La lente décadence des classes moyennes dans les sociétés industrialisées

D’après un rapport de l’OCDE, diffusé mercredi, les changements de l’emploi, l’automatisation ou l’augmentation du coût du logement développent ce préjudice.

Election de Trump aux Etats-Unis, scrutin pour du Brexit au Royaume-Uni, les « gilets jaunes »… Si ces faits ont des origines politiques propres à chaque pays, ils ont un point commun : tous sont l’expression, avec plus ou moins de force, d’un ras-le-bol des classes moyennes. D’un épuisement intensifiée d’une angoisse : celle, chez de nombreux Français, Britanniques ou Américains, de perdre leur emploi. De ne plus profiter des mêmes pertinences d’ascension sociale que leurs parents. De voir leurs enfants vivre moins bien qu’eux.

Dans un rapport récent fait le mercredi 10 avril, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’incline sur la « pression » à laquelle les citoyens se plaçant au milieu de l’échelle sociale sont soumis depuis les années 1980. Le constat dressé, certifiant les précédents travaux sur le creusement des différences, est angoissant : depuis 1980, la part de la classe moyenne, définie comme les économises gagnant entre 75 % et 200 % du revenu national médian, est descendu de 64 % à 61 % de la population dans les trente-six pays membres de l’OCDE. « La situation varie abondamment d’un Etat à l’autre, mais, dans la plupart d’entre eux, ces ménages ont vu leur niveau de vie stagner ou décliner », déclare Stefano Scarpetta, spécialiste de l’emploi pour l’organisation. Pis, leurs revenus ont amélioré beaucoup moins vite que ceux des 10 % les plus riches.

Pour saisir la mesure de ce déclin, l’OCDE s’est inclinée sur la situation des générations qui se sont succédé depuis l’après-guerre dans ses trente-six Etats membres. Les baby-boomeurs, nés entre 1942 et 1964, sont les plus chanceux, surtout car ils ont été moins affichés aux mutations de l’emploi que leurs enfants. Ainsi, 68 % d’entre eux appartenaient déjà à la classe moyenne lorsqu’ils avaient une vingtaine d’années. Cette part chute à 64 % pour la génération X née entre 1965 et 1982, et à 60 % pour les millennials, nés entre 1983 et 2002. La France, elle, se montre mieux lotie : le pourcentage est tombé de 68 % à 64 %, avant d’aider à 67 % pour les plus jeunes. Il n’empêche : « Pour la classe moyenne, les possibilités de grimper l’échelle sociale sont de plus en plus ténues, tandis que le risque de tomber dans la catégorie des bas revenus est de plus en plus prégnant », déclare M. Scarpetta.

L’aliénation des cadres sportifs aux fédérations

La ministre des sports, Roxana Maracineanu, assure que les « 1 600 cadres techniques, aujourd’hui fonctionnaires d’État mis à disposition des fédérations gratuitement (...) ne perdront pas leur statut » de fonctionnaire.
La ministre des sports, Roxana Maracineanu, assure que les « 1 600 cadres techniques, aujourd’hui fonctionnaires d’État mis à disposition des fédérations gratuitement (…) ne perdront pas leur statut » de fonctionnaire. LUDOVIC MARIN / AFP

« Il est hors de question de supprimer ces postes. » Questionnée mardi 9 avril, la ministre des sports, Roxana Maracineanu, a, à une autre foi, essayer de rassurer les conseillers techniques sportifs (CTS). Depuis la demande de Matignon à son ministère, en septembre 2018, de supprimer 1 600 postes d’ici à 2022 en ciblant ces cadres d’État, caractéristique et rouage du modèle sportif français, le monde du sport français s’inquiète.

Une « lettre blanche » du ministère des sports, confirmant des informations du Parisien, nous montre le futur de ces « chevilles ouvrières du sport français », comme ces cadres sportifs sont souvent qualifiés : ils devront passer graduellement, et sur la base du volontariat, sous la tutelle des différentes fédérations d’ici à 2025, leur détachement devenant ensuite obligatoire.

L’équipe de Roxana Maracineanu insiste sur le fait qu’il s’agit là d’un document de travail, non encore approuvé par la ministre, qui projette des « perspectives de travail » sur « un modèle qui va être réformé ». Mais les grandes lignes de l’évolution espérée par le gouvernement, à savoir un désengagement de l’Etat dans le fonctionnement du sport français, sont là. Tour d’horizon de ce qui se prépare.

