les clients veulent en savoir plus. Est-ce que les salariés sont heureux ? Est-ce que l’entreprise paye ses impôts en France ?

Cette clarté de l’information et la traçabilité des produits sont essentiels pour restituer la confiance dans les marques et permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé. Cette révolution, on la mène à notre petite échelle. Quand on contient de fermer notre site le jour du Black Friday, cela a un impact fort dans notre écosystème. Ce qu’on est en train de faire, je pense qu’on peut le faire dans tous les métiers.

« Le problème du sens au travail s’est constamment posée »

Le sociologue Patrice Flichy, spécialiste de notre rapport au travail, collaborera aux Rencontres économiques et sociétales d’Occitanie, le 14 mai à Montpellier.

 

Le sociologue Patrice Flichy, en 2017.
Le sociologue Patrice Flichy, en 2017. DR

Patrice Flichy est professeur expérimenté de sociologue à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Dernier livre paru : Les Nouvelles frontières du travail à l’ère numérique (Seuil, 2017).

Comment se définit le travail actuellement ?

C’est bien plus que le salariat. La séparation du capitalisme a été de diviser un travail professionnel salarié de ce que j’appelle l’« autre travail », qui enduit loisirs, passions, bricolage, jardinage, cuisine… Avec le digital on retrouve cette idée de continuum entre les tâches professionnelles et l’« autre travail ». Sur les plates-formes, chaque personne peut nouer des contacts avec des pairs inconnus et distants, appeler de nouvelles compétences acquises par autodidaxie. Autant d’expériences et de compétences que l’on peut réutiliser dans son activité salariée. Les frontières deviennent plus poreuses. Plutôt que de nous libérer du travail, nous essayons de libérer le travail.

Quelques entreprises ont du mal à recruter des jeunes diplômés, en quête de sens dans leur travail. Le digital y est-il pour quelque chose.

La question du sens au travail s’est continuellement posée. Dans la culture ouvrière, il y avait un sentiment d’interdépendance très fort, une culture de l’accomplissement de l’objet technique. Présentement, on est dans une société où les emplois de service dominent. Les emplois industriels font face à la robotisation. Là où l’ouvrier avait un rapport direct à la matière, actuellement il est face à des systèmes qu’il doit surveiller.

L’exigence de produire de plus en plus vite et l’intensification de la rivalité ont sacrifié le travail bien fait

Au lieu de parler de sens, je préfère évoquer d’investissement ou de promesse dans le travail. Dans de nombreux champs de l’économie, l’exigence de produire de plus en plus vite et l’augmentation de la compétition ont sacrifié le travail bien fait. C’est l’un des grands reproches qui sont faits actuellement par les salariés, et c’est la source de nombreuses insatisfactions : on n’a plus le temps de bien faire les choses. Or on sait que c’est un grandeur essentielle de l’investissement dans le travail.

Ce qui a changé aussi c’est que le compromis salarial n’est plus le même. On admettait un travail modérément satisfaisant contre la promesse d’une sécurité et d’une rémunération stable. Actuellement, lorsque les jeunes entrent sur le marché du travail, ils savent qu’ils vont enchaîner les CDD avant d’espérer décrocher un CDI. Face à cet itinéraire très précaire, beaucoup font le choix de l’indépendance, tout aussi précaire, mais source d’une sensation d’autonomie.

Dans votre livre vous parlez d’un grand envie d’accomplissement et d’affirmation de soi de la part des travailleurs…

Oui, cette demande d’autonomie est immense. Elle est liée à l’absence de démocratie dans l’entreprise. Les laborieux sont peu consultés, peu associés à l’organisation du travail, et souhaitent une modification majeure des règles du jeu dans l’entreprise. Dans une enquête réalisée par la CFDT, un quart des salariés apprécient qu’ils travaillent mieux « sans chef », et près des deux tiers que la hiérarchie ne leur apporte rien. Aussi, les trois quarts d’entre eux convoiteraient avoir plus d’autonomie.

Dans ces formalités, il n’est pas surprenant que le travail indépendant suscite un tel engouement. Le digital apporte les moyens de mettre en place cette revendication. On voit ainsi apparaître de nouvelles formes de travail extérieures au salariat qui permettent à des outsiders, à des amateurs en voie de professionnalisation de court-circuiter amplement l’organisation des professions : chauffeur VTC, livreur à vélo, plombier ou jardinier amateur, logeur Airbnb, etc.

Sommes-nous tous égaux devant ces nouvelles formes de travail ?

Non, pour les développeurs Web ou les professions intellectuelles, le statut de free-lance est très positif. Mais pour les ouvriers et les employés, les occasions du travail ouvert sont beaucoup plus restreintes. Les chauffeurs d’Uber sont un bon exemple des ambivalences du digital. Ils apprécient cette autonomie, de travailler ensemble pour plusieurs employeurs. Il y a chez eux une non-inclination à l’employeur.

Mais il est urgent que ces laborieux aient les mêmes droits sociaux que les salariés, surtout pour être couverts en cas d’accident du travail ou de chômage. Il est indispensable que ces travailleurs puissent s’organiser. C’est seulement via les organisations de travailleurs et la prise en compte des conflits sociaux que les droits augmentent.

