Le studio de jeu vidéo Quantic Dream condamné pour des photomontages injurieux

Le créateur de jeu vidéo français David Cage, fondateur du studio Quantic Dream.
Le créateur de jeu vidéo français David Cage, fondateur du studio Quantic Dream. William Audureau / Le Monde

Le fleuron français du secteur est resté « passif » devant des photomontages « homophobes, misogynes, racistes, ou encore profondément vulgaires », a jugé le conseil de prud’hommes de Paris lors d’une audience de départage, le 21 novembre. Ils ont condamné l’inaction de la direction, qui les a laissé circuler durant des années en ayant connaissance de leur teneur. « En restant passif face à cette pratique plus que contestable, qui ne peut se justifier par l’esprit “humoristique” dont se prévaut la société, l’employeur a commis une violation de l’obligation de sécurité [vis-à-vis de ses employés] », ont-ils estimé.

Le studio Quantic Dream a été condamné à verser 5 000 euros à un employé victime d’un photomontage le présentant en nazi. En revanche, les prud’hommes n’ont pas suivi sa demande de requalification de sa prise d’acte – une forme de démission fondée sur l’impossibilité estimée de poursuivre son travail – comme un licenciement. Elle a jugé, entre autres, que l’entreprise a fait cesser la diffusion de ces photomontages dès lors qu’il s’en est plaint (son principal auteur a reçu un avertissement). Quantic Dream peut encore faire appel de cette condamnation.

Le 6 mars 2017, quatre employés du service informatique de la société avaient quitté l’entreprise par prise d’acte en raison de ces photomontages. Deux d’entre eux ont été déboutés le 20 novembre 2017 de leur demande de requalification de leur départ en licenciement, le tribunal ayant jugé que leur rupture de contrat avait été trop tardive pour prouver la gravité du préjudice commis. Le 22 août 2018, un troisième a obtenu gain de cause pour la même requête, le tribunal ayant cette fois estimé que la direction avait laissé « sciemment prospérer » les photomontages.

Le studio de jeu vidéo parisien avait fait l’objet d’une enquête du Monde, de Mediapart et de Canard PC en janvier 2018, mettant au jour une ambiance toxique et un management oppressant. L’entreprise a porté plainte en diffamation contre Le Monde et Mediapart.

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Les manageurs face au défi du handicap psychique

Midi et demi. Une file de travailleurs affamés fait le pied de grue devant le comptoir du restaurant Cojean, situé rue de Choiseul, dans le 2e arrondissement de Paris. En tablier bleu marine, Côme Allamagny slalome entre les tables pour apporter les commandes. « Un toasté végé », annonce-t-il dans un sourire, un plateau à la main. En apparence, Côme est un salarié comme les autres. Pourtant, derrière sa démarche nonchalante, le jeune homme de 25 ans cache un lourd handicap : il est atteint de schizophrénie.

Comme Côme, deux millions de personnes en France souffrent de troubles psychiques sévères. Et on estime qu’un Français sur cinq sera touché au cours de sa vie. « Les troubles psychiques englobent les schizophrénies, les troubles anxieux, les troubles graves de la personnalité, les addictions et les troubles de l’humeur comme la bipolarité ou la dépression », détaille Gisèle Birck, psychiatre.

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« Instables et imprévisibles, ces pathologies n’altèrent pas les capacités intellectuelles, mais elles peuvent entraîner des difficultés de concentration, des comportements inadaptés ou des problèmes relationnels. » Au point d’entraver, parfois, la réalisation des activités quotidiennes ou la participation à la vie en société. « Conformément à la loi du 11 février 2005, elles peuvent alors être reconnues comme handicap », rappelle la docteure Birck, qui préside Arihm Conseil, une association qui favorise l’entrée et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap psychique ou mental.

Errance thérapeutique

Le défi est de taille. Dans une enquête menée en 2016 par l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), seules 19 % des familles interrogées indiquaient que leur proche en situation de handicap psychique avait un emploi. « Pourtant, lorsque la maladie est stabilisée, les personnes concernées peuvent très bien arriver à mener une vie sociale et professionnelle », rappelle Yannick Ung, chercheur associé en sociologie de la santé à l’université Paris-Descartes. Y compris en milieu ordinaire.