Quand on parle de CTS, de quoi et de qui s’agit-il ?

Qu’ils soient directeurs techniques nationaux, entraîneurs nationaux ou conseillers techniques nationaux et régionaux, les 1 600 CTS garantissent la mise en place des politiques publiques dans le domaine de l’éducation, l’assimilation, la lutte contre le dopage…

Quel est le projet du gouvernement ?

« La réforme que j’engage va vers une plus grande autonomie des fédérations et une plus grande responsabilité des résultats sportifs qu’elles mettent en place, a résumé Roxana Maracineanu, mardi. Mais aussi qu’elles soient responsables des plans de développement des politiques sportives. »

« Ces 1 600 cadres techniques, actuellement fonctionnaires d’État mis à disposition des fédérations gratuitement, on a envie qu’ils deviennent des cadres techniques au service des fédérations », a déclaré Mme Maracineanu. Ils « ne perdront pas leur statut » [de fonctionnaire], insiste-t-on au ministère.

Par contre, en cessant progressivement d’être payés par l’Etat pour le devenir en majorité par les fédérations, les CTS permettront à la ministre de respecter « l’engagement présidentiel de réduire de 50 000 le nombre d’agents publics sur le périmètre de l’Etat et de ses opérateurs », comme le mentionné, à l’été 2018, la lettre de cadrage de Matignon.

Comment le détachement des CTS vers les fédérations va-t-il s’opérer ?

Un « détachement d’office immédiat » de ces agents du ministère vers les fédérations sportives « est écarté au profit d’une mise en œuvre progressive et sur la base du volontariat », précise le document de travail du ministère.

Si la réforme devrait rapidement être lancée, le ministère cible 2025 – après les Jeux olympiques de Paris 2024 – comme date butoir où « le détachement d’office sera mis en place ». Il fixe un chiffre de 50 % des CTS « détachés » dans les fédérations d’ici à 2025.

Un rapport de l’inspection générale de la jeunesse et des sports, remis en novembre 2018 à Roxana Maracineanu, avait recommandé « d’écarter tout scénario de rupture » immédiate, « dans le contexte de la préparation des équipes de France aux JOP [Jeux olympiques et paralympiques] de Tokyo 2020 et de Paris 2024 ».

Fer de lance de la contestation depuis septembre 2018, l’Association des directeurs techniques nationaux (ASDTN) dénonce ce qu’elle qualifie de « campagne de détachements sauvages vers les fédérations sportives ».

Le Syndicat national des activités physiques et sportives (Snaps), s’insurge que « le scénario de démantèlement du service public du sport et de son ministère semble poursuivre sa route en dépit des belles déclarations de la ministre lors de son audition » à l’Assemblée nationale.

Insistant sur la nécessaire « pédagogie autour de la réforme » auprès « d’agents et de présidents de fédérations ne connaissant pas parfaitement la position de détachement », la lettre blanche prévoit des réunions avec le comité olympique (CNOSF) et l’association des DTN avant la formalisation de la réforme.

En parallèle, « une négociation sera menée avec deux ou trois fédérations partenaires qui seraient prêtes à s’engager de manière volontariste dans le projet de réforme », prévoit la lettre blanche.

Les fédérations seront-elles accompagnées financièrement ?

L’ASDTN alerte sur « les dangers et surcoûts évidents de ces détachements » pour les fédérations.

Le projet prévoit que les « fédérations pilotes » pourront bénéficier de « modalités de compensation particulières au moins pour la première période de 5 ans ». Plusieurs candidates se sont fait connaître, selon le ministère, qui, à ce stade, n’en dévoile pas l’identité.

Certaines grosses fédérations sont en mesure d’assumer le poids financier d’une telle réforme et y aspirent, « demandeuses » selon le ministère de « récupérer le lien hiérarchique sur ces agents ».

Récupérer la tutelle des cadres d’Etat est le rêve de certains dirigeants fédéraux, qui deviendraient les uniques patrons de leurs directeurs techniques nationaux et entraîneurs de haut niveau.