 

La formule gagnante 

Quentin Hugon 
Bien que les risques de appesantisse de travail ou de distance avec la hiérarchie, près d’un tiers des actifs français l’ont choisi. Le futur de l’emploi à l’heure de la transformation digitale sera le sujet des Rencontres économiques et sociétales d’Occitanie (RESO), le mardi 14 mai 2019, à Montpellier.Un air de musique classique changement dans la salle à manger. « L’Andante du trio en sol mineur opus 17 de Clara Schumann », déclare une voix féminine dans l’enceinte. Assis à sa table de travail, entre la bibliothèque et la cage des cochons d’Inde, Gérard reste rivé sur son écran. Comme tous les vendredis, ce fonctionnaire de 61 ans, expert qualité à l’Insee, fait du télétravail. Une forme d’organisation dans laquelle « un travail qui aurait aussi pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication », indique le Code du travail. « J’ai une heure et demie de transport par jour, déclare Gérard. Alors quand l’Insee a ouvert la brèche, j’ai sauté sur l’occasion. »

Un mécanisme intergénérationnel

Comme lui, 29 % des actifs formant dans un bureau pratiquent le télétravail, soit une augmentation de quatre points par rapport à 2017, selon le dernier baromètre de l’observatoire Actineo. La disposition devrait se réaffirmer : d’après une étude Opinionway pour Horoquartz, 49 % des salariés souhaiteraient bénéficier de ce dispositif. « Le télétravail suscite de l’intérêt dans toutes les générations : les jeunes, qui maîtrisent précisément les outils digitaux et ont une relation au travail très moderne, les salariés en milieu de carrière avec des enfants, les seniors qui veulent avoir plus de souplesse d’organisation et plus de temps libre », note Maximilien Fleury, responsable des relations sociales chez Renault France. Pour coller davantage à leurs attentes, le groupe automobile, qui a été l’un des premiers à expérimenter le travail à distance, vient de réviser son accord signé en 2007. « Nous avions des retours très positifs de la part de nos 3 200 télétravailleurs », assure M. Fleury. Mais le système perdait de souplesse. « Désormais on peut choisir une formule fixe ou variable, à raison de deux jours maximum par semaine, pris en journées pleines ou en demi-journées. »

« L’équilibre des temps de vie est le troisième critère pris en compte par les candidats dans le choix de leur employeur »

Les sociétés s’y retrouvent aussi. « Dans le conseil, on est sur un marché pénurique », déclare Eric Perrier, PDG de Viseo, une entreprise de services digitale qui compte 2 200 assistants, dont 1 300 en France. « Le télétravail, qui n’est pas très développé dans nos métiers, est une manière d’attirer les talents et de les soutenir, en leur permettant de vivre une expérience professionnelle plus satisfaisante. » Le résultat est net : le chef d’entreprise enregistre un taux de fidélité deux fois plus fort chez les télétravailleurs que dans le reste des effectifs. Sabrina Salvatore, responsable RSE et transformation RH au sein du groupe Randstad, dresse le même fait. « L’équilibre des temps de vie est le troisième critère pris en compte par les candidats dans le choix de leur employeur, rappelle-t-elle. Procurer du télétravail est donc un vrai plus en termes d’attractivité. » Un moyen aussi de renforcer aussi. « Un salarié à qui on accorde le télétravail le prend comme une chance. Il aura donc à cœur de montrer qu’on a eu raison de lui faire confiance. » D’après le ministère de l’économie, des finances, de l’action et des comptes publics, le télétravail accepterait aussi de diminuer l’absentéisme de 20 %. Cadre chez PSA à Paris, Stéphanie Ousset, 41 ans, pointe du doigt un autre gain non injurieux pour les entreprises : « Faire des économies de mètres carrés. Cela a été le cas chez PSA. On a minimisé les bureaux attitrés, ce qui nous a autorisés de prendre des locaux abondamment plus petits à Rueil-Malmaison. »

Une solution gagnant-gagnant ?

Malgré cela, beaucoup de sociétés en France traînent encore des pieds. « J’ai beau être soucieuse du bien-être de mon équipe, je ne vois pas comment je pourrais le mettre en place chez moi, assure Brigitte Delmas, présidente de la Papeterie financière, entreprise familiale de 10 salariés spécialisée dans l’édition de registres légaux à Paris. Ce serait ingérable. On a des expéditions tous les jours, des clients à accueillir dans nos bureaux. Quand un assistant n’est pas là, les autres doivent prendre le relais, ce qui est très lourd à porter. »

« Si le salarié n’a pas de bonnes relations avec son manager, la distance risque de créer encore plus de tension »

Le télétravail n’est pas toujours le remède non plus pour le bénéficiaire. « Si le salarié n’a pas de bonnes relations avec son manageur, la distance risque de créer encore plus de tension », précède Daniel Ollivier, créateur et directeur associé du cabinet Thera Conseil, spécialisé dans l’efficience du management. D’où l’importance de bien cadrer le dispositif. Ce que s’essaie par exemple de faire Orange. « On limite le télétravail à trois jours par semaine, avec obligation de passer au moins deux jours dans son unité de rattachement pour garantir le collectif », déclare Martine Bordonné, directrice de projet digital et nouveaux modes de travail. Le jeu en vaut vraiment la chandelle, assure également Baptiste Broughton, cofondateur et directeur général de la plate-forme Neo-nomade. « Quand le télétravail est bien pensé, c’est un vrai résultat gagnant-gagnant, et un progrès pour la société : moins de gens sur les routes, donc moins de pollution et moins de risques d’accident. »

Le programme RESO 2019

Les 1resRencontres économiques et sociétales d’Occitanie (RESO) se soutiendront mardi 14 mai 2019, de 9 heures à 17 h 30, au Corum de Montpellier, place Charles-de-Gaulle, 34000 Montpellier.