C’est le cas de Côme qui, après des années d’errance thérapeutique, a réussi à décrocher, en février 2017, ce job d’équipier chez Cojean, grâce à l’association Avec talents. « Les premiers mois, il venait me voir tout le temps pour me demander ce qu’il devait faire ensuite », se souvient son directeur, Guillaume Andrault. Mais, avec le temps, Côme a acquis de l’autonomie. « C’est quelqu’un d’agréable avec qui il est facile de travailler », assure son supérieur.

Handicap : la Suède mise sur l’emploi accompagné et fait mieux que ses voisins

Campagne pour l’inclusion des personnes handicapées lancée par le Pôle emploi suédois.
Campagne pour l’inclusion des personnes handicapées lancée par le Pôle emploi suédois. Capture écran Arbetsförmedlingen

Vêtue d’un chemisier et d’une jupe noirs, Hélène Barnekow pose debout, de profil. Le cliché de la patronne de Microsoft Suède aurait pu figurer sur la couverture d’un magazine financier. A un détail près : le photomontage montre des prothèses métalliques, au lieu de ses jambes, dans ses escarpins à talons. En haut de la photo, une question : « Aurait-elle pu diriger une grande entreprise ? » − sous-entendu : avec un handicap.

Depuis septembre, l’image orne les murs du métro stockholmois, avec d’autres du même genre, mettant en scène un artiste, la rédactrice en chef de magazines féminins, le fondateur d’une start-up… La campagne, organisée par Arbetsförmedlingen, le Pôle emploi suédois, a suscité la polémique. Responsable des relations avec les employeurs, Malin Blomgren, assume : « Trop souvent encore, on ne voit pas la personne ou ses compétences, mais seulement le handicap. »

Miser sur l’inclusion

Sur le papier, pourtant, la Suède est plutôt bien positionnée en matière d’insertion professionnelle. Selon un récent rapport, 12 % de la population du royaume, âgée de 16 à 64 ans, souffre d’un handicap, soit 750 000 personnes. En 2018, 63 % d’entre elles occupaient un emploi. Une partie de ces relativement bons résultats, comparés à d’autres pays, s’explique par « la mobilisation intervenue ici très tôt, dès les années 1980 », rappelle Johanna Gustafsson, chercheuse en sciences du handicap à l’université d’Örebro.

« Il n’est plus question de former une personne, en espérant qu’elle décroche un emploi, mais de lui trouver un travail et de faire les adaptations. » Johanna Gustafsson, chercheure

Depuis, l’objectif n’a pas changé : « Nous avons opté pour un modèle qui vise à inclure ces personnes au sein de la société, que ce soit les enfants, qui restent vivre avec leurs parents et vont à l’école, et les adultes, qui doivent contribuer, dans la limite de leur capacité », résume Malin Blomgren.

Dans un premier temps, la Suède mise sur l’emploi subventionné, souvent en milieu protégé, avant d’adopter le concept d’emploi accompagné, venu du continent nord-américain, et dont les résultats sont « beaucoup plus satisfaisants », selon Johanna Gustafsson : « Il n’est plus question de former une personne, en espérant qu’elle puisse décrocher un emploi, mais de lui trouver directement un travail et de faire les adaptations nécessaires. »

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Ainsi, l’Arbetsförmedlingen propose différents types de soutien aux entreprises, allant du financement de travaux ou de matériels, à l’accompagnement personnalisé en début de contrat. En parallèle, les entreprises peuvent continuer à toucher des aides pour financer les salaires.

Les pompiers, urgentistes du social

Des pompiers partent en intervention à la caserne des sapeurs pompiers 'Le Blosne' dans le sud de la ville de Rennes.
Rennes, France - 14/11/2019 KAMIL ZIHNIOGLU POUR

KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

Par Simon Auffret

Publié aujourd’hui à 01h30, mis à jour à 14h41

Une odeur âcre, une odeur de mort, se dégage de l’appartement. Trois pompiers s’y engouffrent, inspectent la cuisine, puis le salon. Parvenus dans la chambre, ils tombent sur un corps étendu en travers du lit : un homme d’une cinquantaine d’années, le regard figé, tourné vers le plafond. La cause du décès est inconnue mais l’hypothèse d’un crime semble pouvoir être écartée : le cadavre est intact, le logement fermé de l’intérieur depuis au moins deux jours.