D’autres fédérations, de sports moins médiatiques et moins à même d’attirer des sponsors, redoutent de ne pouvoir faire face à ces nouvelles dépenses.

Une compensation « pondérée en fonction de critères d’autonomie financière des fédérations » est prévue par le ministère et sera versée jusqu’en 2025. Le montant de cette aide sera estimé par un cabinet extérieur, afin de « garantir l’objectivité du résultat ».

Que se passera-t-il après 2025 ?

Cette date de péremption attise les critiques. L’ASDTN estime qu’elle marquera la « suppression de l’encadrement public du sport, alors que le détachement des cadres et sa compensation ne seront garantis que cinq ans et qu’ensuite un détachement obligatoire massif sans compensation s’appliquerait. »

« L’idée de la compensation n’est pas qu’elle s’arrête en 2025 », rétorque-t-on au ministère des sports, accusant les DTN d’agiter un chiffon rouge.

Bientôt employés par les fédérations, les futurs ex-CTS se concentreront-ils sur le seul haut niveau ou pourront-ils aussi poursuivre leurs activités moins rentables (en matière d’éducation, santé…) ? Sur ce point, la lettre blanche demeure muette.

Comment le CAC 40 plait les jeunes diplômés

Le marché de l’emploi des cadres est au beau fixe, surtout pour les bac + 5. Pour les employeurs, les sociétés s’adaptent.

Avec 4 300 poste de travaille en CDI en 2018, dont 65 % de jeunes diplômés, Capgemini, socié­té de conseils, services informatiques et transformation digitale, est l’un des plus gros recruteurs de cadres en France. En 2019, la tendance devrait être la même. « Le premier critère de sélection pour les jeunes diplômés est d’intégrer une entreprise apprenante », déclare Jihane Baciocchini, directrice du recrutement pour Capgemini France.

« Ils veulent contribuer à la fabrication des savoirs », ajoute Delphine Renard, directrice des ressources humaines. Pour ce faire, la société a développé le principe des communautés (par métiers, technologiques, sectorielles…) et élaborer depuis six mois une dynamique de codéveloppement, un processus d’animation de groupe crée sur l’intelligence collective. Répondre aux besoins de la nouvelle génération est une grande contribution dans une société  où la moitié des ­effectifs sont âgés de moins de 30 ans.

Les jeunes cadres désire de la lisibilité et de la transparence, et sont surtout friands d’évaluations de leur travail. Résultat: le traditionnel entretien annuel est mort et enterré, car jugé en décalage avec la réalité. « Nous sommes passés d’une évaluation annuelle de la performance à une validation en continu des compétences », conclu Delphine Renard. Une appli CapGenie permet au salarié de s’auto-évaluer et de consulter des commentaires de sa hiérarchie. Tous les manageurs ont été formés à cette nouvelle approche. « Nous avons de très bons retours des jeunes embauchés. Ils jugent le dispositif plus rapide et plus fluide », épanoui Delphine Renard.

Le monde pour terrain de jeu

Une revue de personnel trimestrielle, où les manageurs se focalise sur les compétences des salariés, a aussi été mise en place. Concrètement, « le rythme des promotions s’est accéléré pour passer de 22 % à 28 % entre 2017 et 2018 », illustre la DRH. Reste aussitôt, selon les retours des utilisateurs, des dysfonctionnements à résoudre sur l’application CapGenie.

Cette génération de jeunes diplômés est très mobile et a fait du monde son terrain de jeu. Afin d’éclairer la mobilité interne au ­niveau international, Schneider Electric (gestion de l’énergie et des automatismes) – le groupe est présent dans plus de 100 pays – travaille sur une plate-forme nommée « Open Talent Market », qui va voir le jour d’ici la fin de l’année. « Elle sera exhaustive et proposera, outre les postes à pourvoir, les ouvertures de projets avec appel à participation », mentionne Anissa Deal, directrice du recrutement.

Palmarès Universum 2019 : les jeunes favorisent le luxe, l’aviation et les salaires élevés

 C’est  une étude exclusive faite par « le Monde » sur la distribution des sociétés préférées des prochains diplômés des écoles d’ingénieurs et de commerce et management.

Manager dans le luxe ou conduire un projet dans l’aéro­spatiale : une avidité amplement distribuée par les 36 578 étudiants de niveau master en école d’ingénieurs ou en école de commerce qui arrivent d’installer le palmarès des sociétés idéales.