C’est son infirmière, inquiète de ne pas avoir de réponse à ses nombreux appels, qui a prévenu les secours. La voici, dans la cage d’escalier, décrivant aux pompiers un homme seul, dont les contacts avec l’extérieur se limitaient à ses visites. Alertés par le ballet bleu des gyrophares, des voisins affluent vers le palier. Le sergent-chef Sylvain préfère refermer la porte, plongeant soudain l’appartement dans le silence. « A tous les coups, personne ne lui adressait la parole. Mais maintenant qu’on est là, tout le monde débarque… »

Réunion de l'après-midi à la caserne des sapeurs pompiers du Blosne, dans le sud de la ville de Rennes.
Réunion de l’après-midi à la caserne des sapeurs pompiers du Blosne, dans le sud de la ville de Rennes. KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

« Secours à la personne »

Affiliés à la caserne du Blosne, dans le sud de Rennes, Mathieu, Dimitri et Sylvain [la plupart des pompiers que nous avons interrogés ont préféré de pas donner leur nom de famille] font partie des 248 000 sapeurs-pompiers français. Des hommes et des femmes dont le quotidien, à l’échelle nationale, se raconte aussi en chiffres : en 2017, ils ont effectué 4 651 500 interventions, soit près de 700 000 de plus qu’en 2007. Cette hausse ne doit rien aux incendies – sur la même période, leur nombre n’a pas augmenté – mais bien davantage aux « secours à la personne » : découvrir des morts et des malades ignorés de leurs voisins, aider les personnes âgées isolées à se relever après une chute, accompagner des sans-abri inadmissibles dans d’autres services médicaux… Les interventions de ce type, au cœur du « social », représentent désormais les trois quarts de l’activité en caserne. « Nous voyons tant les choses se casser la gueule que nous sommes devenus les médecins des pauvres, le rempart du SAMU social », constate Jacques Bosse, 54 ans, lieutenant à Rennes.

Un sapeur-pompier fait la vérification matinale du camion incendie, le 15 novembre.
Un sapeur-pompier fait la vérification matinale du camion incendie, le 15 novembre. KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

Entre deux interventions, il s’attable dans le « foyer de vie » du Blosne, une caserne où quatre-vingts hommes et six femmes travaillent en « bordées », trois équipes alternant une garde de vingt-quatre heures avec quarante-huit heures de repos. Lui-même est pompier depuis vingt ans, dont dix dans la caserne Saint-Georges, en plein centre-ville de Rennes. Du jeudi soir au dimanche matin, ses gardes étaient rythmées par les comas éthyliques et l’état d’ivresse de fêtards abandonnés par leurs amis. Il se souvient du jour où un élu municipal chargé de la sécurité, venu passer une nuit avec les pompiers pour être au plus près des réalités, en était reparti désemparé par l’enchaînement des interventions. « Les politiques sont désarmés, mais le fondement de notre métier reste inchangé, considère le chef de garde. Il ne faut pas philosopher pendant des heures : nous, on est là pour aider les gens. »

Handicap au travail : deux nouvelles lois pour atteindre l’objectif fixé en 1987

La ministre du travail Muriel Pénicaud (à gauche) et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées d’Etat Sophie Cluzel, à Paris, le 9 octobre 2019.
La ministre du travail Muriel Pénicaud (à gauche) et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées d’Etat Sophie Cluzel, à Paris, le 9 octobre 2019. Bertrand Guay / AFP

Muriel Pénicaud, la ministre du travail, l’admet sans fard : « Nous ne sommes pas bons en France sur l’inclusion dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Trente-deux ans après la loi de 1987 sur l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés [qui a fixé à 6 % le taux d’emploi obligatoire de personnes handicapées dans le privé], seulement 3,5 % des handicapés sont salariés d’une entreprise privée, c’est très faible ! Dans le même temps, 515 000 personnes handicapées sont inscrites à Pôle emploi. Il faut leur donner leur chance. »

« Jusqu’à présent, le handicap était une affaire de spécialistes. Aujourd’hui, nous travaillons à l’intégrer dans des politiques de droit commun. » Sophie Cluzel

Depuis un an et demi, deux lois visent à faire évoluer cette situation. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, lancée début 2018 sous la houlette de Muriel Pénicaud, et la loi sur la réforme pour la fonction publique, portée par Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics.