Mais en 2019 plus qu’avant ils désirent en  être bien payés et préserver un bon équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Consultés comme chaque année depuis 1999 par Universum, une entreprise suédoise, spécialisée dans la « marque employeur », ils ont indiqué les sociétés où ils songeraient d’œuvrer. Une enquête semi-assisté, interprétant 130 noms d’entreprise, leur a été soumis pour indiquer leur « top 5 employeurs ». Les étudiants ont aussi indiqué si leurs objectifs de carrière prioritaires se retrouvaient dans leurs « entreprises idéales ».

 

Infographie Le Monde

36 578 étudiants consultés

20 153 étudiants d’écoles de commerce et de management et 15 064 originaires d’écoles ­d’ingénieurs ont répondu, d’octobre 2018 à février 2019, à l’institut d’enquête inter­national Universum, spécialisé dans la marque employeur, afin de faire le distribution des sociétés qui les font le plus rêver. Les 36 578 jeunes interrogés, au total, dans 157 établissements sont de niveau master ; 56 % sont des hommes et 44 % des femmes.

Une enquête semi-assisté, comprenant 130 noms ­d’entreprise, est données aux étudiants, convoqués à désigner leur « top 5 employeurs ». Ils peuvent, en plus, citer ­spontanément d’autres noms, ce qui montre l’entrée de nouvelles sociétés dans le palmarès d’une année sur l’autre. La première édition française du sondage ­Universum des employeurs préférés des jeunes diplômés a eu lieu en 1999.

La tête de podium des sociétés les plus attirantes illustre une grande stabilité du choix des étudiants d’une année sur l’autre : le luxe et le digital font rêver les 20 153 futurs commerciaux et futurs manageurs qui plébiscitent, dans le même disposition qu’en 2018, LVMH, L’Oréal Group, Google, Chanel et Apple ; quant aux 15 064 étudiants ingénieurs, ils désignent Airbus, Google, Thales, Safran et Dassault Aviation comme leurs employeurs favoris. L’envie des futurs ingénieurs pour les secteurs de l’aéronautique et de la défense ne faiblit pas.

Google en recul de 1 point

Pour les cinq sociétés favorites des étudiants, les variations d’une année sur l’autre se nidifient dans la part des votants. Ainsi, le Géant américain Google, sans modifier de place dans les classements, consigne un recul de 1 point de pourcentage en un an chez les étudiants en écoles de commerce, malgré cela que le numéro un du luxe LVMH en gagne autant et approfondit l’écart avec L’Oréal Group, son challenger historique dans le palmarès.

Sur plus de 20 000 personnes consultées, « c’est une forte baisse pour Google », développe Aurélie Robertet. La ­directrice d’Universum France met ce repli sur le compte d’une préférence pour les entreprises françaises. Une transmutation intervenu en 2018 et qui s’est poursuivi cette année. Même si une des plus fortes augmentations dans le palmarès est celle du chinois Huawei (+ 18 pour les commerciaux et + 22 pour les élèves ingénieurs).

Dans l’édition 2019, « quatre tendances ressortent clairement du choix des étudiants, explique Aurélie Robertet. Un intérêt croissant pour une bonne rétribution immédiate, une respiration à davantage d’autonomie, une préférence pour les sociétés françaises, et une amélioration à la marge de la “quête de sens” ». Ces aptitudes résultent à la fois des ­résultats du palmarès et des réponses des universitaires sur leurs secteurs favoris, leurs respirations professionnelles, leurs priorités ou encore leurs exigences salariales.

La « radioscopie » des DRH bouleversés par les changements

« 61 %  des responsables des ressources humaines ont choisi ce métier, car ils voulaient participer au développement des compétences des salariés ; mais au jour le jour, ils font d’abord de l’accompagnement au changement (41 %) »
« 61 %  des responsables des ressources humaines ont choisi ce métier, car ils voulaient participer au développement des compétences des salariés ; mais au jour le jour, ils font d’abord de l’accompagnement au changement (41 %) » Ingram / Photononstop

Après 2012 et 2016, 2019 voit la déclaration de la troisième édition de l’enquête de l’organisme de formation Cegos qui expose l’évolution de la fonction de responsable des ressources humaines vue par eux-mêmes et par les salariés.

Rempli de la conduite, le responsable des ressources humaines (RRH) voit son rôle troublé au fil des changements des entreprises et de l’écosystème économique. Ainsi, 88 % d’entre eux assurent que leur rôle s’est enrichi. La troisième édition du baromètre « Radioscopie des DRH », publié le 2 avril par le groupe de formation Cegos, confirme qu’il s’est complexifié, et révèle comment l’écart se creuse entre les ambitions des directeurs des ressources humaines (DRH), la commode de leur métier et ce qu’en espèrent les travailleurs.

Quelque 1 065 salariés et 201 responsables des RH (parmi lesquels deux tiers de DRH et un tiers de RRH) en poste dans des sociétés d’au moins 100 personnes ont été consultés en février pour cette enquête, qui montre aussi des DRH rapprochés à l’impossible déconnexion et à l’augmentation du rythme de travail.

Dans la grande majorité (61 %), les responsables des RH ont préféré ce métier, car ils voulaient participer au développement des capacités des salariés ; mais au jour le jour, ils font d’abord du complément à la transmutation (41 %). Leur enjeu prioritaire au quotidien est une réorganisation ou un réaménagement, pour un DRH sur deux.

Cet espacement entre leur vocation et leurs pratiques professionnelles ne s’est diminué ni avec le changement digital des entreprises, ni avec la réforme de la formation professionnelle, qui auraient pu toutes deux donner la priorité au développement des compétences. L’accompagnement au changement est étrangement devenu leur premier motif de satisfaction, même s’ils passent un quart de leur temps à faire de l’administratif. C’est devenu leur première charge de travail, alourdie par les changements législatifs : 76 % d’entre eux désignent comme première pénurie de leur fonction « passer beaucoup de temps à renforcer des accords qui font suite aux évolutions conformes ».

Deux causes de risques psychosociaux

Depuis l’antérieure radioscopie (2016) du métier RH, « l’impact des sujets d’actualité – similitude femmes-hommes, formation professionnelle, représentation des salariés – sur la charge de travail a été considérable », développe Isabelle Drouet de la Thibauderie, experte ressources humaines du groupe Cegos. La loi El Khomri de 2016 sur la modernisation du dialogue social a consolidé le rôle des accords d’entreprise et introduit le droit à la déconnexion. En 2017, les ordonnances Macron du 22 septembre ont, entre autres, établi la fusion des instances représentatives du personnel, changé les règles de tractation collective et instauré la rupture convenue collective.

Les « référents » sont-ils les derniers délégués des travailleurs ?

«  Depuis début 2018, toute entreprise de plus de cinquante salariés doit avoir désigné un référent d’alerte professionnelle susceptible de recevoir la dénonciation par un salarié d’un crime ou un délit, d’une violation du droit ou d’une menace ou d’un préjudice grave pour l’intérêt général. »
«  Depuis début 2018, toute entreprise de plus de cinquante salariés doit avoir désigné un référent d’alerte professionnelle susceptible de recevoir la dénonciation par un salarié d’un crime ou un délit, d’une violation du droit ou d’une menace ou d’un préjudice grave pour l’intérêt général. » Spot / Photononstop

Le travailleur voit se propager des partenaires choisis au deuxième degré ou désignés par l’employeur, aux compétences concurrentes de ses représentants traditionnels, développe le juriste Francis Kessler.

La section syndicale, le représentant ou le délégué syndical, ont pour mission « la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels » des salariés, indique le code du travail. Les outils juridiques pour ce faire sont la convention collective, l’action en justice et un ensemble de droits de réunion et de déplacement dans et hors du lieu de travail.

Le comité social et économique (CSE), composé de délégués et d’envoyés syndicaux, a quant à lui pour mission « d’exposer à l’employeur les protestations individuelles ou communautaires proportionnelles aux salaires, à l’application du code du travail et des autres dispositions légales concernant surtout la protection sociale, ainsi que des conventions et accords applicables dans l’entreprise ».

S’y ajoute, à partir d’un ensemble de cinquante salariés, la mission « d’assurer une expression collective des salariés admettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production ». Pour cela, le code du travail sollicite à l’employeur des meetings mensuels et des obligations d’information et de consultation, avant bon nombre de décisions managériales.