Sur la question du handicap, l’un comme l’autre travaillent en étroite concertation avec Sophie Cluzel. Pour la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, une évolution majeure est à souligner : « Jusqu’à présent, le handicap était une affaire de spécialistes. Aujourd’hui, nous travaillons au contraire à l’intégrer dans des politiques de droit commun, lesquelles sont établies avec le concours étroit de ces spécialistes et des personnes elles-mêmes. »

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Pour Sophie Cluzel, l’objectif actuel est clair : « Nous voulons désormais fluidifier et rendre possibles les parcours des personnes handicapées, selon leurs besoins et leurs choix, vers le milieu ordinaire, c’est-à-dire vers les entreprises, tout en offrant des solutions adaptées à ceux qui le souhaitent par le biais de la mobilisation des experts de l’insertion par l’activité économique, des entreprises adaptées ou des établissements et services d’aide par le travail [ESAT]. »

700 « CDD tremplin »

Afin de rassurer ceux que ce changement de paradigme inquiète, « ces politiques sont élaborées en coconstruction avec l’écosystème », assure Muriel Pénicaud. Plusieurs chantiers sont lancés. Au 1er janvier 2020 démarrera la réforme de la fameuse Obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Les 6 % restent de mise, mais ont vocation à être réévalués tous les cinq ans. « Pour l’heure, l’idée est d’en simplifier le cadre général. A grands traits, cette réforme simplifie les modalités de déclaration, de réponse et de calcul de la contribution annuelle de l’OETH », résume Sophie Cluzel.

En Bretagne, la ville de Pipriac conjugue salariat et handicap

PHILIPPE SALARIE ENTREPRISE TEZEA LIEU ATELIER BOIS DEMONTAGE PALETTES POUR CREATION OBJETS ET MOBILIER TERRITOIRE ZERO CHOMEUR PIPRIAC ILLE ET VILAINE FRANCE 25 NOVEMBRE 2019

Thierry Pasquet pour « Le Monde » / Signatures

Par

Publié aujourd’hui à 08h00

C’est un rond-point comme tant d’autres, le long de la départementale 777, animé par une pizzeria et une grande surface. Mais il est flanqué d’un bourg tout droit sorti d’un album d’Astérix : à Pipriac, en Ille-et-Vilaine, le vieux village résiste. Fin octobre, la localité bretonne a même reçu une dizaine de parlementaires de l’Ouest ainsi que Ludovic Magnier, Haut-Commissaire à la lutte contre la pauvreté pour la Bretagne. Le groupe s’est dirigé vers la poste, ou plutôt un étage au-dessus, où siège Tezea. Cette entreprise a vu le jour en 2016, dans le cadre de l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée (TZCLD).

Atelier de blanchisserie de Tezea, à Pipriac, le 25 novembre 2019.
Atelier de blanchisserie de Tezea, à Pipriac, le 25 novembre 2019. Thierry Pasquet pour « Le Monde » / Signatures

Lors de leur venue, les parlementaires n’avaient pas de colis à récupérer, mais une révolution à observer : le territoire de Pipriac-Saint-Ganton revendique aujourd’hui le plein-emploi. Et Tezea s’avère désormais la quatrième entreprise de la commune. Avec 30 % de ses salariés en situation de handicap, elle envoie valser nombre de préjugés sur cette population. « Au quotidien, nous prouvons que nous pouvons vivre et fonctionner comme une boîte classique », souligne Serge Marhic, son directeur.

« On m’a accusé de concurrence déloyale, on m’a aussi reproché de servir des CDI sur un plateau à des chômeurs paresseux. » Denis Prost

Gestion d’une recyclerie, désherbage écologique, petite maintenance en établissement scolaire ou location de vélos électriques… Dans cette entreprise à but d’emploi (EBE), ce sont les savoir-faire et les envies des personnes longtemps privées de travail qui déterminent les tâches à effectuer. L’argent habituellement versé sous forme de prestations sociales est, ici, utilisé pour créer des emplois à destination des chômeurs de longue durée présents depuis au moins six mois sur le territoire. Sur la base du volontariat, ils se voient proposer un contrat à durée indéterminé (CDI). Et sur les 71 recrues, 22 sont en situation de handicap, qu’il s’agisse de troubles musculo-squelettiques ou psychiatriques. Longtemps jugé utopique, le dispositif affiche pourtant des résultats encourageants. En 2018, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 224 000 euros et devrait générer 291 000 euros cette année.