A ces représentants des travailleurs s’additionnent des « référents ». Le concept, connu depuis 2012 dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail, s’est étendu à de nombreux autres champs : l’alerte professionnelle, la protection des données, l’intégration des personnes en situation de handicap et enfin la lutte contre le sexisme.

Donc, depuis début 2018, toute société de plus de cinquante salariés doit avoir désigné un référent d’alerte professionnelle susceptible de recevoir l’annulation par un salarié (le « lanceur d’alerte », ou whisteblower en anglais) d’un crime ou un faute, d’une violation du droit ou d’une intimidation ou d’un préjudice grave pour l’intérêt général.

Complot sexistes

Depuis le 25 mai 2018, même une très petite société a, dans certains cas, l’engagement de désigner un délégué à la protection des données (le DPD ou DPO, Data Protection Officer), chargé notamment de prévenir et de conseiller les salariés (et leur employeur) sur leurs droits et engagements en matière de protection des données personnelles dans l’entreprise.

Les périls de la société libérée

De nos jours, les travailleurs désirent bien vivre dans le travail, la question de la répartition semblant éloignée par la question de la reconnaissance, explique « L’Entreprise délibérée », livre combiné par le professeur de management Mathieu Detchessahar.

« L’entreprise délibérée. Refonder le management par le dialogue », coordonné par Mathieu Detchessahar. Editions Nouvelle Cité, 290 pages, 19 euros.
« L’entreprise délibérée. Refonder le management par le dialogue », coordonné par Mathieu Detchessahar. Editions Nouvelle Cité, 290 pages, 19 euros.

Contrôle bureaucratique, force des évolutions informatisés et des structures financières ont immergé bon nombre de travailleurs dans les tourments de la perte de sens. Seuls 6 % des salariés questionnés en février-mars 2018 par l’institut de sondage Gallup s’assurent engagés au travail. L’aspiration au changement du mode de travail est largement partagée, par les cadres et les dirigeants eux-mêmes. Certains proposent de « libérer l’entreprise » et promeuvent l’autonomie, la liberté, la suppression des hiérarchies. D’autres rénovateurs rêvent d’« agilité organisationnelle » ou d’holacratie.

Le succès de cette détermination de changement du management signale une excursion du débat autour du travail et des organisations : « Les tentatives de changement actuelle des organisations étendent à prioriser l’enjeu de la exploration sur celui de la redistribution », déclare Mathieu Detchessahar dans L’Entreprise délibérée (Nouvelle Cité).

L’ouvrage collectif, accordé par ce professeur de management à l’université de Nantes, retrace un réel changement : l’essentiel du siècle dernier a été imposé par l’enjeu de la répartition. Tout s’est passé comme si « les travailleurs étaient prêts à passer sous les fourches Caudines des méthodes modernes d’organisation du travail pour peu qu’elles leur assurent un niveau de vie, une stabilité et une certaine sécurité, un accès à la consommation… Bref, qu’elles admettent de vivre correctement, de vivre bien en dehors du travail ».

« Dépendances assumées »

Actuellement, les salariés demandent aussi bien vivre dans le travail, et la question de la répartition semble supplantée par la question de la reconnaissance. De façon symétrique, les employeurs se retrouvent dans un discours valorisant « non plus l’exécution docile des prescriptions organisationnelles, mais la promesse, l’initiative, l’innovation ».

Mais aussi attirantes soient-elles, ces approches souffrent d’un défaut originel, souhaite Mathieu Detchessahar : « Les organisations ne peuvent pas être le monde de l’autonomie et de la liberté ! Elles sont au contraire le monde des dépendances garanties dans lequel chaque participant renonce à déterminer seul son action pour la définir de façon coopérative avec les autres… et faire mieux ensemble. »

Pour embaucher, les grands groupes jouent sur les algorithmes

 Pour concilier les candidats à le recrute, les sociétés utilisent de plus en plus souvent l’IA. Nonobstant les questions éthiques que cette pratique soulève…

Pour appartenir un premier entretien dans un groupe du CAC 40, la convenance du CV ne suffit plus. Tout juste diplômé en économie, Nathan (son prénom a été changé) a aussi dû se replier, non sans peur, à l’entretien vidéo avant d’être perçu par un recruteur. Pour d’autres, il a passé divers tests de personnalité et de ses capacités.