Pourtant, lorsqu’en 2014 Denis Prost, chef de projet TZCLD à Pipriac et Saint-Ganton, communique pour la première fois sur le dispositif dans sa région, il essuie des tirs de barrage d’entreprises locales. Le responsable de l’équipe de Pipriac et Saint-Ganton résume : « On m’a accusé de concurrence déloyale, on m’a aussi reproché de servir des CDI sur un plateau à des chômeurs paresseux. »

Charlotte de Vilmorin, une cheffe d’entreprise aux commandes malgré son fauteuil roulant

Charlotte de Vilmorin a fondé et dirigé le site de partage de véhicules aménagés Wheeliz.
Charlotte de Vilmorin a fondé et dirigé le site de partage de véhicules aménagés Wheeliz.

Jeune, femme, en situation de handicap… Au regard des statistiques, Charlotte de Vilmorin, 29 ans, avait peu de chances de devenir dirigeante d’entreprise. Pourtant, depuis 2015, cette battante est à la tête de Wheeliz, un site de location entre particuliers de voitures aménagées, lancé avec le développeur Rémi Janot. La structure, avec six salariés, gère un parc de 1 500 voitures et compte 10 000 utilisateurs. Le marché est prometteur : la France compte 400 000 personnes en fauteuil roulant et 1,2 million de seniors en perte d’autonomie. Wheeliz travaille au lancement d’une appli qui permettra de dématérialiser la signature du contrat et l’état des lieux.

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Wheeliz se développe au prix d’« un combat quotidien », concède, souriante, la jeune femme, chemise en jean et pull sombre à paillettes. « Ce n’est pas facile d’affronter le regard des autres quand on y lit le soupçon d’incompétence a priori. »

Dans sa phase de prospection, elle se souvient de cette personne qui l’a poliment écoutée, puis lui a envoyé un mail le lendemain : « Le business n’est pas compatible avec votre condition physique ! Vendez votre idée et contentez-vous de votre blog [Wheelcome, sur sa vie en fauteuil roulant ; elle a également été l’auteure d’un récit sur son expérience]. » Et que dire de ce banquier auquel elle demandait l’ouverture d’un compte professionnel : « Mais non, mademoiselle, vous voulez parler d’un compte personnel !”, m’a-t-il lancé, en me regardant comme si j’étais neuneu », se souvient Charlotte de Vilmorin.

« Sur mon CV, je n’indiquais pas que j’étais en fauteuil. J’ai vite déchanté car, souvent, je ne pouvais même pas accéder au bureau du recruteur en raison d’un escalier. » Charlotte de Vilmorin

Mais son plus gros obstacle, « c’est l’autocensure ». Heureusement, sa famille et ses amis sont d’un soutien sans faille. « Cela donne une grande force, ajoute la chef d’entreprise. Mes parents ont tout fait pour que je grandisse en milieu ordinaire, avec les camarades de mon âge, ça change tout. »

Diplômée du Celsa, après une prépa, Charlotte a démarré sa vie professionnelle dans une agence de publicité avant de se lancer à son compte. « A mes débuts, sur mon CV, je n’indiquais pas que j’étais en fauteuil, car je voulais être choisie pour mes compétences, se souvient la jeune femme. Mais j’ai vite déchanté car la plupart du temps, je ne pouvais même pas accéder au bureau du recruteur en raison d’un escalier ou d’un ascenseur trop étroit pour passer. »

Ces entreprises qui se veulent plus accueillantes envers les salariés handicapés

Dans l’usine allemande DencoHappel Production, en 2017.
Dans l’usine allemande DencoHappel Production, en 2017. DPA / Photononstop

Dorothée Pinotie respire à nouveau. Lorsqu’elle a appris que son employeur, le centre de relations clients d’ICF Habitat (le bailleur social de la SNCF) déménageait du 13e au 10e arrondissement de Paris, la conseillère clientèle a eu un coup de stress. Changer ses habitudes n’est évident pour aucun salarié, mais lorsque l’on est non voyant, les questions d’accessibilité dans un nouveau quartier prennent une importance cruciale.