Ces épreuves n’ont rien de nouveau, mais, aussitôt, leurs résultats sont de plus en plus assimilés dans des systèmes informatiques qui inspirent des décisions aux recruteurs. Au point que certains éditeurs de tests, tels qu’AssessFirst, sortent de leur chapeau des pronostics chiffrés en croisant cinquante variables relevant de la ­personnalité et des aptitudes : ouverture, inventivité, adaptation à la mutation, travail en équipe…

De son côté, Easyrecrue extrait des données des entretiens vidéo pour mesurer la diversité du vocabulaire du candidat ou encore le nombre de mots utilisés par minute. Dans les deux cas, la légitimité des résultats se veut fonder sur des corrélations : plus les énumérations d’un postulant sont semblables à la performance de candidats déjà soutenus, plus il sera inspiré par l’algorithme.

Evaluation industrielle des compétences

La formule suborne les grands groupes. Au Crédit agricole Normandie, les demandes d’alternance sont choisies en fonction des meilleurs apports en entretien vidéo. « Nous gagnons du temps en étant plus réactifs concernant les profils et les talents qui peuvent nous intéresser », déclare Pascale Ropert, responsable des ressources humaines de la banque.

Si, pour l’heure, les applications de ce type sont rares, elles sauraient se développer, en singulier pour enrôler des jeunes diplômés. La course est actuellement à l’évaluation industrielle de leurs capacités humaines (soft skills). « On veut les principaux jeunes talents, ceux qui aideront à transformer l’entreprise », développe Jérémy Lamri, directeur du pôle innovation, étude et prévisionnelle chez JobTeaser, plate-forme spécialisée dans l’insertion des étudiants.

Ce changement pourrait diminuer la longueur d’avance des diplômés issus des établissements les plus cotés. « Nous avons des relations privilégiées avec certaines écoles, mais nous devons aussi pouvoir enrôler ailleurs. D’autant que les diplômes, de moins en moins lisibles, ne savent plus être la seule porte d’entrée », déclare Eva Azoulay, directrice de l’acquisition des talents chez L’Oréal. Pour se garantir de la qualité des candidatures, le groupe adresse dans certains cas un formulaire pour estimer le fit culturel (« la culture commune ») entre le candidat et l’entreprise.

 

Brexit : « Des coalitions sauraient étonnamment voir le jour dans l’enseignement universitaire entre la Grande-Bretagne et l’UE »

Quel paradoxe si, définitivement, le Brexit repoussait les grandes institutions britanniques à se tourner davantage vers l’Europe, s’exclame Delphine Manceau, spécialiste en management.

On nous interroge souvent pour savoir si le Brexit constitue une opportunité pour les institutions d’enseignement supérieur françaises. D’abord, nous ne saurions nous réjouir d’un événement qui ferme les frontières alors que nous préparons les jeunes à un entourage généralisé. Mais plus encore, nous pensons qu’il aura un effet paradoxal d’ouverture européenne consolidée des institutions britanniques.

Les cent cinquante établissements d’enseignement supérieur britanniques, signataires d’une lettre ouverte destinée en janvier aux membres du Parlement européen pour avertir sur les suites académiques, culturelles et scientifiques du Brexit, sont anxieux. En effet, il semble actuellement clair que le Brexit saurait avoir des suites majeures sur l’attractivité du système éducatif britannique.

Les suites se font déjà percevoir, comme en témoigne un nouvel article du mensuel Times Higher Education accentuant le déclin de réputation des grandes institutions britanniques. Si 450 000 étudiants internationaux regagnent chaque année le Royaume-Uni, avec à la clé plus de 14 millions de livres sterling qui participent au produit intérieur brut (PIB) national, ce chiffre pourrait fermement amoindrir.

D’abord, à cause d’une potentielle promesse pour les ressortissants étrangers d’avoir un visa de travail aux termes de leurs études au Royaume-Uni.

Programmes de recherche arrangement

Mais aussi à cause d’un accroissement plaisante des frais de scolarité compensant une attractivité en déclin à l’international. Toutefois, ces transformations ne sont pas nouvelles. Les conditions d’accès aux visas étudiants se sont durcies depuis quelques années déjà, sous l’élan d’ailleurs de Teresa May quand elle était secrétaire d’Etat à l’intérieur.