Heureusement, pour l’aider à se repérer, sa hiérarchie lui a proposé des « ateliers de locomotion » avec une association spécialisée. « J’ai mémorisé différents chemins pour me rendre sur mon lieu de travail. C’est à ce genre d’attention que l’on mesure la volonté d’une société d’accueillir des personnes handicapées », estime Dorothée Pinotie, quelques semaines plus tard. Ce centre de relations clients fait figure d’exemple : il accueille 20 % de salariés souffrant de handicaps divers. Une politique volontariste portée depuis sa création en 2006 par son responsable Olivier Sicard. Sensibilisé par « un ami brusquement atteint de cécité », celui-ci a eu « une véritable prise de conscience ». Le dirigeant espère maintenant convaincre d’autres services autour de lui. Des petits-déjeuners dans le noir sont, par exemple, déjà prévus.

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Le taux de chômage des personnes en situation de handicap atteint 18 %, et plus de la moitié d’entre elles recherchent un poste depuis plus d’un an. La loi fixe à toutes les entreprises de plus de 20 salariés une obligation d’emploi de 6 % de travailleurs handicapés. Mais seules 34 % en recrutent directement au sein de l’entreprise, sans sous-traiter à des établissements spécialisés. Une kyrielle de dispositifs a pourtant été mise en place pour aider les employeurs dans le recrutement. « On fait face à une action publique composée d’une sédimentation de dispositifs aux orientations parfois contradictoires, avec une multiplicité d’acteurs. On est bien en peine, aujourd’hui, d’identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas », analyse Anne Revillard, professeure associée à Sciences Po et auteure de Handicap et travail (Presses de Sciences Po – mai 2019). Les réformes en cours ont pour ambition de faire bouger les lignes.

Dans la durée

Sensibilisation des équipes, recrutement, aménagements de postes, maintien dans l’emploi et aide à la reconversion… Les sociétés les plus en pointe ont mis en œuvre des politiques volontaristes qui jouent sur plusieurs plans, le plus souvent dans la durée. Installée dans la Loire, France Découpe, spécialisée dans la transformation de papiers peints intissés, fait partie de ces bons élèves depuis peu. La PME de 65 salariés (groupe Addev Materials) a démarré une politique en la matière, il y a tout juste un an. Son taux d’emploi au sein de l’entreprise a bondi de 1,5 % à 8,83 %.

Monoprix à nouveau condamné pour l’emploi de ses salariés la nuit

Le logo du supermarché Monoprix, à l’entrée d’une de ses boutiques, à Paris, France, le 21 novembre 2019.
Le logo du supermarché Monoprix, à l’entrée d’une de ses boutiques, à Paris, France, le 21 novembre 2019. GONZALO FUENTES / REUTERS

Déjà condamné par le passé pour travail de nuit, Monoprix a une nouvelle fois été condamné. Le tribunal de grande instance de Nanterre a interdit au magasin « d’employer des salariés après 21 heures », sous astreinte de 30 000 euros par infraction constatée pendant six mois, selon le jugement obtenu vendredi 29 novembre par l’Agence France-Presse.

Le jugement, reporté à plusieurs reprises, donne raison à la Confédération générale du travail (CGT). Le syndicat contestait les accords conclus les 8 et 11 octobre 2018 par l’entreprise avec deux autres organisations syndicales – la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) –, sur le travail de nuit, en zone touristique internationale (ZTI) et en dehors.

La législation encadre aujourd’hui le travail de nuit dans le commerce alimentaire de détail dans les ZTI (Champs-Elysées, etc.) à des conditions précises : rémunération double, compensation en heures de repos équivalente au temps travaillé, aide à la garde d’enfants et prise en charge du retour du salarié à son domicile.

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Une centaine de magasins concernés

C’est sur ce dernier point que le tribunal a jugé insuffisantes les dispositions de l’accord d’entreprise qui accordait une prise en charge du transport « le plus économique » et faute de transport en commun lors du travail de nuit.

Le code du travail prévoit pourtant « la mise à disposition d’un moyen de transport pris en charge par l’employeur qui permet aux salariés de regagner leur lieu de résidence ». Depuis, Monoprix a souscrit un contrat avec une société de VTC, mais en l’absence d’avenant à l’accord, le tribunal « fait droit à la demande d’annulation » de la CGT.

Pour le travail de nuit hors zone touristique, qui concerne déjà plus d’une centaine de Monoprix en zone urbaine, le tribunal rappelle que le travail de nuit doit être « exceptionnel » selon le code du travail.

Le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre a jugé que le recours au travail de nuit tel que prévu dans l’accord d’entreprise n’était « pas exceptionnel » et « annule l’accord relatif au travail de nuit du 11 octobre 2018 ». Toutefois, le TGI a autorisé l’ouverture tôt le matin, à partir de 5 heures, pour approvisionner les magasins.

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10 % de chiffre d’affaires après 20 heures

Monoprix « va étudier le jugement et réserve sa position », a fait savoir l’avocat de l’enseigne, Me Philippe Bouchez-El Ghozi lors d’une conférence de presse téléphonique. Marie-Christine Aribart de la CGT s’est félicitée du jugement, « qui va permettre aux salariés de rentrer plus tôt chez eux », mais juge « probable que Monoprix propose un nouvel accord » à la signature des syndicats.

La distribution met en avant les changements d’habitude de consommation des Français et la concurrence du commerce sur Internet pour justifier les ouvertures en soirée. Parallèlement, elle accélère la mise en place de caisses automatiques ; ce qui lui permet de contourner la loi qui encadre très strictement l’emploi de salariés la nuit.

Monoprix ouvre déjà 129 magasins (sur 289 Monoprix) après 21 heures, dont 15 en zone touristique internationale, et avance que 10 % de son chiffre d’affaires est réalisé après 20 heures à Paris. Ainsi 12,7 % de ses effectifs travaillent déjà après 21 heures.

L’enseigne avait déjà été condamnée en appel en septembre 2018 à cesser d’employer des salariés dans ses établissements parisiens entre 21 heures et 6 heures, également sous astreinte de 30 000 euros par infraction, mais avait immédiatement conclu de nouveaux accords, échappant ainsi aux sanctions.

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Les agents du Louvre obtiennent une prime exceptionnelle de 500 euros

File d’attente pour l’exposition « Léonard de Vinci », au musée du Louvre, à Paris, le 24 octobre.
File d’attente pour l’exposition « Léonard de Vinci », au musée du Louvre, à Paris, le 24 octobre. – / AFP

Une prime exceptionnelle de 500 euros promise à certains agents du ministère de la culture, le 14 novembre, par Franck Riester, a mis le feu aux poudres. Cette somme était censée remercier les agents de l’administration centrale, les agents des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et ceux des services à compétence nationale pour les efforts consentis au titre de l’adaptation au plan de transformation du ministère.

Quelque 6 000 agents, sur 24 000 (hors spectacle vivant), selon Vincent Krier, secrétaire national de la CGT-Culture, sont concernés. « Les agents des musées comme le Louvre, Orsay, Picasso, Rodin, mais aussi les écoles d’art en étaient exclus, alors qu’ils auraient dû en être », estime-t-il.

Selon la direction du Louvre, un accord de principe pour allouer cette prime de 500 euros a été trouvé, jeudi 28 novembre au soir, avec les syndicats. Cependant, réunis en assemblée générale, quelque 500 salariés voulaient son versement intégral dès la fin décembre et refusaient le calendrier et les modalités de l’offre de la direction.

Le pavillon Mollien envahi dans la matinée

Certains agents de la CGT ont envahi le pavillon Mollien dans la matinée – retardant l’ouverture du musée, sauf l’accès à l’exposition « Léonard De Vinci ». La direction a finalement imposé son calendrier avec un premier versement de 170 euros, fin décembre, et le solde (330 euros), fin mars 2020. La CGT a obtenu que tous les salariés – près de 2 000 agents ou contractuels, qu’ils soient à plein temps ou à temps partiel – l’obtiennent. Même ceux qui partiront à la retraite entre le 1er janvier 2020 et la fin mars 2020 toucheront 330 euros. Cette bonification s’ajoute d’ailleurs à la prime de fin d’année du Louvre, de 330 euros, déjà accordés à tous les salariés.

« Nous avons obtenu satisfaction, se félicite Christian Galani, secrétaire adjoint de la section CGT du musée du Louvre. La mobilisation reste forte, si au Centre des monuments nationaux, au château de Versailles et au musée d’Orsay, les agents ont obtenu 500 euros en chèques-cadeaux, d’autres établissements n’ont toujours pas signé, comme le château de Fontainebleau, le musée Guimet ou le musée Picasso. »