Autre crainte : l’attractivité auprès des enseignants-chercheurs. La sortie de l’Union européenne dominerait restituer en cause les programmes de recherche financés par des fonds européens au sein des universités britanniques, et obscurcir l’obtention de visas pour les professeurs étrangers. Deux effets collatéraux qui inquiètent les meilleures institutions, comme la London Business School et l’University of Exeter Business School.

Le journal britannique The Independent montre d’ailleurs qu’en 2017, plus de 2 300 universitaires européens ont abandonné des universités britanniques (+19 % par rapport). Avec 230 départs (contre 171 en 2014-2015), l’université d’Oxford correspond la plus grosse perte.

L’inévitable « serment » des sociétés

De gauche à droite le ministre de l’economie francaise Bruno Le Maire, la présidente de Vigeo-Eiris Nicole Notat, et le président de Michelin Jean-Dominique Senard à la présentation (L-R) French Economy Minister Bruno Le Maire, Vigeo-Eiris President Nicole Notat, Michelin Chairman Jean-Dominique Senard lors de la présentation de leur rapport suite à leur mission « entreprise et intérêt général » au ministère de l’économie à Paris le 9 mars 2018.
De gauche à droite le ministre de l’economie francaise Bruno Le Maire, la présidente de Vigeo-Eiris Nicole Notat, et le président de Michelin Jean-Dominique Senard à la présentation (L-R) French Economy Minister Bruno Le Maire, Vigeo-Eiris President Nicole Notat, Michelin Chairman Jean-Dominique Senard lors de la présentation de leur rapport suite à leur mission « entreprise et intérêt général » au ministère de l’économie à Paris le 9 mars 2018. ERIC PIERMONT / AFP

La volonté de voir les entreprises s’engager davantage en faveur du climat, de l’emploi, de la réduction des inégalités, n’est pas seulement une préoccupation de jeunes. Elle concerne la population tout entière.

Députés et sénateurs ont discuté des heures pour savoir si la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) devait imposer ou seulement suggérer aux entreprises de définir leur « raison d’être » et « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux ». Frileux à l’idée de prescrire de nouvelles règles aux dirigeants, ils ont édulcoré ces principes préconisés par Nicole Notat, présidente de Vigeo Eiris, et Jean-Dominique Senard, alors président de Michelin, dans leur rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » (voir le lien PDF) réalisé à la demande du gouvernement.

Mais, dans la population, les renvois ne sont guère de mise : 98 % des Français âgés de 18 ans et plus apprécient que « les entreprises doivent se promettre en faveur des enjeux de société », déclare un sondage IFOP effectué pour l’Observatoire de la matérialité, centre de recherche de l’Institut du capitalisme responsable, et édité le 9 avril. Un plébiscite.

« Si les fins de mois s’exposent comme la première inquiétude des Français dans l’actualité, c’est la fin du monde, différemment dit les enjeux de société, et notamment la transition écologique, qui les inquiètent en premier lieu pour les dix prochaines années », récapitule Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP. Cette volonté de voir les entreprises s’engager davantage en faveur du climat, de l’emploi, de la réduction des différences, n’est pas uniquement une préoccupation de jeunes. Elle concerne la population tout entière.

« Des résultats concrets et vérifiables »

La nouvelle proclamation de performance extrafinancière, qui exige des entreprises de prouver leur accusation et leurs performances sur les questions sociales, sociétales et environnementales, pourrait les encourager à agir. A condition qu’« elles ne restent pas dans une logique de conformité, mais entrent dans un processus de transformation », déclare Hélène Valade, directrice du développement durable du groupe Suez, partenaire de l’Observatoire de la matérialité.

En effet, les proclamations de bonnes intentions ont fait leur temps. Près des trois quarts (71 %) des Français questionnés veulent « des résultats concrets et vérifiables » d’engagement. « Parce que les entreprises seront forcément impactées par ces enjeux et doivent y faire face », expliquent-ils. « Parce que cette promesse leur permet d’augmenter leurs profits », évaluent de leur côté les Allemands, également consultés par l’IFOP.